Le maréchal absolu

Le Maréchal absolu
Pierre Jourde
Gallimard, 2012



Comment est-ce possible? Sur internet pas vraiment multitude d'avis sur ce roman! Il faut dire que le bestiau a de quoi impressionner, du haut de ses plus de 700 pages. Quant au thème annoncé en (fort correcte) quatrième de couverture, courage fuyons! Mais un esprit de contradiction et d'aventure très fort, un vague souvenir d'avoir lu La littérature sans estomac, et l'amour des trucs improbables ont contribué à une semaine de lecture scotchante et hallucinante, oui. Qui plus est, dès la première page, j'ai su que ça allait se révéler grandiose.

Alessandro Y., tout puissant Maréchal, règne sur la république d'Hyrcasie. Ne pas chercher dans un atlas, car au fil de la lecture se lèvent des souvenirs de guerres d'indépendance, de guerres civiles en Afrique centrale ou de l'ouest, de despotes d'ex-républiques soviétiques ou d'Amérique du sud, d'Amin Dada à Khadafi il y a du choix.

Diviser pour régner, être craint, éliminer les trop intelligents, ceux à dents longues. Tout prévoir, y compris une flopée de sosies plus ou moins ressemblants chargés des chrysanthèmes, sorties et réunions, et éventuellement de finir dans un attentat sanglant, à votre place.

Mais hélas les rebelles sont maîtres de quasiment tout le pays, acculant dans son palais le Maréchal , qui saoule de ses souvenirs de gloire, passée, présente et à venir, son secrétaire Manfred-Célestin, conseiller, vieille pacotille, inopérante engeance, masseur, barbier...

Avouons un petit coup de mou en fin de première partie, balayé par le chapitre 8, barré de chez barré, où l'Odyssée de Ghor et son armée à travers le monde entier, carrément, est un chef d'oeuvre de grand n'importe quoi. Ensuite, les trois parties suivantes se sont avalées comme des petits pains, en dépit de certains passages fumant de violence et de cruauté. Souvent on a du mal à suivre (pas de souci, les personnages eux aussi se questionnent également, rêvent-ils ou quoi?). Agents dormants, Services secrets s'en donnent à cœur joie, agents doubles (triples voire quadruples), un véritable manège.

Et je n'ai pas parlé de l'écriture, drue, truculente, onirique parfois, familière, travaillée tour à tour, un feu d'artifice. Ah on jubile! Sans oublier une construction ménageant les effets et les rebondissements. Quand on pense qu'un des personnages principaux arrive juste avant la page 300...

A lire absolument, bien sûr!Un grand moment de lecture.

"On squattait les boutiques vides, les bureaux, les appartements. Les réfugiés y proliféraient, les lieux devenaient trop étroits pour loger toute la marmaille. On poussait les vieux toujours un peu plus loin, un peu plus à l'étroit. Ils s'obstinaient à vivre, à occuper quelques précieux centimètres carrés du bout des semelles de leurs charentaises. La grand-mère finissait dans le buffet Henri IV, où elle attendait la fin, ce n'était pas une mauvaise propédeutique au cercueil. Un autre se recueillait au fond du vase Ming, qui peut accoutumer à l'urne cinéraire."(etc... page 109)

"A la suite d'une erreur d'orientation de son aide de camp, Ghor s'empare de la Papouasie. L'opération se solde par de lourdes pertes. Plusieurs compagnies sont mangées par l'ennemi. D'autres sont mises à sécher en prévision des disettes futures. La division Grossmann disparaît au beau milieu de la campagne, s'égare dans la jungle et le brouillard des plateaux, traverse une chute d'eau, longe un corridor souterrain, trouve des escaliers, les monte, massacre une petite troupe d'indigènes qui s'opposait à son passage, écarte un rideau rouge, et apparaît sur la scène de l'opéra de Manaus pendant une représentation d'Aïda, sous les applaudissements du public." (etc...page 141)

L'auteur parle de son roman ici, une critique (dense!) ici,et chez babelio,

Commentaires

  1. 700 pages! Tu n'as peur de rien! :) Je le note aussi pourtant pour quand le temps me fera moins défaut!

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    1. Bah, de temps en temps ... Je l'ai lu bien plus vite que l'autobiographie de Salman Rushdie, d'ailleurs.
      Sinon, prends le temps de le lire!

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  2. A chaque fois que je viens sur ton blog, je trouve des idées de nouvelles (drôles de) lectures :)
    Je me note donc encore une fois celui-là, d'autant que j'avais lu et plutôt apprécié "C'est la culture qu'on assassine" du même auteur.

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    1. L'auteur me paraît "à suivre". Bizarre que pas grand monde sur les blogs n'ait lu son roman...

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  3. Lire Pierre Jourde, c'est toujours un grand moment ! J'avoue avoir hésité devant celui-ci à cause de la taille... Il faut dire qu'une prépa de concours se prêtait peu à une lecture de cette taille. Maintenant que j'ai le temps, faut voir ;-)

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    1. Si, si, va-z-y voir!!! Je l'ai englouti en moins d'une semaine, emportée de plus en plus vite...

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  4. Ce livre semble être un monument de l'auteur: il l'a entrepris, paraît-il, il y a plus de quinze ans.
    Chevillard dit que c'est un chef-d'œuvre: que demander de plus, au-delà de ce très convaincant billet ?

    Merci d'en avoir parlé. L'occasion pour moi de découvrir ce bon contemporain-là.

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    1. Oui, j'ai lu cela dans son interview (lien fin de billet).
      Chevillard et Jourde ont l'air amis (le dernier auto fictif est dédié à Jourde) mais pourquoi ne pas le rejoindre sur cet avis? Un roman à lire, sûrement! J'ai été estomaquée tout du long. Il vaut mieux laisser de côté des lectures moins fortes pour donner un peu de temps à des claques comme ce roman. (même si je lis aussi des trucs plus romantiques ^_^)

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    2. J'aime bien le mot "claques", c'est souvent le cas avec des ouvrages forts qui nous marquent.

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    3. Ces livres là sont rares dans la vie d'un lecteur, et d'ailleurs différents pour chacun, forcément.

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  5. Un grand moment de lecture, même sur 700 pages, je pourrais être tenté. Ton enthousiasme fait plaisir à voir en tout cas.

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    1. Ce serait bien qu'un courageux me suive et partage mon enthousiasme, non?

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  6. Euh je ne crois pas que ce soit ma came (littéraire hein !)

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    1. Certaines passent à côté de grands moments... mais le temps manque, je sais. ^_^

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  7. ton enthousiasme est contagieux mais le sujet ne me tente pas mais alors pas du tout. Je vais aller voir ça de plus près.

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    1. Le sujet ne me tentait pas plus que ça non plus, mais j'ai été happée dès les premières pages (attention, livre dangereux ^_^)

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  8. Je suis un peu comme Theoma et puis 700 pages ... mais l'auteur mérite réflexion, je vais le noter pour des jours plus téméraires.

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    1. Note, belle courageuse, tu m'en diras des nouvelles (700 page qui se lisent bien vite quand même)

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  9. je l'aimais bien en pourfendeur de la littérature de bas étage mais là là je crois que c'est trop pour moi pas le nombre de pages non ça cela m'est égal mais le sujet et le personnage .....je préfère lire de la poésie :-) ou un polar saignant :-)

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    1. Sujet et personnage n'avaient rien pour m'attirer (je suis peu friande de détails dans les polars aussi) mais comme je le dis à Theoma, ce livre m'a happée dès le début.
      (j'attends tes polars ^_^)

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  10. Celui ci étatit déjà dans ma liste, mais en attente d'une version poche. Pour le reste , tu confirmes ce que j'en pensais.

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    1. Comme il est sorti pour la rentrée littéraire 2012, tu n'as plus que quelques mois à attendre (ou alors ta bibli fait le travail?)

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    2. J'avais commencé ce roman en juin, pour un prix littéraire ais je l'ai abandonné. Je n'ai pas du tout accroché.

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    3. Je reconnais que c'est très spécial... ^_^ Ensuite, même si on change d'interlocuteur et si l'on découvre des rebondissements, ce n'est pas non plus un thriller. Mais j'ai vraiment aimé cette lecture! Note que j'ai donné deux extraits pour montrer un peu à quoi ça ressemble.

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  11. A te lire je retrouve l'ambiance générale du livre de Michel Folco "Même le mal se fait bien", si c'est du même tonneau j'adhère aussitôt. Avec peut-être une rallonge dans mes vacances scolaires...

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    1. Ah mais je ne connais pas ce titre (ni l'auteur, je le crains)
      (un saut chez M'sieur Google)
      Oh mais oui, ça pourrait être dans mes cordes, tiens!
      Tu veux que je t'écrive un mot pour qu'on te rallonge tes congés scolaires? (et tu fais pareil pour moi...)

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  12. Là c'est clair je note ! J'adore quand tu t'emballes comme ça ! ;-)

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    1. Hum, je m'emballe? ^_^ Surtout que j'ai l'impression d'être un peu seule sur le coup. Mais certains vont me suivre, merci!

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  13. Alors là, jamais entendu parler de ce livre. Merci. Si je le trouve à la bibliothèque, je le feuilletterai - sauf le chapitre 8, c'est ça ?

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    1. Mais si, il faut absolument lire le chapitre 8 (j'avoue un plaisir certain quand c'est un peu barré...)

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  14. Bonsoir Keisha, et ben dis donc, tu sais communiquer ton enthousiasme. Bravo. Pas du tout entendu parler ni de l'écrivain ni du roman. Pourquoi pas, mais pas tout de suite. Bonne soirée.

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    1. Justement, note dans un petit coin, pour plus tard.
      Bon dimanche!

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  15. Aah je sais pas je sais pas... j'ai vu "barré" mais j'ai aussi vu violence et cruauté, je suis une petite nature.:) Ceci dit, tu m'intrigues, alors je feuilletterai le pavé au détour d'une bib' pour voir.

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    1. Aïe je ne sais trop comment te conseiller : lire les deux premières pages? Lire ce chapitre 8? C'est sûr qu'avec DQ en ligne de mire, ça fait beaucoup (je n'ai commencé DQ qu'après cette lecture là)

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