Ailleurs

Ailleurs
Elsewhere
Richard Russo
Quai Voltaire, 2013
Traduit par Jean Esch

Coup de coeur...

"C'est plus l'histoire de ma mère que la mienne, mais c'est aussi la mienne car, jusqu'à il y a quelques années encore, ma mère était rarement absente de ma vie. Il est question de sa personnalité, mais aussi de l'endroit où elle a grandi, d'où elle s'est enfuie, et où elle est revenue, à maintes reprises; des contradictions qu’elle n'a pas su résoudre et m'a donc transmises, en sachant fort bien que je les rongerais comme un chien ronge un os, allant les enterrer pour les déterrer ensuite et les ronger de nouveau."

Fils unique d'une mère tôt divorcée, ayant grandi à Gloversville, toute petite ville de l'état de New York vivotant après le déclin des industries du cuir (aux conditions de travail épouvantables!), Richard Russo choisit d'étudier dans l'Arizona, où il se mariera et aura deux filles, puis partira dans le Maine, une fois son succès d'écrivain bien établi. Mais toujours dans ses bagages, par périodes de plus en plus longues : sa mère! Spécialiste des "coups de fil hystériques dans lesquels [elle] exigeait de savoir pourquoi elle ne méritait pas d'avoir une vraie vie comme tout le monde, et combien de temps encore elle devrait rester en cage." Quand elle est à Gloversville, c'est "minuscule, isolé, fruste, borné", dès qu'elle le quitte, elle a la nostalgie de ce "vrai foyer".

Lorsqu'elle approche des quatre-vingt ans, ses critères de choix d'une résidence deviennent quasi inaccessibles, et les déménagements se succèdent (l'on ne peut que féliciter la patiente épouse de Richard Russo). Jusqu'à son décès.

Mais ce qui pourrait n'être que la vie tragi-comique d'une mère usant et abusant de l'amour filial prend une toute autre dimension... L'état dépressif, les crises de nerfs, tout cela était révélateur d'une maladie réelle, hélas jamais diagnostiquée de son vivant, et qui l'a positivement dévorée. Essayant de ne pas balayer un sentiment de culpabilité et de remords de n'avoir pas su gérer les problèmes de sa mère comme il avait l'habitude de le faire ordinairement, Russo cherche à comprendre, dans un final honnête et triste, "car je suis le fils de ma mère", mère à laquelle il ressemble plus qu'il ne le croyait, reconnaissant être lui aussi parfois "obsessionnel, obstiné et rigide."

En même temps, il reconnaît ce qu'il lui doit. Sa mère possédait ce qu'on pouvait considérer comme une véritable petite bibliothèque, reflétant ses goûts et sa personnalité. "Elle lisait. Tous les soirs. (...) C'est grâce à ma mère que j'ai appris que lire n'était pas un devoir, mais une récompense, grâce à elle que j'ai eu l'intuition d'un vérité essentielle : la plupart des gens sont enfermés dans une existence solitaire, une vie restreinte par le manque et l'absence d'imagination; des limites que ne connaissent pas les lecteurs. Vous ne pouvez pas créer un écrivain sans créer d'abord un lecteur, et c'est ce que ma mère a fait de moi. En outre, même si je n'avais plus l'âge de m'intéresser à ses livres, ceux-ci participèrent à la fabrication de l’écrivain que je deviendrais plus tard, un écrivain qui, contrairement à beaucoup d'autres formés à l'Université, ne considérait pas le mot "intrigue" comme un gros mot, qui faisait attention au public et au rythme, et qui se montrait peu tolérant vis-à-vis des prétentions littéraires."

Par la découverte du salut que lui-même a trouvé dans l'écriture, même inconsciemment, et la fine analyse de sa ressemblance avec sa mère et des liens avec sa ville d'origine ayant influencé ses romans, ce récit va bien au-delà d'une banale "histoire de ma mère". Passionnant, pas follement hilarant, bien sûr, mais sonnant juste.

Les avis de ...

Commentaires

  1. "la plupart des gens sont enfermés dans une existence solitaire, une vie restreinte par le manque et l'absence d'imagination; des limites que ne connaissent pas les lecteurs."

    Rien que pour ça, je l'ajoute à ma LAL.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Yes! Vraiment un chouette livre avec plein de passages qui font mouche.

      Supprimer
  2. Il fait partie de mes lecture prévues très prochainement. Il est sur le dessus de la PAL.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'avais plutôt prévu un des romans de l'auteur qui stagne sur mes étagères, mais là, l'occasion à la bibli, et puis quelle belle lecture!

      Supprimer
  3. Très chouette billet pour un super livre :)

    RépondreSupprimer
  4. Je l'avais réservé et la biblio ne m'a pas prévenue de son arrivée... donc je vais le re-réserver ! Quel billet (chapeau bas)!!!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Euh... merci! Mais je voulais absolument défendre ce livre! Il m'a bien inspirée, faut croire.

      Supprimer
  5. Effectivement, tu me donnes très envie de lire ce livre que j'avais négligé à cause de l'aspect autobiographique. Sinon, je suis fan des romans de Richard Russo !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. En fait, je ne m'attendais pas à autant aimer!!! Dans ce sens là, c'est du bonheur!

      Supprimer
  6. j'ai lu plusieurs romans de Russo, sans déplaisir mais aussi sans passion donc ....

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Celui-ci n'est pas un roman, sans doute te plairait-il plus?

      Supprimer
  7. Je n'ai lu que le début de "La chute de l'empire Whiting" ou quelque chose comme ça mais j'avais bien accroché à cette écriture particulière qui fait mouche ! Tu me donnes envie, ce n'est pas raisonnable !!! ;) Quelle relation spéciale avec cette mère et comme tu dis "chapeau bas à l'épouse de Russo" !!! :)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. La chute... est sur mes étagères... (un jour un jour...)

      Supprimer
  8. Ha ouf, commentaire passé mais heureusement j'avais fait un copié, il s'est envolé deux fois ! Ce n'est pas normal ça ! :(

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Grrr ça continue... Heureusement on peut copier...

      Supprimer
  9. C'est vrai qu'il n'a pas l'air très drôle.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Drôle, non, mais certaines situations sont cocasses... Mais pas forcément faciles à vivre...

      Supprimer
  10. Un roman que j'ai beaucoup aimé d'abord par les problèmes qu'il pose dans les relations d'une mère avec son fils et puis pour cet amour de la littérature et sa définition d'une littérature que j'aime!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Un livre très riche, qui s'est révélé être une excellente surprise!

      Supprimer
  11. j ai noté dans les blogs amis, un roman de Russo "la chute de l'empire Witing" et ma lecture est lente mais j'accroche bien je trouve des longueurs( mais c'est mon truc en ce moment .. j'aime bien ce qui va vite)
    Luocine

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. La chute... est son plus connu, je crois, je l'ai à lire aussi....

      Supprimer
  12. Voilà pourquoi j'aime les blogs, pouvoir découvrir des pépites que je n'aurais jamais lu sinon. Merci. Le titre est noté.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Il était dans un coin de tête, grâce aux blogs aussi, puis l'étagère de la médiathèque a fait le reste!

      Supprimer
  13. J'en ai un ou deux de R. Russo qui trainent et je ne les ai toujours pas lus alors je ne me laisse pas tenter par cet "Ailleurs" (même si tu as tout fait pour! ;-) ). Et ça tombe bien, parce que les histoires de famille, je sature un peu.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je pense qu'il est coutumier des histoires de famille (j'aime bien, à petite dose) , mais là c'est plutôt sa propre histoire et celle de sa mère, et ça change tout!

      Supprimer
  14. J'avais adoré Le pont des soupirs de cet auteur et celui-ci fait partie de la sélection Elle en document, je viens de le recevoir.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'avais aimé Sortilèges à Cape Cod, et j'ai bien l'impression que cet auteur devrait me donner bien des joies encore!
      Bonne lecture!

      Supprimer
  15. Je ne te lis qu'en diagonale, j'ai déjà lu un autre billet très tentateur et j'ai trouvé le bouquin chez le bouquiniste ! Mais il me reste tant de romans de Russo dans la PAL, quelle honte !!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonne pioche pour toi!
      J'ai aussi un russo dans la PAL, et là, comme c'est de la bibli, il est passé avant...

      Supprimer
  16. Je me passerai bien de l'hystérie de la mère mais ce que tu explique en deuxième partie est assez fort vis à vis de sa mère mais aussi des lecteurs et des écrivains. C'est du coup plus de ce livre que j'ai envie de m'intéresser mais de l'auteur. J'aime son commentaire sur l'imagination du à la lecture.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Il n'y a pas de scènes agitées, si c'est ce qui t'inquiète!
      Russo, parlant de sa mère, parle forcément de lui aussi. Et de sa conception de l'écriture. Un bon bouquin, je confirme.

      Supprimer
  17. Russo fait partie des auteurs que j'ai vraiment envie de lire. Allez, faut que je m'y tienne

    RépondreSupprimer
  18. Coup de coeur, ah oui ? Je ne le sens pas pour moi celui-là, même si ça va au-delà d'une "histoire de ma mère" (j'adore cette expression^^).

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'ose te contredire, et penser que justement ce livre te plairait...

      Supprimer
  19. Un titre déjà emprunté pour un petit roman de Julia Leigh, paru en 2008 !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Exact, même titre! Ensuite, il faut voir quel est le titre original (je le signale en général dans mes billets, là c'est vraiment pareil en anglais)

      Supprimer
  20. Il me tentait beaucoup au moment de sa sortie et puis je suis passé à autre chose (bêtement !).

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je l'ai emprunté à la bibli (genre, oh j'ai encore de la place sur la carte...) et puis une fois dedans, c'était passionnant!

      Supprimer
  21. Je le reçois le mois prochain, et j'ai très très envie de le lire....Ton billet est beaucoup plus enthousiaste que d'autres; mais je te fais confiance parce que j'adore le Oseki....(pour l'instant)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Pour l'instant? (ah toi tu sais ménager le suspense... ^_^)
      Finalement je vais lire une tripotée des choix du prix ELLE! Il existe des billets moins enthousiastes, d'ailleurs je l'ai emprunté sans trop d'allant, mais ce livre a su m'emballer...

      Supprimer
  22. il est déjà sur mon étagère !

    RépondreSupprimer
  23. Et bien tu es très persuasive !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. D'autant plus que le livre m'a persuadée en premier!

      Supprimer
  24. Un de mes grands romanciers américains. Je dois bien en avoir trois qui attendent dans ma PAL.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ces américains s'y entendent pour augmenter les PAL...

      Supprimer
  25. J'adore Russo, et je me retiens, je ne te dis même pas comment pour ne pas me procurer celui-ci. Comme tous les autres que je possède sont en poche, j'attends avec impassience sa sortie chez 10/18 mais bon va falloir attendre encore quelques mois * soupir*

    RépondreSupprimer
  26. Un Russo que je n'ai pas lu... j'aime cet auteur d'amour!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. "C'est son dernier". Je mets les guillemets, c'est une citation d'un film, au sujet d'un CD de Mozart. Je ris de peu.
      Tu as bon goût, pour Russo!!!

      Supprimer
  27. J'aime énormément l'extrait que tu as choisi ! Russo est un des grands auteurs américains qu'il me reste à découvrir... Je pense que je devrais aimer :-)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'ai découvert récemment avec consternation que mes biblis ne possèdent que les deux que j'ai lus, heureusement j'en ai un dans ma PAL, et après... rien! Horreur!

      Supprimer
  28. Bonjour Keisha,
    Ce fut un coup de coeur pour moi aussi et je suis ravie de lire que ce fut pareil pour toi (et je découvre par la même occasion ton blog avec grand plaisir !)
    Laure

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Chic, chic, il y a d'autres blogs qui ont eu un coup de cœur aussi, d'autres ont aimé mais sont plus modérés. Mais c'est complètement le type de livres que j'aime.
      (et comme je suis curieuse je vais voir ton blog ^_^)

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Les commentaires sont modérés, histoire de vous éviter des cases à cocher pour prouver que vous n'êtes pas un robot.