Sodome et Gomorrhe

Sodome et Gomorrhe
Marcel Proust
La pléiade, 1983
(couverture LDP)

Que dire?

En fouinant dans mes listes de lectures j'ai retrouvé Du côté de Guermantes en 2007 et Sodome et Gomorrhe en 2008, juste avant l'ouverture du blog. Me voilà donc au bout d'un cycle complet de lecture de la Recherche sur ce blog, la possibilité demeurant que je me relise des passages pour le plaisir, c'est tout. Ou alors des lectures "autour de Proust", tout est possible.

Sodome et Gomorrhe s'ouvre avec le passage où Charlus et Jupien se rencontrent et flashent l'un sur l'autre (et plus car affinités, d'ailleurs), ce qui permet à Proust un long développement sur ces hommes ne préférant pas vraiment les femmes. Ce cher Marcel sait de quoi il parle, ce n'est pas un scoop, même si dans son gros roman il refuse d'en donner l'impression.

Après une soirée chez la Princesse de Guermantes, Proust cite le nom de la baronne Putbus (et sa fameuse femme de chambre!) personnages qui jamais n’apparaîtront 'en vrai' dans le roman, nous reparle de Gilberte, de sa mère Odette, l'épouse de Swann, dont le salon monte tranquillement.

Vous arrive-t-il d'avoir 'sur le bout de la langue' le nom d'une personne? Les pages 650 et 651 sont pour vous.
" Une dame qui vint me dire bonjour en m'appelant par mon nom. Je cherchais à retrouver le sien tout en lui parlant; je me rappelais très bien avoir dîné avec elle, je me rappelais des mots qu’elle avait dits. Mais mon attention, tendue vers la région intérieure où il y avait ces souvenirs d'elle, ne pouvait y découvrir ce nom.Il était là pourtant. Ma pensée avait engagé comme une espèce de jeu avec lui pour saisir ses contours, la lettre par laquelle il commençait, et l'éclairer enfin tout entier. C'était peine perdue, je sentais à peu près sa masse, son poids, mais, pour ses formes, les confrontant au ténébreux captif blotti dans la nuit intérieure, je me disais : 'Ce n'est pas cela.' Certes mon esprit aurait pu créer les noms les plus difficiles. Par malheur il n'avait pas à créer mais à reproduire. Tout action de l'esprit est aisée si elle n'est pas soumise au réel. Là, j'étais forcé de m'y soumettre. Enfin d'un coup le nom vint tout entier: 'Madame d'Arpajon.' J'ai tort de dire qu'il vint, car il ne m'apparut pas, je crois, dans une propulsion de lui-même. Je ne pense pas non plus que les légers et nombreux souvenirs qui se rapportaient à cette dame, et auxquels je ne cessais de demander de m'aider (par des exhortations comme celle-ci: 'Voyons, c'est cette dame qui est amie avec Mme de Souvré, qui éprouve à l'endroit de Victor Hugo une admiration si naïve, mêlée de tant d'effroi et d'horreur'), je ne crois pas que tous ces souvenirs, voletant entre moi et son nom, aient servi en quoi que ce soit à le renflouer. Dans ce grand 'cache-cache' qui se joue dans la mémoire quand on veut retrouver un nom, il n'y a pas une série d'approximations graduées. On ne voit rien, puis tout d'un coup apparaît le nom exact et fort différent de ce qu'on croyait deviner."

Je renonce à citer la suite, aussi finement observée, et surtout le dialogue qui suit, entre l'auteur et le lecteur impatient de reprendre le cours du récit... Proust peut se révéler amusant, et surtout, bonnes gens, admettez que ses phrases peuvent être courtes (OK, parfois, pas toujours)

Arrive le célébrissime (OK pour les proustolâtres) passage Les intermittences du coeur. Le narrateur se retrouve à Balbec, dont la chambre où il logeait, un certain été, celui des Jeunes filles en fleurs. Là subitement le 'calendrier des faits' coïncide avec 'celui des sentiments' et il réalise pleinement le décès d'une personne chère: 'je venais d'apprendre qu'elle était morte'. Ce n'est pas la première fois que je lis ce passage, mais c'est la première fois qu'il me touche autant, ayant vécu cela ... Proust n'est pas qu'un gentil visiteur frivole des salons, il sait aussi toucher au coeur ses lecteurs.

Balbec donc, où le narrateur a désormais ses marques, et fréquente par le petit train d'intérêt local les bonnes demeures des environs, retrouvant Albertine, ses amies, les Verdurin, les Cambremer, Charlus, Saint-Loup, et faisant connaissance de bien d'autres, Morel, les Cottard, etc. Y compris une certaine Céleste Albaret!!! (un hommage?)( p 847)

Passé présent et futur se fondent souvent dans une admirable fluidité. On s'amuse beaucoup, on s'émeut aussi, si on aime l'étymologie des lieux normands, on est ravi (c'est mon cas), on plaint ce pauvre Charlus et on s'agace du narrateur et de ses atermoiements avec Albertine (c'est mon cas!)

Tiens, voilà ce qu'il écrit à propos de Gilberte, mais qui en dit long sur son mode de fonctionnement
"Je n'avais plus envie de la voir, ni même cette envie de lui montrer que je ne tenais pas à la voir et que chaque jour, quand je l'aimais, je me promettais de lui témoigner quand je ne l'aimerais plus."(p 713)

Allez, on s'amuse
"Je sais qu'elle avoua plus tard à Cottard qu'elle me trouvait bien enthousiaste; il lui répondit que j'étais trop émotif et que j'aurais eu besoin de calmants et de faire du tricot." p 898)

Autres passages:
"Dans [le nom] d'un fin diplomate, d'Ormesson, vous retrouvez l'orme, l'ulmus cher à Virgile et qui a donné son nom à la ville d'Ulm"(p 931)(oui, notre Jean d'O avait un père ambassadeur, un oncle diplomate)

"Le valet de chambre entra. Je ne lui dis pas que j'avais sonné plusieurs fois, car je me rendais compte que je n'avais fait jusque là que le rêve que je sonnais. J'étais effrayé pourtant de penser que le rêve avait eu la netteté de la connaissance. La connaissance aurait-elle, réciproquement l'irréalité du rêve?"(p985)

 Challenge de Philippe

Commentaires

  1. Sodome et Gomorrhe, c'est aussi le nom d'une vieille ville aux moeurs forts sympathiques :-) (Goran : https://deslivresetdesfilms.com)

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    1. Mais ça s'est très mal terminé... ^_^ Relis l'histoire (et celle de Lot aussi), tu verras que les habitants n'hésitaient pas à forcer un peu les visiteurs (et ça, pire encore à l'époque, ce n'était pas bien! ^_^)

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  2. Il y en a pour qui Proust est une drogue dure !! Au moins, ce n'est dangereux pour personne ;-)

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    1. Tu sais, j'ai fait le tour sur mon blog, donc je ne proposerai plus ma drogue ... (oui, en vente légale et sans trop d'effets secondaires)

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  3. J'adore... j'adore ... et que ces citations font du bien! elles nous rappellent à quel point Proust nous est indispensable . Je fait un "copié collé" avec celle là que je voudrais savoir par cœur
    "Je n'avais plus envie de la voir, ni même cette envie de lui montrer que je ne tenais pas à la voir et que chaque jour, quand je l'aimais, je me promettais de lui témoigner quand je ne l'aimerais plus." merci Keisha

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    1. Tu comprends pourquoi on relit Proust, pour ces pépites qui passent inaperçues et se révèlent ensuite... Oui, j'aime celle-là!!! Tordu mais excellent!

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  4. on imagine parfaitement Proust en train de tricoter
    C'est un des volumes qui m'attirait le moins et que j'ai énormément aimé
    Je vois que tu fais dans les grandes lectures : tout Proust et Montaigne la même année tu ne recules devant rien :-)

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    1. Parfaitement, je n'allais pas rater ce passage!!! A la n-ième lecture, je découvre encore de ces trucs là, c'est fou!
      J'ai eu une crise 'classiques' début décembre, Proust juste un volume de la pléiade, Montaigne Les essais et Moby Dick. Depuis je me contente de Alison Lurie. Mais j'ai un gros volume de Henry James sur mes étagères, le temps manque et le printemps arrive...

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  5. J'ai parfois rit aussi, en lisant Proust.

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    1. Pas toujours, faut être honnête, mais quand même, oui!!!

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  6. Tes citations sont attirantes ;-)

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  7. Alors, cette fois, je connais l'auteur évidemment. Je connais aussi Sodome et Gomorrhe, mais pas ce bouquin.
    Un beau titre pour mon challenge. Merci et bon weekend.

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    1. Oui, j'ai réalisé que ce titre agrémentera le challenge, quelle classe!!! ^_^

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  8. Superbes les passages cités, en particulier celui du nom au bout de la langue ! Un problème récurrent chez moi, tu penses si je m'identifie. Mais je ne l'aurais pas exprimé aussi bien.^^
    Tu me donnerais presque envie de poursuivre Proust (j'avais décrété qu'a priori, non, du moins, vraiment pas tout de suite), mais j'ai quand même l'objectif G&P (qui s'éloigne quelque peu haha).

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    1. Tiens bon pour Guerre et Paix, dis donc.
      Proust, un jour, pourquoi pas?

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  9. Je n'ai jamais osé me lancer dans la lecture de Proust, peut-être un jour.

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    1. J'espère contribuer à prouver que c'est abordable! ^_^

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  10. Je relis souvent le début ... le coup du bourdon, j'adore ! Et c'est très très très drôle !

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  11. Toi Proustôlââtre ? Meu non !!! :D J'adore ta façon d'en parler, les extraits aussi, c'est excellent et me donnerait envie de m'y mettre (je n'ai jamais lu celui-ci) !

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    1. Meuh non, en effet, il ne faut pas écouter ce qu'on raconte! ^_^ Mais j'assume...

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  12. C'est la merveille de relire Proust : tout à coup, de la lumière sur une phrase, ou bien quelque chose de vécu qui nous touche au coeur. Merci pour les extraits, Keisha.

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    1. C'est pour cela qu'on peut le relire (d'autres auteurs sont ainsi, il faut le dire)

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  13. J'ai très souvent le nom d'une personne sur le boute de la langue (par contre, j'ai La recherche en audio, pas facile de retrouver le passage).

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    1. Souvent Proust dit exactement et merveilleusement ce qu'on vit et ressent soi-même.
      Oui, l'audio, c'est un des problèmes, s'y retrouver. Pour prendre des notes, aussi.

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  14. Proust toujours ? Ton plus grand amour ! Je me souviens avoir lu le texte que tu cites dans le livre de philosophie cognitive sur Proust, La madeleine et le savant..

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    1. Sur le blog, j'ai fait le tour!!! ^_^ Exact, j'ai dû avoir le même passage en écho, mais ça ne fait rien, on peut doubler...

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  15. Je pense que je vais finir un jour par "écouter" Proust car en lecture je décroche malgré mes multiples tentatives, du coup je recommence toujours le même livre... Effet soporifique garanti chez moi.

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    1. Proust est idéal le soir pour ensuite dormir tranquillement, en tout cas c'était bien pour moi. Pas trop de suspense, de cliffhanger. ^_^ Cela berce...

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  16. OH merci pour ces rappels! Quels bons souvenirs de lecture.

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    1. Mais oui, toi aussi tu es 'tombée dans la marmite'!

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  17. Je n'ai pas encore lu ce volume... Il faut dire que Proust et moi, c'est un peu compliqué, du genre "je t'aime je te hais". Parfois je le lis avec plaisir, parfois il m'irrite. L'amour fou quoi ;-)

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    1. Moi j'aime moins les passages avec les amours compliquées du narrateur, qui ne sait pas ce qu'il veut... Mais je me réserve le droit de relire ce que je veux!

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  18. Oh je n'avais pas vu ton billet ! J'adore, évidemment. Je suis en train de lire A l'ombre des jeunes filles en fleur, et cela m'amuse car le narrateur se débat encore dans son amour déçu pour Gilberte qu'il se force à ne plus voir pour ranimer en elle la flamme d'un amour qui le fait terriblement souffrir (le fameux "suis-moi je te fuis, fuis-moi je te fuis"). Bref, et j'attends avec impatience sa villégiature à Balbec !

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    1. Et ce narrateur ne va pas s'arranger, après Odette, Gilberte, tu auras d'autres fixettes du même genre.
      Mais tu vas aimer Elstir et ses tableaux, c'est sûr.

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    2. Oui je me doute qu'Albertine et d'autres jeunes filles en fleur vont venir le titiller. Un vrai cœur d’artichaut quoi, mais son premier amour, c'était bien sa maman ;)

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    3. Mais oui, tout à fait! Et quand elle ne venait pas le soir, c'était le drame. Bon, on rigole, mais qu'est-ce que c'est bien, ce roman.

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  19. J'ai acheté tous les volumes de la Recherche au gré de brocantes, sachant qu'un jour, je m'en délecterai... Chaque été, je crois que ce sera le moment et puis finalement non. Je ne sais pas exactement ce que j'attends, sachant que j'ai aimé Du côté de chez Swann. Seulement le déclic, il faut croire...

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    1. Tu peux commencer, quitte à laisser un temps, j'ai fait ça avec le 2ème, laissant le narrateur dans son train durant des mois. On n'oublie pas trop où on en est.^_^
      j'ai acheté les jolis volumes poche avec des peintures de Van Dongen dessus, mais je les ai cédés, j'ai eu tort! J'avais en effet acheté les Pléiade, mais le poche c'est mieux dans le sac, et j'ai recommencé avec les poches...

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