Mudwoman
Joyce Carol Oates
Philippe Rey, 2013
Traduction
Meredith Ruth Neukirchen revient de très très loin. Une mère folle qui la jette dans la boue, dont elle est sortie presque mourante par un type qui entend des voix. Une famille d'accueil où il faut lutter, puis l'adoption par un couple de quakers lui donnant le même nom que leur fillette décédée.
Volontaire, travailleuse acharnée et intelligente, elle fera de très brillantes études et deviendra la première femme présidente d'une université renommée. Seule -ou sachant mal déléguer-, perfectionniste, devant jouer un rôle. Elle doit en particulier gérer l'agression d'un de ses étudiants, mal vivre l'engagement des Etats Unis dans la guerre en Irak, et s'épuiser à suivre un emploi du temps démentiel.
Par hasard -ou pas- elle reviendra sur des lieux de son passé. Surmenage professionnel, vie personnelle sans éclat, elle va frôler la folie.
Voilà pour l'histoire. Sachant que mes dernières tentatives pour lire Oates (alors qu'avant ça se passait bien) se sont soldées par des abandons (pas envie de retrouver l'ennui connu avec les Mulvaney), y compris pour son récit de la mort de son mari et la période de veuvage, il va falloir marcher sur des oeufs pour ce billet.
D'abord, pas d'abandon. Ouf.
Un bon paquet de passages fonctionnent très très bien, particulièrement ce qui concerne les responsabilités d'une présidente d'université, la gestion d'un problème grave avec un étudiant, l'arrière plan politique de l'époque, la culpabilité face aux combattants de retour de la guerre, meurtris et infirmes. Le retour chez son père adoptif, leurs visites, ses souvenirs de collège. Et l'histoire du corbeau m'a scotchée...
La lente montée de l'épuisement, de la dépression sont a posteriori fascinantes et crédibles.
Avec un tel sujet Oates aurait pu appuyer sur le pathos et le misérabilisme, finalement tout est resté bien maîtrisé, et de plus je n'ai pas trop eu à souffrir des passages en italique soulignant les pensées de l'héroïne ou instillant le suspense.
Joyce Carol Oates a sans aucun doute volontairement laissé s'instaurer une distance entre elle et son personnage, et entre les lecteurs et son personnage. Je soupçonne même qu'elle a choisi de ne pas s'emballer dans les passages difficiles pour son personnage, accidents, rencontres inattendues, etc..., dégonflant rapidement le soufflé, au risque de procurer agacement et ennui (ce fut mon cas). Difficile de ressentir grande empathie à l'égard d'une héroïne nommée M.R. Pas mal de fois, ma lecture fut accompagné de yeux levés au ciel, de "et gnagnagna" quand ça tournait en rond, et autres remarques telles "OK on a compris, la solitude, pas bien, inutile d'en rajouter" ou "mais tu n'avais pas deviné quelle était cette tombe?". Quant à son amant (secret) , j'ignore combien de fois on en parle de cet amant (secret), mais qu'il soit (secret), entre parenthèses, pfou, énervant.
Terminons avec l'usage des points d'exclamation, tels des coups inutiles dans les oreilles : "Deux fois par jour ils promenaient Salomon! Trois fois par jour, quelquefois. Car Salomon n'était pas un chien d'appartement, il était fait pour chasser." (passionnant?)(je me mets aussi à l'italique, tiens)
"Oh mon Dieu! Pourvu que je n'ai rien de cassé...
Et elle était seule dans cette maison obscure : elle avait renvoyé son intendante de bonne heure.
Elle n'avait naturellement pas voulu que sa très sympathique intendante/cuisinière lui prépare un repas, alors qu'il lui était si facile de le faire si elle le souhaitait."
Le genre de détails longuets, car on sait déjà que M.R. habite seule, et qu'elle est fort correcte avec son personnel. Moi je voulais vite savoir si elle n'avait vraiment rien de cassé. (en fait, non, on se retrouve ensuite quinze jours plus tard)
Encore longuet:
"Naturellement, elle savait: elle était en retard. Pour une raison inconnue, M.R. qui n'était jamais en retard, était en retard ce soir. Dans sa propre demeure, en retard! Pour une soirée dont elle était l'hôtesse, en retard."
M.R. la perfectionniste ne semble pas supporter d'être en retard. Finalement personne ne s'en apercevra, grâce à l'habileté d'un collaborateur.
Mon propos, en plus de parler de ma lecture, était égoïstement de toucher du doigt pourquoi JCO ne m'emballait pas plus que ça, avec l'impression de passer à côté d'un bon auteur, quoi.
Alors pour terminer redisons que j'accorde à l'auteur son choix de rendre le lecteur distancié de son héroïne et de détailler beaucoup pour bien rendre la montée de son "craquage", après cauchemars, insomnies, souvenirs récurrents. On a l'impression que sa vie fut sous sous pression, à accomplir ce qu'on attend d'elle, à se retenir.
En tout cas, à la toute fin, elle se lâche, "haletante, sanglotante, euphorique", et bravo, enfin une éclaircie! Son amant (secret) qui veut la voir (une fois malade et viré par sa femme) sera-t-il à la hauteur?
De beaux passages
"L'Université était l'un de ces grands clippers d'antan, le Cutty Sark des universités - un création majestueuse d'une ère révolue, miraculeusement intacte, à qui des moteurs invisibles permettaient de traverser des tempêtes qui auraient fracassé des embarcations plus frêles."
"Car nous chérissons plus que tout ces lieux où nous avons été conduits pour mourir mais où nous ne sommes pas morts."
"L'important n'était pas ce qui s'était réellement passé mais ce que l'on pouvait faire croire s'être passé à un nombre considérable de personnes."
Merci à l'éditeur. Bravo à la nouvelle charte graphique, très réussie.
Joyce Carol Oates
Philippe Rey, 2013
Traduction
Meredith Ruth Neukirchen revient de très très loin. Une mère folle qui la jette dans la boue, dont elle est sortie presque mourante par un type qui entend des voix. Une famille d'accueil où il faut lutter, puis l'adoption par un couple de quakers lui donnant le même nom que leur fillette décédée.
Volontaire, travailleuse acharnée et intelligente, elle fera de très brillantes études et deviendra la première femme présidente d'une université renommée. Seule -ou sachant mal déléguer-, perfectionniste, devant jouer un rôle. Elle doit en particulier gérer l'agression d'un de ses étudiants, mal vivre l'engagement des Etats Unis dans la guerre en Irak, et s'épuiser à suivre un emploi du temps démentiel.
Par hasard -ou pas- elle reviendra sur des lieux de son passé. Surmenage professionnel, vie personnelle sans éclat, elle va frôler la folie.
Voilà pour l'histoire. Sachant que mes dernières tentatives pour lire Oates (alors qu'avant ça se passait bien) se sont soldées par des abandons (pas envie de retrouver l'ennui connu avec les Mulvaney), y compris pour son récit de la mort de son mari et la période de veuvage, il va falloir marcher sur des oeufs pour ce billet.
D'abord, pas d'abandon. Ouf.
Un bon paquet de passages fonctionnent très très bien, particulièrement ce qui concerne les responsabilités d'une présidente d'université, la gestion d'un problème grave avec un étudiant, l'arrière plan politique de l'époque, la culpabilité face aux combattants de retour de la guerre, meurtris et infirmes. Le retour chez son père adoptif, leurs visites, ses souvenirs de collège. Et l'histoire du corbeau m'a scotchée...
La lente montée de l'épuisement, de la dépression sont a posteriori fascinantes et crédibles.
Avec un tel sujet Oates aurait pu appuyer sur le pathos et le misérabilisme, finalement tout est resté bien maîtrisé, et de plus je n'ai pas trop eu à souffrir des passages en italique soulignant les pensées de l'héroïne ou instillant le suspense.
Joyce Carol Oates a sans aucun doute volontairement laissé s'instaurer une distance entre elle et son personnage, et entre les lecteurs et son personnage. Je soupçonne même qu'elle a choisi de ne pas s'emballer dans les passages difficiles pour son personnage, accidents, rencontres inattendues, etc..., dégonflant rapidement le soufflé, au risque de procurer agacement et ennui (ce fut mon cas). Difficile de ressentir grande empathie à l'égard d'une héroïne nommée M.R. Pas mal de fois, ma lecture fut accompagné de yeux levés au ciel, de "et gnagnagna" quand ça tournait en rond, et autres remarques telles "OK on a compris, la solitude, pas bien, inutile d'en rajouter" ou "mais tu n'avais pas deviné quelle était cette tombe?". Quant à son amant (secret) , j'ignore combien de fois on en parle de cet amant (secret), mais qu'il soit (secret), entre parenthèses, pfou, énervant.
Terminons avec l'usage des points d'exclamation, tels des coups inutiles dans les oreilles : "Deux fois par jour ils promenaient Salomon! Trois fois par jour, quelquefois. Car Salomon n'était pas un chien d'appartement, il était fait pour chasser." (passionnant?)(je me mets aussi à l'italique, tiens)
"Oh mon Dieu! Pourvu que je n'ai rien de cassé...
Et elle était seule dans cette maison obscure : elle avait renvoyé son intendante de bonne heure.
Elle n'avait naturellement pas voulu que sa très sympathique intendante/cuisinière lui prépare un repas, alors qu'il lui était si facile de le faire si elle le souhaitait."
Le genre de détails longuets, car on sait déjà que M.R. habite seule, et qu'elle est fort correcte avec son personnel. Moi je voulais vite savoir si elle n'avait vraiment rien de cassé. (en fait, non, on se retrouve ensuite quinze jours plus tard)
Encore longuet:
"Naturellement, elle savait: elle était en retard. Pour une raison inconnue, M.R. qui n'était jamais en retard, était en retard ce soir. Dans sa propre demeure, en retard! Pour une soirée dont elle était l'hôtesse, en retard."
M.R. la perfectionniste ne semble pas supporter d'être en retard. Finalement personne ne s'en apercevra, grâce à l'habileté d'un collaborateur.
Mon propos, en plus de parler de ma lecture, était égoïstement de toucher du doigt pourquoi JCO ne m'emballait pas plus que ça, avec l'impression de passer à côté d'un bon auteur, quoi.
Alors pour terminer redisons que j'accorde à l'auteur son choix de rendre le lecteur distancié de son héroïne et de détailler beaucoup pour bien rendre la montée de son "craquage", après cauchemars, insomnies, souvenirs récurrents. On a l'impression que sa vie fut sous sous pression, à accomplir ce qu'on attend d'elle, à se retenir.
En tout cas, à la toute fin, elle se lâche, "haletante, sanglotante, euphorique", et bravo, enfin une éclaircie! Son amant (secret) qui veut la voir (une fois malade et viré par sa femme) sera-t-il à la hauteur?
De beaux passages
"L'Université était l'un de ces grands clippers d'antan, le Cutty Sark des universités - un création majestueuse d'une ère révolue, miraculeusement intacte, à qui des moteurs invisibles permettaient de traverser des tempêtes qui auraient fracassé des embarcations plus frêles."
"Car nous chérissons plus que tout ces lieux où nous avons été conduits pour mourir mais où nous ne sommes pas morts."
"L'important n'était pas ce qui s'était réellement passé mais ce que l'on pouvait faire croire s'être passé à un nombre considérable de personnes."
Merci à l'éditeur. Bravo à la nouvelle charte graphique, très réussie.
Commentaires
Aifelle je viens d'essayer de lire son livre sur la perte de son mari, il m'est tombe des mains
Mais je crois avoir mis enfin le doigt sur ce qui me pose problème!
Et je vois que son récit t'est aussi tombé des mains... ^_^
Oates a le don de provoquer un véritable malaise chez moi, et j'ai souvent cette impression que je vais abandonner pour cette raison, souvent les personnages m'échappent, heureusement qu'elle joue régulièrement la carte de la distanciation, je ne les lis pas forcément dans l'ordre de leur parution, d'ailleurs je n'ai pas lu ces plus connus
Oates et moi, euh, pas sûr...
Je n'ai pas lu celui-ci mais les Mulvaney m'a passionnée et Chutes aussi! Tu as lu ce dernier? Comment pourrait-on lui résister! Pas vu d'italique dans Chutes et quant à la froideur, c'est un roman qui me paraît tout sauf froid! Mais elle n'a pas écrit que des chefs d'oeuvre. Je comprends bien que l'on ne puisse pas tout aimer de son immense production mais c'est une écrivaine qui a de la puissance, de la
colère en elle. Ce n'est pas mièvre et inconsistant. Elle a quelque chose à dire!
Blonde, autre abandon... ^_^
Allez, bonne lecture!
(Aaaaaaaaaah Wilderness...)
Sans doute est-ce plutôt son écriture qui passe mal chez moi maintenant? Pas ses thèmes, vraiment intéressants.
Moi je ne l'ai toujours pas lu dans le flot des vieilles LAL, et je ne sais toujours pas lequel lire. A priori il faudra pas que je me plante de livre ! Mais bon, tout ça ne sera pas avant 2014 je crois...:)
Je ne sais quel titre te conseiller. Certains, j'ai aimé, mais c'était il y a si longtemps...
Il est certain que ton avis me refroidit un peu !
Je n'ai pas l'impression que ce soient ses thèmes qui me dérangent, au contraire, tu connais mon attirance pour son pays et sa société, mais ça doit être la façon dont elle les traite.
Des romans gothiques? Hum, là, j'ai un gros gros doute. ^_^
Merci de ton avis fondé sur l'expérience, en fait oui MR est utilisé dans son milieu professionnel, ses interventions, article, etc... même si un de ses collègues n'accroche pas trop à cette habitude. Et pourquoi pas Meredith? Pour cacher qu’elle est une femme? Questionnements...
J'ai même lu un de des polars, et des nouvelles.
Allez, bonnes lectures!
S'appeler comme dans une série? Mouais. Ici ce sont les parents qui prénomment leurs gamins d'après les séries (gros soupirs des enseignants ^_^)
Ceux que je conseille : "La Fille du fossoyeur" et "Confessions d'un gang de filles"
Pour les USA, tout a l'air permis!
En effet, long billet, c'est rare!