Du côté de chez Swann
Marcel Proust
Lu dans mon vieil exemplaire de la Pleiade
Pas question de tenter un billet exhaustif, original et intellectuel, sur ce roman. Pour cette relecture - puisqu'il s'agit de cela- je vais livrer mes impressions, essayer d'avoir un regard neuf et comparer mes souvenirs avec la réalité.
Dans mon dernier souvenir (2003) je croyais que la phrase inaugurale (Longtemps je me suis couché de bonne heure) amenait directement les souvenirs de Combray, où le jeune narrateur attend le baiser de sa mère. Il faut quelques pages, et je concède que certains lecteurs peuvent être désarçonnés et se demander où il veut en venir.
Ensuite, Combray, et tout de suite l'équipe est au complet, les parents, grands parents, tantes, Françoise, et le voisin Swann. Depuis 2003, le blog est arrivé et maintenant je réalise mieux comment Proust laisse affluer ses souvenirs en les mêlant. Nous sommes à Combray, mais Un amour de Swann est déjà en filigrane. "Comme je l'ai appris plus tard, une angoisse semblable fut le tourment de longues années de sa vie." Le giletier et sa fille apparaissent aussi au détour d'une phrase... Paris, Balbec, Doncières, même Venise...Tous ces petits détails font le sel de la relecture et permettent de saisir à quel point A la recherche du temps perdu est une somme construite avec précision.
Je retrouve des passages très vivants, drôles, et j'aime toujours cette grand mère "Je ne pourrais me décider à donner à cet enfant quelque chose de mal écrit."
Plongé dans sa lecture donc, pages 83 à 88, le narrateur n'entend plus sonner les heures:
"Quelque chose qui avait eu lieu n'avait pas eu lieu pour moi; l'intérêt de la lecture, magique comme un profond sommeil, avait donné le change à mes oreilles hallucinées et effacé la cloche d'or sur la surface azurée du silence. " (pfou, des passages magnifiques comme celui-là, il y en a plein)
Assez rapidement (page 44) arrivent "ces gâteaux courts et dodus appelés Petites madeleines qui semblent avoir été moulés dans la valve rainurée d'une coquille de Saint-Jacques." Et c'est parti! Trois pages (!) pour qu'enfin "toutes les fleurs de notre jardin et celles du parc de M. Swann, et les nymphéas de la Vivonne, et les bonnes gens du village et leurs petit logis et l'église et tout Combray et ses environs, tout cela qui prend forme et solidité, est sorti, ville et jardins, de ma tasse de thé."
Comme tout se mêle, l'on croise déjà le nom de Bergotte, et à Combray même, Vinteuil, la fille de Swann et Charlus, Legrandin... et même Bloch et son style si particulier
"Défie-toi de ta dilection assez basse pour le sieur de Musset. C'est un coco des plus malfaisants et une assez sinistre brute. Je dois confesser, d'ailleurs, que lui et même le nommé Racine, ont fait chacun dans leur vie un vers assez bien rythmé, et qui a pour lui, ce qui est selon moi le mérite suprême, de ne signifier absolument rien." (page 90) (vous n'auriez jamais imaginé Proust écrire comme ça, non?)
Proust est tellement fort qu'il est capable de donner deux versions un poil différentes du même passage, à savoir les clochers au retour de promenade (pages 180 182). Associé à son désir de devenir un écrivain (page 178)
Sans crier gare, arrive une partie conséquente, des années avant la naissance du narrateur, Un amour de Swann
Pour en savoir plus sur Faire catleya
ou sur Odette de Crécy, que Swann voit ainsi
J'ai donc réussi à résumer Un amour de Swann en deux photos (oui, j'exagère, il y aurait la sonate de Vinteuil, je suis jalouse de la façon dont en parle Proust, on y rencontre les Verdurin, les Cambremer, et la future duchesse de Guermantes et son esprit "vache"). Prière de ne pas se plaindre, vous auriez pu avoir un billet avec juste une photo de madeleine.
Dans la dernière partie, le jeune narrateur se lie d'amitié à Paris avec Gilberte Swann. De ma dernière lecture revenait la description de la femme de Swann en promenade (-Vous savez qui c'est? Mme Swann! Cela ne vous dit rien? Odette de Crécy? - Odette de Crécy? Mais je me disais aussi, ces yeux tristes... Mais savez-vous qu'elle ne doit plus être de la première jeunesse? Je me rappelle que j'ai couché avec elle le jour de la démission de Mac-Mahon."
Cette fois, surprise en découvrant les dernières pages du livre, le narrateur se place dans le présent, son présent, traversant le Bois de Boulogne en novembre et déplorant les changements, vestimentaires en particulier. Hélas hélas, tout a changé, il comprend "la contradiction que c'est de chercher dans la réalité les tableaux de la mémoire, auxquels manquerait toujours le charme qui leur vient de la mémoire même et de n'être pas perçus par les sens. La réalité que j'avais connue n'existait plus. Il suffisait que Mme Swann n'arrivât pas toute pareille au même moment, pour que l'Avenue fût autre. Les lieux que nous avons connus n'appartiennent pas qu'au monde le l'espace où nous les situons pour plus de facilité. Ils n'étaient qu'une mince tranche au milieu d'impressions contiguës qui formaient notre vie d'alors; le souvenir d'une certaine image n'est que le regret d'un certain instant; et les maisons, les routes, les avenue sont fugitives, hélas! comme les années."
Fin! J'ai encore vérifié que toute lecture de Proust est nouvelle, d'autres passages m'ont frappée, et cette fois particulièrement, la construction du roman. A suivre... (ou pas). Actuellement je lis le Dictionnaire amoureux de Marcel Proust, pas question de sortir de la marmite.
Le somptueux billet d'Irène et la littérature (et moult illustrations)
Lecture commune, au départ, mais je pense rester seule sur ce coup, les autres en parleront en leur temps, le temps, mot proustien par excellence...
Marcel Proust
Lu dans mon vieil exemplaire de la Pleiade
Pas question de tenter un billet exhaustif, original et intellectuel, sur ce roman. Pour cette relecture - puisqu'il s'agit de cela- je vais livrer mes impressions, essayer d'avoir un regard neuf et comparer mes souvenirs avec la réalité.
Dans mon dernier souvenir (2003) je croyais que la phrase inaugurale (Longtemps je me suis couché de bonne heure) amenait directement les souvenirs de Combray, où le jeune narrateur attend le baiser de sa mère. Il faut quelques pages, et je concède que certains lecteurs peuvent être désarçonnés et se demander où il veut en venir.
Ensuite, Combray, et tout de suite l'équipe est au complet, les parents, grands parents, tantes, Françoise, et le voisin Swann. Depuis 2003, le blog est arrivé et maintenant je réalise mieux comment Proust laisse affluer ses souvenirs en les mêlant. Nous sommes à Combray, mais Un amour de Swann est déjà en filigrane. "Comme je l'ai appris plus tard, une angoisse semblable fut le tourment de longues années de sa vie." Le giletier et sa fille apparaissent aussi au détour d'une phrase... Paris, Balbec, Doncières, même Venise...Tous ces petits détails font le sel de la relecture et permettent de saisir à quel point A la recherche du temps perdu est une somme construite avec précision.
Je retrouve des passages très vivants, drôles, et j'aime toujours cette grand mère "Je ne pourrais me décider à donner à cet enfant quelque chose de mal écrit."
Plongé dans sa lecture donc, pages 83 à 88, le narrateur n'entend plus sonner les heures:
"Quelque chose qui avait eu lieu n'avait pas eu lieu pour moi; l'intérêt de la lecture, magique comme un profond sommeil, avait donné le change à mes oreilles hallucinées et effacé la cloche d'or sur la surface azurée du silence. " (pfou, des passages magnifiques comme celui-là, il y en a plein)
Assez rapidement (page 44) arrivent "ces gâteaux courts et dodus appelés Petites madeleines qui semblent avoir été moulés dans la valve rainurée d'une coquille de Saint-Jacques." Et c'est parti! Trois pages (!) pour qu'enfin "toutes les fleurs de notre jardin et celles du parc de M. Swann, et les nymphéas de la Vivonne, et les bonnes gens du village et leurs petit logis et l'église et tout Combray et ses environs, tout cela qui prend forme et solidité, est sorti, ville et jardins, de ma tasse de thé."
Comme tout se mêle, l'on croise déjà le nom de Bergotte, et à Combray même, Vinteuil, la fille de Swann et Charlus, Legrandin... et même Bloch et son style si particulier
"Défie-toi de ta dilection assez basse pour le sieur de Musset. C'est un coco des plus malfaisants et une assez sinistre brute. Je dois confesser, d'ailleurs, que lui et même le nommé Racine, ont fait chacun dans leur vie un vers assez bien rythmé, et qui a pour lui, ce qui est selon moi le mérite suprême, de ne signifier absolument rien." (page 90) (vous n'auriez jamais imaginé Proust écrire comme ça, non?)
Proust est tellement fort qu'il est capable de donner deux versions un poil différentes du même passage, à savoir les clochers au retour de promenade (pages 180 182). Associé à son désir de devenir un écrivain (page 178)
Sans crier gare, arrive une partie conséquente, des années avant la naissance du narrateur, Un amour de Swann
Pour en savoir plus sur Faire catleya
ou sur Odette de Crécy, que Swann voit ainsi
La jeunesse de Moïse (détail : Les filles de Jéthro) fresque de la chapelle Sixtine, réalisée par Sandro Boticelli (1481-82) |
Dans la dernière partie, le jeune narrateur se lie d'amitié à Paris avec Gilberte Swann. De ma dernière lecture revenait la description de la femme de Swann en promenade (-Vous savez qui c'est? Mme Swann! Cela ne vous dit rien? Odette de Crécy? - Odette de Crécy? Mais je me disais aussi, ces yeux tristes... Mais savez-vous qu'elle ne doit plus être de la première jeunesse? Je me rappelle que j'ai couché avec elle le jour de la démission de Mac-Mahon."
Cette fois, surprise en découvrant les dernières pages du livre, le narrateur se place dans le présent, son présent, traversant le Bois de Boulogne en novembre et déplorant les changements, vestimentaires en particulier. Hélas hélas, tout a changé, il comprend "la contradiction que c'est de chercher dans la réalité les tableaux de la mémoire, auxquels manquerait toujours le charme qui leur vient de la mémoire même et de n'être pas perçus par les sens. La réalité que j'avais connue n'existait plus. Il suffisait que Mme Swann n'arrivât pas toute pareille au même moment, pour que l'Avenue fût autre. Les lieux que nous avons connus n'appartiennent pas qu'au monde le l'espace où nous les situons pour plus de facilité. Ils n'étaient qu'une mince tranche au milieu d'impressions contiguës qui formaient notre vie d'alors; le souvenir d'une certaine image n'est que le regret d'un certain instant; et les maisons, les routes, les avenue sont fugitives, hélas! comme les années."
Fin! J'ai encore vérifié que toute lecture de Proust est nouvelle, d'autres passages m'ont frappée, et cette fois particulièrement, la construction du roman. A suivre... (ou pas). Actuellement je lis le Dictionnaire amoureux de Marcel Proust, pas question de sortir de la marmite.
Le somptueux billet d'Irène et la littérature (et moult illustrations)
Lecture commune, au départ, mais je pense rester seule sur ce coup, les autres en parleront en leur temps, le temps, mot proustien par excellence...
Commentaires
"On sait quel résumé drastique de la Recherche du Temps perdu propose Gérard Genette : Marcel devient écrivain — un résumé, il est vrai, qu'un peu plus tard il corrige et augmente par accentuation humoristique en : Marcel finit par devenir écrivain. Humour pour humour, je suis tenté de prendre le contre-pied de cette proposition, et sans altérer beaucoup le voeu de pauvreté de ce récit minimal, de lui substituer celui-ci : Marcel finit par renoncer à devenir écrivain."
Coïncidence, j'ai commencé aussi un bouquin de Genette...
Continuer... Aaaaah ça me démange bien...
Bien sûr qu'il faut lire Proust, c'est bien plus amusant qu'on ne l'imagine. Mais aussi quelle finesse! Il faut aussi oser le critiquer. Le Dictionnaire m'apprend sur sa vie des détails assez ... particuliers!
J'ai relu Le temps retrouvé il y a peu, puisque mon blog en a trace, et c'est un excellent souvenir, comme quoi...
C'est ma quatrième lecture, et à chaque fois, c'est différent. Un amour de Swann est passé beaucoup mieux que dans mon souvenir...
Le genre de roman "île déserte", si tu vois ce que je veux dire...
Cette année je plonge dans l'univers Balzacien, Proust suivra peut-être après ....
Quant au dico bien sûr je l'ai en magasin mais je suis un peu agacée par le côté un rien pédant du père et du fils, genre ..on ne peut que relire la recherche ! dommage car bien sûr le dico recèle de petits trésors
Se trouve en poche ou dans toutes les biblis.
Une blogueuse qui me veut du bien m'a offert "Un été avec Proust", je salive d'avance! Quant au Dictionnaire amoureux de Proust, des Enthoven, je viens juste de le terminer, mais je le conseillerais à ceux ayant déjà lu (un peu) Proust.
Arte? Oui, 23h50 . Ce pourra être en écoute différée, alors. ^_^
Les essais de Virginia Woolf passent très bien, tu sais.
Il serait intéressant que tu relises maintenant, pour voir! ^_^
Quand je pense qu'il y a même une entrée Zinedine. ^_^
Piocher, c'est bien aussi, je pourrai m'y référer de toute façon, il est à la maison. Dédicacé par le plus jeune des auteurs.
Je m’aperçus peu à peu que la douceur, la componction, les vertus de Françoise cachaient des tragédies d’arrière cuisine, comme l’histoire découvre que le règne des Rois et des Reines qui sont représentée les mains jointes dans les vitraux des églises, furent marqués d’incidents sanglants. Je me rendis compte que, en dehors de ceux de sa parenté, les humains excitaient d’autant plus sa pitié par leurs malheurs, qu’ils vivaient plus éloignés d’elle. Les torrents de larmes qu’elle versait en lisant le journal sur les infortunes des inconnus se tarissaient vite si elle pouvait se présenter la personne qui en était l’objet d’une façon un peu précise. Une de ces nuits qui suivirent l’accouchement de la fille de cuisine, celle-ci fut prise d’atroces coliques: maman l’entendit se plaindre, se leva et réveilla Françoise qui, insensible, déclara que tous ces cris étaient une comédie, qu’elle voulait «faire sa maîtresse» . Le médecin, qui craignait ses crises, avait mis un signet, dans un livre de médecine que nous avions, à la page où elles sont décrites et où il nous avait dit de nous reporter pour trouver l’indication des premiers soins à donner. Ma mère envoya Françoise chercher le livre en lui recommandant de ne pas laisser tomber le signet. Au bout d’une heure Françoise n’était pas revenue; ma mère indignée crut qu’elle s’était recouchée et me dit d’aller voir moi-même à la bibliothèque. J’y trouvai Françoise qui, ayant voulu regarder ce que le signet marquait, lisait la description clinique de la crise et poussait des sanglots maintenant qu’il s’agissait d’une malade-type qu’elle ne connaissait pas. A chaque symptôme douloureux, elle s’écriait: «Hé là! Sainte Vierge, est –il possible que le bon Dieu veuille faire souffrir ainsi une pauvre malheureuse créature humaine? Hé! la pauvre!»
Mais dès que je l’eus appelée et qu’elle fut revenue près du lit de la Charité de Giotto, ses larmes cessèrent aussitôt de couler; elle ne put reconnaître ni cette agréable sensation de pitié et d’attendrissement qu’elle connaissait si bien et que la lecture des journaux lui avait souvent donnée, ni aucun plaisir de la même famille.
je trouve cela criant de vérité humaine.
Luocine
Je n'ai jamais vu d'adaptation, je me demande comment c'est possible d'ailleurs d'adapter correctement ce roman. Visconti y songeait, mais ça ne s'est pas fait. Ah si tiens, j'ai lu une BD adaptant Les jeunes filles en fleurs...
Bref, donc, courage!
Merci pour cet extrait!
Mais c'est que tu me donnes envie de replonger dans la lecture de ces jeunes filles! ^_^
Quant au Dictionnaire, bourré de marques pages, il m'attend pour le billet...
Mon billet est surtout une piqûre de rappel à l'égard des hésitants, car ils passent à côté de bien des bonheurs...
Fabuleux en effet le billet d'Irene ! Mais où est elle passée cette fille là ?
:(
Figure toi que je ne connais pas Irène, je suis tombée sur son billet parce que Dominique en a extrait une photo (http://asautsetagambades.hautetfort.com/archive/2014/07/03/la-bibliotheque-des-genies-5403941.html)
et le billet m'a paru très très bien, je voulais le garder facile à retrouver aussi.
A fouiller un peu son blog (abandonné?) il semble que ce soit une roumaine qui réside en France. Au début ses billets en roumain, ensuite en français, et ses découvertes du pays et de la littérature sont magnifiques.
Mais je viens juste d'y aller, plusieurs dont toi ont commenté son billet, et elle a répondu!
Non sérieusement, c'est chouette de voir quelqu'un révérer autant Marcel. Et tu as tout à fait raison : on ne le lit peut-être pas tant pour l'histoire qu'il raconte (somme toute banale) mais pour les petits détails de style ou de réminiscence (qu'on vit tous chaque jour) qui parsèment son oeuvre.
Marcel, c'est le boss !
Comme je lis beaucoup, je peux me permettre de glisser un Marcel Proust (ou autour de) de temps en temps.
Bon dimanche.
Ils aiment Proust, cela se sent, j'espère qu'ils ne vont pas en détourner les lecteurs par trop de complications? Tu les trouves donneurs de leçons?
Ah Proust offre bien des joies renouvelées, à chacun de trouver son rythme, quelques semaines, quelques mois ou quelques années (ça c'est mon cas)
Il va bien sûr falloir en parler sur ton blog, l'occasion de tenter les gens est à saisir.