Des voix parmi les ombres
Verliesfontein
Karel Schoeman
Phebus, 2014
Traduit de l'afrikaans par Pierre-Marie Finkelstein
En 1901, Fouriesfontain est une toute petite ville comme bien d'autres, avec son tribunal, sa mairie, son cimetière, ses boutiques et artisans, son école, une population parlant anglais ou hollandais (voire les deux), blanche ou métisse (le quartier métis est à l'écart). Un jour d'été (en décembre) des cavaliers Boers de l'Etat libre d'Orange s'emparent de la ville pendant quelques semaines, puis en sont chassés par les troupes anglaises. Parmi les morts, Giel Fourie, un tout jeune homme ayant rejoint les Boers.
Cent ans plus tard, accompagné d'un photographe, un homme intéressé par l'histoire de la région veut s'arrêter à Fouriesfontain, mais la ville semble impossible à trouver, ensuite une fois dans ses rues il entend et voit des bribes du passé, "plutôt comme un film qui attend attend d'être coupé et monté".
"Les deux mondes, toutefois, sont bien séparés, chacun suit son cours, et de cet autre monde il n'aperçoit que des éclairs, un peu lorsqu'on entend une conversation dans une langue étrangère et que l'on reconnaît ici ou là un mot, une expression que l'on a apprise par hasard, mais sans comprendre quel est le lien qui les unit ni saisir le sens du message."
Voilà comment le lecteur découvre Fouriesfontain, dans une curieuse ambiance floue, guidé vers des événements sans ordre chronologique et des personnages pas connus. Mais émergent des figures, et ce sont Alice, la fille du magistrat écossais, Kallie, le clerc du même magistrat, et Mademoiselle Godby, la sœur du médecin, qui racontent leurs souvenirs de la guerre, souvenirs flous, imprécis, répétés parfois, se complétant ou pas, jusqu'à obtenir une vision prenante de la petite ville en 1901 et de l'ambiance avant, pendant et après les événements.
"Les divisions qui existaient après la guerre n'étaient pas nouvelles, simplement nous ne les avions pas remarquées, elles étaient masquées, un peu comme ces fissures sur un mur que l'on bouche avec du plâtre et que l'on recouvre ensuite de papier peint; les fissures demeurent. Les blessures, les rancunes, les désaccords avaient toujours été là, tout comme la peur et la méfiance - je dirais même l'angoisse, et la haine - car il y avait aussi de l'angoisse et de la haine, et la guerre n'a rien fait d'autre, en définitive, qu'arracher le papier peint et mettre à nu les fissures."
Karel Schoemann est un auteur remarquable : une langue admirable emportant son lecteur, une façon superbe de rendre les atmosphères, les hésitations, le non-dit, les tragédies, l'idée vraiment intéressante de plongée dans l'espace-temps, la lisibilité de l'histoire même si on ne connaît pas l'histoire de l'Afrique du sud, l'intemporalité et l'universalité de l'histoire, finalement.
Le moment le plus fort me restant en mémoire est celui où Mademoiselle Godby se rend auprès du magistrat Boer et qu’elle réalise que "contre ce masque souriant mes mots ne pouvaient rien, or les mots étaient tout ce que j'avais à ma disposition : des notions comme la justesse, la bienséance, l'humanité ou la justice n'avaient plus aucune valeur, il n'y avait plus de vocabulaire commun, pas de système de valeurs que nous eussions pu partager pour servir de base à un dialogue. J'étais au bord d'un abîme."
J'en ferais bien encore un coup de coeur, en tout cas c'est dans ma catégorie 'très beau roman à lire absolument'. Troisième roman que je lis, troisième choc!
Les avis de La cause littéraire, lecture écriture, le dolmen , manou,
Verliesfontein
Karel Schoeman
Phebus, 2014
Traduit de l'afrikaans par Pierre-Marie Finkelstein
En 1901, Fouriesfontain est une toute petite ville comme bien d'autres, avec son tribunal, sa mairie, son cimetière, ses boutiques et artisans, son école, une population parlant anglais ou hollandais (voire les deux), blanche ou métisse (le quartier métis est à l'écart). Un jour d'été (en décembre) des cavaliers Boers de l'Etat libre d'Orange s'emparent de la ville pendant quelques semaines, puis en sont chassés par les troupes anglaises. Parmi les morts, Giel Fourie, un tout jeune homme ayant rejoint les Boers.
Cent ans plus tard, accompagné d'un photographe, un homme intéressé par l'histoire de la région veut s'arrêter à Fouriesfontain, mais la ville semble impossible à trouver, ensuite une fois dans ses rues il entend et voit des bribes du passé, "plutôt comme un film qui attend attend d'être coupé et monté".
"Les deux mondes, toutefois, sont bien séparés, chacun suit son cours, et de cet autre monde il n'aperçoit que des éclairs, un peu lorsqu'on entend une conversation dans une langue étrangère et que l'on reconnaît ici ou là un mot, une expression que l'on a apprise par hasard, mais sans comprendre quel est le lien qui les unit ni saisir le sens du message."
Voilà comment le lecteur découvre Fouriesfontain, dans une curieuse ambiance floue, guidé vers des événements sans ordre chronologique et des personnages pas connus. Mais émergent des figures, et ce sont Alice, la fille du magistrat écossais, Kallie, le clerc du même magistrat, et Mademoiselle Godby, la sœur du médecin, qui racontent leurs souvenirs de la guerre, souvenirs flous, imprécis, répétés parfois, se complétant ou pas, jusqu'à obtenir une vision prenante de la petite ville en 1901 et de l'ambiance avant, pendant et après les événements.
"Les divisions qui existaient après la guerre n'étaient pas nouvelles, simplement nous ne les avions pas remarquées, elles étaient masquées, un peu comme ces fissures sur un mur que l'on bouche avec du plâtre et que l'on recouvre ensuite de papier peint; les fissures demeurent. Les blessures, les rancunes, les désaccords avaient toujours été là, tout comme la peur et la méfiance - je dirais même l'angoisse, et la haine - car il y avait aussi de l'angoisse et de la haine, et la guerre n'a rien fait d'autre, en définitive, qu'arracher le papier peint et mettre à nu les fissures."
Karel Schoemann est un auteur remarquable : une langue admirable emportant son lecteur, une façon superbe de rendre les atmosphères, les hésitations, le non-dit, les tragédies, l'idée vraiment intéressante de plongée dans l'espace-temps, la lisibilité de l'histoire même si on ne connaît pas l'histoire de l'Afrique du sud, l'intemporalité et l'universalité de l'histoire, finalement.
Le moment le plus fort me restant en mémoire est celui où Mademoiselle Godby se rend auprès du magistrat Boer et qu’elle réalise que "contre ce masque souriant mes mots ne pouvaient rien, or les mots étaient tout ce que j'avais à ma disposition : des notions comme la justesse, la bienséance, l'humanité ou la justice n'avaient plus aucune valeur, il n'y avait plus de vocabulaire commun, pas de système de valeurs que nous eussions pu partager pour servir de base à un dialogue. J'étais au bord d'un abîme."
J'en ferais bien encore un coup de coeur, en tout cas c'est dans ma catégorie 'très beau roman à lire absolument'. Troisième roman que je lis, troisième choc!
Les avis de La cause littéraire, lecture écriture, le dolmen , manou,
Commentaires
Je n'ai plus l'exemplaire sous la main, il me semble que la couverture reproduit un tableau; oui, elle est superbe!
Je vais regarder si je trouve ses livres à la biblio.
Les trois romans que j'ai lus m'ont vraiment vraiment plu (coup de coeur!)
Pour le Nigeria, oui, oui, je viens de démarrer Americanah, mais comme je veux prendre le temps, j'ai dû évacuer un autre roman plus facile (quoique).
J'attends les titres de ta LAL africaine! J'espère qu'il y aura le ghanéen de chez Zulma!
Tu n'as pas terminé le Levy? Parfois je me demande si je ne devrais pas en tenter un, pour voir. ^_^
Je le réserve car te relire me donne trop envie !
Je ne connais pas ce livre mais le titre me plait bien.
Puisque tu dis que ce livre vaut le détour, je le retiens.
Bonne semaine.
L'auteur vaut carrément le détour.
Merci!
Pour les nobelisables, cela fait des années que j'espère le prix en littérature pour un poète que j'adore, Adonis, mais chaque année il est pressenti, en vain !
Je suis allée lire l'article, c'est plutôt vachard, dis donc, mais c'est vrai que Modiano a une atmosphère Modiano, avec souvenirs fugaces et balades dans Paris (imagine, moi, la provinciale! ^_^) Il a une oeuvre, alors pourquoi pas le Nobel?
Quant à la poésie, là, joker! ^_^
Ah maintenant j'ai deux chats, le petit dernier est une vraie peluche!!!