Espèces d'espaces
Georges Pérec
galilée, 1992 (paru en 1974)
Un mince (123 pages) petit volume qui se dévore, étonne, donne à réfléchir ou reconsidérer l'évidence, appelle à développer son sens de l'observation ou sa curiosité par des sortes d'exercices sur le terrain, ôte les œillères, ouvre des horizons, amuse parfois, interpelle, et au moment d'écrire un billet ça se gâte, c'est Pérec, quoi, indubitablement.
Oh bien sûr à la fin l'on sait tout sur les espèces d'espaces, citons la page, le lit, la chambre, l'appartement, l'immeuble, la rue, le quartier, la ville, la campagne, le pays, Europe, Monde, Espace, voilà un catalogue à la Pérec, piqué dans la Table des matières.
Mais encore?
"Vivre, c'est passer d'un espace à l'autre, en essayant le plus possible de ne pas se cogner."
Des idées de balade originale
"J'aime marcher dans Paris. Parfois pendant tout un après-midi, sans but précis, pas vraiment au hasard, ni à l'aventure, mais en essayant de me laisser porter. Parfois en prenant le premier autobus qui s'arrête (on ne peut plus prendre les autobus au vol). Ou bien en préparant soigneusement, systématiquement, un itinéraire. Si j'en avais le temps, j'aimerais concevoir et résoudre des problèmes analogues à celui des ponts de Königsberg, ou, par exemple, trouver un trajet qui, traversant Paris de part en part, n'emprunterait que des rues commençant par la lettre C."
L'espace
"Lorsque rien n'arrête notre regard, notre regard porte très loin. Mais s'il ne rencontre rien, il ne voit rien; il ne voit que ce qu'il rencontre: l'espace, c'est ce qui arrête le regard, ce sur quoi la vue butte: l'obstacle : des briques, un angle, un point de l'espace: c'est quand ça fait un angle, quand ça s'arrête, quand il faut tourner pour que ça reparte. Ça n'a rien d'ectoplasmique, l'espace; ça a des bords, ça ne part pas dans tous les sens, ça fait tout ce qu'il faut faire pour que les rails de chemin de fer se rencontrent bien avant l'infini."
"L'espace semble être, ou plus apprivoisé, ou plus inoffensif, que le temps : on rencontre partout des gens qui ont des montres, et très rarement des gens qui ont des boussoles. On a toujours besoin de savoir l'heure (et qui sait encore la déduire de la position du soleil?) mais on ne se demande jamais où l'on est. On croit le savoir : on est chez soi, on est à son bureau, on est dans le métro, on est dans la rue."
Le mur (ne pas hésiter à relire)
"Je mets un tableau sur un mur. Ensuite j'oublie qu'il y a un mur. Je ne sais plus ce qu'il y a derrière ce mur, je ne sais plus qu'il y a un mur, je ne sais plus que ce mur est un mur, je ne sais plus ce que c'est qu'un mur. Je ne sais plus que dans mon appartement, il y a des murs, et que s'il n'y avait pas de murs, il n'y aurait pas d'appartement. Le mur n'est plus ce qui délimite et définit le lieu où je vis, ce qui le sépare des autres lieux où les autres vivent, il n'est plus qu'un support pour le tableau. Mais j'oublie aussi le tableau, je ne le regarde plus, je ne sais plus le regarder. J'ai mis le tableau sur le mur pour oublier qu'il y avait un mur, mais en oubliant le mur, j'oublie aussi le tableau. Il y a des tableaux parce qu'il y a des murs. Il faut pouvoir oublier qu'il y a des murs et l'on n'a rien trouvé de mieux pour ça que les tableaux. Les tableaux effacent les murs. Mais les murs tuent les tableaux. Ou alors il faudrait changer continuellement, soit de mur, soit de tableau, mettre sans cesse d'autres tableaux sur les murs, ou tout le temps changer le tableau de mur."
Inventaire de tous les lieux où j'ai dormi? Fermer les yeux, les souvenirs précis reviennent. C'est bourré de ce genre d'idées, repenser la fonction des pièces d'un appartement (une pièce pour un usage, par exemple 'réservée à l'audition de la symphonie n)48 en do, dite Maria-Theresa, de Joseph Haydn'). Travaux pratiques, aussi, 'observer la rue, essayer de décrire la rue, magasins, cafés, prendre des notes...
Arrêtons-là, c'est riche, c'est à découvrir.
Yv, franchement, ajoute ce livre à ta collection de fan!
Georges Pérec
galilée, 1992 (paru en 1974)
Un mince (123 pages) petit volume qui se dévore, étonne, donne à réfléchir ou reconsidérer l'évidence, appelle à développer son sens de l'observation ou sa curiosité par des sortes d'exercices sur le terrain, ôte les œillères, ouvre des horizons, amuse parfois, interpelle, et au moment d'écrire un billet ça se gâte, c'est Pérec, quoi, indubitablement.
Oh bien sûr à la fin l'on sait tout sur les espèces d'espaces, citons la page, le lit, la chambre, l'appartement, l'immeuble, la rue, le quartier, la ville, la campagne, le pays, Europe, Monde, Espace, voilà un catalogue à la Pérec, piqué dans la Table des matières.
Mais encore?
"Vivre, c'est passer d'un espace à l'autre, en essayant le plus possible de ne pas se cogner."
Des idées de balade originale
"J'aime marcher dans Paris. Parfois pendant tout un après-midi, sans but précis, pas vraiment au hasard, ni à l'aventure, mais en essayant de me laisser porter. Parfois en prenant le premier autobus qui s'arrête (on ne peut plus prendre les autobus au vol). Ou bien en préparant soigneusement, systématiquement, un itinéraire. Si j'en avais le temps, j'aimerais concevoir et résoudre des problèmes analogues à celui des ponts de Königsberg, ou, par exemple, trouver un trajet qui, traversant Paris de part en part, n'emprunterait que des rues commençant par la lettre C."
L'espace
"Lorsque rien n'arrête notre regard, notre regard porte très loin. Mais s'il ne rencontre rien, il ne voit rien; il ne voit que ce qu'il rencontre: l'espace, c'est ce qui arrête le regard, ce sur quoi la vue butte: l'obstacle : des briques, un angle, un point de l'espace: c'est quand ça fait un angle, quand ça s'arrête, quand il faut tourner pour que ça reparte. Ça n'a rien d'ectoplasmique, l'espace; ça a des bords, ça ne part pas dans tous les sens, ça fait tout ce qu'il faut faire pour que les rails de chemin de fer se rencontrent bien avant l'infini."
"L'espace semble être, ou plus apprivoisé, ou plus inoffensif, que le temps : on rencontre partout des gens qui ont des montres, et très rarement des gens qui ont des boussoles. On a toujours besoin de savoir l'heure (et qui sait encore la déduire de la position du soleil?) mais on ne se demande jamais où l'on est. On croit le savoir : on est chez soi, on est à son bureau, on est dans le métro, on est dans la rue."
Le mur (ne pas hésiter à relire)
"Je mets un tableau sur un mur. Ensuite j'oublie qu'il y a un mur. Je ne sais plus ce qu'il y a derrière ce mur, je ne sais plus qu'il y a un mur, je ne sais plus que ce mur est un mur, je ne sais plus ce que c'est qu'un mur. Je ne sais plus que dans mon appartement, il y a des murs, et que s'il n'y avait pas de murs, il n'y aurait pas d'appartement. Le mur n'est plus ce qui délimite et définit le lieu où je vis, ce qui le sépare des autres lieux où les autres vivent, il n'est plus qu'un support pour le tableau. Mais j'oublie aussi le tableau, je ne le regarde plus, je ne sais plus le regarder. J'ai mis le tableau sur le mur pour oublier qu'il y avait un mur, mais en oubliant le mur, j'oublie aussi le tableau. Il y a des tableaux parce qu'il y a des murs. Il faut pouvoir oublier qu'il y a des murs et l'on n'a rien trouvé de mieux pour ça que les tableaux. Les tableaux effacent les murs. Mais les murs tuent les tableaux. Ou alors il faudrait changer continuellement, soit de mur, soit de tableau, mettre sans cesse d'autres tableaux sur les murs, ou tout le temps changer le tableau de mur."
Inventaire de tous les lieux où j'ai dormi? Fermer les yeux, les souvenirs précis reviennent. C'est bourré de ce genre d'idées, repenser la fonction des pièces d'un appartement (une pièce pour un usage, par exemple 'réservée à l'audition de la symphonie n)48 en do, dite Maria-Theresa, de Joseph Haydn'). Travaux pratiques, aussi, 'observer la rue, essayer de décrire la rue, magasins, cafés, prendre des notes...
Arrêtons-là, c'est riche, c'est à découvrir.
Yv, franchement, ajoute ce livre à ta collection de fan!
Ah moi aussi, j'aime marcher dans Paris (j'ai fait dimanche mon traditionnel trajet annuel : gare Montparnasse - porte de Versailles : faisait pas chaud...) : Perec, comme ça fait longtemps que je ne t'ai pas lu !
RépondreSupprimerAh mais oui, tu es 'gare Montparnasse', je l'étais quand j'habitais le nord du département... et ensuite la FNAC rue de Rennes (à l'époque bourrée de livres intéressants, ah ça a changé ma bonne dame)
SupprimerParis (et les villes en général), ça se connaît à pied (si on peut).
Hé oui, Pérec, toujours...
S'il parle de ses balades de Paris, forcément ça va m'intéresser.
RépondreSupprimerNon non il ne parle pas précisément de ses balades (pour cela il y aurait Calet je crois, tiens il faudra que je le relise pour en parler) mais comment organiser des balades originales, inattendues, histoire de 'voir' autrement la ville. Peut se faire dans ta ville, d'ailleurs, au fait.
SupprimerO.K. je vois, c'est de toute façon intéressante (et j'ai un Calet dans ma PAL depuis une éternité).
SupprimerAh ah je t'ai testée, tu connais Calet (j'en ai lu pas mal avant blog...)
SupprimerJe voulais écrire "dans" Paris !
RépondreSupprimerJe n'avais même pas vu l'erreur! ^_^
SupprimerComment résister à Perec et de plus si c'est Paris:)
RépondreSupprimerPérec habitait Paris et aimait vraiment cette ville! J'ai oublié de parler de certaines descriptions 'comme si on ne connaissait pas' , un décalage réussi!
SupprimerL'oeuvre de Perec est pleine de (bonnes) surprises... Je note celui-ci : après six mois loin de Paris, j'y rentre bientôt et j'ai trèsenvie de profiter à nouveau de ma ville ! Alors pourquoi pas le faire avec des balades oulipiennes...
RépondreSupprimerCe petit bouquin de Pérec est une mine d'idées... Je me demande si je ne vais pas m'amuser aussi à sauter dans un bus au hasard... Observer les gens d'une terrasse, pas mal non plus.
SupprimerMais il n'y a pas que cela dans cet opus, bien sûr.
j'adore Perec et tu me donnes très très envie de lire ce livre que je ne connaissais pas!
RépondreSupprimerAh ah les fans de Pérec sortent!!! ^_^
Supprimerces livres sont des bijoux
RépondreSupprimerje ne connaissais celui là merci à toi
J'ai cherché sur quel blog j'avais pu le voir, en vain. Mais certaines parties servaient de commentaire à une exploration d'un quartier de Tours (documentaire vu au cinéma) alors c'est peut-être là?
SupprimerLa marche dans Paris - pour moi c'est un peu plus à l'est! mais Perec toujours, oui et cela fait un moment que je n'y suis pas retournée
RépondreSupprimerIl faut une grande ville pour ce genre d'expériences où on se perd - ou presque. Bien évidemment, marche ou transports en commun, c'est indispensable...
SupprimerJe le veux !!!!!
RépondreSupprimerLe passage sur la montre me fait rire parce que, certes, je n'ai pas de boussole mais un GPS dans mon téléphone, et Google maps sans parler de l'appli qui me sert à compter les kilomètres ! Moi j'aime savoir où je suis et où je vais quand je marche dans Paris. :-)
Trouvé dans le magasin quasi inépuisable de la bibli... Doit exister en bibli ou pour liseuse?
SupprimerMais oui, tu comptes les kilomètres... Moi aussi j'aime savoir où je suis, je suis la reine de la lecture de plans...
J'ai le droit de dire que j’attrape le tournis à lire le texte sur la mer ? C'est uoi Calet ? des guides originaux sur Paris ?
RépondreSupprimerLe texte sur le mur, oui, moi même j'ai du mal, c'est brillantissime, non? Et vrai, en plus.
SupprimerCalet est un auteur hélas bien oublié, qui écrivait sur les quartiers de Paris, les souvenirs, etc, il avait un ton que j'aimais. Lu avant blog. Une citation, la plus connue : "Ne me secouez pas. Je suis plein de larmes."
je ne connaissais pas cet ouvrage mais j'apprécie cet auteur après avoir lu W ou les souvenirs d'enfance, les choses et puis j'ai acheté la vie mode d'emploi. Je rajoute celui-ci !
RépondreSupprimerJ'ai aussi repéré quelques titres de l'auteur...
SupprimerPérec, c'est un grand... tu me donnes franchement envie de relire cet ouvrage, lu il y a bien (trop) longtemps !
RépondreSupprimerNe te gêne pas! Un petit chapitre par ci par là, c'est sans problèmes...
SupprimerPérec, Pérec, Pérec <3 une manière à moi de dire chouette :) C'est amusant parce que ce weekend je parlais à mon des Revenentes, après qu'il se soit emparé de la Disparition, il est fasciné par l'écriture sous contraintes telle que la pratique Pérec: avec génie. Mon fils n'a que 10 ans et ne comprend pas tout, mais voilà ce qui est merveilleux avec Pérec, il attire, il attache, il donne à aimer la langue française, les mots et les merveilles que cela permet !
RépondreSupprimerJe n'ai pas lu celui dont tu parles mais sois certaine que cela va se faire très vite :)
Je n'ai pas lu La disparition (un peu peur que ce soit trop contraint comme résultat?) mais j'en ai d'autres qui m'attirent, de toute façon...
SupprimerHeureux fils qui s'attache à Pérec!
Rien d'artificiel dans la Disparition, ni les Revenentes !! Au contraire, le talent est dans la putain de fluidité de Pérec, comment fait-il ? Je ne sais pas, mais franchement, on oublie la fameuse contrainte :)
SupprimerToi, tu me donnes envie! J'ai feuilleté La disparition à la bibli, et c'est vrai, on plonge dedans!!
SupprimerAu lieu de relire Les mots pour la énième fois, ça me fera du bien de lire autre chose. Je note.
RépondreSupprimerJ'ai l'impression qu'il a beaucoup écrit (et c'est tant mieux)
SupprimerJ'aime ce que Perec fait. On ne parle que trop peu de lui...
RépondreSupprimerSes écrits deviennent des classiques (au bon sens du terme!) et ne vieillissent pas du tout. A lire au fil du temps...
SupprimerObligatoire ! Merci du conseil, je cours l'acheter...
RépondreSupprimerJe sens que c'est à lire et relire!!!
SupprimerAh Perec... Ton billet donne envie de le redécouvrir je ne connais pas ce titre.
RépondreSupprimerIl a beaucoup écrit on dirait. Moi aussi ça me donne envie de mettre un Pérec au menu de temps en temps...
SupprimerAh bravo pour ce billet. J'ai envie tout d'un coup de relire du Pérec. Je note aussi ce petit livre. Peut-être le style n'a rien à voir mais ça me fait penser à un livre de Philippe Delerm (j'ai oublié le titre) mais il parle aussi de lieux et il y a même un texte sur la table du salon drôlement bien.
RépondreSupprimerLes petits textes qui l'air de rien font réfléchir! J'ai repéré d'autres titres de Pérec, mais hélas la PAL...
SupprimerC'est un de mes préférés de Perec, tu me donnes très envie de le relire !
RépondreSupprimerIl a bien tout pour l'être, il parait inépuisable!
SupprimerA moi aussi, tu donnes très envie de le lire !
RépondreSupprimerEspérons que tu le trouves facilement...
SupprimerJ'avais beaucoup apprécié W ou le souvenir d'enfance. Ainsi que La disparition.
RépondreSupprimerTellement de titres qui attendent! Mais je pense que la bibli en a un bon paquet.
SupprimerPerec... un de ces auteurs que je "dois" lire de longue date. 123 pages ? Je devrais pouvoir caser ça... Mais quand ? L'éternelle question... Rien lu au ski au final, je m'étais encombrée pour rien, et j'avais, en plus des livres physiques, ma liseuse !! Je pensais avoir du temps haha... J'ai juste attaquer le Vargas dans le train retour. 100 pages... J'aurais pu lire et finir Perec à la place haha.
RépondreSupprimerHaha, oui... Si tu ne connais pas Pérec, sache qu'à part La vie mode d'emploi, il a des textes assez courts je pense.
SupprimerCa valait le coup de faire mon petit rattrapage de lecture des blogs pour tomber sur ce billet. Comme j'aime ce livre en particulier et Perec en général ! Voilà un auteur que j'aimerais voir en Pléiade (plutôt que l'académicien dont on parle en ce moment).
RépondreSupprimerQuoi! Pérec n'est pas dans la Pléiade? Scandaleux.
SupprimerCeci étant, j'aimerais bien mettre un Pérec au programme de mes lectures de temps en temps (mais pas question de lancer un rendez vous ou challenge)
Une récente mais très belle découverte pour moi. C'est truffé de citations qui mènent à réflexion.
RépondreSupprimerDaphné
Hé oui, il faut lire Perec.
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