Si une nuit d'hiver un voyageur
Se una notte d'inverno un viaggiatore
Italo Calvino
Folio, 2015
Nouvelle traduction par Martin Rueff
Dans son journal (un chapitre du roman), l'écrivain Silas Flannery écrit:
"L'idée m'est venue d'écrire un roman fait seulement de débuts de roman. Le personnage principal pourrait en être un Lecteur qui se trouve constamment interrompu. Le Lecteur acquiert un nouveau roman A de l'auteur Z. Mais il s'agit d'un exemplaire défectueux, et il ne parvient pas à dépasser le début... Il retourne en librairie pour qu'on lui donne un nouveau volume...
Je pourrais l'écrire entièrement à la deuxième personne : toi Lecteur... Je pourrais aussi y faire entrer une Lectrice, un traducteur faussaire, un vieil écrivain qui tient son journal, comme ce journal... [page 277]"
Déjà perdu, Lecteur? Il fallait bien une mise en abyme dans ce roman, et en plus c'est un parfait résumé.
Mais foin de toute paresse. Argumentons pourquoi ce roman est incontournable si tu te prétends Lecteur.
Le début : "Tu es sur le point de commencer le nouveau roman d'Italo Calvino. Détends-toi. Recueille-toi.(...) Prends la position la plus confortable qui soit."
"Tu es allé dans une librairie et tu as acheté le volume. Tu as bien fait." [note : 7.60 en poche, ne pas s'en priver] "Tu t'es frayé un chemin dans le magasin à travers le tir de barrage nourri de ces Livres Que Tu N'As Pas Lus et qui te regardent en faisant les gros yeux depuis les tables et les étagères pour essayer de t'intimider. [pages 12 et 13, continuant avec ces catégories, c'est absolument génial, vrai et jubilatoire!] Après achat, "Tu as jeté un regard navré sur les livres autour de toi (ou mieux : ce sont les livres qui te regardaient avec cet air navré qu'ont les chiens quand ils voient du fond des cages d'un chenil municipal un de leurs anciens compagnons s'éloigner, tenu en laisse par un maître venu le reprendre)."
La fin (si! J'ose)
"Encore un instant. Je suis sur le point de finir 'Si une nuit d'hiver un voyageur' d'Italo Calvino."
Bref, c'est LE livre dont tu rêvais, Lecteur. Qui parle de lecture, de Lecteur (et de Lectrice), de romancier, de traducteur. Qui pourrait devenir frustrant, avec ces morceaux de romans dont jamais on ne connaîtra la suite (mais à Toi de terminer, et puis cela forme à chaque fois quand même une sorte de tout satisfaisant). Qui pourrait tourner à la redite, si l'auteur n'avait pas varié les raisons pour lesquelles cette lecture s'interrompt. Qui pourrait lasser, s'il ne s'agissait à chaque fois d'un nouvel univers, d'un nouveau genre. Qui pourrait manquer d'histoire (un comble!) s'il n'y avait celle du Lecteur et de la Lectrice. Qui pourrait devenir vertigineux (et ça le devient quand même, mais baste).
Dans la postface, Calvino, membre de l'Oulipo (pas étonnant!) révèle qu'il a choisi le schéma suivant : "Dans un récit à la première personne un personnage masculin se retrouve obligé d'assumer un rôle qui n'est pas le sien, dans une situation où l'attraction exercée par un personnage féminin et la menace obscure venue d'une collectivité d'ennemis pèsent toujours davantage sur lui."
Il précise aussi que "Dans chaque chapitre le type de roman qui suit est indiqué par la bouche de la Lectrice."
Mais c'est bien sûr!(a posteriori). Voilà donc qu'il me faut relire Si une nuit d'hiver un voyageur pour vérifier tout cela, car je n'ai rien remarqué, prise dans ma lecture...
Et voilà une envie de lire ce "roman qui raconte une journée quelconque d'un type de Dublin en dix-huit chapitres dont chacun a un cadre stylistique différent."!!!
Dure vie que la tienne, ô Lecteur, ô Lectrice.
Mois italien chez Eimelle
Se una notte d'inverno un viaggiatore
Italo Calvino
Folio, 2015
Nouvelle traduction par Martin Rueff
Dans son journal (un chapitre du roman), l'écrivain Silas Flannery écrit:
"L'idée m'est venue d'écrire un roman fait seulement de débuts de roman. Le personnage principal pourrait en être un Lecteur qui se trouve constamment interrompu. Le Lecteur acquiert un nouveau roman A de l'auteur Z. Mais il s'agit d'un exemplaire défectueux, et il ne parvient pas à dépasser le début... Il retourne en librairie pour qu'on lui donne un nouveau volume...
Je pourrais l'écrire entièrement à la deuxième personne : toi Lecteur... Je pourrais aussi y faire entrer une Lectrice, un traducteur faussaire, un vieil écrivain qui tient son journal, comme ce journal... [page 277]"
Déjà perdu, Lecteur? Il fallait bien une mise en abyme dans ce roman, et en plus c'est un parfait résumé.
Mais foin de toute paresse. Argumentons pourquoi ce roman est incontournable si tu te prétends Lecteur.
Le début : "Tu es sur le point de commencer le nouveau roman d'Italo Calvino. Détends-toi. Recueille-toi.(...) Prends la position la plus confortable qui soit."
"Tu es allé dans une librairie et tu as acheté le volume. Tu as bien fait." [note : 7.60 en poche, ne pas s'en priver] "Tu t'es frayé un chemin dans le magasin à travers le tir de barrage nourri de ces Livres Que Tu N'As Pas Lus et qui te regardent en faisant les gros yeux depuis les tables et les étagères pour essayer de t'intimider. [pages 12 et 13, continuant avec ces catégories, c'est absolument génial, vrai et jubilatoire!] Après achat, "Tu as jeté un regard navré sur les livres autour de toi (ou mieux : ce sont les livres qui te regardaient avec cet air navré qu'ont les chiens quand ils voient du fond des cages d'un chenil municipal un de leurs anciens compagnons s'éloigner, tenu en laisse par un maître venu le reprendre)."
La fin (si! J'ose)
"Encore un instant. Je suis sur le point de finir 'Si une nuit d'hiver un voyageur' d'Italo Calvino."
Bref, c'est LE livre dont tu rêvais, Lecteur. Qui parle de lecture, de Lecteur (et de Lectrice), de romancier, de traducteur. Qui pourrait devenir frustrant, avec ces morceaux de romans dont jamais on ne connaîtra la suite (mais à Toi de terminer, et puis cela forme à chaque fois quand même une sorte de tout satisfaisant). Qui pourrait tourner à la redite, si l'auteur n'avait pas varié les raisons pour lesquelles cette lecture s'interrompt. Qui pourrait lasser, s'il ne s'agissait à chaque fois d'un nouvel univers, d'un nouveau genre. Qui pourrait manquer d'histoire (un comble!) s'il n'y avait celle du Lecteur et de la Lectrice. Qui pourrait devenir vertigineux (et ça le devient quand même, mais baste).
Dans la postface, Calvino, membre de l'Oulipo (pas étonnant!) révèle qu'il a choisi le schéma suivant : "Dans un récit à la première personne un personnage masculin se retrouve obligé d'assumer un rôle qui n'est pas le sien, dans une situation où l'attraction exercée par un personnage féminin et la menace obscure venue d'une collectivité d'ennemis pèsent toujours davantage sur lui."
Il précise aussi que "Dans chaque chapitre le type de roman qui suit est indiqué par la bouche de la Lectrice."
Mais c'est bien sûr!(a posteriori). Voilà donc qu'il me faut relire Si une nuit d'hiver un voyageur pour vérifier tout cela, car je n'ai rien remarqué, prise dans ma lecture...
Et voilà une envie de lire ce "roman qui raconte une journée quelconque d'un type de Dublin en dix-huit chapitres dont chacun a un cadre stylistique différent."!!!
Dure vie que la tienne, ô Lecteur, ô Lectrice.
Mois italien chez Eimelle
Commentaires
Mais ensuite le procédé peut ne pas te plaire, je suis d'accord.
(Ça le fait, le super logo/tampon coup de cœur !)
Le logo, oui, mais je n'en abuserai pas! ^_^
Bah, l'exemplaire de 1981 devrait aller (j'ai comparé les débuts et pas trouvé de grosses différences, mais avaient-ils suivi les conseils de Meschonic auteur de cette poétique du traduire, je n'en suis pas sûre.)
Bref, à lire ou relire.
En revanche, et c'est l'objet de mon commentaire, je ne peux que t'inciter vivement à lire le "roman qui raconte une journée quelconque d'un type de Dublin en dix-huit chapitres dont chacun a un cadre stylistique différent." Il a bouleversé ma vie de lectrice.
A tenter en tout cas!
Dans le livre que je viens de terminer, je relis "Quand le mémorialiste intimiste se fait romancier, cela donne, d'après Malraux, Ulysse et La Recherche : deux chefs d'oeuvre. Du roman. Carrément même : les deux pavés tenus pour les deux chefs-d'oeuvre absolus du roman moderne." (...)
Hé oui, ça commence à me cerner. ^_^
Pour Calvino, je me souviens d'en avoir lu, mais seuls ce Voyageur et Cosmicomics restent en tête. J'ai des failles secrètes? En tout cas, 1) je n'ai pas tout lu (ouf) et surtout 2) j'ai beaucoup lu avant le blog!
A toi de voir, on ne sait jamais (il faut le bon moment, et oublier l'exercice de style, mais dans le genre il y a pire je crois)
Je n'ai pas trop ressenti le 'Oulipo', mais il y a de ça, c'est sûr. N'hésite pas à le relire.
Oh je te croyais un lecteur curieux? ^_^
N'hésite pas à le redécouvrir!
tant mieux !
Je te conseille fortement de le relire, ne serai-ce que pour voir comment tu y réagis.
Heu je publie comme d'habitude, trois billets par semaine, avec parfois plus d'un livre par billet, et des lectures dont je ne parlerai pas, par paresse, exemple Ma vie dans les Appalaches de Thomas Rain Crowe et Pourquoi l'amour est un plaisir de Jared Diamond... Chouettes bouquins, à part ça.
Par contre, oui, ne pas se prendre la tête. Comme je l'écrivais dans mon billet : de toutes façons, impossible de tout comprendre, tout retenir avec une lecture, alors l'analyse fine, oublie. J'ai foncé dans le tas moi-même : acheté un jour d'envie urgente et lu en huit jours au pas de course.
La recherche, non, définitivement non ;) (j'ai tenté en traduction anglaise une fois et ça m'a gonflé moins vite qu'en français mais quand même, ça a vite tourné court).
C'est grâce à toi que j'ai démarré les Journaux de Juliet (tu te souviens, et par le premier en plus! ^_^) alors j'ai tendance à suivre tes conseils, je veux du robuste (mais déplore que sur le sujet 'Marcel' nous soyons en désaccord ^_^)
...
Je viens encore de relire ton billet. je connais vaguement l'Odyssée et pas la Divine Comédie, ça promet. Mais tu me connais (enfin, je ne sais pas) j'aime bien les expériences fortes. Affaire à suivre.
Si tu n'as pas besoin de béquilles, tu auras toute mon admiration (je suis sûre que l'on peut lire Ulysse sans les notices et notes mais je maintiens qu'on n'y comprend rien ou presque sauf à être un spécialiste de l'Irlande, de la littérature classique, et de bien d'autres choses. On peut aussi le lire en ratant toutes les significations mais dans ce cas, je ne vois pas l'intérêt de la lecture. Autant lire un bouquin dans une langue inconnue). C'est certainement le texte le plus ardu que j'aie lu à ce jour (avec le Dante mais celui-là il m'a rendue chèvre).
Je me souviens très bien ma consternation en apprenant que tu découvrais Juliet avec son premier journal :D Heureusement que cela ne t'a pas dégoûtée ! (il me manque encore le 3 je crois et terminer - enfin reprendre depuis le début - le 4)
(je comprends bien pour Marcel et fais de mon mieux mais c'est soporifique au possible cette affaire ;p Peut-être quand j'aurai 60 ans. Je devrais tenter le coup tous les dix ans pour voir).
(en attendant, dans la section "robuste", je compte lire Finnegans Wake - en VO car la VF de Folio est une horreur. Si je m'en sors, je donnerai des nouvelles).
De toutes façons, tu n'auras jamais toutes les références alors, rassure-toi, tu vas galérer ^^ mais pas de façon désagréable comme j'ai pu l'expérimenter avec Dante (question de proximité temporelle je pense). Je te fais confiance pour apprécier l'expérience (quitte à ne pas aimer le roman. Après tout je conçois très bien que l'on puisse ne pas aimer > la nana qui essaie de paraître ouverte d'esprit mais qui ne comprend pas du tout comment on ne peut pas aimer ;p)
L'exemplaire Gallimard n'est plus là, mais c'est le folio, donc aussi bien d'après ce que tu en dis. J'aime bien les expériences, mais sur un machin de plus de 1000 pages, ce n'est pas gagné.
En VO, même pas peur . Pour ce que j'en sais, Joyce invente des mots?
Marcel, ouais. Bon, on ne peut pas convaincre tout le monde, tu auras essayé... ^_^
J'ai toujours un Journal à lire, dédicacé, yes! pour les autres, je traîne...
Je termine en te disant que je suis d'accord avec toi, tout vouloir savoir et comprendre, cela empêche la lecture, mais ne pas avoir quelques aides, aussi. Merci de me rappeler que je vais galérer, je m'en réjouis d'avance (#sourirecrispé)
Je serais curieuse de savoir comment une "connaisseuse" de l'Odyssée perçoit Ulysse. Je n'en ai qu'une connaissance très superficielle et j'aurais pu lire le roman sans m'apercevoir du lien entre les deux œuvres, surtout que Joyce ne suit pas la "logique" d'Homère (par exemple, le personnage qui représente Télémaque n'est pas le fils de celui qui représente Ulysse, même pas le fils spirituel et la relation qui se noue entre eux est très tardive ; le personnage qui représente Pénélope est infidèle, etc.)
Oui, pour Finnegans Wake, la VO ou la VF, je ne suis pas sûre que ce soit une tracasserie vu que ça reste obscur sur un plan linguistique. J'ai lu quelques sites pour me préparer et je vais m'en servir comme béquille au fil de ma lecture car pour la peine l'édition Penguin n'a pas de notes, juste une préface. J'avais déjà lu Portrait of the Artist as a Young Man en VO. Je n'avais pas compris grand-chose mais lire Ulysse m'a éclairée et je compte donc relire le livre dédié à Stephen Dedalus.
J'ai fini en début d'année le Journal VII (dédicacé aussi ;) et n'ai pas ressenti le besoin de relire Juliet depuis. Il y a des années comme ça et d'autres où c'est l'orgie ou presque.
C'est une galère plaisante ;) Je ne garde que de bons souvenirs de ma semaine de lecture (hormis les soirs où je piquais du nez dans le livre mais je râlais surtout d'être trop crevée pour comprendre, pas contre le livre).
Juliet, (pas taper), je pense avoir laissé le 3, mais depuis j'ai lu celui en Nouvelle Zélande. Cet auteur fait partie de ceux que j'aime, mais trop de livres m'environnent. Il ne faut surtout pas que je me force, d'ailleurs, pour Juliet, ça viendra.
Plus de 1000 pages en huit jours! Tu m'épates quand on imagine le genre de bouquin. Mais l'idée de lecture commune n'est pas mauvaise, je vais essayer de mettre dans le coup une blogueuse qui aime les défis ^_^, on s'est lu Don Quichotte comme ça.
Je vois que tu n'en as pas fini avec Joyce...
Ma bibi possède aussi une BD intitulée Joyce, l'homme de Dublin, ça pourrait être intéressant (ne m'accuse pas de contourner l'obstacle, j'ai prévu Ulysse!)
En tout cas, une excellente lecture! Jouissif. Jubilatoire. Comme on veut! ^_^