Poésie du gérondif
Vagabondages linguistiques d'un passionné de peuples et de mots
Jean-Pierre Minaudier
Le tripode, 2014
"Une grammaire, c'est avant tout du rêve et de la poésie."
Quand je pense que cet OLNI parfaitement jubilatoire stagnait sur mes étagères depuis plus d'un an! Pourtant Dominique, Luocine (5 coquillages!), cathulu, entre autres, avaient fait preuve d'un enthousiasme parfois délirant. Je dois l'avouer maintenant : elles avaient parfaitement raison, on est là dans le coup de coeur, la pépite, l'incontournable.
Quoi, un type assez malade pour collectionner des centaines de livres de grammaire couvrant une bonne partie des langues parlées (ou hélas éteintes) de notre planète, pour parler (en plus des banals anglais et espagnols) le basque et l'estonien, cela ne se rencontre pas tous les jours. Le pire -ou le meilleur- c'est que son enthousiasme est dévastateur et qu'il fait preuve d'un humour à éclater de rire (vous êtes prévenus, la hyène hilare chère à A girl rode dans le coin)
Mais à quoi ça sert, quand même? A mon avis, à voyager dans tous les recoins de la Terre, à sortir de notre petit coin que l'on pense -à tort- le plus ceci ou le plus cela, découvrant des langues tellement riches, tellement différentes, et des façons de penser et d'appréhender le monde n'ayant rien à envier aux nôtres, à s'étonner de la diversité ou de la ressemblance de nos frères humains.
Une grammaire est "une espèce de grand sudoku" (bon pour les neurones), sa lecture peut "constituer un véritable roman policier." (au risque de passer moi aussi pour une malade, j'avoue que j'adorais les versions latines pour le côté 'mais lui là il s'accorde avec qui' ou 'quel est le temps de ce verbe' - ou, pire, 'où est le verbe'?). Enquêtes au terme de laquelle "le lecteur convenablement excité éprouvera une volupté proche de celle du tchékiste démasquant un nid de saboteurs hitléro-trotskystes dans une usine biélorusse en 1937."
Comme je compte bien que vous allez vous ruer sur cette lecture (qui a dit 'non'?), je ne vous conterai pas toutes ces histoires de records, quelle langue possède le plus ou le moins de consonnes (ou de voyelles), les spécificités ou originalités de langues dont peu ont entendu parler, formes verbales, genres, accords plus ou moins tordus. Parfois c'est le parler des femmes qui diffère de celui des hommes (gare avec qui l'on apprend cette langue! Il s'agit du tchouktche, là vous ne risquez rien, vraisemblablement, et aussi du japonais). En basque la conjugaison n'est pas la même selon que l'on tutoie ou vouvoie, attendez, j'explique : 'j'ai acheté des pommes' ne se dit pas exactement de la même façon selon l'interlocuteur!
Allez, un autre pour la route : en guarani, on dit différemment 'celui qui était mon époux', 'mon futur époux' et 'celui qui devait être mon époux et ne l'est pas devenu'.
Et que dire des migrations? J'ai appris sidérée que le malgache appartient à la même famille que le rapanui, la langue de l'île de Pâques!Cette famille austronésienne de 1255 langues est originaire de Taïwan...
Terminons en signalant quelques coups de griffes (gentils quand même) à certains linguistes et surtout les notes de bas de page, absolument géniales, faisant la part belle aux livres"des éditions berlinoises De Gruyter-Mouton, auprès desquels un Pléiade a l'air d'un livre de poche sri-lankais."
« Historien de formation, gros consommateur de littérature et de bandes dessinées depuis mon adolescence, j’ai, sur la quarantaine, traversé une drôle de crise: durant plus de cinq ans, je ne suis pratiquement arrivé à lire que des livres de linguistique, essentiellement des grammaires de langues rares et lointaines. Aujourd’hui le gros de l’orage est passé, mais je persiste à consommer nettement plus de linguistique que de romans. Je n’apprends pas ces langues: à part l’espagnol, l’anglais et deux mots d’allemand, je ne sais passablement que l’estonien, et je me suis quand même récemment mis au basque car c’est de loin la langue la plus exotique d’Europe. Mais j’en collectionne les grammaires — je possède à ce jour très exactement 1163 ouvrages de linguistique concernant 856 langues, dont 620 font l’objet d’une description complète. Je les dévore comme d’autres dévorent des romans policiers, comme le rentier balzacien dévorait les cours de la Bourse, comme les jeunes filles du temps jadis dévoraient Lamartine, frénétiquement, la nuit, le jour, chez moi, dans les diligences (pardon, le métro), en vacances, en rêve. Il y a longtemps en revanche que j’ai appris à m’en tenir à d’autres sujets dans les soirées en ville, car je ne tiens pas spécialement à dîner avec Lucullus. » (site de l'éditeur)(où l'on trouvera des extraits, et aussi des livres traduits par l'auteur de l'estonien...)(et qui donnent envie, fichtre oui)
Vagabondages linguistiques d'un passionné de peuples et de mots
Jean-Pierre Minaudier
Le tripode, 2014
"Une grammaire, c'est avant tout du rêve et de la poésie."
Quand je pense que cet OLNI parfaitement jubilatoire stagnait sur mes étagères depuis plus d'un an! Pourtant Dominique, Luocine (5 coquillages!), cathulu, entre autres, avaient fait preuve d'un enthousiasme parfois délirant. Je dois l'avouer maintenant : elles avaient parfaitement raison, on est là dans le coup de coeur, la pépite, l'incontournable.
Quoi, un type assez malade pour collectionner des centaines de livres de grammaire couvrant une bonne partie des langues parlées (ou hélas éteintes) de notre planète, pour parler (en plus des banals anglais et espagnols) le basque et l'estonien, cela ne se rencontre pas tous les jours. Le pire -ou le meilleur- c'est que son enthousiasme est dévastateur et qu'il fait preuve d'un humour à éclater de rire (vous êtes prévenus, la hyène hilare chère à A girl rode dans le coin)
Mais à quoi ça sert, quand même? A mon avis, à voyager dans tous les recoins de la Terre, à sortir de notre petit coin que l'on pense -à tort- le plus ceci ou le plus cela, découvrant des langues tellement riches, tellement différentes, et des façons de penser et d'appréhender le monde n'ayant rien à envier aux nôtres, à s'étonner de la diversité ou de la ressemblance de nos frères humains.
Une grammaire est "une espèce de grand sudoku" (bon pour les neurones), sa lecture peut "constituer un véritable roman policier." (au risque de passer moi aussi pour une malade, j'avoue que j'adorais les versions latines pour le côté 'mais lui là il s'accorde avec qui' ou 'quel est le temps de ce verbe' - ou, pire, 'où est le verbe'?). Enquêtes au terme de laquelle "le lecteur convenablement excité éprouvera une volupté proche de celle du tchékiste démasquant un nid de saboteurs hitléro-trotskystes dans une usine biélorusse en 1937."
Comme je compte bien que vous allez vous ruer sur cette lecture (qui a dit 'non'?), je ne vous conterai pas toutes ces histoires de records, quelle langue possède le plus ou le moins de consonnes (ou de voyelles), les spécificités ou originalités de langues dont peu ont entendu parler, formes verbales, genres, accords plus ou moins tordus. Parfois c'est le parler des femmes qui diffère de celui des hommes (gare avec qui l'on apprend cette langue! Il s'agit du tchouktche, là vous ne risquez rien, vraisemblablement, et aussi du japonais). En basque la conjugaison n'est pas la même selon que l'on tutoie ou vouvoie, attendez, j'explique : 'j'ai acheté des pommes' ne se dit pas exactement de la même façon selon l'interlocuteur!
Allez, un autre pour la route : en guarani, on dit différemment 'celui qui était mon époux', 'mon futur époux' et 'celui qui devait être mon époux et ne l'est pas devenu'.
Et que dire des migrations? J'ai appris sidérée que le malgache appartient à la même famille que le rapanui, la langue de l'île de Pâques!Cette famille austronésienne de 1255 langues est originaire de Taïwan...
Terminons en signalant quelques coups de griffes (gentils quand même) à certains linguistes et surtout les notes de bas de page, absolument géniales, faisant la part belle aux livres"des éditions berlinoises De Gruyter-Mouton, auprès desquels un Pléiade a l'air d'un livre de poche sri-lankais."
« Historien de formation, gros consommateur de littérature et de bandes dessinées depuis mon adolescence, j’ai, sur la quarantaine, traversé une drôle de crise: durant plus de cinq ans, je ne suis pratiquement arrivé à lire que des livres de linguistique, essentiellement des grammaires de langues rares et lointaines. Aujourd’hui le gros de l’orage est passé, mais je persiste à consommer nettement plus de linguistique que de romans. Je n’apprends pas ces langues: à part l’espagnol, l’anglais et deux mots d’allemand, je ne sais passablement que l’estonien, et je me suis quand même récemment mis au basque car c’est de loin la langue la plus exotique d’Europe. Mais j’en collectionne les grammaires — je possède à ce jour très exactement 1163 ouvrages de linguistique concernant 856 langues, dont 620 font l’objet d’une description complète. Je les dévore comme d’autres dévorent des romans policiers, comme le rentier balzacien dévorait les cours de la Bourse, comme les jeunes filles du temps jadis dévoraient Lamartine, frénétiquement, la nuit, le jour, chez moi, dans les diligences (pardon, le métro), en vacances, en rêve. Il y a longtemps en revanche que j’ai appris à m’en tenir à d’autres sujets dans les soirées en ville, car je ne tiens pas spécialement à dîner avec Lucullus. » (site de l'éditeur)(où l'on trouvera des extraits, et aussi des livres traduits par l'auteur de l'estonien...)(et qui donnent envie, fichtre oui)
Commentaires
Bon je vais voir s'il est dispo à la BM ...arrête de me tenter ! ma résolution 2016 ne va pas le supporter ;-)
que demander de plus ?
Pour être honnête je dirais que sans les blogs jamais je n'aurais lu un livre ainsi titré (quoique, les langues, j'aime)
Dommage, les biblis trop frileuses (les lecteurs le sont aussi parfois d’ailleurs, mais si on ne les appâte pas, cela ne bougera pas.
En plus, ce n'est pas de la fiction, donc, c'est sûr, on est mal, là. ^_^
Ces histoires de langues me fascinent depuis longtemps, et là en plus c'est drôle!
Le persan... Hum, je sais dire Merci... ^_^
Bon, on est donc bien d'accord : ce bouquin est une pépite!
J'ai dû arrêter en Terminale, puisque je ne pouvais pas le mettre en bonus bac (il y avait déjà l'allemand, à l'époque on n'avait qu'une seule matière supplémentaire)
De nos jours il faut vraiment être tenace pour faire latin, j'en ai peur...
Merci et bonne journée.
Je n'ai jamais vu de livre de ces éditions, qui doivent être fort belles (quoique La Pléiade, c'est joli mais il y a mieux)(je parle du contenant bien sûr)
La grammaire... je prévois de revoir quelques règles oubliées (j'étais très forte quand j'étais élève, mais on oublie). Oui, il vaut mieux que tu t'y connaisses;
Quant à l'estonien, Minaudier a traduit un certain Andrus Kivirähk, toujours paru au Tripode.
Je ne connais aucun des livres que tu présentes ce mois.
Passe un bon dimanche.
Ce mois ci j'avoue avoir présenté assez de nouveautés, mais quelques vieilleries vont bientôt arriver, car c'est aussi ce que j'aime.
Bon dimanche.