L'usage du monde
Nicolas Bouvier
Dessins de Thierry Vernet
Petite bibliothèque Payot Voyageurs, 1995
Paru en 1963 (Librairie Droz)
Récit mythique, récit de voyage, bien plus encore. En 1953 et 1954, deux jeunes amis, à bord d'une vieille Fiat retapée, se retrouvent dans les Balkans, et à partir de là, prévoient "la Turquie, l'Iran, l'Inde, plus loin peut-être. Nous avions deux ans devant nous et de l'argent pour quatre mois. Le programme était vague, mais dans de telles affaires, l'essentiel est de partir." "Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu'il se suffit à lui-même. On croit qu'on va faire un voyage, mais bientôt c'est le voyage qui vous fait, ou vous défait."
Ils comptent vivre de l'écriture, articles aux journaux locaux, conférences, cours de langue- pour Nicolas Bouvier, ou de peinture- pour Thierry Vernet.
Récit fabuleux, plus de soixante ans ont passé, la Yougoslavie a explosé, et inutile de raconter la Turquie, L'Iran, l'Afghanistan. Quoique, quand je sors d'un rêve jaloux, mis à part ce dernier pays, tout demeure possible (et je sais que les Afghans arrivant en Europe, justement, ont traversé la frontière pour se rendre d'abord en Iran)
Tâchons de nous concentrer sur le récit de Nicolas Bouvier. Déplorons l’absence d'une carte du trajet, qui m'a obligée à fouiner dans mes atlas. A part ça, on y est : odeurs, couleurs, impressions, ambiances!
Mais depuis j'ai trouvé cela , et finalement rêvasser sur les noms des villes sans trop les situer, ce n'est pas plus mal...
Grèce "Les poissons frits brillent comme des lingots dans nos assiettes, puis le soleil s'abîme derrière une mer violette en tirant à lui toutes les couleurs."
Turquie : "L'admirable mosquée de bois où vous trouveriez justement ce que vous êtes venu chercher, ils ne penseront pas à la montrer, parce qu'on est moins sensible à ce qu'on a qu'à ce dont on manque."
Tabriz, où ils passeront l'hiver
"Jamais le travail n'est si séduisant que lorsqu'on est sur le point de s'y mettre.; on le plantait donc là pour découvrir la ville."
(communauté arménienne à Tabriz) "le dimanche à l'église, on chantait tout naturellement à quatre voix: depuis le temps qu'ils se connaissaient, on savait bien que le clan des Arzrouni donnait plutôt des basses, et que les Mangassarian étaient dans les ténors."
Tabriz toujours, avec les Américains désireux de construire des écoles. "Les cadeaux ne sont pas toujours faciles à faire quand les 'enfants' ont cinq mille ans de plus que Santa Claus."
Iran "Moi, ce qui m'y frappe le plus, c'est que l'état lamentable des affaires publiques affecte si peu les vertus privées. A se demander si, dans une certaine mesure, il ne les stimule pas. Ici, où tout va de travers, nos avons trouvé plus d'hospitalité, de bienveillance, de délicatesse et de concours que deux Persans en voyage n'en pourraient attendre de ma ville où pourtant tout marche bien."
Le Baloutchistan (je place cela entre l'Iran et l'Afghanistan, quoique techniquement en Iran)
"Le Baloutch est plutôt sûr de lui. Son aisance morale éclate dans ce sourire qui flotte à hauteur de barbe et dans le drapé de hardes toujours propres. Il est très hospitalier et rarement importun. Par exemple, ils ne se mettent pas à cinquante pour ricaner bêtement autour d'un étranger qui change sa roue; au contraire, ils offrent du thé et des prunes puis vont chercher un interprète et vous harassent de questions pertinentes.
Pas follement épris de travail, ils se livrent volontiers à la contrebande sur les confins persans, et tirent des fusées vertes pour attirer les merveilleuses patrouilles du Chagaï Frontier Corps pendant que les sacs changent de main sous l’œil de dieu à l'autre bout du désert."
Frontière afghane, justement : "Nos visas étaient expirés depuis six semaines. Il l'avait déjà remarqué sans en être autrement ému. En Asie on ne tient pas l’horaire, et puis, pourquoi nous refuser en août ce passage qu'on nous accordait pour juin? En deux mois, l’homme change si peu."
Plus loin "Il faut un passeport de la police de Kaboul.(...) Ce permis est souvent refusé; mais lorsqu'on lui fournit une raison simple, évidente et qui lui parle -voir du pays, vagabonder - la police est bonne fille. (...) En ajoutant que je n'étais pas pressé, j'ai obtenu mon permis tout de suite."
On l'aura compris, j'ai adoré ce récit, admirablement écrit. Signalons que de belles notions de mécanique (et de la patience!) ont été bien utiles à nos deux voyageurs...
Un incontournable, qui sera prolongé ou accompagné par L'oeil du voyageur, paru chez Hoebeke.
où les photographies de Bouvier prises lors du voyage accompagnent des textes dont certains ont été retravaillés pour L'usage du monde, en tout cas c'est l'impression que j'ai eue à la lecture. Une partie en Inde, qui complète fort bien L'usage du monde.
Présentation d'Olivier Barrot.
Lire le monde (Suisse) chez Sandrine
Nicolas Bouvier
Dessins de Thierry Vernet
Petite bibliothèque Payot Voyageurs, 1995
Paru en 1963 (Librairie Droz)
Récit mythique, récit de voyage, bien plus encore. En 1953 et 1954, deux jeunes amis, à bord d'une vieille Fiat retapée, se retrouvent dans les Balkans, et à partir de là, prévoient "la Turquie, l'Iran, l'Inde, plus loin peut-être. Nous avions deux ans devant nous et de l'argent pour quatre mois. Le programme était vague, mais dans de telles affaires, l'essentiel est de partir." "Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu'il se suffit à lui-même. On croit qu'on va faire un voyage, mais bientôt c'est le voyage qui vous fait, ou vous défait."
Ils comptent vivre de l'écriture, articles aux journaux locaux, conférences, cours de langue- pour Nicolas Bouvier, ou de peinture- pour Thierry Vernet.
Récit fabuleux, plus de soixante ans ont passé, la Yougoslavie a explosé, et inutile de raconter la Turquie, L'Iran, l'Afghanistan. Quoique, quand je sors d'un rêve jaloux, mis à part ce dernier pays, tout demeure possible (et je sais que les Afghans arrivant en Europe, justement, ont traversé la frontière pour se rendre d'abord en Iran)
Tâchons de nous concentrer sur le récit de Nicolas Bouvier. Déplorons l’absence d'une carte du trajet, qui m'a obligée à fouiner dans mes atlas. A part ça, on y est : odeurs, couleurs, impressions, ambiances!
Mais depuis j'ai trouvé cela , et finalement rêvasser sur les noms des villes sans trop les situer, ce n'est pas plus mal...
Grèce "Les poissons frits brillent comme des lingots dans nos assiettes, puis le soleil s'abîme derrière une mer violette en tirant à lui toutes les couleurs."
Turquie : "L'admirable mosquée de bois où vous trouveriez justement ce que vous êtes venu chercher, ils ne penseront pas à la montrer, parce qu'on est moins sensible à ce qu'on a qu'à ce dont on manque."
Tabriz, où ils passeront l'hiver
"Jamais le travail n'est si séduisant que lorsqu'on est sur le point de s'y mettre.; on le plantait donc là pour découvrir la ville."
(communauté arménienne à Tabriz) "le dimanche à l'église, on chantait tout naturellement à quatre voix: depuis le temps qu'ils se connaissaient, on savait bien que le clan des Arzrouni donnait plutôt des basses, et que les Mangassarian étaient dans les ténors."
Tabriz toujours, avec les Américains désireux de construire des écoles. "Les cadeaux ne sont pas toujours faciles à faire quand les 'enfants' ont cinq mille ans de plus que Santa Claus."
Iran "Moi, ce qui m'y frappe le plus, c'est que l'état lamentable des affaires publiques affecte si peu les vertus privées. A se demander si, dans une certaine mesure, il ne les stimule pas. Ici, où tout va de travers, nos avons trouvé plus d'hospitalité, de bienveillance, de délicatesse et de concours que deux Persans en voyage n'en pourraient attendre de ma ville où pourtant tout marche bien."
Ispahan, photo perso, et franchement, soupirs... |
"Le Baloutch est plutôt sûr de lui. Son aisance morale éclate dans ce sourire qui flotte à hauteur de barbe et dans le drapé de hardes toujours propres. Il est très hospitalier et rarement importun. Par exemple, ils ne se mettent pas à cinquante pour ricaner bêtement autour d'un étranger qui change sa roue; au contraire, ils offrent du thé et des prunes puis vont chercher un interprète et vous harassent de questions pertinentes.
Pas follement épris de travail, ils se livrent volontiers à la contrebande sur les confins persans, et tirent des fusées vertes pour attirer les merveilleuses patrouilles du Chagaï Frontier Corps pendant que les sacs changent de main sous l’œil de dieu à l'autre bout du désert."
Frontière afghane, justement : "Nos visas étaient expirés depuis six semaines. Il l'avait déjà remarqué sans en être autrement ému. En Asie on ne tient pas l’horaire, et puis, pourquoi nous refuser en août ce passage qu'on nous accordait pour juin? En deux mois, l’homme change si peu."
Plus loin "Il faut un passeport de la police de Kaboul.(...) Ce permis est souvent refusé; mais lorsqu'on lui fournit une raison simple, évidente et qui lui parle -voir du pays, vagabonder - la police est bonne fille. (...) En ajoutant que je n'étais pas pressé, j'ai obtenu mon permis tout de suite."
On l'aura compris, j'ai adoré ce récit, admirablement écrit. Signalons que de belles notions de mécanique (et de la patience!) ont été bien utiles à nos deux voyageurs...
Un incontournable, qui sera prolongé ou accompagné par L'oeil du voyageur, paru chez Hoebeke.
où les photographies de Bouvier prises lors du voyage accompagnent des textes dont certains ont été retravaillés pour L'usage du monde, en tout cas c'est l'impression que j'ai eue à la lecture. Une partie en Inde, qui complète fort bien L'usage du monde.
Présentation d'Olivier Barrot.
Lire le monde (Suisse) chez Sandrine
Commentaires
Un an et demi. Mais certains partent encore comme cela, heureusement.
Bon weekend.
J'avoue que la taille de police est assez réduite, on s'y fait bien, mais peut-être existe-t-il des versions plus récentes et aérées?
Nicolas Bouvier et Ella Maillart deux De nos écrivains voyageurs genevois à déguster sans modération.
Bizarre, je préfère les livres de voyage sur les pays où j'ai déjà voyagé ou vais aller. Réflexion qui ne demande qu'à être contredite, bien sûr, avec Bouvier pourquoi pas.
Sans modération, exactement . Il faut juste trouver leurs livres! ^_^
Bouvier a écrit sur le Japon (pas connu) et ici il m'a emmenée dans des coins inconnus ou connus (l'Iran!). Que conclure?
Je sens que l'important est tout de même la façon dont l'auteur présente son récit, si c'est platouille, pas question!
Bouvier est incontournable, là. J'ai un voyage prévu, mais hésite à trop lire dessus avant.
D'ailleurs je me rends compte que ces voyages datent des années 30 pour deux d'entre eux, et 50 pour le troisième. Le développement des transports et des moyens de communication et les conflits religieux ont bien modifié la manière de voyager. Pourtant je dois dire que Bernard Ollivier ou Sylvain Tesson, par exemple, savent encore garder cette soif de découverte des autres et cet émerveillement dans leurs voyages et les récits qu'il en font...
Hélas (ou pas) les temps changent, les possibilités de voyager en sécurité relative bougent aussi.
Ollivier et Tesson sont très bien, même s'ils voyagent en France! ^_^
On m'a conseille Jean Rolin, j'ai déjà deux titres repérés. Un boulevard parisien, et le sud de l'Afrique. Le ton a l'air de me convenir.
Et Tesson a beaucoup voyagé en Russie, Orient et autre pays lointains ;-)
Ce n'est qu'avec l'âge (pour Ollivier) et les problèmes de santé (pour Tesson) qu'ils se sont récemment "rabattus" sur la France ;-)
Désolée si j'en rajoute sur ta Pile à lire :-D
Tesson j'en ai lu plein sur ses voyages, mais le dernier, Sur les chemins noirs, c'est en France.
Voilà, j'ai répondu trop vite avant, en fait j'avais en tête leurs derniers voyages. Sois rassurée, tu n'as pas (trop) agressé ma PAL... ^_^
Pour avoir lu le dernier dernier Tesson (un journal 2014 2017) j'ai constaté qu'il continuait ses balades à l'étranger et ses escalades (imprudent!^_^)
https://www.babelio.com/livres/Valery-Par-les-sentiers-de-la-soie-A-pied-jusquen-Chine/114227
très très bien, et donc je devais attendre pour retrouver Ollivier!
Je revois le périple, à l'époque il est passé par l'Afghanistan (et actuellement? hum) sinon les autres pays sont abordables (enfin, on se comprend ^_^)(pour l'Afghanistan, encore dans les années 2000, j'ai eu une ex collègue qui y a travaillé dans l'humanitaire.
Sinon, j'ai eu la chance de parcourir une partie de cette route, dans des conditions plus confortables, de Téhéran jusqu'à Pékin et je t'assure que c'est un super voyage! Les photos de mes billets ont disparu en quittant overblog (mais je les possède toujours)
OK, 2018, ce livre a des décennies, quelques mois de plus ne changeront rien.
je renchéris sur Kate : tu DOIS lire oasis interdites et Le temps des offrandes et j'ajoute à ta lise : Rouge d'oxiane de Robert Byron qui était introuvable mais a été réédité chez payot poche alors pas d'hésitations
Ma bibliothèque de récits de voyages est un peu pléthorique mais je ne me séparerais pour rien au monde de ces livres qui aujourd'hui encore sont capables de me mener au bout du monde pfft d'un trait de plume
Ella Maillart et ses oasis sont notées! (prochaine visite à la bibli) Je n'ai pas fini de soupirer sur ces coins là...
Robert Byron... OK!
J'ai aussi un coin Voyages, marcher, nature (et Proust aussi). Des coins qui font du bien.
Je suis ravie que tu partages mon enthousiasme (et on n'est pas seules)