Voyage d'un européen à travers le XXe siècle
Geert Mak
Gallimard, 2007
Traduit par Bertrand Abraham
D'accord, ce n'est pas un livre à glisser dans son sac, mais il mérite absolument d'être lu, en prenant le temps nécessaire. Un voyage géographique, conduisant l'auteur à travers (presque) toute l'Europe, sur l'année 1999, où il rencontre des témoins ou visite des lieux emblématiques. Un voyage historique, de 1900 à 1999, partant des grandes capitales européennes, poursuivant par les guerres mondiales, causes, déroulement, conséquences, les changements à l'est, terminant par l'éclatement de la Yougoslavie (et là j'ai tenté de comprendre ce qui m'avait échappé à l'époque) et une vision de l'aventure européenne future.
L'auteur est journaliste et écrivain, et cette somme incontournable se lit comme un roman ou presque. Le petit plus, c'est que Geert Mak est néerlandais et a un regard qui nous change du franco-français (en particulier sur De Gaulle).
Quelques passages (histoire de prouver qu'il ne s'agit pas d'un sec cours d'histoire-géo)
"C'est l'âge des constructions qui indique au voyageur d'aujourd'hui qu'il se trouve à proximité de la zone où se déployait en 1914-1918 le front de Flandre-Occidentale: il n'y a soudain, au bord de la route, pratiquement plus de maisons et de fermes antérieures à 1920."
"La lettre par laquelle le gouvernement britannique informait ses proches de la mort d'un soldat contenait cette phrase type : 'il est mort d'une balle en plein cœur.' En fait, il n'était accordé qu'à quelques-uns de mourir ainsi."
Stalingrad, deux fronts. " lorsque survenait un moment de répit, de la musique de tango retentissait sur l'étendue de neige crépusculaire - les russes avaient en effet découvert qu’elle déprimait complètement les Allemands. Un autre effet sonore très prisé consistait à faire suivre le tic-tac monotone d'une horloge de l'annonce précisant que toutes les sept secondes un Allemand mourait sur le front oriental."
"Huit millions. Entre 1941 et 1945 un quart de la population ukrainienne a été assassinée.: huit millions de garçons et de filles, d'hommes et de femmes. Que faire face à un tel nombre?"
A Odessa, pour se rendre en Europe. "Quand je dis que c'est presque aussi difficile qu'au temps du rideau de fer , je ne plaisante pas. La seule chose qui ait changé c'est que c'est l'Ouest et pas l'Est qui dresse maintenant les barrières."
"A Berlin - à en croire les procès-verbaux publiés par la suite-, le QG allemand ne pouvait se faire une idée de la situation qu'en faisant procéder à des appels téléphoniques de numéros pris arbitrairement dans l'annuaire. 'Mes excuses, madame, les Russes sont-ils déjà chez vous?' C'est à partir de ces données que tous les soirs, on déplaçait les derniers petits fanions sur la carte."
"Lorsque en 1987, l'on demanda à Guennadi Guerassimov, porte-parole du ministère soviétique des Affaires étrangères, ce qui faisait au juste la différence entre le Printemps de Prague et la perestroïka de Mikhail Gorbatchev, son patron, il se contenta de répondre : 'Dix-neuf ans.'"
1989. "A Moscou, un porte-parole du gouvernement déclara à des journalistes que la doctrine de la 'souveraineté limitée' de Brejnev, par laquelle l'Union soviétique justifiait son interventionnisme militaire, avait été remplacée par la 'doctrine Sinatra' ; 'My Way'."
L'avis de Luocine (cinq coquillages, m'étonne pas!)(et plein d'autres passages) et merci à Patrice qui m'a signalé ce livre en commentaire d'un autre billet.
Commentaires
une somme qui éclaire le siècles et l'Europe
http://asautsetagambades.hautetfort.com/archive/2012/07/26/voyage-d-un-europeen-a-travers-le-xx-eme-siecle-geert-mak.html
je note celui-ci
Bonne soirée.
Et n'oublie pas celui de Mak, prendre son temps quand même.
Sur les Etats Unis, ça doit être bien, mais en néerlandais, ça ne va pas pouvoir se faire.
En poche, oui, il faut deux tomes, faut pas se leurrer.
En revanche, j'ai encore du mal à considérer que les années 90 sont historiques (notamment la guerre de Yougoslavie) alors que dans ma tête, c'est encore du très contemporain. Cela me perturbe.
A ma décharge je dois te dire que dans les années 90 je ne vivais pas en Europe, j'avais journaux et radio, mais c'est humain de s'occuper de ce qui entoure ou soucie les voisins, et j'étais au taquet sur la conférence nationale au Bénin et la guerre civile au Liberia. La chute du mur, j'en ai entendu parler deux jours après...
Avec ce gros bouquin, ça c'est calé un peu mieux, l'auteur néerlandais parle aussi des casques bleus néerlandais à Srebrenica.