Gagner la guerre
Jean-Philippe Jaworski
les moutons électriques, 2009
Un héros ni beau, ni sympathique, violent, rusé, en plus dans un roman estampillé fantasy, mais qu'allais-je faire dans cette galère avec "Don Benvenuto Gesufal, assassin émérite de la Guilde des Chuchoteurs, maître espion de Son Excellence le Podestat de la République" ?
Don Benvenuto n'aime pas la mer, qui le lui rend bien. Fort heureusement, après la bataille navale qui inaugure ce copieux roman de 684 pages, il fréquentera plutôt le plancher des vaches, sans éviter coups tordus, traitrises et missions impossibles...
Reprenons. Ce billet s'engage très mal. Certains ont déjà repéré fantasy et 684 et plié bagage... Hélas pour eux. Croyez moi, cette lecture vaut vraiment le coup, j'en ressors éblouie, un truc aussi jubilatoire m'a traitreusement prise dans ses filets, dès la page 1...
Ciudalia, ville portuaire évoquant incontestablement Venise ou Florence médiévales ou d'époque renaissance, est en guerre contre Ressine, qui jouerait bien le rôle de l'Empire Ottoman. Mais dans Ciudalia la lutte est sévère pour prendre ou garder influence et pouvoir. Don Benvenuto paie cher sa fidélité à son patron le Podestat Leonide Ducatore, froid, ambitieux, machiavélique (le mot s'impose absolument).
Au fil des pages on ne s'ennuie pas. De fort belles descriptions (courtes, rassurez-vous, mais moi j'ai adoré) permettent la respiration du lecteur, entre dialogues ciselés et action pure. Car oui, ça castagne sévère dans les ruelles, sur les toits, dans les palais, les bois et les villes... Don Benvenuto, dont on connaîtra petit à petit le passé, ne deviendra peut être pas fréquentable mais il morflera vraiment beaucoup et on finira par s'y attacher, au point de le quitter à regrets... Il avoue lui-même être une "inqualifiable crapule", un "indécrottable teigneux".
Pour ce que j'en sais, le côté fantasy reste très très en retrait. Parmi cette ambiance florentine déjà évoquée se glissent bien sûr des détails inattendus, mais les mages n'en font pas trop, les elfes et nains restent sobres, quant au héros, il se fie plutôt à ses épées, poignards et autres coutelas pour se tirer d'affaire quand ça chauffe. Sans oublier ses petites cellules grises qu'il possède en excellent état.
Pour convaincre peut être les récalcitrants, le mieux est de citer quelques passages, non? Je choisirai ceux où le lecteur est interpellé:
" Si vous avez lu ce récit jusqu'à cette page, c'est que vous êtes d'une notable inconscience. Vous devez appartenir au fretin des fouineurs et des indiscrets, à ces étourneaux qui ne résistent pas à un fumet de ragots et de linge sale. Tant pis pour vous. Avec ce que vous avez appris, vous y êtes déjà, dans les draps où je me suis roulé, tout poissé de sang, de mensonge et de trahison. Et votre cas ne s'arrange pas. Non seulement vous avez pris connaissance des intrigues criminelles de la maison Ducatore, mais voilà que vous venez d'en apprendre un peu trop sur ..."
"Et là, voyez-vous, je m'interroge. Qu'est-ce que je raconte? Mon histoire, ou celle de ce joyeux luron? Idéalement, il faudrait que je vous rapporte les deux récits, en parallèle, en essayant de vous tenir en haleine avec un entrelacement narratif à la mode des romans de chevalerie. Il serait même de bon ton que je joue les modestes, que je rapporte brièvement mes grenouillages de seconde zone pour m'effacer derrière les prouesses d'un sorcier basané et de deux pillards d'Ouromagne. Ensuite, je renouerais les fils des deux branches, et vous vous diriez que palsambleu! don Benvenuto, c'est pas seulement une sale ordure, c'est aussi un saprès raconteur d'histoires! Vous lui pardonneriez presque, au bagouleur...
Ouais.
Mais à vrai dire, j'en ai pas grand chose à battre, de me faire pardonner. Je sais qui je suis, c'est pas joli joli, mais c'est comme ça. (...) A vrai dire, j'en ai plein les poulaines, de cette confession."(...)
"Et vous, oui, vous! mon très cher lecteur! Vous vous prélassez bien au chaud, sur votre coussiège favori ou dans la cathèdre de votre cabinet de lecture, en tournant d'une main indolente les pages de ce volume où je risque bien de perdre ma santé, ma vie, sans compter ma réputation.(...) pages 434/435, que j'abrège hélas.
Ah parce que je ne vous l'ai pas encore dit? C'est cette écriture superbe, caustique, familière et travaillée, qui m'a fait craquer, mettant à bas mes préventions...
Les avis de efelle, le cafard cosmique, culture sf, biblioblog, SBM,
Jean-Philippe Jaworski
les moutons électriques, 2009
Mâtin, quel roman...
Un héros ni beau, ni sympathique, violent, rusé, en plus dans un roman estampillé fantasy, mais qu'allais-je faire dans cette galère avec "Don Benvenuto Gesufal, assassin émérite de la Guilde des Chuchoteurs, maître espion de Son Excellence le Podestat de la République" ?
Don Benvenuto n'aime pas la mer, qui le lui rend bien. Fort heureusement, après la bataille navale qui inaugure ce copieux roman de 684 pages, il fréquentera plutôt le plancher des vaches, sans éviter coups tordus, traitrises et missions impossibles...
Reprenons. Ce billet s'engage très mal. Certains ont déjà repéré fantasy et 684 et plié bagage... Hélas pour eux. Croyez moi, cette lecture vaut vraiment le coup, j'en ressors éblouie, un truc aussi jubilatoire m'a traitreusement prise dans ses filets, dès la page 1...
Ciudalia, ville portuaire évoquant incontestablement Venise ou Florence médiévales ou d'époque renaissance, est en guerre contre Ressine, qui jouerait bien le rôle de l'Empire Ottoman. Mais dans Ciudalia la lutte est sévère pour prendre ou garder influence et pouvoir. Don Benvenuto paie cher sa fidélité à son patron le Podestat Leonide Ducatore, froid, ambitieux, machiavélique (le mot s'impose absolument).
Au fil des pages on ne s'ennuie pas. De fort belles descriptions (courtes, rassurez-vous, mais moi j'ai adoré) permettent la respiration du lecteur, entre dialogues ciselés et action pure. Car oui, ça castagne sévère dans les ruelles, sur les toits, dans les palais, les bois et les villes... Don Benvenuto, dont on connaîtra petit à petit le passé, ne deviendra peut être pas fréquentable mais il morflera vraiment beaucoup et on finira par s'y attacher, au point de le quitter à regrets... Il avoue lui-même être une "inqualifiable crapule", un "indécrottable teigneux".
Pour ce que j'en sais, le côté fantasy reste très très en retrait. Parmi cette ambiance florentine déjà évoquée se glissent bien sûr des détails inattendus, mais les mages n'en font pas trop, les elfes et nains restent sobres, quant au héros, il se fie plutôt à ses épées, poignards et autres coutelas pour se tirer d'affaire quand ça chauffe. Sans oublier ses petites cellules grises qu'il possède en excellent état.
Pour convaincre peut être les récalcitrants, le mieux est de citer quelques passages, non? Je choisirai ceux où le lecteur est interpellé:
" Si vous avez lu ce récit jusqu'à cette page, c'est que vous êtes d'une notable inconscience. Vous devez appartenir au fretin des fouineurs et des indiscrets, à ces étourneaux qui ne résistent pas à un fumet de ragots et de linge sale. Tant pis pour vous. Avec ce que vous avez appris, vous y êtes déjà, dans les draps où je me suis roulé, tout poissé de sang, de mensonge et de trahison. Et votre cas ne s'arrange pas. Non seulement vous avez pris connaissance des intrigues criminelles de la maison Ducatore, mais voilà que vous venez d'en apprendre un peu trop sur ..."
"Et là, voyez-vous, je m'interroge. Qu'est-ce que je raconte? Mon histoire, ou celle de ce joyeux luron? Idéalement, il faudrait que je vous rapporte les deux récits, en parallèle, en essayant de vous tenir en haleine avec un entrelacement narratif à la mode des romans de chevalerie. Il serait même de bon ton que je joue les modestes, que je rapporte brièvement mes grenouillages de seconde zone pour m'effacer derrière les prouesses d'un sorcier basané et de deux pillards d'Ouromagne. Ensuite, je renouerais les fils des deux branches, et vous vous diriez que palsambleu! don Benvenuto, c'est pas seulement une sale ordure, c'est aussi un saprès raconteur d'histoires! Vous lui pardonneriez presque, au bagouleur...
Ouais.
Mais à vrai dire, j'en ai pas grand chose à battre, de me faire pardonner. Je sais qui je suis, c'est pas joli joli, mais c'est comme ça. (...) A vrai dire, j'en ai plein les poulaines, de cette confession."(...)
"Et vous, oui, vous! mon très cher lecteur! Vous vous prélassez bien au chaud, sur votre coussiège favori ou dans la cathèdre de votre cabinet de lecture, en tournant d'une main indolente les pages de ce volume où je risque bien de perdre ma santé, ma vie, sans compter ma réputation.(...) pages 434/435, que j'abrège hélas.
Ah parce que je ne vous l'ai pas encore dit? C'est cette écriture superbe, caustique, familière et travaillée, qui m'a fait craquer, mettant à bas mes préventions...
Les avis de efelle, le cafard cosmique, culture sf, biblioblog, SBM,
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kali
Il y a 2 ans
Aifelle
Il y a 2 ans
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Marc
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keisha
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