Lecture passionnante et déconcertante, celle de Les Pérégrins d'Olga Tokarczuk (éditions noir sur blanc, 2010),
prêté gentiment par Hélène. A ma connaissance, nous sommes les deux seuls blogs à en
parler, et c'est dommage. Non que j'aie tout compris. Hélène non plus, semble-t-il.
En résumé, ça résiste, il y a quelque chose dedans, mais...!
Véritable Objet Littéraire Non Identifié, ce roman offre des textes très courts et de quasi longues nouvelles, narrées à la première personne ou de l'extérieur, (mais lors de la croisière intervient la narratrice principale, et ces ichtyologistes rencontrés précédemment?). Des voyages, bien sûr, il en est question, mais aussi que viennent faire ces textes sur la conservation des corps humains et leur exposition en musée? Une femme disparaît au cours de vacances, un conducteur de ferry prend le large, une autre femme quitte son domicile et erre dans le métro moscovite, un homme va des antipodes en Pologne pour tenir une promesse...
Des expressions, des personnages reviennent, une sorte de fil rouge est décelable. Grâce aussi à une écriture fluide et des réflexions étonnantes et brillantes, le lecteur dévore les pages... mais où va-t'on? A moins que justement la forme et le fond du roman soient frères siamois...
"Récits pour le voyage
Ai-je raison de raconter? Ne serait-il pas mieux d'attacher mon esprit avec une agrafe, de tirer vigoureusement les rênes et de préférer à toutes ces histoires la simplicité d'un cours magistral où, phrase après phrase, se clarifie une idée qui, dans les paragraphes suivants, sera reliée aux autres. Je pourrais multiplier les citations et les notes, je pourrais présenter pas à pas les étapes de ma démonstration, selon l'ordre des points ou des chapitres; je vérifierais le bien-fondé de l'hypothèse formulée antérieurement et, finalement je pourrais accrocher mes preuves comme on exhibe, à la vue de tous, les draps tachés après la nuit de noces. Je serais alors la maîtresse de mon texte et n'aurais plus qu'à encaisser mes honoraires honnêtement gagnés.
Au lieu de cela j'assume le rôle de sage-femme, ou celui d'une jardinière dont le seul mérite est de jeter des graines en terre et, plus tard, de faire une guerre fastidieuse aux mauvaises herbes.
Le récit a sa propre inertie qu'on ne peut jamais maîtriser jusqu'au bout. Il requiert des personnes comme moi : indécises, qui manquent de confiance en elles et se laissent mener en bateau. Bref, des naïfs."
"Irkoutsk-Moscou
La ligne Irkoutsk-Moscou. L'avion décolle d'Irkoutsk à huit heures du matin et arrive à Moscou à la même heure-huit heures du matin, le même jour. C'est le moment où le soleil se lève; ainsi, tout le vol s'effectue à l'aube. On demeure dans le même instant, qui s'étire, comme un immense et paisible Maintenant, aussi vaste que la Sibérie.
Ce devrait être un moment propice à la confession de toute une vie. Le temps s'écoule à l'intérieur de la carlingue, mais ne ruisselle pas à l'extérieur."
Les serviettes hygiéniques
"Sur l'emballage des serviettes hygiéniques que j'ai achetées dans une pharmacie étaient imprimées ces informations courtes et cocasses:
(...)
Après tout, le papier a été inventé pour véhiculer des idées! Le papier d'emballage est un pur gaspillage, cela devrait être interdit. Et quitte à emballer des articles, autant imprimer dessus des récits ou des poèmes, en veillant toujours à ce qu'il y ait quelque rapport entre le contenant et le contenu.
[page 102, des tas d'exemples étonnants]"
"La marque du pérégrin
Un jour, un ami m'a dit qu'il n'aimait pas voyager seul. Dès qu'il voyait quelque chose d'extraordinaire, d'inédit, de beau, il brûlait d'envie de partager son enchantement avec quelqu'un, à tel point qu'il se sentait malheureux s'il n'avait personne à ses côtés
A mon avis, en voilà un qui n'est pas fait pour être pérégrin."
[Un autre passage]
"Durant ces dernières années, elle avait fini par comprendre qu'il suffisait tout simplement d'être une femme d'âge mûr, sans signes particuliers, pour devenir invisible. Et pas seulement pour les hommes. Pour les femmes aussi, car elles ne la soupçonnaient plus de vouloir participer à une quelconque compétition. Une impression inédite, surprenante - elle sentait le regard des autres glisser sur son visage, sur ses joues, sur son nez, sans même les frôler. Ces regards traversaient son corps, et sans doute les gens voyaient-ils à travers lui les affiches publicitaires, le paysage, les horaires des bus. Oh oui, elle avait tout l'air d'être devenue transparente. Et elle songea que cela lui ouvrait d'énormes possibilités dont elle apprenait seulement à tirer parti. Par exemple, dans une situation dramatique, personne ne se souviendrait d'elle; les témoins déclareraient seulement : 'une femme...' ou 'il y avait encore quelqu'un d'autre qui était là...'. Les hommes, sur ce point, sont plus rigoureux que les femmes, ils ne se donnent pas la peine de faire semblant, leur regard ne se pose jamais sur elle plus longtemps qu'une seconde; les femmes, elles, fixeront quelquefois leur attention sur un détail, par exemple sur une jolie paire de boucles d'oreille. Seul un enfant, pour des raisons connues de lui seul, plantera parfois ses yeux dans les siens, pour étudier son visage en détail, impassiblement, puis détournera sa tête tendue vers l'avenir."
Un article du Magazine Littéraire
Challenge Voisins Voisines (Kathel, tu arrives à suivre?)
En résumé, ça résiste, il y a quelque chose dedans, mais...!
Véritable Objet Littéraire Non Identifié, ce roman offre des textes très courts et de quasi longues nouvelles, narrées à la première personne ou de l'extérieur, (mais lors de la croisière intervient la narratrice principale, et ces ichtyologistes rencontrés précédemment?). Des voyages, bien sûr, il en est question, mais aussi que viennent faire ces textes sur la conservation des corps humains et leur exposition en musée? Une femme disparaît au cours de vacances, un conducteur de ferry prend le large, une autre femme quitte son domicile et erre dans le métro moscovite, un homme va des antipodes en Pologne pour tenir une promesse...
Des expressions, des personnages reviennent, une sorte de fil rouge est décelable. Grâce aussi à une écriture fluide et des réflexions étonnantes et brillantes, le lecteur dévore les pages... mais où va-t'on? A moins que justement la forme et le fond du roman soient frères siamois...
"Récits pour le voyage
Ai-je raison de raconter? Ne serait-il pas mieux d'attacher mon esprit avec une agrafe, de tirer vigoureusement les rênes et de préférer à toutes ces histoires la simplicité d'un cours magistral où, phrase après phrase, se clarifie une idée qui, dans les paragraphes suivants, sera reliée aux autres. Je pourrais multiplier les citations et les notes, je pourrais présenter pas à pas les étapes de ma démonstration, selon l'ordre des points ou des chapitres; je vérifierais le bien-fondé de l'hypothèse formulée antérieurement et, finalement je pourrais accrocher mes preuves comme on exhibe, à la vue de tous, les draps tachés après la nuit de noces. Je serais alors la maîtresse de mon texte et n'aurais plus qu'à encaisser mes honoraires honnêtement gagnés.
Au lieu de cela j'assume le rôle de sage-femme, ou celui d'une jardinière dont le seul mérite est de jeter des graines en terre et, plus tard, de faire une guerre fastidieuse aux mauvaises herbes.
Le récit a sa propre inertie qu'on ne peut jamais maîtriser jusqu'au bout. Il requiert des personnes comme moi : indécises, qui manquent de confiance en elles et se laissent mener en bateau. Bref, des naïfs."
"Irkoutsk-Moscou
La ligne Irkoutsk-Moscou. L'avion décolle d'Irkoutsk à huit heures du matin et arrive à Moscou à la même heure-huit heures du matin, le même jour. C'est le moment où le soleil se lève; ainsi, tout le vol s'effectue à l'aube. On demeure dans le même instant, qui s'étire, comme un immense et paisible Maintenant, aussi vaste que la Sibérie.
Ce devrait être un moment propice à la confession de toute une vie. Le temps s'écoule à l'intérieur de la carlingue, mais ne ruisselle pas à l'extérieur."
Les serviettes hygiéniques
"Sur l'emballage des serviettes hygiéniques que j'ai achetées dans une pharmacie étaient imprimées ces informations courtes et cocasses:
(...)
Après tout, le papier a été inventé pour véhiculer des idées! Le papier d'emballage est un pur gaspillage, cela devrait être interdit. Et quitte à emballer des articles, autant imprimer dessus des récits ou des poèmes, en veillant toujours à ce qu'il y ait quelque rapport entre le contenant et le contenu.
[page 102, des tas d'exemples étonnants]"
"La marque du pérégrin
Un jour, un ami m'a dit qu'il n'aimait pas voyager seul. Dès qu'il voyait quelque chose d'extraordinaire, d'inédit, de beau, il brûlait d'envie de partager son enchantement avec quelqu'un, à tel point qu'il se sentait malheureux s'il n'avait personne à ses côtés
A mon avis, en voilà un qui n'est pas fait pour être pérégrin."
[Un autre passage]
"Durant ces dernières années, elle avait fini par comprendre qu'il suffisait tout simplement d'être une femme d'âge mûr, sans signes particuliers, pour devenir invisible. Et pas seulement pour les hommes. Pour les femmes aussi, car elles ne la soupçonnaient plus de vouloir participer à une quelconque compétition. Une impression inédite, surprenante - elle sentait le regard des autres glisser sur son visage, sur ses joues, sur son nez, sans même les frôler. Ces regards traversaient son corps, et sans doute les gens voyaient-ils à travers lui les affiches publicitaires, le paysage, les horaires des bus. Oh oui, elle avait tout l'air d'être devenue transparente. Et elle songea que cela lui ouvrait d'énormes possibilités dont elle apprenait seulement à tirer parti. Par exemple, dans une situation dramatique, personne ne se souviendrait d'elle; les témoins déclareraient seulement : 'une femme...' ou 'il y avait encore quelqu'un d'autre qui était là...'. Les hommes, sur ce point, sont plus rigoureux que les femmes, ils ne se donnent pas la peine de faire semblant, leur regard ne se pose jamais sur elle plus longtemps qu'une seconde; les femmes, elles, fixeront quelquefois leur attention sur un détail, par exemple sur une jolie paire de boucles d'oreille. Seul un enfant, pour des raisons connues de lui seul, plantera parfois ses yeux dans les siens, pour étudier son visage en détail, impassiblement, puis détournera sa tête tendue vers l'avenir."
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Challenge Voisins Voisines (Kathel, tu arrives à suivre?)
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Manu
Il y a 2 ans
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Valérie
Il y a 2 ans
clara
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keisha
Il y a 2 ans
Dominique
Il y a 2 ans
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Yv
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Marie
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Alex-Mot-à-Mots
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keisha
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Edelwe
Il y a 2 ans
keisha
Il y a 2 ans
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