Les villes invisibles
Italo Calvino
Points, 1984
Traduit par Jean Thibaudeau
Au commencement :
"Il n'est pas dit que Kublai Khan croit à tout ce que Marco Polo lui raconte, quand il lui décrit les villes qu'il a visitées dans le cours de ses ambassades" Installés dans un palais qu'on imagine somptueux les deux hommes discutent, philosophent.
"Marco entre dans une ville; il voit quelqu'un sur une place vivre un vie ou un instant qui auraient pu être siens; il aurait pu être à la place de cet homme, maintenant, s'il s'était, autrefois, jadis, arrêté, ou encore si, jadis, à un croisement de chemins, au lieu de prendre d'un côté il avait pris du côté opposé et qu'après un long périple il en fût arrivé à se trouver à la place de cet homme sur cette place. Désormais lui-même est exclu de ce passé, qu'il soit véritable ou hypothétique; il ne put s'arrêter; il doit continuer, jusqu'à une autre ville où l'attend une autre de ses vies passées, ou quelque chose qui peut-être a été l'une de ses vies futures possibles et qui est maintenant le temps présent de quelqu'un d'autre."
Les dizaines de villes évoquées par Marco Polo sont sans doute pure invention, mais toutes agissent sur l'imaginaire du lecteur, créant des paysages dans sa tête. Au départ une ambiance assez Mille et une nuits, caravanes, pièces précieuses, mais l'imagination de Calvino mène bien ailleurs. Ecriture impeccable, traduction sans doute aussi. A lire peut-être par petits bouts, pour ne pas lasser et apprécier à fond. J'avoue m'être laissée embarquer et perdre dans ce voyage doux-amer.
(Foedora, texte entier)
"Au centre de Foedora, métropole de pierre grise, il y a un palais de métal avec une boule de verre dans chaque salle. Si l'on regarde dans ces boules on y voit chaque fois une ville bleue qui est la maquette d'une autre Foedora. Ce sont les formes que la ville aurait pu prendre si, pour une raison ou une autre, elle n'était devenue telle qu'aujourd'hui nous la voyons. A chaque époque il y eut quelqu'un pour, regardant Feodora comme elle était alors, imaginer comment en faire la ville idéale; mais alors même qu'il en construisait en miniature la maquette, déjà Foedora n'était plus ce qu'elle était au début, et ce qui avait été, jusqu'à la veille, l'un de ses avenirs possibles, n'était plus désormais qu'un jouet dans une boule de verre.
Foedora, à présent, avec ce palais des boules de verre, possède son musée: tous les habitants le visitent, chacun y choisit la ville qui répond à ses désirs, il la contemple et imagine qu'il se mire dans l'étang des méduses qui aurait dû recueillir les eaux du canal (s'il n'avait été asséché), qu'il parcourt perché dans un baldaquin l'allée réservée aux éléphants (à présent interdits dans la ville), qu'il glisse le long du minaret en colimaçon (qui ne trouva plus le terrain d'où il devait surgir).
Sur la carte de ton empire, ô grand Khan, doivent trouver place aussi bien la grande Foedora de pierre et les petites Foedora dans leurs boules de verre. Non parce qu'elles sont toutes également réelles, mais parce que toutes ne sont que présumées. L'une rassemble ce qui est accepté comme nécessaire, alors qu'il ne l'est pas encore; les autres ce qui est imaginé comme possible et l'instant d'après ne l'est plus."
"Eutropie, ce n'est pas une, mais l'ensemble des ces villes; une seule est habitée, les autres sont vides; et cela, à tour de rôle. Maintenant, je vais vous dire comment". (à suivre)
Avis babelio,
Commentaires
nathalie
Je me demande s'il n'y a pas une LC Calvino en décembre?
Je vais voir si je peux caser un Calvino en décembre.
Ce Calvino est dans la veine de Si part une nuit d'hiver. Il peut donc dérouter. Je résiste mal à certains titres, là je me dois maintenant de dégager ma PAL 'nature'.
Ton adresse de blog est restée marquée, voilà, pas de souci pour les petits coucous.
Mais c'est en tous cas une proposition originale, merci !