Pèlerinage à Tinker Creek
Annie Dillard
Prix Pulitzer 1975
Christian Bourgois, 1990
Que dire de ce livre surprenant qui offre des passages qu'on verrait volontiers dans un ouvrage d'entomologie, des souvenirs d'enfance, des envolées quasi mystiques ou philosophiques - mais sobres-, cite Thoreau, Fabre, la Bible, Pline, et serait mal résumé par "le journal d'une année dans la vallée de Tinker Creek"?
Les phrases sont plutôt courtes, ciselées, le vocabulaire riche et précis et l'apparent manque de fil conducteur et les idées qui tourbillonnent dévoilent peu à peu une construction minutieuse en spirale, chapitre après chapitre, jusqu'à offrir un livre totalement maîtrisé et absolument inclassable, qui ne ressemble à rien d'autre.
Annie Dillard explore la nature dans son coin restreint, s'envole parfois vers les océans ou le grand nord, apprend à "voir" et déchiffrer ce qui est sous ses yeux, nous emporte dans ses réflexions sur la beauté et la cruauté de l'étonnante nature... Passionnant, inattendu, prodigieux, éblouissant. Une première lecture de ce "journal météorologique de l'esprit" ne suffit pas et je comprends parfaitement que Dominique se délecte à en relire certains passages...
Justement, oui, des passages, choisis dans le crève coeur d'en laisser tant d'autres et l'impression de rabaisser le souffle et la luminosité du texte en le tronquant ainsi.
"Il semble qu'il existe une chose qui s'appelle la beauté, une grâce infiniment gratuite. Il y a de cela cinq ou six ans, j'ai vu un oiseau moquer exécuter, depuis la gouttière d'un immeuble de quatre étages, une descente parfaitement verticale. C'était un acte aussi insouciant, aussi spontané que la courbe d'une tige ou une étoile qui s'allume dans le ciel.
L'oiseau fit un grand pas dans le vide et se laissa tomber. Il avait encore les ailes repliées contre ses flancs comme s'il chantait sur la branche d'une arbre, et pas du tout comme s'il était en train de tomber dans le vide, accélérant sa chute à raison de dix mètres par seconde. Un souffle, un rien avant de s'écraser à terre, il éploya ses ailes avec une précision exacte et réfléchie, révélant ses larges bandes blanches, déplia l'élégant éventail de sa queue barrée de blanc, et ainsi, tout léger, se posa sur l'herbe. Je venais de tourner le coin d'une rue, au moment où son pas insouciant avait accroché mon regard; il n'y avait personne d'autre en vue. Le fait même de sa chute libre faisait songer à la vieille énigme philosophique de l'arbre qui tombe dans la forêt. la seule réponse, probablement, c'est que la beauté et la grâce se manifestent, que l'on soit là ou non pour les vouloir ou en sentir instinctivement la présence. Le moins que l'on puisse faire, c'est de s'en souvenir."
"Mais il existe une autre manière de voir qui implique qu'il faille s'abandonner. Quand je vois de cette manière là, je vacille, transpercé, vidée de toute substance. La différence entre ces deux façons de voir, c'est comme celle qui existe entre se promener avec ou sans appareil photographique. Lorsque j'emporte mon appareil, je vais de cliché en cliché, et je lis la lumière sur un posemètre gradué. Quand je n'ai pas pris mon appareil, c'est mon propre obturateur qui s'ouvre, et la lumière du moment s'inscrit sur l'argent de mes propres entrailles. Quand je vois ainsi , je suis avant tout une observatrice sans scrupules."
"La vieille règle classique pour bien traquer, c'est 'arrête-toi souvent et ne bouge pas d'un poil' ".(J'ai adoré le chapitre sur l'observation des rats musqués)(eh oui). Quant à l'atroce histoire du sphynx Polyphème ...
Jusqu'au passage qui m'a laissée littéralement baba d'admiration, le parallèle avec le Principe d'indétermination d'Heisenberg:
"Pour je ne sais quelle raison, il n'est pas encore venu aux oreilles de l'homme de la rue, que certains physiciens d'aujourd'hui ne sont qu'une bande de mystiques à l'air hagard, qui nagent en plein délire. Car ils ont perfectionné leurs instruments et leurs méthodes, juste assez pour écarter prestement le dernier voile, et tout ce qu'ils ont vu, c'est le sourire du Chat du Cheshire. (.....) L'électron est un rat musqué; on n'arrive pas à le traquer convenablement. (...) Les physiciens disent qu'ils ne peuvent pas étudier la nature per se, mais seulement leurs propres investigations sur la nature. Et moi, je ne peux voir des ouïes-bleues que dans le champ de ma propre ombre bleue, dont elles s'enfuient aussitôt."
Un grand merci à Dominique de m'avoir permis de découvrir cette petite merveille !
Annie Dillard
Prix Pulitzer 1975
Christian Bourgois, 1990
Que dire de ce livre surprenant qui offre des passages qu'on verrait volontiers dans un ouvrage d'entomologie, des souvenirs d'enfance, des envolées quasi mystiques ou philosophiques - mais sobres-, cite Thoreau, Fabre, la Bible, Pline, et serait mal résumé par "le journal d'une année dans la vallée de Tinker Creek"?
Les phrases sont plutôt courtes, ciselées, le vocabulaire riche et précis et l'apparent manque de fil conducteur et les idées qui tourbillonnent dévoilent peu à peu une construction minutieuse en spirale, chapitre après chapitre, jusqu'à offrir un livre totalement maîtrisé et absolument inclassable, qui ne ressemble à rien d'autre.
Annie Dillard explore la nature dans son coin restreint, s'envole parfois vers les océans ou le grand nord, apprend à "voir" et déchiffrer ce qui est sous ses yeux, nous emporte dans ses réflexions sur la beauté et la cruauté de l'étonnante nature... Passionnant, inattendu, prodigieux, éblouissant. Une première lecture de ce "journal météorologique de l'esprit" ne suffit pas et je comprends parfaitement que Dominique se délecte à en relire certains passages...
Justement, oui, des passages, choisis dans le crève coeur d'en laisser tant d'autres et l'impression de rabaisser le souffle et la luminosité du texte en le tronquant ainsi.
"Il semble qu'il existe une chose qui s'appelle la beauté, une grâce infiniment gratuite. Il y a de cela cinq ou six ans, j'ai vu un oiseau moquer exécuter, depuis la gouttière d'un immeuble de quatre étages, une descente parfaitement verticale. C'était un acte aussi insouciant, aussi spontané que la courbe d'une tige ou une étoile qui s'allume dans le ciel.
L'oiseau fit un grand pas dans le vide et se laissa tomber. Il avait encore les ailes repliées contre ses flancs comme s'il chantait sur la branche d'une arbre, et pas du tout comme s'il était en train de tomber dans le vide, accélérant sa chute à raison de dix mètres par seconde. Un souffle, un rien avant de s'écraser à terre, il éploya ses ailes avec une précision exacte et réfléchie, révélant ses larges bandes blanches, déplia l'élégant éventail de sa queue barrée de blanc, et ainsi, tout léger, se posa sur l'herbe. Je venais de tourner le coin d'une rue, au moment où son pas insouciant avait accroché mon regard; il n'y avait personne d'autre en vue. Le fait même de sa chute libre faisait songer à la vieille énigme philosophique de l'arbre qui tombe dans la forêt. la seule réponse, probablement, c'est que la beauté et la grâce se manifestent, que l'on soit là ou non pour les vouloir ou en sentir instinctivement la présence. Le moins que l'on puisse faire, c'est de s'en souvenir."
"Mais il existe une autre manière de voir qui implique qu'il faille s'abandonner. Quand je vois de cette manière là, je vacille, transpercé, vidée de toute substance. La différence entre ces deux façons de voir, c'est comme celle qui existe entre se promener avec ou sans appareil photographique. Lorsque j'emporte mon appareil, je vais de cliché en cliché, et je lis la lumière sur un posemètre gradué. Quand je n'ai pas pris mon appareil, c'est mon propre obturateur qui s'ouvre, et la lumière du moment s'inscrit sur l'argent de mes propres entrailles. Quand je vois ainsi , je suis avant tout une observatrice sans scrupules."
"La vieille règle classique pour bien traquer, c'est 'arrête-toi souvent et ne bouge pas d'un poil' ".(J'ai adoré le chapitre sur l'observation des rats musqués)(eh oui). Quant à l'atroce histoire du sphynx Polyphème ...
Jusqu'au passage qui m'a laissée littéralement baba d'admiration, le parallèle avec le Principe d'indétermination d'Heisenberg:
"Pour je ne sais quelle raison, il n'est pas encore venu aux oreilles de l'homme de la rue, que certains physiciens d'aujourd'hui ne sont qu'une bande de mystiques à l'air hagard, qui nagent en plein délire. Car ils ont perfectionné leurs instruments et leurs méthodes, juste assez pour écarter prestement le dernier voile, et tout ce qu'ils ont vu, c'est le sourire du Chat du Cheshire. (.....) L'électron est un rat musqué; on n'arrive pas à le traquer convenablement. (...) Les physiciens disent qu'ils ne peuvent pas étudier la nature per se, mais seulement leurs propres investigations sur la nature. Et moi, je ne peux voir des ouïes-bleues que dans le champ de ma propre ombre bleue, dont elles s'enfuient aussitôt."
Un grand merci à Dominique de m'avoir permis de découvrir cette petite merveille !
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Lystig
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Géraldine
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