Vie de Henry Brulard
Stendhal
Gallimard, folio classique, 2000
(Comme d'habitude pour lesdits classiques, il s'agit d'une lecture plaisir et découverte, pas d'une étude obligatoire et exhaustive...)
"La même idée d'écrire my life [sic] m'est venue dernièrement pendant mon voyage de Ravenne : à vrai dire, je l'ai eue bien des fois depuis 1832, mais toujours j'ai été découragé par cette effroyable difficulté des Je et des Moi..."
La cinquantaine venue, Stendhal qui réside en Italie commence à noircir ses carnets de ses souvenirs. Famille, souvenirs d'enfance, vie en province à Grenoble, études, montée à Paris (déception : il n'a a pas de montagnes et les arbres sont taillés) puis en 1800 les guerres napoléoniennes en Italie. Il n'a pas de documents pour vérifier ses souvenirs (il note souvent de voir à tel endroit, préparant un travail ultérieur qui ne viendra d'ailleurs pas), se moque de ses erreurs de dates, en fait, ne cache pas ses hésitations. Il ne cherche pas à se faire mousser, il écrit pour lui, sera-t-il lu encore en 1880? Ce document, écrit en 1835-1836, interrompu en 1800, même si Stendhal évoque ce que vont devenir les rencontres de sa jeunesse, n'a été publié qu'en 1890.
Alors, un écrit mineur sans intérêt? Oh que non! Stendhal n'a pas repris son texte, mais tel quel son talent éclate, il excelle à croquer ses contemporains en deux trois lignes, souvent avec ironie ("un joli homme, coquin à tout faire" ; " ce grand hâbleur, si nul comme peintre" ; etc...). L'impression de naturel, d'honnêteté, de sincérité éclate. Le flou ou les ellipses dans ses souvenirs y contribuent aussi. Le texte est parsemé de croquis légendés de Stendhal.
Ce qui frappe d'emblée, c'est l'amour de Stendhal pour sa mère, décédée très tôt, et la haine à l'égard de son père, qui l'empêche de fréquenter des enfants de son âge (il y aurait de l'Oedipe dans l'air...). Il déteste la monarchie et la religion (il suffisait pour cela que son père les soutienne...), respecte son grand père et sa tante, du côté maternel, bien sûr.
"Je ne puis voir la physionomie des choses, je n'ai que ma mémoire d'enfant. Je vois des images, je me souviens des effets sur mon coeur, mais pour les causes et la physionomie néant." "Beaucoup de choses me reviennent en écrivant." Il est bien conscient aussi qu'un souvenir peut avoir été créé par un récit ou qu'une gravure détruit un souvenir réel.
Il a croisé la femme qui inspira à Laclos Madame de Merteuil. Une jolie anecdote aussi sur le baron des Adrets, en retard au diner car il lisait La nouvelle Héloïse.
"Enfin cet homme si froid arriva tout en larmes.
'Qu'avez vous donc, mon ami?' lui dit Mme des Adrets tout alarmée.
'Ah! Madame, Julie est morte! ' et il ne mangea presque pas."
" Si j'eusse parlé vers 1795 de mon projet d'écrire, quelque homme sensé m'eût dit : ' Ecrivez tous les jours pendant deux heures, génie ou non.' Ce mot m'eût fait employer dix ans de ma vie dépensés niaisement à attendre le génie."
J'avoue maintenant avoir voulu découvrir cette Vie de Henry Brulard surtout pour voir in situ les célèbres passages sur les mathématiques (matière qu'adorait Stendhal, en dépit des méthodes éducatives de l'époque)
"Suivant moi, l'hypocrisie était impossible en mathématiques et, dans ma simplicité juvénile, je pensais qu'il en était ainsi dans toutes les sciences où j'avais ouï dire qu'elles s'appliquaient. Que devins-je quand je m'aperçus que personne ne pouvait m'expliquer comment il se faisait que : moins par moins donne plus (- x - = +)? "
Son problème était de comprendre pourquoi en multipliant des dettes on se retrouve à la tête d'une fortune?
(cependant je dispense mon lecteur fatigué du joli passage sur la résolution des équations...)
Mais je veux partager cette perle, au sujet de romans d'un médiocre intérêt :
"Mais ce n'étaient pas des plaisirs littéraires. Ce sont de ces livres qu'on ne lit que d'une main, comme disait Mme...".
Au total : une lecture fort agréable et instructive, où j'ai aimé picorer suivant mon humeur, une promenade en compagnie d'un honnête homme qui ne craint pas de montrer ses faiblesses.
Voir les documents à la bibliothèque de Grenoble (numérisés)
Stendhal
Gallimard, folio classique, 2000
(Comme d'habitude pour lesdits classiques, il s'agit d'une lecture plaisir et découverte, pas d'une étude obligatoire et exhaustive...)
"La même idée d'écrire my life [sic] m'est venue dernièrement pendant mon voyage de Ravenne : à vrai dire, je l'ai eue bien des fois depuis 1832, mais toujours j'ai été découragé par cette effroyable difficulté des Je et des Moi..."
La cinquantaine venue, Stendhal qui réside en Italie commence à noircir ses carnets de ses souvenirs. Famille, souvenirs d'enfance, vie en province à Grenoble, études, montée à Paris (déception : il n'a a pas de montagnes et les arbres sont taillés) puis en 1800 les guerres napoléoniennes en Italie. Il n'a pas de documents pour vérifier ses souvenirs (il note souvent de voir à tel endroit, préparant un travail ultérieur qui ne viendra d'ailleurs pas), se moque de ses erreurs de dates, en fait, ne cache pas ses hésitations. Il ne cherche pas à se faire mousser, il écrit pour lui, sera-t-il lu encore en 1880? Ce document, écrit en 1835-1836, interrompu en 1800, même si Stendhal évoque ce que vont devenir les rencontres de sa jeunesse, n'a été publié qu'en 1890.
Alors, un écrit mineur sans intérêt? Oh que non! Stendhal n'a pas repris son texte, mais tel quel son talent éclate, il excelle à croquer ses contemporains en deux trois lignes, souvent avec ironie ("un joli homme, coquin à tout faire" ; " ce grand hâbleur, si nul comme peintre" ; etc...). L'impression de naturel, d'honnêteté, de sincérité éclate. Le flou ou les ellipses dans ses souvenirs y contribuent aussi. Le texte est parsemé de croquis légendés de Stendhal.
Ce qui frappe d'emblée, c'est l'amour de Stendhal pour sa mère, décédée très tôt, et la haine à l'égard de son père, qui l'empêche de fréquenter des enfants de son âge (il y aurait de l'Oedipe dans l'air...). Il déteste la monarchie et la religion (il suffisait pour cela que son père les soutienne...), respecte son grand père et sa tante, du côté maternel, bien sûr.
"Je ne puis voir la physionomie des choses, je n'ai que ma mémoire d'enfant. Je vois des images, je me souviens des effets sur mon coeur, mais pour les causes et la physionomie néant." "Beaucoup de choses me reviennent en écrivant." Il est bien conscient aussi qu'un souvenir peut avoir été créé par un récit ou qu'une gravure détruit un souvenir réel.
Il a croisé la femme qui inspira à Laclos Madame de Merteuil. Une jolie anecdote aussi sur le baron des Adrets, en retard au diner car il lisait La nouvelle Héloïse.
"Enfin cet homme si froid arriva tout en larmes.
'Qu'avez vous donc, mon ami?' lui dit Mme des Adrets tout alarmée.
'Ah! Madame, Julie est morte! ' et il ne mangea presque pas."
" Si j'eusse parlé vers 1795 de mon projet d'écrire, quelque homme sensé m'eût dit : ' Ecrivez tous les jours pendant deux heures, génie ou non.' Ce mot m'eût fait employer dix ans de ma vie dépensés niaisement à attendre le génie."
J'avoue maintenant avoir voulu découvrir cette Vie de Henry Brulard surtout pour voir in situ les célèbres passages sur les mathématiques (matière qu'adorait Stendhal, en dépit des méthodes éducatives de l'époque)
"Suivant moi, l'hypocrisie était impossible en mathématiques et, dans ma simplicité juvénile, je pensais qu'il en était ainsi dans toutes les sciences où j'avais ouï dire qu'elles s'appliquaient. Que devins-je quand je m'aperçus que personne ne pouvait m'expliquer comment il se faisait que : moins par moins donne plus (- x - = +)? "
Son problème était de comprendre pourquoi en multipliant des dettes on se retrouve à la tête d'une fortune?
(cependant je dispense mon lecteur fatigué du joli passage sur la résolution des équations...)
Mais je veux partager cette perle, au sujet de romans d'un médiocre intérêt :
"Mais ce n'étaient pas des plaisirs littéraires. Ce sont de ces livres qu'on ne lit que d'une main, comme disait Mme...".
Au total : une lecture fort agréable et instructive, où j'ai aimé picorer suivant mon humeur, une promenade en compagnie d'un honnête homme qui ne craint pas de montrer ses faiblesses.
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