Du temps qu'on
existait
Marien Defalvard
Grasset, septembre 2011
Mon bon coeur me perdra. Le 27 août je lisais un article sur ce roman dans mon quotidien régional (dite la nounou), fus intéressée par les extraits cités et décidai d'en parler sur mon blog chéri, car j'aime bien les premiers romans risquant d'être oubliés dans la tempête de la rentrée littéraire. Et puis c'est un peu le régional de l'étape, quoi.
Las! Je découvris ensuite que les médias et les blogs s'étaient emparés du phénomène, allant du coup d'encensoir au jet de vitriol. Qu'allais-je faire dans cette galère? Moi qui n'ai jamais lu Houellebecq, c'est dire mon degré de provincialisme, et je ne suis pas de près les buzz... Pour la peine, je sens que dorénavant je ne parlerai que d'auteurs classiques bien morts.
Fidèle à mon habitude, j'ai essayé de présenter ce roman sans me préoccuper des polémiques autour de l'auteur et de me concentrer sur le livre lui-même.
Partons donc à la recherche du temps qu'on existait.
Cinquante ans de la vie d'une homme, à partir de son enfance dans les années 60, fils d'une famille nombreuse assez fantasque et aristocratique, dont la maison de campagne à Sacierges (au fin fond de l'Indre) vaudra au narrateur de fabuleux souvenirs d'enfance et une nostalgie marquante d'un paradis perdu. Ensuite il errera, d'un endroit à l'autre, au gré d'on ne sait quel vent, pour finir à Coucy dans l'Aisne.
Alors?
Ce roman passe haut la main le test de la page 99 (que j'aurais pu citer in extenso tellement elle est belle) , ce n'est pas un livre à lire "d'une seule main" pour reprendre l'expression stendhalienne que j'adore.
Assez vite l'on comprend qu'il vaut mieux suivre le narrateur dans ses errances et rêveries, son désenchantement sans âge et ne pas trop vouloir connaître les détails qu'il nous taira (qu'il se taira?). C'est parfois frustrant et aux deux tiers du roman avalé jusque là dans l'émerveillement quasi total, j'ai commencé à fatiguer, désirant quand même une toute petite histoire à me mettre sous la dent, un objectif, quelques moulins à vent, même tournant à vide.
Sauf que juste à ce moment on est cueilli par des mots, un paragraphe et on se dit "ah quand même!" et ça repart! Je suis donc arrivée au bout du parcours de ce personnage peu aimable en fait, ne cherchant pas non plus à plaire, et de son aveu n'aimant personne. Quoique son manque d'intérêt pour sa propre vie entraîne le lecteur sur le même chemin...
L'évocation des séjours à la campagne est une pure réussite, Sacierges surtout, Bouloire aussi, les bretons devraient trouver leur compte dans les monts d'Arrée (on a même un séjour à Brest...); existent assez peu, hélas, de ces passages brillants où l'auteur croque des personnages, tels Paul, et peu d'émotion, sauf quand sa mère est bien malade. Puis le jeu de Monopoly, bien sûr.
Même si l'époque du roman est extrêmement précise et précisée en début de chapitre, une impression de hors du temps, d'intemporel s'en dégage. Cette enfance des années 60 a quelques décennies de retard.
Parlons enfin, last but not least, de l'écriture, étonnante (bon, je n'ai pas lu tous les livres, non plus), impressionniste je dirais, d'un flou enchanteur parfois. Mots rares, détournés, chantournés, le ciel omniprésent, beaucoup de couleurs... Trop rarement l'auteur se lâche un peu, et c'est plus fou (ça j'aime).
"Je voyais le paysage, et c'était du nougat, et des fruits confits, dans la boîte à délices des jours."
" Mon coeur dévalait le colimaçon d'un escalier, trois marches à la fois, parfois glissant sur la rambarde, tourbillonnant sur les paliers."
" Les mots n'étaient pas de moi, on m'avait forcé à les dire, j'avais la bouche pleine de guillemets."
" J'aurais beau, dans les heures futures, me dire que la mort était imposée, qu'on ne pouvait pas entourer la mention, cocher la croix, la choisir comme son option de classe préparatoire ou son plat du jour dans le restaurant de la rue d'Octeville, je ne pourrais jamais m'y faire."
" La vie sans fard, la vie sans phares; sans maquillage du présent ni éclairage du lendemain." (ouais, bon.)
" Tout s'écrivait soudain dans une police grasse, épaissie, avant que la nuit, où souffle un vent penché, ne fasse danser ses italiques."
" Deux ou trois chocolats, gros, carrés comme des constructions soviétiques."
" Le boucher équarrissait à tire-larigot, du lever au coucher; pour lui, c'était un long dimanche d'entrailles" (bof, bof)
" quand vitement, lentement les jours s'engrisent, se vanissent, se contingentent..."
Jusqu'à la mort:
" Les couleurs disparurent. Et pendant les dernières minutes, il n'y eut plus que du blanc, le blanc du ciel..." (tout un magnifique passage!)
Au final
Un narrateur, pas trop d'action, beaucoup de descriptions, le temps dans le titre... mais oui, on pense à un certain Marcel! Non, Marcel fait preuve de plus d'humour, son écriture est plus ample (longues phrases, dit-on) et classique, il y a plus d'action que les méchantes langues ne le disent, et ce qu'il nous dit nous touche, atteint à l'universel. Ce ne serait ni fair play ni bienvenu de comparer. Je recommande la lecture de Du temps qu'on existait, pour une somptueuse expérience, ça passe ou ça casse, je préviens. Des passages où ça manque de nerf, mais honnêtement, à relire pour écrire ce billet, je retrouve plaisir à suivre les méandres des phrases.
Un avis assez mesuré (parmi d'autres que vous trouverez aisément,
Marien Defalvard
Grasset, septembre 2011
Mon bon coeur me perdra. Le 27 août je lisais un article sur ce roman dans mon quotidien régional (dite la nounou), fus intéressée par les extraits cités et décidai d'en parler sur mon blog chéri, car j'aime bien les premiers romans risquant d'être oubliés dans la tempête de la rentrée littéraire. Et puis c'est un peu le régional de l'étape, quoi.
Las! Je découvris ensuite que les médias et les blogs s'étaient emparés du phénomène, allant du coup d'encensoir au jet de vitriol. Qu'allais-je faire dans cette galère? Moi qui n'ai jamais lu Houellebecq, c'est dire mon degré de provincialisme, et je ne suis pas de près les buzz... Pour la peine, je sens que dorénavant je ne parlerai que d'auteurs classiques bien morts.
Fidèle à mon habitude, j'ai essayé de présenter ce roman sans me préoccuper des polémiques autour de l'auteur et de me concentrer sur le livre lui-même.
Partons donc à la recherche du temps qu'on existait.
Cinquante ans de la vie d'une homme, à partir de son enfance dans les années 60, fils d'une famille nombreuse assez fantasque et aristocratique, dont la maison de campagne à Sacierges (au fin fond de l'Indre) vaudra au narrateur de fabuleux souvenirs d'enfance et une nostalgie marquante d'un paradis perdu. Ensuite il errera, d'un endroit à l'autre, au gré d'on ne sait quel vent, pour finir à Coucy dans l'Aisne.
Alors?
Ce roman passe haut la main le test de la page 99 (que j'aurais pu citer in extenso tellement elle est belle) , ce n'est pas un livre à lire "d'une seule main" pour reprendre l'expression stendhalienne que j'adore.
Assez vite l'on comprend qu'il vaut mieux suivre le narrateur dans ses errances et rêveries, son désenchantement sans âge et ne pas trop vouloir connaître les détails qu'il nous taira (qu'il se taira?). C'est parfois frustrant et aux deux tiers du roman avalé jusque là dans l'émerveillement quasi total, j'ai commencé à fatiguer, désirant quand même une toute petite histoire à me mettre sous la dent, un objectif, quelques moulins à vent, même tournant à vide.
Sauf que juste à ce moment on est cueilli par des mots, un paragraphe et on se dit "ah quand même!" et ça repart! Je suis donc arrivée au bout du parcours de ce personnage peu aimable en fait, ne cherchant pas non plus à plaire, et de son aveu n'aimant personne. Quoique son manque d'intérêt pour sa propre vie entraîne le lecteur sur le même chemin...
L'évocation des séjours à la campagne est une pure réussite, Sacierges surtout, Bouloire aussi, les bretons devraient trouver leur compte dans les monts d'Arrée (on a même un séjour à Brest...); existent assez peu, hélas, de ces passages brillants où l'auteur croque des personnages, tels Paul, et peu d'émotion, sauf quand sa mère est bien malade. Puis le jeu de Monopoly, bien sûr.
Même si l'époque du roman est extrêmement précise et précisée en début de chapitre, une impression de hors du temps, d'intemporel s'en dégage. Cette enfance des années 60 a quelques décennies de retard.
Parlons enfin, last but not least, de l'écriture, étonnante (bon, je n'ai pas lu tous les livres, non plus), impressionniste je dirais, d'un flou enchanteur parfois. Mots rares, détournés, chantournés, le ciel omniprésent, beaucoup de couleurs... Trop rarement l'auteur se lâche un peu, et c'est plus fou (ça j'aime).
"Je voyais le paysage, et c'était du nougat, et des fruits confits, dans la boîte à délices des jours."
" Mon coeur dévalait le colimaçon d'un escalier, trois marches à la fois, parfois glissant sur la rambarde, tourbillonnant sur les paliers."
" Les mots n'étaient pas de moi, on m'avait forcé à les dire, j'avais la bouche pleine de guillemets."
" J'aurais beau, dans les heures futures, me dire que la mort était imposée, qu'on ne pouvait pas entourer la mention, cocher la croix, la choisir comme son option de classe préparatoire ou son plat du jour dans le restaurant de la rue d'Octeville, je ne pourrais jamais m'y faire."
" La vie sans fard, la vie sans phares; sans maquillage du présent ni éclairage du lendemain." (ouais, bon.)
" Tout s'écrivait soudain dans une police grasse, épaissie, avant que la nuit, où souffle un vent penché, ne fasse danser ses italiques."
" Deux ou trois chocolats, gros, carrés comme des constructions soviétiques."
" Le boucher équarrissait à tire-larigot, du lever au coucher; pour lui, c'était un long dimanche d'entrailles" (bof, bof)
" quand vitement, lentement les jours s'engrisent, se vanissent, se contingentent..."
Jusqu'à la mort:
" Les couleurs disparurent. Et pendant les dernières minutes, il n'y eut plus que du blanc, le blanc du ciel..." (tout un magnifique passage!)
Au final
Un narrateur, pas trop d'action, beaucoup de descriptions, le temps dans le titre... mais oui, on pense à un certain Marcel! Non, Marcel fait preuve de plus d'humour, son écriture est plus ample (longues phrases, dit-on) et classique, il y a plus d'action que les méchantes langues ne le disent, et ce qu'il nous dit nous touche, atteint à l'universel. Ce ne serait ni fair play ni bienvenu de comparer. Je recommande la lecture de Du temps qu'on existait, pour une somptueuse expérience, ça passe ou ça casse, je préviens. Des passages où ça manque de nerf, mais honnêtement, à relire pour écrire ce billet, je retrouve plaisir à suivre les méandres des phrases.
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