Gains
Richard Powers
le cherche midi, lot 49, 2012Mais où Richard Powers va-t'il entraîner son lecteur cette fois-ci? Comme à son habitude, il propose du copieux.
"Votre vie, c'est de la chimie
Et la chimie, c'est notre vie."
Une petite entreprise familiale proposant dans les années 1830 bougies et savon va devenir en moins de deux siècles Clare Inc, une gigantesque multinationale cotée en bourse, offrant toniques et baumes, savons, lessives, désinfectants, engrais, etc...
A la fin des années 90, à Lacewood, Illinois, siège des usines Clare, Laura Bodley est à 42 ans une mère de famille dynamique, adorant le jardinage, et réussissant fort bien dans l'immobilier. Jusqu'au jour où elle est opérée d'un cancer des ovaires (pronostic pas très favorable...) et entame le douloureux parcours de la chimiothérapie, radiothérapie, hospitalisation...
Le récit alterne les deux histoires, et petit à petit on saisit le lien entre les deux.
En deux siècles, le progrès envahit les jeunes Etats Unis, gaz, télégraphe, électricité, chemin de fer changent la vie des habitants, en même temps que les méthodes du "toujours plus de profit", "toujours grandir", "faire consommer de plus en plus" envahissent le paysage par le biais de Clare, étendant ses tentacules partout et survivant aux crises.
"L'entreprise pouvait fabriquer elle-même l'alcali qui servirait de base au savon dont les résidus nourriraient les engrais susceptibles d'améliorer les récoltes qui elles-mêmes produiraient le whisky destiné à abreuver les ouvriers qui faisaient fonctionner l'usine d'alcali."Entre deux chapitres sont insérés divers documents, dont des publicités, parfois naïves au tout début, mais rapidement Clare comprend l'utilité d'investir dans ce secteur, pour finir par les merveilles du marketing:
"La télévision créait une demande de masse, laquelle entrainait la mise en place d'usines plus grandes, donc de produits meilleur marché, donc d'une consommation élargie, qui elle-même permettait davantage d'émissions télévisées, donc un coût moins élevé par message."
"Les publicités réclamaient davantage de savoir-faire, de prises de vues, de technicité et d'ingéniosité que les programmes qu'elle rendaient possibles. Elles arrivaient, en moins d'une minute, à suggérer plus d'histoire et d'aventure que leurs émissions parasites, qui pourtant s'étiraient sur presque une demi-heure."Le consommateur est complice, allant jusqu'à "mettre en bouteille l'eau salée qui allait entretenir sa soif."
Parfois les détails sont techniques, Powers ne nous épargne pas un produit chimique, mais le sérieux emporte l'adhésion. Les mécanismes sont bien démontés et parfois on a froid dans le dos. Pas de sentiments! "Croître ou mourir!"
Powers est redoutablement efficace dans sa dénonciation, usant souvent comme à son habitude d'images donnant de la chair et parfois un peu de lyrisme feutré à ses propos.
Et Laura dans tout cela? La courageuse, qui lutte contre la maladie malgré son corps qui se délabre et tient bon au milieu des nausées et des douleurs. La mère, qui continue à éduquer du mieux qu'elle peut ses deux enfants. Les médecins semblent craindre les procès s'ils s'engagent trop, les traitements sont chers (heureusement elle a une bonne assurance). Petit à petit elle lâche prise mais n'oublie pas ceux qu'elle aime.
Elle sort le classeur en plastique à trois anneaux dans lequel elle notait dans le temps les dates et les heures des activités extra-scolaires des enfants et l'étiquette bien proprement: 'Enterrement'. Puis elle le remplit de numéros de cantiques, de poèmes qu’elle aime particulièrement, des noms de ses œuvres caritatives préférées."L'émotion nait de ces faits froidement rapportés : elle prévoit les futures réparations de la maison, le camp de vacances de son fils, etc... Les rapports avec ses enfants vont évoluer, rapportés par petites touches.
Conclusion : Un bon cru Powers. Sérieux, documenté. Pas de pathos ni d'attaques à visage découvert, mais liberté pour le lecteur de réfléchir et tirer ses conclusions. Ce monde là est le nôtre.
Challenge Pavé de l'été chez Brize
Un doute me taraude après lecture du passage page 70 :
"Elle était capable de faire une division et de ne pas sourciller quand son quotient était plus grand que chacun des deux nombres de départ."Divisons 12 par 0.5, on trouve 24; et le résultat est plus grand que chacun des deux nombres de départ.
Les avis de
Merci à Solène P., qui connaît ma fidélité à Richard Powers, et à l'éditeur!
Commentaires
Pour Powers : ah tu ne connais pas! C'est de l'américain bien costaud et intéressant, j'en ai présenté plusieurs sur mon blog d'overblog. Tu peux tenter Le temps où nous chantions, sans doute le plus accessible par ses thèmes (j'ai adoré!), un pavé paru en poche!
http://en-lisant-en-voyageant.over-blog.com/article-23927524.html
PS : j'ai été un peu surprise en arrivant sur ton blog mais je pense que c'est une question d'habitude. lol
De toute façon faut bien faire des choix !
Bon, même les meilleurs ont leurs faiblesses...
Bref, heureusement que nos goûts divergent parfois, sinon ce ne serait pas drôle!
Le roman : si c'est ton premier Powers, Le temps où nous chantions est peut être plus "accessible", mais tu fais comme tu veux, tout dépend, si les thèmes t'accrochent bien.
je me trompe ?
Bon, tu verras quand ce sera le moment, mais n'aie pas peur non plus, ce n'est pas un monument insurmontable!
Sinon, cela est un peu cérébral, mais je suis une cérébrale, justement (on me l'a dit). Mais quel bonheur de lire (de temps en temps) un bouquin qui réclame notre attention soutenue et nous fait réfléchir. Powers, c'est spécial!
Il n'est pas difficile (pas de vocabulaire incompréhensible ou de phrases ampoulées) mais quand même il ne réclame pas qu'un demi cerveau disponible, quoi.
Tant qu'à faire, essaie Le temps où nous chantions, c'est moins risqué car c'est en poche ou, plus sûrement, en bibli.
En lecture même assez rapide, j'ai été frappée par l'intelligence et le talent de l'auteur. Même si, c'est d'accord, il faut s'accrocher!
Merci pour cette lecture - votre billet donne envie mais malheureusement, d'autres priorités s'imposent.
D'ailleurs j'ai découvert que tout le monde ne pose pas les divisions de la même façon (enfin, pour ceux qui les posent encore...)
Ceci étant, je n'ai rien contre les livres genre L'arbre aux haricots, tu le sais!^_^