Miette
Pierre Bergounioux
folio, 2005
Paru en 1995
Une photo datant de 1910, une mère, Miette, et ses quatre enfants, dans un village du Limousin. Le narrateur n'a fait que croiser Miette, trois secondes inoubliables: "d'autres, en revanche, sont toujours là quand on les chercherait en vain du regard. Il peut arriver qu'on ne les ait jamais vus ou que ça n'ait duré que trois secondes et qu'on n'ait même pas su, alors, qui ils étaient. Mais l'important ne va pas forcément de pair avec l'agitation, le bruit, ce qui se voit, le temps. C'est parce qu'on tent à les confondre que des tas de gens se montrent beaucoup, parlent d'abondance. Tout l'effet que ça fait, c'est celui d'un rideau dont le vent s'empare ou qu'un enfant agite dans ses jeux. Alors que le silence, quand il est fait des mots amers qu'on a tus, les larmes ravalées, l'absence pratiquée dès le temps qu'on est présent au monde parce qu'on y fut contraint et forcé, c'est le contraire. On en tient compte. On n'agit pas comme on ferait si cela n'avait pas été, n'était plus. C'est pour ça que l'air, la lumière ne sont pas, comme on croit, inhabités, vides, mais, parfois, par endroits, vibrants, vivants, chargés de présences éminentes."
Miette, amoureuse d'un autre, a dû épouser Pierre, elle a dit non. Entendu comme un oui. Elle n'a plus dévié de la ligne, ensuite.
"Qu'elle fut partie prenante, elle aussi, de la négation, violence aveugle, cruauté qu'on appelle réalité, cela va de soi. Elle ne fut admirable que pour l'avoir acceptée après avoir, d'abord, refusé. La détermination qu'elle opposa aux forces qui écrasaient sa volonté, elle l'employa au service des mêmes forces parce qu'il y a une chose que ce monde, le sien, ne souffrait point et qu'elle n'aurait jamais conçue : de vouloir encore à l'encontre des faits, de préférer le possible anéanti à ce qui était réalisé."
Quatre enfants, donc, un aîné qui prend les terres en mains à la mort du père. Une fille qui se verra ouvrir les portes de l'Amérique, mais cela ne se fera pas. "C'est en ce soir d'été, que sa ligne de fuite, la tangente poussée d'un trait jusqu'au seuil d'un autre monde par l'audacieuse s'incurve et revient se confondre avec le cercle étroit, le monde clos d'où elle avait fusé."
Une histoire puisant ses racines dans les millénaires précédant, dans un terroir précis, mais en même temps ancrée dans un 20ème siècle où tout change, même au fin fond des campagnes. Le narrateur, arrivé dans ce coin lorsque les protagonistes sont déjà âgés, narre cependant leur histoire, faisant la part à son imagination, ses suppositions. Cela dans une langue belle, rude, précise, qu'il me fallut apprivoiser. Mais quel bonheur!
Merci à christw d'avoir contribué à me souvenir que je voulais découvrir cet auteur. Le billet qui fut le déclic.
Un avis ici
Ici aussi (et bergounioux et moi)
JCBourdais s’interroge lui aussi à propos d'une photo de famille.
Étrange (ou pas), moi aussi durant toute cette lecture j'ai eu en mémoire une des rares photos anciennes conservées dans la famille.
22 novembre 1919 : mon grand père se marie. A la gauche du couple, les parents du marié, Paul et Adeline. Tout à droite, la mère de Paul, née en 1843 (donc la grand mère de mon grand père). Avec qui ai-je discuté de cette photo? La jeune fille 2ème à gauche rang du haut, une cousine germaine du marié, encore dotée d'une excellente mémoire quand je l'ai connue.
Un an après, la mariée accouche d'un garçon et décède dans le mois suivant, en janvier 1921. Et fin 1921, mon grand père se remarie avec une autre jeune fille rang du haut, quatrième à partir de la gauche, qui deviendra donc ma grand mère, et assistait à ce premier mariage en qualité de sœur de la mariée.
Je m'interroge : mariage arrangé pour ne pas laisser un veuf avec un très jeune enfant?
Challenge de Philippe : Lire sous la contrainte
Pierre Bergounioux
folio, 2005
Paru en 1995
Une photo datant de 1910, une mère, Miette, et ses quatre enfants, dans un village du Limousin. Le narrateur n'a fait que croiser Miette, trois secondes inoubliables: "d'autres, en revanche, sont toujours là quand on les chercherait en vain du regard. Il peut arriver qu'on ne les ait jamais vus ou que ça n'ait duré que trois secondes et qu'on n'ait même pas su, alors, qui ils étaient. Mais l'important ne va pas forcément de pair avec l'agitation, le bruit, ce qui se voit, le temps. C'est parce qu'on tent à les confondre que des tas de gens se montrent beaucoup, parlent d'abondance. Tout l'effet que ça fait, c'est celui d'un rideau dont le vent s'empare ou qu'un enfant agite dans ses jeux. Alors que le silence, quand il est fait des mots amers qu'on a tus, les larmes ravalées, l'absence pratiquée dès le temps qu'on est présent au monde parce qu'on y fut contraint et forcé, c'est le contraire. On en tient compte. On n'agit pas comme on ferait si cela n'avait pas été, n'était plus. C'est pour ça que l'air, la lumière ne sont pas, comme on croit, inhabités, vides, mais, parfois, par endroits, vibrants, vivants, chargés de présences éminentes."
Miette, amoureuse d'un autre, a dû épouser Pierre, elle a dit non. Entendu comme un oui. Elle n'a plus dévié de la ligne, ensuite.
"Qu'elle fut partie prenante, elle aussi, de la négation, violence aveugle, cruauté qu'on appelle réalité, cela va de soi. Elle ne fut admirable que pour l'avoir acceptée après avoir, d'abord, refusé. La détermination qu'elle opposa aux forces qui écrasaient sa volonté, elle l'employa au service des mêmes forces parce qu'il y a une chose que ce monde, le sien, ne souffrait point et qu'elle n'aurait jamais conçue : de vouloir encore à l'encontre des faits, de préférer le possible anéanti à ce qui était réalisé."
Quatre enfants, donc, un aîné qui prend les terres en mains à la mort du père. Une fille qui se verra ouvrir les portes de l'Amérique, mais cela ne se fera pas. "C'est en ce soir d'été, que sa ligne de fuite, la tangente poussée d'un trait jusqu'au seuil d'un autre monde par l'audacieuse s'incurve et revient se confondre avec le cercle étroit, le monde clos d'où elle avait fusé."
Une histoire puisant ses racines dans les millénaires précédant, dans un terroir précis, mais en même temps ancrée dans un 20ème siècle où tout change, même au fin fond des campagnes. Le narrateur, arrivé dans ce coin lorsque les protagonistes sont déjà âgés, narre cependant leur histoire, faisant la part à son imagination, ses suppositions. Cela dans une langue belle, rude, précise, qu'il me fallut apprivoiser. Mais quel bonheur!
Merci à christw d'avoir contribué à me souvenir que je voulais découvrir cet auteur. Le billet qui fut le déclic.
Un avis ici
Ici aussi (et bergounioux et moi)
JCBourdais s’interroge lui aussi à propos d'une photo de famille.
Étrange (ou pas), moi aussi durant toute cette lecture j'ai eu en mémoire une des rares photos anciennes conservées dans la famille.
22 novembre 1919 : mon grand père se marie. A la gauche du couple, les parents du marié, Paul et Adeline. Tout à droite, la mère de Paul, née en 1843 (donc la grand mère de mon grand père). Avec qui ai-je discuté de cette photo? La jeune fille 2ème à gauche rang du haut, une cousine germaine du marié, encore dotée d'une excellente mémoire quand je l'ai connue.
Un an après, la mariée accouche d'un garçon et décède dans le mois suivant, en janvier 1921. Et fin 1921, mon grand père se remarie avec une autre jeune fille rang du haut, quatrième à partir de la gauche, qui deviendra donc ma grand mère, et assistait à ce premier mariage en qualité de sœur de la mariée.
Je m'interroge : mariage arrangé pour ne pas laisser un veuf avec un très jeune enfant?
Challenge de Philippe : Lire sous la contrainte
Commentaires
NB: Je dois toujours entrer mon nom et adresse de site pour faire un com ici, et lorsque je clique sur "Inscription à publier les commentaires", je tombe sur une page bizarre. Avez-vous un tuyau avant que je ne cherche plus loin ? Faut-il s'inscrire au site ?
Je suis décidée à lire ce livre tôt ou tard.
Luocine
NB : il me semble que votre blog est chez overblog, finalement essayez Ajouter un commentaire (sous ceux qui existent), écrire le commentaire, ensuite dans Sélectionner le profil prendre Nom/Url, et je pense (j'espère) que ce sera enregistré pour une autre fois (ou alors seule une initiale devra être tapée.
Quant à l'Inscription à publier les commentaires, ma foi, j'ignore à quoi ça sert.
Tu vois, je me suis laissée entraîner à plein de citations, ce n'est guère ma coutume! Mais là, c'est tellement bien...
Merci de ta gentille approbation .
Tiens oui, j'ai aussi Pourrat sur mes étagères...
Bergounioux est à lire aussi, pour la langue, si tu veux...
Miette est le diminutif de Marie.Je l'ai appris lors de cette lecture.
Et je me suis passionnée pour la généalogie...
J'ai rencontré ce roman quelque part mais je ne sais pas où...
Passe un bon weekend.
Bon week end, on attend le prochain défi, j'adore!
Oui, sans doute avant blog (on a eu une vie de lectrice avant blog, c'est sûr! ^_^)