Pinocchio et Robinson
Pour une éthique de la lecture
Alberto Manguel
L'escampette éditions, 2005
Bien sûr Pinocchio apprend à lire à l'école, mais sans atteindre le stade servant à la connaissance de lui-même et du monde qui l'entoure. Apprentissage, selon Manguel, "le plus difficile, le plus dangereux et le plus puissant". Prônant les mérites de la lenteur et de l'effort délibéré, histoire de lire en profondeur, pénétrer dans un livre et l'explorer jusqu'à ses limites, il décortique les richesse du roman de Collodi. Mais comme le disait Eco, "les limites de l'interprétation coïncident avec les limites du bon sens."
Manguel déplore que notre société n'encourage guère ce type de lecture, et cite une expression latine que j'ignorais, mais me réjouit définitivement, per ardua ad astra, par la difficulté atteignons les étoiles.
Ceux qui ont lu le roman de Defoe savant qu'en plus d'outils et autre matériel pratique, Robinson sauve quelques livres (en portugais, donc frustrant sans doute) et trois Bibles (en anglais, ouf pour lui!)
Même si Manguel a écrit ce petit essai, en 2000, lorsque Internet et les liseuses n’avaient pas la place qu’elles ont actuellement, ses réflexions demeurent intéressantes.
Je termine en signalant qu'il rappelle aussi la réjouissante liste des "choses à éviter quand on écrit", établie en 1939 par Borges, Casares et Ocampo. Suivre cette liste, bien sûr, aboutit "à l'absence de toute littérature."
Pour terminer, "Vers une définition du lecteur idéal", rien que ça! Une énumération où on peut picorer, au hasard, d'accord ou pas, ça se discute.
Pour le lecteur idéal, toutes les plaisanteries sont nouvelles.
Le lecteur idéal a une capacité d'oubli illimitée.Il peut chasser de sa conscience tout souvenir du fait que le Dr Jekyll et Mr Hyde sont une seule et même personne, que Julien Sorel aura la tête coupée, que le nom de l’assassin de Roger Ackroyd est Untel.
Le lecteur idéal sait ce dont l'écrivain n'a que l'intuition.
Lorsqu'il ferme son livre, le lecteur idéal sent que s'il ne l'avait pas lu, le monde serait plus pauvre.
Le lecteur idéal ressemble à Joseph Joubert, qui arrachait des livres de sa bibliothèque les pages qui en lui plaisaient pas.
Le lecteur idéal ne compte jamais ses livres.
Le lecteur idéal lit toute littérature comme si elle était anonyme.
Lorsqu'il lit un livre datant de plusieurs siècles, le lecteur idéal se sent immortel.
Le lecteur idéal ne sait pas qu'il est le lecteur idéal avant d'être arrivé à la fin du livre.
Le lecteur idéal, c'est, pour un livre, une promesse de résurrection.
Tout livre, bon ou mauvais, a son lecteur idéal.
Pour le lecteur idéal, tout livre se lit, dans une certaine mesure, comme son autobiographie.
Le lecteur idéal fait du prosélytisme.
Le lecteur idéal est capable de tomber amoureux d'un des personnages du livre.
Il y a trois types de lecteurs: l'un, qui savoure sans juger; un troisième, qui juge sans savourer; et un autre au milieu, qui juge tout en savourant et savoure en jugeant. (Goethe)
Le lecteur idéal souhaite à la fois arriver à la fin du livre et savoir que le livre n'aura pas de fin.
Le lecteur idéal ne se soucie pas des genres.
Les avis de Delittéris,
Histoire de rendre ce billet encore plus long, je recopie un billet paru sur mon ex blog, mais qui n'a pas vieilli, à mon avis. Toujours Manguel, et je lance un appel au peuple lecteur car depuis j'ai acheté Une histoire de la lecture et La bibliothèque, la nuit, qu'il me faudrait bien relire... De l'aide?
Ça & 25
centimes
Conversations d'Alberto Manguel avec un ami
L'Escampette Editions, 2009
Pour une éthique de la lecture
Alberto Manguel
L'escampette éditions, 2005
Bien sûr Pinocchio apprend à lire à l'école, mais sans atteindre le stade servant à la connaissance de lui-même et du monde qui l'entoure. Apprentissage, selon Manguel, "le plus difficile, le plus dangereux et le plus puissant". Prônant les mérites de la lenteur et de l'effort délibéré, histoire de lire en profondeur, pénétrer dans un livre et l'explorer jusqu'à ses limites, il décortique les richesse du roman de Collodi. Mais comme le disait Eco, "les limites de l'interprétation coïncident avec les limites du bon sens."
Manguel déplore que notre société n'encourage guère ce type de lecture, et cite une expression latine que j'ignorais, mais me réjouit définitivement, per ardua ad astra, par la difficulté atteignons les étoiles.
Ceux qui ont lu le roman de Defoe savant qu'en plus d'outils et autre matériel pratique, Robinson sauve quelques livres (en portugais, donc frustrant sans doute) et trois Bibles (en anglais, ouf pour lui!)
Même si Manguel a écrit ce petit essai, en 2000, lorsque Internet et les liseuses n’avaient pas la place qu’elles ont actuellement, ses réflexions demeurent intéressantes.
Je termine en signalant qu'il rappelle aussi la réjouissante liste des "choses à éviter quand on écrit", établie en 1939 par Borges, Casares et Ocampo. Suivre cette liste, bien sûr, aboutit "à l'absence de toute littérature."
Pour terminer, "Vers une définition du lecteur idéal", rien que ça! Une énumération où on peut picorer, au hasard, d'accord ou pas, ça se discute.
Pour le lecteur idéal, toutes les plaisanteries sont nouvelles.
Le lecteur idéal a une capacité d'oubli illimitée.Il peut chasser de sa conscience tout souvenir du fait que le Dr Jekyll et Mr Hyde sont une seule et même personne, que Julien Sorel aura la tête coupée, que le nom de l’assassin de Roger Ackroyd est Untel.
Le lecteur idéal sait ce dont l'écrivain n'a que l'intuition.
Lorsqu'il ferme son livre, le lecteur idéal sent que s'il ne l'avait pas lu, le monde serait plus pauvre.
Le lecteur idéal ressemble à Joseph Joubert, qui arrachait des livres de sa bibliothèque les pages qui en lui plaisaient pas.
Le lecteur idéal ne compte jamais ses livres.
Le lecteur idéal lit toute littérature comme si elle était anonyme.
Lorsqu'il lit un livre datant de plusieurs siècles, le lecteur idéal se sent immortel.
Le lecteur idéal ne sait pas qu'il est le lecteur idéal avant d'être arrivé à la fin du livre.
Le lecteur idéal, c'est, pour un livre, une promesse de résurrection.
Tout livre, bon ou mauvais, a son lecteur idéal.
Pour le lecteur idéal, tout livre se lit, dans une certaine mesure, comme son autobiographie.
Le lecteur idéal fait du prosélytisme.
Le lecteur idéal est capable de tomber amoureux d'un des personnages du livre.
Il y a trois types de lecteurs: l'un, qui savoure sans juger; un troisième, qui juge sans savourer; et un autre au milieu, qui juge tout en savourant et savoure en jugeant. (Goethe)
Le lecteur idéal souhaite à la fois arriver à la fin du livre et savoir que le livre n'aura pas de fin.
Le lecteur idéal ne se soucie pas des genres.
Les avis de Delittéris,
Histoire de rendre ce billet encore plus long, je recopie un billet paru sur mon ex blog, mais qui n'a pas vieilli, à mon avis. Toujours Manguel, et je lance un appel au peuple lecteur car depuis j'ai acheté Une histoire de la lecture et La bibliothèque, la nuit, qu'il me faudrait bien relire... De l'aide?
Conversations d'Alberto Manguel avec un ami
L'Escampette Editions, 2009
Quatrième de couverture:
"Ce livre est la transcription méticuleuse d'une série d'entretiens
que nous avons menés avec Alberto Manguel au cours de plusieurs
rencontres.
Il ne s'agit pas, ici, d'un texte d'Alberto Manguel, fruit de
plusieurs années de recherche, de travail, de mise au point. Il s'agit
d'une parole qui va son chemin et qui est une leçon de
liberté, d'humour, d'impertinence et d'amitié. Il s'agit d'une
improvisation nourrie de l'expérience d'une vie, d'une jam-session dan
le cadre d'une fabuleuse bibliothèque. Cette parole, il faut
l'écouter, elle est vivifiante; parfois elle s'emporte et parfois
s'attendrit; parfois elle est nostalgique et parfois iconoclaste; elle
joue sur toutes les gammes...
Comme dans toute conversation, des points mériteraient d'être
approfondis. Nous avons choisi de tout laisser en l'état, de ne pas
quitter la spontanéité pour la construction, persuadés que de
nouveaux livres d'Alberto Manguel trouveront leur première graine en
ces semailles de plein vent!"
Soyez sans crainte! Le risque que le lecteur reste extérieur, voire perdu, a été évité par le choix de la présentation chronologique de
la vie de Manguel, où il aborde différents thèmes au
fil de la conversation, et par la précaution prise d'insérer de
façon naturelle les éléments permettant de tout éclairer. Tout en
gardant intacte la vivacité des échanges et l'impression de
complicité qui unit les amis. Une forme fort agréable, donc!
Quant au fond, c'est du pur bonheur. Manguel est né
en Argentine et a suivi son père, nommé ambassadeur dans le tout nouvel
état d'Israël. Jusqu'à l'âge de sept, il ne parlait
pas espagnol et donc ne communiquait pas avec ses parents; sa
« nurse », Ellin, est chargée du petit Alberto. Mais quelle éducation!
« Une chose qu'Ellin m'a donnée est le sentiment que la culture,
littéraire, artistique, musicale, n'est pas quelque chose
d'extraordinaire mais quelque chose de tous les jours et
qu'il n'y a pas de différence entre une littérature
considérée populaire et une littérature dite classique. Ce qui compte
c'est d'y trouver notre bonheur et un miroir du monde.
Ellin lisait les romans de Cronin, Guy des Cars, Alberto Moravia,
Erich Maria Remarque, Graham Greene, Mazo de la Roche... Et tout ça avec
une connaissance de base, très traditionnelle, de
Goethe, Schiller, Shakespeare, etc... »
« La littérature policière, dans le sens d'un mystère qui doit être
résolu, m'intéresse toujours énormément. Pourquoi tel événement est-il
arrivé? Qu'est-ce qu'on peut raconter autour d'une
question, d'un mystère? Finalement tout au long de ma vie de
lecteur, c'est ce qui m'aura intéressé le plus dans le genre romanesque.
Plus que la psychologie, plus que la description, plus que la
réflexion philosophique, ce qui m'intéresse, c'est l'enquête, c'est
l'écrivain comme enquêteur. La question peut être : comment Julien Sorel
réalisera-t-il son ambition? Ou quel est le mystère
qui finira par expliquer la mémoire de Swann? C'est toujours la
recherche de faits qui construit en secret l'histoire que nous ne
connaissons pas et que nous cherchons à connaître. »
Signaler juste qu'il existe encore des tas de pages à citer sur les
rapports de Manguel avec les livres, la lecture, les auteurs, des
anecdotes riches et passionnantes; son parcours, ses
rencontres, ses voyages, ses amitiés, sa vision de l'Argentine, du
Canada (il est en fait Canadien depuis longtemps); sa bibliothèque de 30
000 livres installée dans un endroit de rêve, près de
Poitiers.
Et avouer que j'ai maintenant une furieuse envie de relire Une histoire de la lecture et La bibliothèque, la nuit, dont la genèse est évoquée dans ce récit à
deux voix que je recommande chaudement!
Quant au titre, en parlant de notoriété et succès commercial:
« Il y a un dicton canadien, pour parler de la reconnaissance
littéraire, qui dit : 'Ça et 25 centimes te paieront une tasse de
café!' »
« Les grands écrivains visent à toucher ce qui est
le plus difficile à atteindre dans le lecteur, lui laisser son entière
liberté tout en lui ouvrant des passages dérobés
plutôt que des portes. Tandis que ceux-là [les autres] flattent nos
petites mesquineries, nos petites peurs et ouvrent des portes par
lesquelles il est très facile de passer.»
En tant que traducteur:
« J'ai fait beaucoup de traductions dans ma vie; eh bien, les traductions les plus difficiles sont toujours celles des mauvais écrivains. Les grands
écrivains sont très faciles à traduire car il y a un
squelette qu'on peut démonter et remonter, un squelette très visible. On
sait pourquoi tel mot est à telle place.
Traduire c'est la façon la plus minutieuse, la plus approfondie, la plus critique de lire. »
Les avis de Le poing et la plume,
Commentaires sur cet article
Marie
Il y a 3 ans
Pickwick
Il y a 3 ans
sylire
Il y a 3 ans
Manu
Il y a 3 ans
Aifelle
Il y a 3 ans
keisha
Il y a 3 ans
Delphine
Il y a 3 ans
Nadine N.
Il y a 3 ans
Papillon
Il y a 3 ans
Hélène
Il y a 3 ans
Lou
Il y a 3 ans
A_girl_from_earth
Il y a 3 ans
Restling
Il y a 3 ans
keisha
Il y a 3 ans @ Restling
En fait c'est un livre qui m'a absolument enchantée, ravie, une
petite pépite, et, snif! , je n'ai pas convaincu les lecteurs.
Commentaires
Beaucoup aimé, j'aimerais bien lire le second également...
Ton avis me rappelle qu'il faudrait aussi que je lise Manguel, déjà présenté auparavant dans le projet (où la classification de Marilyne sera sauvée, je lis un livre intitulé La querelle ds livres) Que dirais-tu du mois prochain si ton appel à l'aide concerne une LC ? Je devrais bien trouver un des deux à la bibliothèque.
Mais j'avoue que c'est vraiment marrant cette remarque (on peut mettre un autre nom que Houellebecq, aussi. ^_^
On peut se faire une LC sur un des deux (Maryline va craquer!), je suis prête. Ces livre sont des incontournables, sûrement présents en bibli.
Sur les blogs, il ne semble pas si porté aux nues (en tout cas on en parle rarement).
Huston... Son avant-dernier bouquin m'est tombé des mains, la fin(?) d'une belle amitié entre elle et moi...
J'ai "L'histoire de la lecture" mais je n'ai pas encore eu le courage de m'y plonger.
Et d'y lire que vous avez appécié ce grand "lecteur" qu'est Alberto Manguel.
L'histoire de la lecture repose sur ma table de chevet d'où je la dérange souvent le soir avant de dormir.
Bonne journée.
Mais il me reste ses anciens, si je veux.
L'espèce fabulatrice, j'avais énormément aimé.
L'histoire de la lecture, ça se lit bien. Un peu de temps en temps, et ça file.
Voir ma réponse à Cachou pour Huston, en fait j'avais un peu mélangé les titres. Bah, peut être pourrai-je revenir à elle, via son dernier (juste arrivé!)!
Les deux Manguel sur la lecture et les bibliothèques sont sur mes étagères, promis à une (re)lecture. Ils font partie de ces livres empruntés mais que j'ai voulu acheter pour les posséder et les relire...
Belle journée aussi.
(Miossec à Blois en mai, ça te dit?)
"Reflets dans un oeil d'homme" m'a fâchée avec elle. J'aime toujours ses anciens livres, mais je ne sais pas si je pourrais encore la lire. Entre ses positions sur l'homosexualité et celles sur la féminité, je ne peux plus...
"Danse noir", je n'en ai entendu que de mauvais échos pour l'instant, sur un blog d'une amatrice de la dame mais aussi dans une émission télé que j'adore, avec quatre personne en discutant et trois ayant détesté (l'une d'elle n'a même pas fini le livre alors que ça ne lui arrive quasi jamais...).
J'avais aussi bien aimé "Les professeurs de désespoir", celui dans lequel elle parle justement de son désamour pour Houellebecq.
Houellebecq : jamais lu, tu lui reproches quoi? ^_^
Pour Houellebecq, c'est difficile à expliquer rapidement, si ce n'est que je ne supporte pas cette veine de défaitisme complaisant à laquelle il appartient. Et qu'il n'écrit même pas de manière intéressante (c'est du factuel, comme dans beaucoup de best sellers). J'ai tout expliqué là: http://www.les-lectures-de-cachou.com/ou-je-parle-de-monsieur-houellebecq/
Je vais voir ton billet sur Houellebecq!
Finalement, à regarder mes étagères, ma PAL n'est pas immense...
J'attends ton mail et on case Histoire de la lecture pour Maryline...
Les théories de l'école de Constance? Je viens de chercher sur G..., je découvre totalement!^_^