Le Royaume
Emmanuel Carrère
P.O.L., 2014
Difficile d'ignorer l'existence de ce Royaume, avec de nombreux billets détaillés, personnels et intéressants. Que dire de plus? Rappelons rapidement que l'auteur a connu un épisode de trois années de foi catholique exacerbée (messe tous les jours, notes sur l’Évangile de Jean, verset par verset, etc...) dont il est sorti de façon assez curieuse (je l'attendais pas mal à cet endroit là, et j'avoue demeurer perplexe). Cette expérience, insérée dans un rappel de sa vie en rapport avec elle si l'on y regarde de près -oui, même l'histoire de la baby-sitter-, fait l'objet d'une première partie passionnante où j'ai apprécié l'honnêteté et l'autodérision de Carrère (je rappelle que je n'avais lu aucun écrit de Carrère, si, c'est possible!).
Vingt ans après (!), il revient sur cette affaire pas si classée que cela.
"Ce chemin que j'ai suivi autrefois en croyant, vais-je le suivre aujourd'hui en romancier? En historien? Je ne sais pas encore, je ne veux pas trancher, je ne pense pas que la casquette ait tellement d'importance.
Disons en enquêteur." (p 145-146)
"J'aime, quand on me raconte une histoire, savoir qui me la raconte. C'est pour cela que j'aime les récits à la première personne, c'est pour cela que j'en écris et que je serais même incapable d'écrire quoi que ce soit autrement."(p 147-148)
Voilà donc pourquoi sa porte d'entrée sera ouverte par Luc, qui en sus de l'Évangile (de Luc) a écrit les Actes des Apôtres raconté en partie en utilisant le "nous". Suit donc une sorte de "New testament for Dummies" absolument passionnant, vivant et documenté. Comme, à lire les billets des autres, il paraît impossible de demeurer d'une froide neutralité, et qu'en plus Carrère a donné l'exemple, me voici à reconnaître que ma connaissance assez approfondie du sujet a forcément conduit certains passages à moins me captiver. Mais mon intérêt a rebondi justement quand Carrère, profitant d'un blanc de deux années dans les Actes des Apôtres, se déclare "libre et contraint d'inventer" (p 326) et imagine comment Luc en a profité pour enquêter sur Jésus, ses disciples et ceux qui l'avaient croisé. Imaginaire, mais plausible.
Il a une façon absolument épatante de raconter les aventures des premières communautés chrétiennes (mais c'est que j'ignorais cette inimitié entre Paul et Jacques, sans parler de Jean) et jamais on ne s'y perd, j'ai adoré l'apparition de ces empereurs romains, Flavius Josèphe, etc..., érudition jamais pesante! J'ai apprécié les comparaisons éclairantes et amusantes avec la révolution russe et les staliniens.
Il rappelle "que si je suis libre d'inventer c'est à la condition de dire que j'invente, en marquant aussi scrupuleusement que Renan les degrés du certain, du probable, du possible et, juste avant le carrément exclu, du pas impossible, territoire où se déploie une en grande partie de ce livre."(p 485)
Lors des années nécessaires à l'écriture de ce livre, il a pas mal réfléchi, compulsé diverses sources et il propose diverses hypothèses sur les auteurs de certains évangiles ou épitres (qui ne seraient pas ceux du Canon, sinon ce n'est pas drôle, bien sûr). J'ai bien noté qu'il a épluché l’œuvre de Renan, Paul Veyne, et me suis amusée à retrouver Sénèque (ha bon, c'était le frère de Galion?), alors que je viens justement d'acheter ses lettres à Lucilius... (p 470 et ss). La vie du lecteur est pleine de coïncidences...
Je me permettrai de ne pas suivre Carrère quand il considère comme un remake un peu pataud de l'histoire de la brebis perdue celle de la femme ayant égaré une drachme et qui remue la maison pour la retrouver. Pour ce que j'en sais, ces dix drachmes sont une sorte de dot reçue lors de son mariage, tout un symbole donc, et l'on peut imaginer que de nos jours une femme se démènerait aussi beaucoup si elle égarait sa bague de fiançailles. (p 591)
En conclusion : je fais partie de ceux qui ont apprécié fortement (et envie de lire d'autres écrits de l'auteur, avec lequel les pages coulent toutes seules!). Même les passages très personnels et un peu fort de café (les sites pornos) arrivent à se raccrocher au thème (mais auraient pu être raccourcis, non?)... Carrère garde une position de respect à l'égard de ceux qui croient (dont certains de ses amis), "Mais qui te dit que tu ne changeras pas encore?" (p266) "J'écris ce livre pour ne pas abonder dans mon sens."(p 354) . Troublant.
Emmanuel Carrère
P.O.L., 2014
Difficile d'ignorer l'existence de ce Royaume, avec de nombreux billets détaillés, personnels et intéressants. Que dire de plus? Rappelons rapidement que l'auteur a connu un épisode de trois années de foi catholique exacerbée (messe tous les jours, notes sur l’Évangile de Jean, verset par verset, etc...) dont il est sorti de façon assez curieuse (je l'attendais pas mal à cet endroit là, et j'avoue demeurer perplexe). Cette expérience, insérée dans un rappel de sa vie en rapport avec elle si l'on y regarde de près -oui, même l'histoire de la baby-sitter-, fait l'objet d'une première partie passionnante où j'ai apprécié l'honnêteté et l'autodérision de Carrère (je rappelle que je n'avais lu aucun écrit de Carrère, si, c'est possible!).
Vingt ans après (!), il revient sur cette affaire pas si classée que cela.
"Ce chemin que j'ai suivi autrefois en croyant, vais-je le suivre aujourd'hui en romancier? En historien? Je ne sais pas encore, je ne veux pas trancher, je ne pense pas que la casquette ait tellement d'importance.
Disons en enquêteur." (p 145-146)
"J'aime, quand on me raconte une histoire, savoir qui me la raconte. C'est pour cela que j'aime les récits à la première personne, c'est pour cela que j'en écris et que je serais même incapable d'écrire quoi que ce soit autrement."(p 147-148)
Voilà donc pourquoi sa porte d'entrée sera ouverte par Luc, qui en sus de l'Évangile (de Luc) a écrit les Actes des Apôtres raconté en partie en utilisant le "nous". Suit donc une sorte de "New testament for Dummies" absolument passionnant, vivant et documenté. Comme, à lire les billets des autres, il paraît impossible de demeurer d'une froide neutralité, et qu'en plus Carrère a donné l'exemple, me voici à reconnaître que ma connaissance assez approfondie du sujet a forcément conduit certains passages à moins me captiver. Mais mon intérêt a rebondi justement quand Carrère, profitant d'un blanc de deux années dans les Actes des Apôtres, se déclare "libre et contraint d'inventer" (p 326) et imagine comment Luc en a profité pour enquêter sur Jésus, ses disciples et ceux qui l'avaient croisé. Imaginaire, mais plausible.
Il a une façon absolument épatante de raconter les aventures des premières communautés chrétiennes (mais c'est que j'ignorais cette inimitié entre Paul et Jacques, sans parler de Jean) et jamais on ne s'y perd, j'ai adoré l'apparition de ces empereurs romains, Flavius Josèphe, etc..., érudition jamais pesante! J'ai apprécié les comparaisons éclairantes et amusantes avec la révolution russe et les staliniens.
Il rappelle "que si je suis libre d'inventer c'est à la condition de dire que j'invente, en marquant aussi scrupuleusement que Renan les degrés du certain, du probable, du possible et, juste avant le carrément exclu, du pas impossible, territoire où se déploie une en grande partie de ce livre."(p 485)
Lors des années nécessaires à l'écriture de ce livre, il a pas mal réfléchi, compulsé diverses sources et il propose diverses hypothèses sur les auteurs de certains évangiles ou épitres (qui ne seraient pas ceux du Canon, sinon ce n'est pas drôle, bien sûr). J'ai bien noté qu'il a épluché l’œuvre de Renan, Paul Veyne, et me suis amusée à retrouver Sénèque (ha bon, c'était le frère de Galion?), alors que je viens justement d'acheter ses lettres à Lucilius... (p 470 et ss). La vie du lecteur est pleine de coïncidences...
Je me permettrai de ne pas suivre Carrère quand il considère comme un remake un peu pataud de l'histoire de la brebis perdue celle de la femme ayant égaré une drachme et qui remue la maison pour la retrouver. Pour ce que j'en sais, ces dix drachmes sont une sorte de dot reçue lors de son mariage, tout un symbole donc, et l'on peut imaginer que de nos jours une femme se démènerait aussi beaucoup si elle égarait sa bague de fiançailles. (p 591)
En conclusion : je fais partie de ceux qui ont apprécié fortement (et envie de lire d'autres écrits de l'auteur, avec lequel les pages coulent toutes seules!). Même les passages très personnels et un peu fort de café (les sites pornos) arrivent à se raccrocher au thème (mais auraient pu être raccourcis, non?)... Carrère garde une position de respect à l'égard de ceux qui croient (dont certains de ses amis), "Mais qui te dit que tu ne changeras pas encore?" (p266) "J'écris ce livre pour ne pas abonder dans mon sens."(p 354) . Troublant.
Commentaires
Donc j'ai très envie de le lire, mais le sujet me rebute un peu - ton billet me pousse quand même à passer le cap, et j'imagine que la première partie sur sa foi doit être passionnante ;-)
Le thème de la religion, surtout poussée à ce point, à priori me tente moins.
Bon courage pour les travaux.
Pas trouvé de trésor enfoui ;-) ?
Le retour est toujours aussi dans la bousculade, les travaux durent...
Il existe aussi pour moi des auteurs dont je n'ai rien lu, pour des raisons pas bien claires...
Comme Geronimo, je me tâte pour ce livre et ce n'est pas de ta faute, tu en parles très bien, avec sincérité et simplicité. Je ne le sens pas parce que je n'aime pas quand Carrère se met en avant : mais là, il faut reconnaître qu'il était un peu obligé :-)
La première partie, oui, et les autres aussi (mais cela se lit comme un roman, cet auteur est doué!)
Nan, pas de trésor, on n'a pas sondé les murs (juste le sol, hélas...)(pas de squelette, c'est déjà ça)
"le royaume" restera un de mes romans les plus marquants de 2014. Je te conseille de continuer ta découverte de ses oeuvres. C'est un auteur (selon moi) fabuleux.
Négocie avec ton homme, il ne faut pas si longtemps pour le lire, ce pavé"! ^_^
Un pavé qui se dévore, aucun risque.
Plus à l'aise sur l'ancien? Galéa, tu m'épates de plus en plus!
Lis-le, j'attends ton avis (n'aie pas pas des 600 pages). Je pense que ce livre ne peut donner un billet non personnel. En tout cas, les angles de vue me sont venus ainsi.