Sur la scène intérieure
Faits
Marcel Cohen
L'un et l'autre, Gallimard, 2013
Coup de cœur, à lire absolument.
Un livre peu attirant sur le présentoir de la médiathèque, sauf qu'il appartenait à la collection L'un et l'autre, gage de qualité*. A feuilleter ce livre peu épais (140 pages de texte)(pas de quatrième de couverture) je tombe sur les titres des parties, et maintenant je les donne toutes, comme une litanie en hommage à des inconnus (je ne me suis pas sentie le droit d'user du etc) : Maria Cohen, née le 9 octobre 1915 à Istanbul. Convoi n°63 du 17 décembre 1943. Jacques Cohen, né le 20 février 1902 à Istanbul. Convoi n°59 du 2 septembre 1943. Monique Cohen, née le 14 mai 1943 à Asnières (92). Convoi n°63 du 17 décembre 1943. Sultana Cohen, née en 1871 à Istanbul. Convoi n°59 du 2 septembre 1943. Mercado Cohen, né en 1864 à Istanbul. Convoi n°59 du 2 septembre 1943. Joseph Cohen, né le 10 août 1895 à Istanbul. Convoi n°59 du 2 septembre 1943. Rebecca Chaki, née le 13 avril 1875 à Istanbul. Convoi n°59 du 2 septembre 1943. David Salem, né le 29 avril 1908 à Constantinople. Convoi n°75 du 30 mai 1944.
Parents, grands parents, tante, oncles et sœur de l'auteur, né en 1937 à Asnières, sont évoqués ici. Laissons-le parler:
"Ce livre est donc fait de souvenirs, et, beaucoup plus encore, de silence, de lacunes et d'oubli. L'espoir secrets serait qu'un usage de ces faits s'impose néanmoins, et en premier lieu à moi-même, comme chaque fois qu'il y a accumulation, rangement, volonté de mettre au net. Une seule certitude : c'est bien l'ignorance, la ténuité et les vides qui rendaient cette entreprise impérative. Aux monstruosités passées, il n'était pas possible d'ajouter l'injustice de laisser croire que ces matériaux étaient trop minces, la personnalité des disparus trop floue et, pour utiliser une expression qui fait mal mais permettra de ma faire comprendre, trop peu 'originale' pour justifier un livre."
Jeunesse des disparus, manque de témoins, ou mutisme de ceux-ci, peu de détails donc. Marcel Cohen s'est basé sur ce qu'on lui a raconté, et, en italique, ses propres souvenirs d'enfant. En fin de volume sont reproduites les photos d'objets retrouvés (parfois 70 ans plus tard, tel le coquetier en bois de la couverture!) appartenant à son passé. Très émouvants, ces objets à valeur sentimentale pour la plupart, qui ravivent les souvenirs, souvenirs par ailleurs incroyablement olfactifs (eau de Cologne, poudre de riz)
Ce livre m'a extrêmement émue en dépit de -ou à cause de - sa volonté de ne pas romancer, de donner les faits, les simples faits. Au détour d'un paragraphe, on est atteint en plein cœur.
Ces juifs originaires d'Istanbul avaient étudié dans des écoles privées catholiques, y apprenant le français et sont arrivés à Paris dans les années 20 (l'on y apprend pourquoi). Lointains descendants des juifs chassés d’Espagne à la fin du 15ème siècle, ils parlaient aussi le judéo-espagnol, "étudié aujourd'hui comme une langue morte, après la disparition dans les camps de la quasi totalité des communautés séfarades de Grèce et des Balkans."
Quant au "pauvre petit David", dont la femme, la seule à être revenue, disait qu'il "a eu une belle mort"?... Découvrez laquelle ... (quelle horreur!)
Et Monique, l'âge de Monique! Pourquoi sa mère et elle partirent-elles avec le convoi 63 au lieu de 59 comme presque tout le reste de la famille? J'ai appris que "de même que les enfants ne portaient pas d'étoile jaune avant l'âge de six ans, la police française ne remettait aux Allemands que les nouveaux nés âgés de plus de six mois. Après son arrestation le 14 août, Marie fut donc internée à l'hôpital Rothschild en attendant que (...) Monique, qui avait alors trois mois, ait l'âge requis pour le voyage vers Auschwitz, via Drancy." Bien gardés, mères et enfants attendaient dans cet hôpital. Le jeune Marcel y a rendu visite à sa mère, puis ensuite s'est contenté de la saluer de loin (très très imprudent, car des policiers en civil procédaient à des arrestations dans le quartier à la fin de l'heure des visites ou aux abords du métro le plus proche.)
Pour se remettre (un peu) de ces détails absolument épouvantables, se rappeler comment le jeune Marcel a échappé à la police et a été recueilli et aussi que "autour du camp, à Drancy, des hommes et des femmes de bonne volonté ramassaient les messages jetés par dessus les barbelés, les mettaient sous enveloppe, recopiant l'adresse, collaient un timbre et les postaient."
* L'un et l'autre (texte de second rabat, pour cette collection)
"Des vies, mais telles que la mémoire les invente, que notre imagination les recrée, qu'une passion les anime. Des récits subjectifs, à mille lieues de la biographie traditionnelle.
L'un et l'autre : l'auteur et son héros secret, le peintre et son modèle. Entre eux, un lien intime et fort. Entre le portrait d'un autre et l'autoportrait, où placer la frontière?
Les uns et les autres: aussi bien ceux qui ont occupé avec éclat le devant de la scène que ceux qui ne sont présents que sur notre scène intérieur, personnes ou lieux, visages oubliés, noms effacés, profils perdus."
Faits
Marcel Cohen
L'un et l'autre, Gallimard, 2013
Coup de cœur, à lire absolument.
Un livre peu attirant sur le présentoir de la médiathèque, sauf qu'il appartenait à la collection L'un et l'autre, gage de qualité*. A feuilleter ce livre peu épais (140 pages de texte)(pas de quatrième de couverture) je tombe sur les titres des parties, et maintenant je les donne toutes, comme une litanie en hommage à des inconnus (je ne me suis pas sentie le droit d'user du etc) : Maria Cohen, née le 9 octobre 1915 à Istanbul. Convoi n°63 du 17 décembre 1943. Jacques Cohen, né le 20 février 1902 à Istanbul. Convoi n°59 du 2 septembre 1943. Monique Cohen, née le 14 mai 1943 à Asnières (92). Convoi n°63 du 17 décembre 1943. Sultana Cohen, née en 1871 à Istanbul. Convoi n°59 du 2 septembre 1943. Mercado Cohen, né en 1864 à Istanbul. Convoi n°59 du 2 septembre 1943. Joseph Cohen, né le 10 août 1895 à Istanbul. Convoi n°59 du 2 septembre 1943. Rebecca Chaki, née le 13 avril 1875 à Istanbul. Convoi n°59 du 2 septembre 1943. David Salem, né le 29 avril 1908 à Constantinople. Convoi n°75 du 30 mai 1944.
Parents, grands parents, tante, oncles et sœur de l'auteur, né en 1937 à Asnières, sont évoqués ici. Laissons-le parler:
"Ce livre est donc fait de souvenirs, et, beaucoup plus encore, de silence, de lacunes et d'oubli. L'espoir secrets serait qu'un usage de ces faits s'impose néanmoins, et en premier lieu à moi-même, comme chaque fois qu'il y a accumulation, rangement, volonté de mettre au net. Une seule certitude : c'est bien l'ignorance, la ténuité et les vides qui rendaient cette entreprise impérative. Aux monstruosités passées, il n'était pas possible d'ajouter l'injustice de laisser croire que ces matériaux étaient trop minces, la personnalité des disparus trop floue et, pour utiliser une expression qui fait mal mais permettra de ma faire comprendre, trop peu 'originale' pour justifier un livre."
Jeunesse des disparus, manque de témoins, ou mutisme de ceux-ci, peu de détails donc. Marcel Cohen s'est basé sur ce qu'on lui a raconté, et, en italique, ses propres souvenirs d'enfant. En fin de volume sont reproduites les photos d'objets retrouvés (parfois 70 ans plus tard, tel le coquetier en bois de la couverture!) appartenant à son passé. Très émouvants, ces objets à valeur sentimentale pour la plupart, qui ravivent les souvenirs, souvenirs par ailleurs incroyablement olfactifs (eau de Cologne, poudre de riz)
Ce livre m'a extrêmement émue en dépit de -ou à cause de - sa volonté de ne pas romancer, de donner les faits, les simples faits. Au détour d'un paragraphe, on est atteint en plein cœur.
Ces juifs originaires d'Istanbul avaient étudié dans des écoles privées catholiques, y apprenant le français et sont arrivés à Paris dans les années 20 (l'on y apprend pourquoi). Lointains descendants des juifs chassés d’Espagne à la fin du 15ème siècle, ils parlaient aussi le judéo-espagnol, "étudié aujourd'hui comme une langue morte, après la disparition dans les camps de la quasi totalité des communautés séfarades de Grèce et des Balkans."
Quant au "pauvre petit David", dont la femme, la seule à être revenue, disait qu'il "a eu une belle mort"?... Découvrez laquelle ... (quelle horreur!)
Et Monique, l'âge de Monique! Pourquoi sa mère et elle partirent-elles avec le convoi 63 au lieu de 59 comme presque tout le reste de la famille? J'ai appris que "de même que les enfants ne portaient pas d'étoile jaune avant l'âge de six ans, la police française ne remettait aux Allemands que les nouveaux nés âgés de plus de six mois. Après son arrestation le 14 août, Marie fut donc internée à l'hôpital Rothschild en attendant que (...) Monique, qui avait alors trois mois, ait l'âge requis pour le voyage vers Auschwitz, via Drancy." Bien gardés, mères et enfants attendaient dans cet hôpital. Le jeune Marcel y a rendu visite à sa mère, puis ensuite s'est contenté de la saluer de loin (très très imprudent, car des policiers en civil procédaient à des arrestations dans le quartier à la fin de l'heure des visites ou aux abords du métro le plus proche.)
Pour se remettre (un peu) de ces détails absolument épouvantables, se rappeler comment le jeune Marcel a échappé à la police et a été recueilli et aussi que "autour du camp, à Drancy, des hommes et des femmes de bonne volonté ramassaient les messages jetés par dessus les barbelés, les mettaient sous enveloppe, recopiant l'adresse, collaient un timbre et les postaient."
* L'un et l'autre (texte de second rabat, pour cette collection)
"Des vies, mais telles que la mémoire les invente, que notre imagination les recrée, qu'une passion les anime. Des récits subjectifs, à mille lieues de la biographie traditionnelle.
L'un et l'autre : l'auteur et son héros secret, le peintre et son modèle. Entre eux, un lien intime et fort. Entre le portrait d'un autre et l'autoportrait, où placer la frontière?
Les uns et les autres: aussi bien ceux qui ont occupé avec éclat le devant de la scène que ceux qui ne sont présents que sur notre scène intérieur, personnes ou lieux, visages oubliés, noms effacés, profils perdus."
Excellente collection en effet ; je note celui-ci, on ne se souviendra jamais assez de toutes ces vies disparues.
RépondreSupprimerDe plus en plus je préfère des documents comme celui-ci plutôt que des histoires un peu romancées, sur ces sujets (mais bon, c'est juste mon impression)
SupprimerJ'ai regardé (enfin) hier soir LGL avec le couple Klarsfeld - il est parfois nécessaire de revoir les images filmées lors de la libération des camps pour retrouver le vrai visage de cette infamie, loin de ceux romancés.
RépondreSupprimerJe ne connaissais pas cette collection. Je note.
J'ai vu ce couple sur la 5 l'autre jour. Récemment je suis allée au Mémorial de la Shoah pour les films tournés par les russes (bon, je n'ai pas tout regardé...)
SupprimerC'est une vraiment excellente collection, sur des sujets variés d'ailleurs; je la connais depuis Mizubayashi 'La langue de mon père'.
ok je le lirai avec un peu de courage à la clé , NE JAMAIS OUBLIER tel est mon credo, mais parfois je manque de courage.
RépondreSupprimerPas de pathos, rien, mais le tragique vient des minuscules détails du quotidien. J'ignorais totalement qu'on emprisonnait les mères (en hôpital) en attendant que le bébé ait l'âge requis, quelle horreur!
SupprimerEh bien avec un tel enthousiasme, on ne peut que noter !
RépondreSupprimerSi tu le trouves en médiathèque, n'hésite pas.
SupprimerForcément, si tu nous dis à lire absolument... (un peu comme Maus, quoi - ok, je sors ;) )
RépondreSupprimerTon sarcasme ne m'atteint pas.J'attends que tu l'aies lu, on en reparlera.^_^Je te veux du bien, tu sais.
SupprimerBonjour Keisha, je le note. C'est le genre d'ouvrages que tout le monde devrait lire surtout une certaine jeunesse qui ont semble douter de beaucoup de choses. Bonne après-midi.
RépondreSupprimerMerci! Ce livre qui n'est pas une fiction (et finalement je préfère cette forme là) suppose quelques connaissances de base sur l'histoire, mais j'ai quand même appris des choses!
SupprimerTrès belle collection, L'un et l'autre, je note ce titre.
RépondreSupprimerAh je vois que tu apprécies la collection! Un bon titre, en effet.
Supprimertu as réussi à transmettre ton émotion de lecture. Je note!
RépondreSupprimerJ'ai été parfois bouleversée...
SupprimerJe note et me croise les doigts pour trouver ce titre ici.
RépondreSupprimerBelle journée à toi.
J'espère pour toi, mais on ne sait jamais, comme ce n'est pas si récent...
SupprimerMerci pour ces extraits qui donnent envie de découvrir ce livre.
RépondreSupprimerCes extraits montrent aussi l'élégance de l'écriture, ça compte aussi! Livre quasi parfait!
Supprimerah celui là je note
RépondreSupprimerla collection s'arrête hélas après la mort de Pontalis qui la dirigeait
Merci de cette (triste) information... Reste à découvrir ce qui est déjà paru.
Supprimertu fais fort là !
RépondreSupprimerBonne pioche, franchement.
Supprimerje ne connais pas la collection, néanmoins, je pourrais bien la découvrir avec ce livre
RépondreSupprimerUne collection à couvertures sobres (bleu foncé) qui, m'apprend Dominique plus haut, va cesser; dommage.
SupprimerVoilà un livre que je devrais faire lire à la femme de mon boucher qui tenait des propos odieux sur le génocide ce matin, comme ça tout tranquillement... je suis en colère si tu savais, inutile de te dire que je ne mettrai plus les pieds dans sa boutique, à cette c...
RépondreSupprimerVoilà comment on perd des clients ^_^. Les commerçants en règle générale se doivent de faire attention à leurs propos.
SupprimerIl faut se souvenir oui. Même si je songe souvent que se souvenir des morts ne nous a hélas jamais empêché d'en laisser d'autres mourir aujourd'hui, se noyer sous notre indifférence. Bon, je suis d'humeur chagrine, mais je finirai par lire ce livre.
RépondreSupprimerTout à fait d'accord, des tragédies se déroulent sous nos yeux encore!
SupprimerBon si c'est à lire absolument, j'obéis.
RépondreSupprimerSi tu le vois à la bibli!
SupprimerDur dur comme thématique, mais je vois bien ce que tu entends par coup de coeur et à lire absolument. OK, noté, et puis 140 pages...;-)
RépondreSupprimerJ'étais bien retournée, tu vois, je préfère les documents en fait.
SupprimerMessage très bien reçu, noté !
RépondreSupprimerJ'espère fortement que tu le trouveras!
SupprimerJe vais le chercher, et je pense aussi que j'en ferai un coup de coeur. Tu en parles très bien.
RépondreSupprimerL'auteur a écrit d'autres livres intéressants, mais pour ce premier, j'ai vraiment fait bonne pioche!
Supprimerintéressant, tentant, mais il faut avoir le coeur accroché! je note!
RépondreSupprimerCe livre ne cherchait pas le sensationnel et le pathos, mais il touche. N'aie crainte de le lire.
SupprimerJ'aime beaucoup la collection L'un et l'autre chez Gallimard. Et contrairement à vous, la couverture sobre et presque «classe» m'invite beaucoup.Le thème est bien trouvé et large s'ouvrir à bien des sujets, particulièrement littéraires. J'ajoute celui-ci à ceux déjà lus. Je dispose en ce moment de "Écrire pour quelqu-'un" (JM Delcomptée).
RépondreSupprimerPeu attirant pour ceux qui ne connaissent pas cette collection! En effet l'on sait qu'il vaut la peine de les ouvrir, c'est de la qualité (ensuite selon les thèmes on accroche ou pas). Il va falloir que je me penche déjà sur ce que propose ma bibliothèque.Ecrire pour quelqu'un y figure, et je l'ai noté!
Supprimer