Le puits de solitude
The well of loneliness, 1928
Marguerite Radclyffe Hall
L'imaginaire, Gallimard, 2007
Traduction de Léo Lack (1932)
Je ne me souviens plus pourquoi il y a des mois déjà A Girl m'a raconté qu'une de ses collègues lui avait parlé avec enthousiasme de sa lecture du puits de solitude (pas envie de fouiner sur Facebook). Ce roman étant présent à la bibli, en dépit de quelques ronchonnements sur l'écriture qui avait l'air a priori 'pas mon truc' et la taille de la bête (572 pages), j'ai cédé pour une lecture commune 'à condition que j'accroche'. La curiosité me perdra. Curiosité parce que ce roman de 1928 fit à l'époque scandale en Grande Bretagne (et obtint un joli succès au Etats-Unis) à cause de son sujet. Radclyffe Hall (1880-1943) était une romancière anglaise née dans une famille aisée, vivant en couple avec des femmes et portant des habits masculins, tout comme- sans trop en dévoiler- son héroïne de roman (voir photo plus bas).
Curiosité, odeur de soufre, oui sans doute, mais il fallait tout de même que ce roman ait (à mes yeux du moins) une certaine qualité littéraire. Quelques pages ont suffi pour m'en convaincre.
Un peu de l'histoire:
Dans leur belle propriété de la campagne anglaise, Sir Philip et Lady Anna Gordon s'aiment toujours passionnément lorsqu'après dix ans de mariage est annoncé un héritier, qu'il est prévu de prénommer Stephen. Une fille naît, qui sera Stephen quand même. Ses premières années se passent merveilleusement bien, avec une nanny puis une gouvernante. Elle aime se déguiser en Nelson, insiste pour monter à califourchon, va à la chasse au renard et fait l'admiration de son père pour ses talents de cavalière. Seules ombres au tableau, la retenue gardée par sa mère à son égard, le peu de goût pour les jeux de filles et la disparition d'une femme de chambre aimée sans trop de retenue. Son père, lecteur de Karl Heinrich Ulrichs et de Krafft-Ebing, pressent quelques vérités et n'en aime que plus sa fille, la chérissant et la protégeant.
"Mais Sir Philip posa de nouveau son regard sur elle, et il y avait de l'amour dans ses yeux, de l'amour et quelque chose qui ressemblait à de la compassion.(...) 'Vous êtes tout le fils que j'aie, dit-il. Vous êtes courageuse et saine, mais je désire que vous soyez sage... je désire que vous soyez sage dans votre propre intérêt, Stephen, car même en mettant les choses au mieux, la vie demande une grande sagesse. Je désire que vous appreniez à vous faire des amis de vos livres; vous pourriez en avoir un jour besoin, parce que...' il hésita, 'parce que vous pourriez ne pas toujours trouver la vie facile (...) et que les livres sont de si bons amis.
Un père extraordinaire, permettant à sa fille escrime et gymnastique, et insistant pour qu'elle développe aussi son esprit.
Vivant à l'écart dans la propriété où sa famille a ses racines, Stephen donne une impression d'innocence voire de naïveté, mais elle sent les choses.
"Les yeux des jeunes gens ne laissent pas d'être observateurs. La jeunesse a ses instants d'intuition aiguë, même la jeunesse normale, mais l'intuition de ces êtres qui se tiennent entre les deux sexes est si impitoyable, si poignante, si précise, si implacable qu'on dirait que cela constitue un châtiment supplémentaire."
Là c'est Radcliffe qui parle, car il faut encore des pages pour qu'après avoir cru à une belle amitié masculine (le jeune homme avait d'autres objectifs!) elle réfléchisse. "Mais qu'était-elle? Ses pensées remontaient à son enfance et elle trouvait dans son passé des faits qui la laissaient perplexe. Elle n'avait jamais été tout à fait semblable aux autres enfants, elle avait toujours été seule et insatisfaite, elle avait toujours essayé d'être quelqu'un d'autre. (...) Seule... il était terrible de se sentir si seule... de se sentir différente des autres."
Hélas son père, le seul qui pourrait l'aider en lui disant la vérité, n'ose pas, par amour. Quand il disparaît, elle s'amourache de l'épouse d'un voisin, puis se voit contrainte de partir à Londres. Son premier roman paraît. Puis sur le front lors de la première guerre mondiale elle conduira une ambulance et connaîtra le Paris des années 20, fréquentant surtout ce qu'on appelait des invertis (Radcliffe utilise ce mot, ainsi que 'normal' et même le n-word). Mais je ne veux pas tout raconter, je passe une grande partie, triste et belle, de ce roman.
Impressions
Ce roman étant sans doute grandement inspiré du vécu de l'auteur, ce n'est pas toujours bien joyeux... Mais elle a su rendre son héroïne attachante dans son ignorance et son désarroi initiaux, puis sa révolte à se voir refuser une vie comme celle des autres, devant se cacher ou mentir.
Les passages sur le front de guerre et la vie mondaine dans certains milieux parisiens est passionnante. D'ailleurs tout le roman est intéressant, j'ai bien sûr aimé la finesse des ressentis de Stephen, et la façon dont la nature est décrite, c'est original et plein de fraîcheur (non, pas de longueurs)
Donnons la parole à Violet, une voisine de ses parents
"C'est une vraie pitié que vous vous habilliez ainsi, ma chère, une jeune fille est tellement plus attrayante quand elle est féminine.... ne pensez-vous pas que vous pourriez féminiser un peu vos vêtements? Je suppose que vous désirez vous marier, n'est-ce pas? Aucune femme n'est complète tant qu’elle n'est pas mariée. Après tout, aucune femme ne peut réellement rester seule, elle a toujours besoin d'un homme pour la protéger."
Finalement, ce roman, même s'il est très soft, demeure bien clair et défend les 'invertis', réclamant le droit de fréquenter qui ils veulent. De vivre avec qui ils veulent. Stephen regarde avec envie la liberté des couples mariés et avec enfants...
Les seuls trucs un peu datés que je relève (mais je suis espiègle) ce sont des remarques sur, par exemple, la 'vaillance celtique' ou 'nul homme n'est un plus fidèle amant des arbres qu'un Allemand.'
L'avis de A Girl et de
The well of loneliness, 1928
Marguerite Radclyffe Hall
L'imaginaire, Gallimard, 2007
Traduction de Léo Lack (1932)
Je ne me souviens plus pourquoi il y a des mois déjà A Girl m'a raconté qu'une de ses collègues lui avait parlé avec enthousiasme de sa lecture du puits de solitude (pas envie de fouiner sur Facebook). Ce roman étant présent à la bibli, en dépit de quelques ronchonnements sur l'écriture qui avait l'air a priori 'pas mon truc' et la taille de la bête (572 pages), j'ai cédé pour une lecture commune 'à condition que j'accroche'. La curiosité me perdra. Curiosité parce que ce roman de 1928 fit à l'époque scandale en Grande Bretagne (et obtint un joli succès au Etats-Unis) à cause de son sujet. Radclyffe Hall (1880-1943) était une romancière anglaise née dans une famille aisée, vivant en couple avec des femmes et portant des habits masculins, tout comme- sans trop en dévoiler- son héroïne de roman (voir photo plus bas).
Curiosité, odeur de soufre, oui sans doute, mais il fallait tout de même que ce roman ait (à mes yeux du moins) une certaine qualité littéraire. Quelques pages ont suffi pour m'en convaincre.
Un peu de l'histoire:
Dans leur belle propriété de la campagne anglaise, Sir Philip et Lady Anna Gordon s'aiment toujours passionnément lorsqu'après dix ans de mariage est annoncé un héritier, qu'il est prévu de prénommer Stephen. Une fille naît, qui sera Stephen quand même. Ses premières années se passent merveilleusement bien, avec une nanny puis une gouvernante. Elle aime se déguiser en Nelson, insiste pour monter à califourchon, va à la chasse au renard et fait l'admiration de son père pour ses talents de cavalière. Seules ombres au tableau, la retenue gardée par sa mère à son égard, le peu de goût pour les jeux de filles et la disparition d'une femme de chambre aimée sans trop de retenue. Son père, lecteur de Karl Heinrich Ulrichs et de Krafft-Ebing, pressent quelques vérités et n'en aime que plus sa fille, la chérissant et la protégeant.
"Mais Sir Philip posa de nouveau son regard sur elle, et il y avait de l'amour dans ses yeux, de l'amour et quelque chose qui ressemblait à de la compassion.(...) 'Vous êtes tout le fils que j'aie, dit-il. Vous êtes courageuse et saine, mais je désire que vous soyez sage... je désire que vous soyez sage dans votre propre intérêt, Stephen, car même en mettant les choses au mieux, la vie demande une grande sagesse. Je désire que vous appreniez à vous faire des amis de vos livres; vous pourriez en avoir un jour besoin, parce que...' il hésita, 'parce que vous pourriez ne pas toujours trouver la vie facile (...) et que les livres sont de si bons amis.
Un père extraordinaire, permettant à sa fille escrime et gymnastique, et insistant pour qu'elle développe aussi son esprit.
Vivant à l'écart dans la propriété où sa famille a ses racines, Stephen donne une impression d'innocence voire de naïveté, mais elle sent les choses.
"Les yeux des jeunes gens ne laissent pas d'être observateurs. La jeunesse a ses instants d'intuition aiguë, même la jeunesse normale, mais l'intuition de ces êtres qui se tiennent entre les deux sexes est si impitoyable, si poignante, si précise, si implacable qu'on dirait que cela constitue un châtiment supplémentaire."
Là c'est Radcliffe qui parle, car il faut encore des pages pour qu'après avoir cru à une belle amitié masculine (le jeune homme avait d'autres objectifs!) elle réfléchisse. "Mais qu'était-elle? Ses pensées remontaient à son enfance et elle trouvait dans son passé des faits qui la laissaient perplexe. Elle n'avait jamais été tout à fait semblable aux autres enfants, elle avait toujours été seule et insatisfaite, elle avait toujours essayé d'être quelqu'un d'autre. (...) Seule... il était terrible de se sentir si seule... de se sentir différente des autres."
Hélas son père, le seul qui pourrait l'aider en lui disant la vérité, n'ose pas, par amour. Quand il disparaît, elle s'amourache de l'épouse d'un voisin, puis se voit contrainte de partir à Londres. Son premier roman paraît. Puis sur le front lors de la première guerre mondiale elle conduira une ambulance et connaîtra le Paris des années 20, fréquentant surtout ce qu'on appelait des invertis (Radcliffe utilise ce mot, ainsi que 'normal' et même le n-word). Mais je ne veux pas tout raconter, je passe une grande partie, triste et belle, de ce roman.
Impressions
Ce roman étant sans doute grandement inspiré du vécu de l'auteur, ce n'est pas toujours bien joyeux... Mais elle a su rendre son héroïne attachante dans son ignorance et son désarroi initiaux, puis sa révolte à se voir refuser une vie comme celle des autres, devant se cacher ou mentir.
Les passages sur le front de guerre et la vie mondaine dans certains milieux parisiens est passionnante. D'ailleurs tout le roman est intéressant, j'ai bien sûr aimé la finesse des ressentis de Stephen, et la façon dont la nature est décrite, c'est original et plein de fraîcheur (non, pas de longueurs)
Donnons la parole à Violet, une voisine de ses parents
"C'est une vraie pitié que vous vous habilliez ainsi, ma chère, une jeune fille est tellement plus attrayante quand elle est féminine.... ne pensez-vous pas que vous pourriez féminiser un peu vos vêtements? Je suppose que vous désirez vous marier, n'est-ce pas? Aucune femme n'est complète tant qu’elle n'est pas mariée. Après tout, aucune femme ne peut réellement rester seule, elle a toujours besoin d'un homme pour la protéger."
Finalement, ce roman, même s'il est très soft, demeure bien clair et défend les 'invertis', réclamant le droit de fréquenter qui ils veulent. De vivre avec qui ils veulent. Stephen regarde avec envie la liberté des couples mariés et avec enfants...
Les seuls trucs un peu datés que je relève (mais je suis espiègle) ce sont des remarques sur, par exemple, la 'vaillance celtique' ou 'nul homme n'est un plus fidèle amant des arbres qu'un Allemand.'
Una Elena Troubridge and Radclyffe Hall http://spartacus-educational.com/Wradclyffe.htm |
Commentaires
Allez, ne chipotons pas, si tu veux un bouquin qui frappe, tu l'as!
J'adore tes petites pattes de chats ;-)
Oui, sois curieuse!!!
Les patounes sont proposées par blogspot, j'adore (trop?) changer.
Difficile de ne pas penser à l'évolution de la société, oui.
Superbe roman ! Comme je l'ai lu, j'ai eu l'impression que tu en révélais beaucoup (j'ai découvert l'histoire au fur et à mesure, dès la première page et cela a fait partie de mon plaisir de lecture), mais en fait non, on pourrait en verser des lignes et des lignes sur ce roman, on n'en dirait jamais assez, il y a tellement, tellement à dire là-dessus, et toute l'intrigue est à découvrir, jusqu'à la dernière page !:-)
J'ai aimé ce père, très étonnant, très 'classe' en fait. Stephen au départ ressemblait sa différence de façon diffuse, avant de tout prendre en pleine face. Un très beau personnage, aux qualités rares et élevées.
Bon, à partir du moment où j'accrochais, pas de souci, je n'ai pas ressenti le problème comme avec Zorba, pfff, heureusement que c'était court, mauvais souvenir. Le suivant c'est Babbitt? Voilà comment je conçois les LC, l'occasion de ressortir des trucs improbables pour lesquels on a besoin d'un peu de 'chauffe'. Ah oui, Brink aussi. je devrais noter ça sur mon blog.
J'ignore si tu as lu mes commentaires, mais il existe deux blogueuses l'ayant lu (et aimé!!!) il y a longtemps.
J'espère n'avoir pas trop révélé, mais comme tu dis, on pourrait en raconter plus, je n'ai rien dit de certains personnages forts, rien dit de la fin (et heureusement!), rien dit des événements permettant de passer d'un endroit à un autre (enfin, j'espère). C'est un roman dont il faut connaître le moins possible, en fait.
Aaah Zorba oui, je me souviens. J'avais adoré de mon côté mais bon, on ne peut pas être raccord tout le temps ! 2016 oui, Babbitt et Brink pour l'instant. Ah! Faulkner aussi on avait dit. Le Bruit et la Fureur !;-)
Merci de votre belle tentation à la Girl et toi.
La photo des deux copines, oui, déprimant! ^_^ Pourtant leur histoire réelle a duré un bout de temps.