Seuls sont les indomptés
The Brave Cowboy, 1956
Edward Abbey
Gallmeister, 2015
Traduit par Laura Derajinski et Jacques Mailhos
Au fur et à mesure de ma lecture je pensais que cette histoire ferait un chouette film, et au moment d'écrire le billet, je cherche et voilà qu'Hollywood n'a bien sûr pas raté une telle occasion! Seuls sont les indomptés (Lonely Are the Brave, 1962), est un film de David Miller avec Kirk Douglas (le cow boy), Gena Rowlands et Walter Matthau (le shérif). A voir la bande annonce, j'ai retrouvé les scènes du roman.
Bien sûr le roman a été adapté, mais franchement Abbey a bien mâché le travail. Les belles descriptions de ces coins arides des montagnes du nouveau-Mexique, de la végétation, des animaux, du ciel à diverses heures, facile, il suffit d'installer les caméras, mais Abbey donne à ressentir la chaleur, la poussière, comme pas un. Rarement (jamais, il faudrait vérifier) Abbey explique les pensées d'un personnage, tout est dans les descriptions de gestes, les regards et les dialogues, rendant parfaitement lisibles leur caractère (très fort, cet Abbey): très cinématographique, si l'on a d'excellents acteurs, ce qui est le cas.
Maintenant il serait peut-être temps de parler du roman plus clairement, au lieu d'un film que je n'ai pas vu.
Le cow boy de l'histoire, c'est Jack Burns, chevauchant Whisky, sa jument à peine domptée, vivotant dans les grands espaces à garder des moutons, par exemple. "Si tu continues comme ça, tu finiras dans un ranch pour touristes, Jack. - T'as raison. Quand on est tombé suffisamment bas pour garder des moutons, autant toucher le fond." Le début le voit réapparaître, solitaire, parfaitement adapté à la vie sauvage. Un peu moins lorsqu'il s'agit de traverser les quatre voies sur le chemin menant à la maison de ses amis les Bondi. Car nous sommes dans les années 1950, Mc Carthy, la guerre de Corée, essais nucléaires dans le désert, et chaque homme doit être bien clair vis à vis de la souscription. Ce qui n'est pas le cas de Paul Bondi, ami de Jack Burns et étudiant en philosophie, qui a préféré être condamné à deux années de prison.
Jack Burns décide de se faire arrêter, de retrouver Paul et de s'évader avec lui.
Cela donnera lieu à une chasse à l'homme complètement disproportionnée, sous la direction d'un shérif intelligent et plutôt correct, sensible à la nature, mais faisant son travail (son activité dans son bureau est un grand moment du roman)
De crainte de trop en dire, je passerai presque sous silence l'ambiance de la prison du comté, les personnages secondaires absolument bien croqués, le shérif au travail (oui, je l'ai dit), bref tout ce qui fait de ce roman une pépite exceptionnelle.
Quelques passages entre Jack Burns et Paul Bondi, dans la prison, quand Jack tente Paul avec une vie sauvage dans les grands espaces...
Paul à Jack "Tu essaies de me tenter avec tes idées d'un autre siècle, romantiques, excentriques et irréalistes." Pauvre Jack, même son meilleur ami le trouve à côté de la plaque...
Pourtant ce Paul est emprisonné pour ses convictions
"Je vois mon propre pays crouler sous la laideur, la médiocrité, la surpopulation, je vois la terre étouffée sous le tarmac des aéroports et le bitume des autoroutes géantes, les richesses naturelles vieilles de milliers d'années soufflées par les bombes atomiques, les autos en acier, les écrans de télévision et les stylos-billes. C'est un spectacle bien triste. Je ne peux pas t'en vouloir de refuser d'y prendre part. Mais je ne suis pas encore prêt à prendre ma retraite, malgré l'horreur de la situation. Si tant est qu'une retraite soit possible, ce dont je doute.
-Mais si , c'est possible, rétorqua Burns. C'est possible. je connais des endroits ici même, dans l'Ouest américain, où l'homme blanc n'a encore jamais mis les pieds.
Bondi sourit.
-Les toilettes pour femmes, tu veux dire?
-Non, dit Burns. je suis allé dans toutes les toilettes pour femmes. Je pense plutôt à quelques canyons de l'Utah, à quelques lacs de montagne dans l'Idaho ou le Wyoming.
-Peut-être, peut-être. Mais je ne suis pas encore prêt. C'est plus pratique de rester ici un moment, d'essayer de gagner ma vie honnêtement à introduire un peu de philosophie dan le cerveau des futurs ingénieurs, des futurs pharmaciens et politiciens. Ne va pas croire un seul instant que je me prenne pour une sorte de héros anarchiste. Je ne compte pas lutter contre l’Autorité, du moins pas ouvertement. J'ouvre peut-être quelques brèches clandestines."
J'ai beaucoup aimé ce dialogue philosophique entre les murs d'une prison. L'homo americanus tiraillé entre deux conceptions de la vie... Jack le représentant d'une espèce en voie de disparition, mais parfaitement adapté au mode de vie qu'il a choisi ...
Un roman d'Abbey annonçant parfaitement les suivants
"L’obéissance est une telle habitude fondamentale dans l'esprit américain contemporain que toute forme de désobéissance est considéré comme une sorte de folie." L'esprit de Thoreau (cité dans le roman) y flotte nettement.
The Brave Cowboy, 1956
Edward Abbey
Gallmeister, 2015
Traduit par Laura Derajinski et Jacques Mailhos
Au fur et à mesure de ma lecture je pensais que cette histoire ferait un chouette film, et au moment d'écrire le billet, je cherche et voilà qu'Hollywood n'a bien sûr pas raté une telle occasion! Seuls sont les indomptés (Lonely Are the Brave, 1962), est un film de David Miller avec Kirk Douglas (le cow boy), Gena Rowlands et Walter Matthau (le shérif). A voir la bande annonce, j'ai retrouvé les scènes du roman.
Bien sûr le roman a été adapté, mais franchement Abbey a bien mâché le travail. Les belles descriptions de ces coins arides des montagnes du nouveau-Mexique, de la végétation, des animaux, du ciel à diverses heures, facile, il suffit d'installer les caméras, mais Abbey donne à ressentir la chaleur, la poussière, comme pas un. Rarement (jamais, il faudrait vérifier) Abbey explique les pensées d'un personnage, tout est dans les descriptions de gestes, les regards et les dialogues, rendant parfaitement lisibles leur caractère (très fort, cet Abbey): très cinématographique, si l'on a d'excellents acteurs, ce qui est le cas.
Maintenant il serait peut-être temps de parler du roman plus clairement, au lieu d'un film que je n'ai pas vu.
Le cow boy de l'histoire, c'est Jack Burns, chevauchant Whisky, sa jument à peine domptée, vivotant dans les grands espaces à garder des moutons, par exemple. "Si tu continues comme ça, tu finiras dans un ranch pour touristes, Jack. - T'as raison. Quand on est tombé suffisamment bas pour garder des moutons, autant toucher le fond." Le début le voit réapparaître, solitaire, parfaitement adapté à la vie sauvage. Un peu moins lorsqu'il s'agit de traverser les quatre voies sur le chemin menant à la maison de ses amis les Bondi. Car nous sommes dans les années 1950, Mc Carthy, la guerre de Corée, essais nucléaires dans le désert, et chaque homme doit être bien clair vis à vis de la souscription. Ce qui n'est pas le cas de Paul Bondi, ami de Jack Burns et étudiant en philosophie, qui a préféré être condamné à deux années de prison.
Jack Burns décide de se faire arrêter, de retrouver Paul et de s'évader avec lui.
Cela donnera lieu à une chasse à l'homme complètement disproportionnée, sous la direction d'un shérif intelligent et plutôt correct, sensible à la nature, mais faisant son travail (son activité dans son bureau est un grand moment du roman)
De crainte de trop en dire, je passerai presque sous silence l'ambiance de la prison du comté, les personnages secondaires absolument bien croqués, le shérif au travail (oui, je l'ai dit), bref tout ce qui fait de ce roman une pépite exceptionnelle.
Quelques passages entre Jack Burns et Paul Bondi, dans la prison, quand Jack tente Paul avec une vie sauvage dans les grands espaces...
Paul à Jack "Tu essaies de me tenter avec tes idées d'un autre siècle, romantiques, excentriques et irréalistes." Pauvre Jack, même son meilleur ami le trouve à côté de la plaque...
Pourtant ce Paul est emprisonné pour ses convictions
"Je vois mon propre pays crouler sous la laideur, la médiocrité, la surpopulation, je vois la terre étouffée sous le tarmac des aéroports et le bitume des autoroutes géantes, les richesses naturelles vieilles de milliers d'années soufflées par les bombes atomiques, les autos en acier, les écrans de télévision et les stylos-billes. C'est un spectacle bien triste. Je ne peux pas t'en vouloir de refuser d'y prendre part. Mais je ne suis pas encore prêt à prendre ma retraite, malgré l'horreur de la situation. Si tant est qu'une retraite soit possible, ce dont je doute.
-Mais si , c'est possible, rétorqua Burns. C'est possible. je connais des endroits ici même, dans l'Ouest américain, où l'homme blanc n'a encore jamais mis les pieds.
Bondi sourit.
-Les toilettes pour femmes, tu veux dire?
-Non, dit Burns. je suis allé dans toutes les toilettes pour femmes. Je pense plutôt à quelques canyons de l'Utah, à quelques lacs de montagne dans l'Idaho ou le Wyoming.
-Peut-être, peut-être. Mais je ne suis pas encore prêt. C'est plus pratique de rester ici un moment, d'essayer de gagner ma vie honnêtement à introduire un peu de philosophie dan le cerveau des futurs ingénieurs, des futurs pharmaciens et politiciens. Ne va pas croire un seul instant que je me prenne pour une sorte de héros anarchiste. Je ne compte pas lutter contre l’Autorité, du moins pas ouvertement. J'ouvre peut-être quelques brèches clandestines."
J'ai beaucoup aimé ce dialogue philosophique entre les murs d'une prison. L'homo americanus tiraillé entre deux conceptions de la vie... Jack le représentant d'une espèce en voie de disparition, mais parfaitement adapté au mode de vie qu'il a choisi ...
Un roman d'Abbey annonçant parfaitement les suivants
"L’obéissance est une telle habitude fondamentale dans l'esprit américain contemporain que toute forme de désobéissance est considéré comme une sorte de folie." L'esprit de Thoreau (cité dans le roman) y flotte nettement.
Commentaires
C'est chouette cette bande annonce. Du coup, j'ai bien envie de voir le film. Merci pour la découverte.
C'est vrai qu'il y a beaucoup de détails de gestes au début (il doit bien se laver quatre fois les mains...) mais ensuite l'affaire prend bien tournure.
Le film m'a l'air d'être un 'classique'.
Un livre assez étrange, on ne va pas du tout dans la direction que l'on pensait...
Je suis ravie de contribuer à ta collection d'états américains, tu vois, je note, mais sans participer. j'en ai déjà engrangé pas mal (colonne de droite)
Il y a Henri VI aussi, j'ignore si tu l'as vu?
Au cas où tu voudrais commencer assez doux, prends Le feu sur la montagne.
Et pour ne rien gâcher à son propos, Abbey était un sacré écrivain. Merci d'avoir signalé le film, je ne savais même pas que ce roman avait été adapté !
Abbey, oui, un écrivain. On en doutait? ^_^