En étrange pays
Another Country
Karel Schoeman
Phébus Libretto, 2014
Traduit (de l'anglais cette fois) par Jean Guiloineau
Illustration : Rob Woods, Madonna of Australie, 2006
Karel Schoeman et moi, c'est une belle histoire d'amour qui dure; j'ai hélas maintenant lu tout ce qui est traduit (Retour au pays bien-aimé Cette vie Des voix parmi les ombres La saison des adieux) et il n'y a que de l'excellent (objectivité proche de zéro, mais baste). Si un jour Galéa lance 'l'auteur pépite', je l'y inscris derechef!
Au 19ème siècle, la région de Bloemfontein, dans les terres assez élevées, au climat chaud l'été et froid l'hiver, mais relativement sec, était recommandée aux malades des poumons originaires de l'Europe. A tort ou à raison, peu importe, l'autre alternative étant la Suisse (ou rester mourir chez soi). En 1877 (date devinée grâce à un événement extérieur) y arrive donc, dans l'espoir d'améliorer sa santé, un hollandais plutôt aisé et d'âge mûr. Après des semaines d'un voyage épuisant, il s'installe dans une vie calme, ponctuée de visites dans la communauté hollandaise ou allemande, l'anglaise restant un peu à l'écart. Versluis pense n'être là que de passage; chaleur, poussière et lumière, merveilleusement ressentis, lui pèsent un peu. Les sympathiques mais bruyants Hirsch le prennent sous leur aile, sa logeuse Mme Van der Vliet le couve trop, mais il est surtout attiré par les Scheffler, lui pasteur en interrogation, elle, infirme, aux propos directs et déconcertants.
Dans ce portrait d'une Afrique du sud de première ou seconde génération d'immigrants, les noirs demeurent en arrière plan, juste serviteurs ou ouvriers agricoles. Le rapport à leur 'nouvelle' patrie est variable, ceux nés en Allemagne, par exemple, continuent à célébrer l'anniversaire du Kaiser, Versluis ressent le changement dans le parler du hollandais, l'on est à une époque charnière, juste avant la guerre des Boers. Quelle langue parler dans cette communauté issue de plusieurs pays européens? Adèle Schaeffler suggère en passant "une langue qui appartienne à ce pays, comme celle des Noirs ou celle des fermiers." Doit-on garder des liens forts avec la patrie d'origine ou devenir totalement attaché à un nouveau pays? La question se pose, les réponses sont différentes selon les personnages. (page 194)
L'un des plus beaux moments du roman est la soirée où père et fils Schaeffler jouent du Mozart, pas franchement parfaitement, mais Versluis expérimente que " le temps et l'espace avaient cessé d'exister; les rues désertes de la ville; l'étendue solitaire du veld à la lueur des étoiles; la maison qui attendait avec ses meubles recouverts de housses: tout cela avait disparu dans l'obscurité, au-delà du cercle de la lampe et de la musique qui les enserrait, lui et les autres, tous ensemble."
"Une grande oeuvre d'art ne garde-t-elle pas la même valeur dans tous les temps et dans tous les lieux?"
Les personnages sont connus finement juste par l'observation de leurs gestes et paroles, vus par Versluis, parfois comiques, tels les Hirsch et les Van der Vliet et leur maisonnée, souvent déconcertants pour lui, l'étranger. Comme dans les autres romans de Schoeman, l'extérieur est peu présent, pas expliqué en tout cas, le lecteur est englobé derechef dans un monde à la fois étrange et familier. Ecriture fluide, superbe, précise. Ami lecteur, si tu es encore là, tu sais déjà que ce n'est pas un roman trépidant, mais sache qu'on ne s'y ennuie pas, à condition de prendre son rythme. Il y est question finalement de l'essentiel, la vie, puis la mort.
"Nous sommes tous en train de mourir, si vous y réfléchissez bien, monsieur Versluis; mais il y a différentes cadences, vous avez sans doute assez vécu et vous connaissez sans doute la réalité du monde pour le savoir. Il y a des étapes d'abandon et d'acceptation, et on n'en atteint aucune sans lutter. Accepter l’apparition de la mort; accepter le principe selon lequel on doit mourir aussi; accepter sa propre mort alors qu'elle s'approche - chacune de ces étapes constitue une nouvelle crise, et arrive finalement le moment de mourir, alors la crise de mort est peut-être la plus facile. Mourir n'est vraiment pas difficile, ajouta-t-il pensivement en refemrant sa sacoche. Mais accepter l'idée qu'on va mourir, cela implique une lutte, parfois même une lutte qui dure toute la vie."
Je sais, j'ai bien cassé l'ambiance, mais quel merveilleux roman, à lire absolument!
Another Country
Karel Schoeman
Phébus Libretto, 2014
Traduit (de l'anglais cette fois) par Jean Guiloineau
Illustration : Rob Woods, Madonna of Australie, 2006
Karel Schoeman et moi, c'est une belle histoire d'amour qui dure; j'ai hélas maintenant lu tout ce qui est traduit (Retour au pays bien-aimé Cette vie Des voix parmi les ombres La saison des adieux) et il n'y a que de l'excellent (objectivité proche de zéro, mais baste). Si un jour Galéa lance 'l'auteur pépite', je l'y inscris derechef!
Au 19ème siècle, la région de Bloemfontein, dans les terres assez élevées, au climat chaud l'été et froid l'hiver, mais relativement sec, était recommandée aux malades des poumons originaires de l'Europe. A tort ou à raison, peu importe, l'autre alternative étant la Suisse (ou rester mourir chez soi). En 1877 (date devinée grâce à un événement extérieur) y arrive donc, dans l'espoir d'améliorer sa santé, un hollandais plutôt aisé et d'âge mûr. Après des semaines d'un voyage épuisant, il s'installe dans une vie calme, ponctuée de visites dans la communauté hollandaise ou allemande, l'anglaise restant un peu à l'écart. Versluis pense n'être là que de passage; chaleur, poussière et lumière, merveilleusement ressentis, lui pèsent un peu. Les sympathiques mais bruyants Hirsch le prennent sous leur aile, sa logeuse Mme Van der Vliet le couve trop, mais il est surtout attiré par les Scheffler, lui pasteur en interrogation, elle, infirme, aux propos directs et déconcertants.
Dans ce portrait d'une Afrique du sud de première ou seconde génération d'immigrants, les noirs demeurent en arrière plan, juste serviteurs ou ouvriers agricoles. Le rapport à leur 'nouvelle' patrie est variable, ceux nés en Allemagne, par exemple, continuent à célébrer l'anniversaire du Kaiser, Versluis ressent le changement dans le parler du hollandais, l'on est à une époque charnière, juste avant la guerre des Boers. Quelle langue parler dans cette communauté issue de plusieurs pays européens? Adèle Schaeffler suggère en passant "une langue qui appartienne à ce pays, comme celle des Noirs ou celle des fermiers." Doit-on garder des liens forts avec la patrie d'origine ou devenir totalement attaché à un nouveau pays? La question se pose, les réponses sont différentes selon les personnages. (page 194)
L'un des plus beaux moments du roman est la soirée où père et fils Schaeffler jouent du Mozart, pas franchement parfaitement, mais Versluis expérimente que " le temps et l'espace avaient cessé d'exister; les rues désertes de la ville; l'étendue solitaire du veld à la lueur des étoiles; la maison qui attendait avec ses meubles recouverts de housses: tout cela avait disparu dans l'obscurité, au-delà du cercle de la lampe et de la musique qui les enserrait, lui et les autres, tous ensemble."
"Une grande oeuvre d'art ne garde-t-elle pas la même valeur dans tous les temps et dans tous les lieux?"
Les personnages sont connus finement juste par l'observation de leurs gestes et paroles, vus par Versluis, parfois comiques, tels les Hirsch et les Van der Vliet et leur maisonnée, souvent déconcertants pour lui, l'étranger. Comme dans les autres romans de Schoeman, l'extérieur est peu présent, pas expliqué en tout cas, le lecteur est englobé derechef dans un monde à la fois étrange et familier. Ecriture fluide, superbe, précise. Ami lecteur, si tu es encore là, tu sais déjà que ce n'est pas un roman trépidant, mais sache qu'on ne s'y ennuie pas, à condition de prendre son rythme. Il y est question finalement de l'essentiel, la vie, puis la mort.
"Nous sommes tous en train de mourir, si vous y réfléchissez bien, monsieur Versluis; mais il y a différentes cadences, vous avez sans doute assez vécu et vous connaissez sans doute la réalité du monde pour le savoir. Il y a des étapes d'abandon et d'acceptation, et on n'en atteint aucune sans lutter. Accepter l’apparition de la mort; accepter le principe selon lequel on doit mourir aussi; accepter sa propre mort alors qu'elle s'approche - chacune de ces étapes constitue une nouvelle crise, et arrive finalement le moment de mourir, alors la crise de mort est peut-être la plus facile. Mourir n'est vraiment pas difficile, ajouta-t-il pensivement en refemrant sa sacoche. Mais accepter l'idée qu'on va mourir, cela implique une lutte, parfois même une lutte qui dure toute la vie."
Je sais, j'ai bien cassé l'ambiance, mais quel merveilleux roman, à lire absolument!
Commentaires
En tout cas, me voilà fan moi aussi !
Bien sûr, inscris cet auteur à ton programme de lecture, tranquillement.
Ah le Brink, oui, mais chut jusqu'au jour J!
Proust, oui. Moi j'en suis (je devrais être) au volume suivant, je ne peux relire encore celui que tu as prévu, mais je veux bien jouer les pom pom girls.
L'équation Libretto/Keisha est irrésistible
Oui, on a une histoire profonde ET qui se laisse bien lire.
Son nom se prononce sk, j'ai vu ça sur internet.
Je recommande fortement Schoeman et ses thématiques plutôt universelles. Coetzee et Elisabeth Costello m'avaient laissé un bon souvenir. Quant à Brink, j'en parle bientôt.
;-)
Côté Afrique du Sud, j'attends Brink alors et devrais sans doute m'intéresser à costello, depuis le temps... Mais j'en manque.
Récemment j'ai lu un roman de N Gordimer, plutôt une bonne expérience.
Oh mais ne va pas trop vite, je te signale que tous ne sont pas traduits, et après y'en aura plus à lire!