Les tribulations de Maqroll le gabier
Alvaro Mutis
Grasset, 2007
Parlons d'abord du roman Abdul Bashur, le rêveur de navires
Pour ceux qui suivent la série de billets (Alvaro Mutis : La neige de l'amiral Un bel morir Ilona vient avec la pluie La dernière étape du tramp steamer et Ecoute moi, Amirbar), le narrateur (toujours mystérieux*), ami de Maqroll le gabier dont il narre les aventures au fil du temps, d'échanges de lettres ou de rencontres, s'attache maintenant à Abdul Bashir, l'ami de quasi toujours de Maqroll, différents dans leur approche de la vie, mais complices dans les coups les plus improbables autour du globe. Abdul Bashir est d'originaire libanaise, d'une famille d'armateurs, et son rêve têtu était de trouver le navire idéal (selon ses critères)... Il en a acheté, revendu, perdu, il a fait fortune, l'a perdue, s'est livré à divers trafics.
Faites connaissance d'Ilona, l'amante des deux amis (sans que leur amitié n'en pâtisse), de Yosip, et du Brise-miroirs, personnage noir donnant froid dans le dos. Alvaro Mutis a le chic pour créer des ambiances, raconter des histoires, attraper le lecteur, le plonger dans un monde d'aventures ... Après plusieurs romans, je n'arrive pas à connaître l'époque, entre les deux guerres mondiales peut-être? Mais peu importe.**
Voici un long passage de Abdul Bashur, le rêveur de navires
"Uranda est un port dont la moitié est lacustre, bâtie sur des pilotis qui s'avancent dans la mer au milieu d'un réseau inextricable de mangroves, et l'autre moitié occupe une colline, zone rouge dans sa presque totalité. La région peut se vanter d'avoir l'indice pluviométrique le plus élevé de la planète, raison pour laquelle l'aéroport demeure fermé une bonne partie de l'année. Le climat, d'une chaleur suffocante, y fait régner une atmosphère de bain turc qui décourage toute initiative et mine tout enthousiasme. A la fin de l'après-midi, les visiteurs de passage, transformés en authentiques zombies, cherchent désespérément un peu d'ombre fraîche le le verre de whisky qui, peut-être, les fera revivre. Ni l'une ni l'autre de ces choses ne présentent de difficultés majeures. Pour l'ombre, la nuit s'en charge en tombant d'un seul coup avec son cortège de gros moustiques et d'insectes aberrants qui semblent surgir d'un cauchemar de science-fiction (...) Quant au verre de scotch, on le trouvait à l'époque au bar de l'unique hôtel habitable du port, qui portait le nom original d'hôtel des Voyageurs. Une bâtisse délabrée en ciment rongé par la moisissure et la rouille, aux trois étages suintant en permanence, au-dedans comme au-dehors, d'une humidité verdâtre et puante. Conception typique d'un ingénieur, avec des espaces aux proportions tantôt démesurées, tantôt mesquines, mais toujours gratuites, selon l'humeur et la fantaisie du maître d'oeuvre chargé de la construction.Une immense salle à manger dont le haut plafond était maculé par les fuites suspectes de tuyauteries mal ajustées; une réception longue et étroite où régnait une atmosphère asphyxiante chargée d'odeurs légèrement nauséabondes et qui suscitait immédiatement la claustrophobie; des chambre dont les formes rivalisaient d'absurdité: beaucoup; sans que l'on sache pourquoi, se terminaient par une angle aigu capable de rendre insomniaque l'hôte le plus serein. Le bar é"tait installé le long d'une autre couloir étroit, sans fenêtres, qui reliait la réception à une cour où se trouvait la piscine, citerne glauque aux eaux verdâtre qui abritait une faune indéfinie de créatures aux yeux globuleux tenant pour moitié du poisson et du saurien nain. (...) Le soulagement que l'on aurait pu ressenti en buvant un whisky où flottaient d'inquiétants glaçons de couleur brune ... (je termine là, on a compris, pour l'ambiance)
Septième et dernière chronique du volume, Le rendez-vous de Bergen. Qui consiste en trois parties, relatives à Sverre Jensen le marin, Alejandro Obregon le peintre, et Jamil dont je ne dirai rien de plus. Trois expériences vécues par Maqroll ayant, selon l'auteur, "révélé chacune à sa manière et en son temps des régions de l'âme qui lui étaient inconnues et dont la découverte l'a marqué pour le reste de ses jours."
Cheminer avec Maqroll et ses amis autour du monde, dans des activités souvent aux franges de la légalité, dans des ports à bagarres et bouges mal famés se révèle addictif et c'est un beau voyage que de lire les sept petits volumes, sur une durée à choisir. Ecriture fluide, passage maîtrisé d'un narrateur à un autre.
"Ces instants de la vie où nous nous disons que le coin de la rue que nous n'avons jamais tourné , la femme que nous ne sommes jamais revenus chercher, le chemin que nous avons quitté pour en prendre un autre, le livre que nous n'avons jamais terminé, tout cela s'accumule pour finir par former une vie parallèle à la nôtre et qui, d'une certaine manière, nous appartient aussi."
* Le narrateur, tout comme Alvaro Mutis, a passé son enfance en Belgique et vit au Mexique, travaille pour des compagnies internationales et même des compagnies de cinéma et est marié à une catalane. Un double de Mutis?
** Après la seconde guerre mondiale pour certains épisodes
Et voilà, terminée la lecture de ces sept romans, réalisée sur plusieurs années, et je suis un peu triste...
Alvaro Mutis
Grasset, 2007
Parlons d'abord du roman Abdul Bashur, le rêveur de navires
Pour ceux qui suivent la série de billets (Alvaro Mutis : La neige de l'amiral Un bel morir Ilona vient avec la pluie La dernière étape du tramp steamer et Ecoute moi, Amirbar), le narrateur (toujours mystérieux*), ami de Maqroll le gabier dont il narre les aventures au fil du temps, d'échanges de lettres ou de rencontres, s'attache maintenant à Abdul Bashir, l'ami de quasi toujours de Maqroll, différents dans leur approche de la vie, mais complices dans les coups les plus improbables autour du globe. Abdul Bashir est d'originaire libanaise, d'une famille d'armateurs, et son rêve têtu était de trouver le navire idéal (selon ses critères)... Il en a acheté, revendu, perdu, il a fait fortune, l'a perdue, s'est livré à divers trafics.
Faites connaissance d'Ilona, l'amante des deux amis (sans que leur amitié n'en pâtisse), de Yosip, et du Brise-miroirs, personnage noir donnant froid dans le dos. Alvaro Mutis a le chic pour créer des ambiances, raconter des histoires, attraper le lecteur, le plonger dans un monde d'aventures ... Après plusieurs romans, je n'arrive pas à connaître l'époque, entre les deux guerres mondiales peut-être? Mais peu importe.**
Voici un long passage de Abdul Bashur, le rêveur de navires
"Uranda est un port dont la moitié est lacustre, bâtie sur des pilotis qui s'avancent dans la mer au milieu d'un réseau inextricable de mangroves, et l'autre moitié occupe une colline, zone rouge dans sa presque totalité. La région peut se vanter d'avoir l'indice pluviométrique le plus élevé de la planète, raison pour laquelle l'aéroport demeure fermé une bonne partie de l'année. Le climat, d'une chaleur suffocante, y fait régner une atmosphère de bain turc qui décourage toute initiative et mine tout enthousiasme. A la fin de l'après-midi, les visiteurs de passage, transformés en authentiques zombies, cherchent désespérément un peu d'ombre fraîche le le verre de whisky qui, peut-être, les fera revivre. Ni l'une ni l'autre de ces choses ne présentent de difficultés majeures. Pour l'ombre, la nuit s'en charge en tombant d'un seul coup avec son cortège de gros moustiques et d'insectes aberrants qui semblent surgir d'un cauchemar de science-fiction (...) Quant au verre de scotch, on le trouvait à l'époque au bar de l'unique hôtel habitable du port, qui portait le nom original d'hôtel des Voyageurs. Une bâtisse délabrée en ciment rongé par la moisissure et la rouille, aux trois étages suintant en permanence, au-dedans comme au-dehors, d'une humidité verdâtre et puante. Conception typique d'un ingénieur, avec des espaces aux proportions tantôt démesurées, tantôt mesquines, mais toujours gratuites, selon l'humeur et la fantaisie du maître d'oeuvre chargé de la construction.Une immense salle à manger dont le haut plafond était maculé par les fuites suspectes de tuyauteries mal ajustées; une réception longue et étroite où régnait une atmosphère asphyxiante chargée d'odeurs légèrement nauséabondes et qui suscitait immédiatement la claustrophobie; des chambre dont les formes rivalisaient d'absurdité: beaucoup; sans que l'on sache pourquoi, se terminaient par une angle aigu capable de rendre insomniaque l'hôte le plus serein. Le bar é"tait installé le long d'une autre couloir étroit, sans fenêtres, qui reliait la réception à une cour où se trouvait la piscine, citerne glauque aux eaux verdâtre qui abritait une faune indéfinie de créatures aux yeux globuleux tenant pour moitié du poisson et du saurien nain. (...) Le soulagement que l'on aurait pu ressenti en buvant un whisky où flottaient d'inquiétants glaçons de couleur brune ... (je termine là, on a compris, pour l'ambiance)
Septième et dernière chronique du volume, Le rendez-vous de Bergen. Qui consiste en trois parties, relatives à Sverre Jensen le marin, Alejandro Obregon le peintre, et Jamil dont je ne dirai rien de plus. Trois expériences vécues par Maqroll ayant, selon l'auteur, "révélé chacune à sa manière et en son temps des régions de l'âme qui lui étaient inconnues et dont la découverte l'a marqué pour le reste de ses jours."
Cheminer avec Maqroll et ses amis autour du monde, dans des activités souvent aux franges de la légalité, dans des ports à bagarres et bouges mal famés se révèle addictif et c'est un beau voyage que de lire les sept petits volumes, sur une durée à choisir. Ecriture fluide, passage maîtrisé d'un narrateur à un autre.
"Ces instants de la vie où nous nous disons que le coin de la rue que nous n'avons jamais tourné , la femme que nous ne sommes jamais revenus chercher, le chemin que nous avons quitté pour en prendre un autre, le livre que nous n'avons jamais terminé, tout cela s'accumule pour finir par former une vie parallèle à la nôtre et qui, d'une certaine manière, nous appartient aussi."
* Le narrateur, tout comme Alvaro Mutis, a passé son enfance en Belgique et vit au Mexique, travaille pour des compagnies internationales et même des compagnies de cinéma et est marié à une catalane. Un double de Mutis?
** Après la seconde guerre mondiale pour certains épisodes
Et voilà, terminée la lecture de ces sept romans, réalisée sur plusieurs années, et je suis un peu triste...
ne sois pas triste, tu m'a donnée envie de les lire.Tu sais, moi,les navires te les ports,les ambiances, j'adore !
RépondreSupprimerCertaines histoires se passent à terre, mais il reste un marin...
SupprimerLes extraits que tu en donnes me séduisent complètement !
RépondreSupprimerJe l'ai fait exprès, une fois dedans on ne peut en sortir, c'est vraiment addictif...
Supprimerje n'irai pas jusqu'à sept même si j'ai aimé ce que j'ai lu, tu as beaucoup de constance ! félicitations !
RépondreSupprimerSept en un seul volume, une affaire! Je suis tenace et maintenant le bouquin est logé côté 'livres lus'. ^_^
SupprimerQuelle ambiance , j'ai du mal avec les ambiances humides pleines d'insectes et de trucs bizarres, mais j'ai tendance à te faire confiance , sauf pour la longueur , tu résistes bien à des énormes lectures , moi beaucoup moins et je rajouterai , de moins en moins
RépondreSupprimerPour lire les 7, je m'y suis reprise à quatre billets je crois, sur plusieurs années. Un rythme qui va bien avec ces romans, d'ailleurs...
SupprimerJe n'arrive pas à me faire une idée bien précise de cette série. Ils sont à la bibliothèque, il faudrait que j'en teste un.
RépondreSupprimerOh que oui, teste, peu importe le titre, même s'il y a un tout à la fin. c'est superbement écrit, très chouette!
Supprimerencore une fois, je découvre quelque chose que je ne connaissais pas ! il vaut mieux commencer par La Neige de l'Amiral, c'est ça?
RépondreSupprimerSi on peut, oui, car il y a quand même un petit ordre là-dedans. La neige de l'amiral existe en poche.
SupprimerC'est toujours triste de finir un livre qu'on a bien aimé. Sensation mélancolique que je connais bien.
RépondreSupprimerJ'ai des histoires de Maqroll le Gabier, j'avais pensé acheter les autres et lire dans l'ordre de parution, mais j'ai zappé l'achat pour l'instant: entrer dans une librairie avec une liste en tête, ne rien trouver et repartir quand même avec 5/6 bouquins : même syndrome qu'à la médiathèque ^^
J'ai lu La neige de l'amiral, puis trouvé en librairie le gros bouquin contenant toutes les aventures de Maqroll pour une vingtaine d'euros. Ensuite je l'ai lu sur plusieurs années...
SupprimerEn librairie c'est comme en médiathèque, on risque de repartir avec bien d'autres livres... Je connais, je connais! ^_^
Bizarre, l'image ne veut pas apparaitre .. Je comprends ta tristesse sur un cycle qui se termine !
RépondreSupprimerJe te lis en soirée car toujours persona non grata à mon boulot Miss Keisha ! seriez-vous une affreuse terroriste ?! ;-)
Oui, l'image. Bah, c'est rouge avec la tête de l'auteur, c'est tout.
SupprimerCela le fait avec tous les blogs de chez blogspot? Ou juste le mien? Il y a eu aussi à une époque un blog canalblog persona non grata sur mon ordi, que je consultais ailleurs... Non, je n'ai rien à cacher, j'ai l'air inoffensive (ha ha, justement!) mais à l'entrée du Grand Théâtre de Tours je suis fouillée pareil que les autres.
Il me semble que la dernière fois, j'avais déjà le bouclier haut levé. Bon, là je suis obligée de le maintenir parce que 7 romans quand même...;-)
RépondreSupprimerSept romans assez courts dans le même volume, que j'ai mis des années à lire par tranches. Tu peux juste lire La neige de l'amiral, voilà.
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