Ultime partie
Marc Dugain
Gallimard, 2016
Il n'était pas question de rater la lecture du dernier tome de la trilogie (je copie mes avis sur les deux premiers, L'emprise et Quinquennat (parus en poche) pensant su'ils ne contiennent pas trop de spoilers.
Mais voilà le problème : ne lire qu'Ultime partie serait dommage (bien que les rappels nécessaires aux p'tits nouveaux et aux anciens à mémoire courte soient habilement insérés) et je suis bien consciente qu'à imposer TROIS romans d'un coup, ça va hurler!
Dugain possède une écriture ciselée, dégraissée. Les chapitres courts s'intéressent aux différents protagonistes. Je ne dirai pas que se plonger dans les magouilles politico-économiques et les coups fourrés des barbouzes soit ma tasse de thé quotidienne, mais c'est tellement passionnant ici! Dugain arrive à donner à tous une touche d'humanité (pour certains, elle est très très cachée, j'avoue) et, ouf pour le lecteur sensible, à tirer d'affaire les personnages désireux de ne pas (ou plus) se salir les mains. Beaucoup de dynamisme dans la narration. Des problèmes éthiques finement exposés (hé oui, le tout noir tout blanc, pas toujours possible dans la vraie vie!). Tout citoyen peut s'y retrouver.
"Le pays aimait les rentrées. Rentrée politique, rentrée scolaire, rentrée sociale, rentrée littéraire, chaque année, un brouhaha artificiel entretenait l'illusion de la nouveauté, du renouveau, de la renaissance dans un conformisme cadenassé. Il faut dire que si la France aimait les rentrées fracassantes, elle aimait aussi les sorties discrètes qui s'effectuaient en sifflet à partir de début mai, à la faveur des jours fériés et d'une architecture calendaire qui relevait, dans sa conception des ponts, d'un mélange habile de génies civil et religieux."
Les avis de motspourmots,
L'emprise
"Pourquoi vos parents vous ont-ils appelée Lorraine?
-J'imagine qu'ils ont réalisé qu'Alsace c'est un peu dur à porter pour une fille.
-Et votre nom de famille, K., ça vient d'où?
- Je ne sais pas. Un nom breton qui a perdu ses lettres."
Philippe Launay est favori dans les sondages, qui le donnent gagnant à de futures primaires, et au second tour face au président sortant ou l'extrême droite. Son adversaire du même parti aimerait bien mettre la main sur quelques casseroles, Launay, lui, essaie d'avoir un tour d'avance, histoire de garder la main dans le jeu.
Blandine Habber, ancienne présidente du groupe Arlena, "fleuron de l'industrie nucléaire française", est en rapports avec un ingénieur syndicaliste du groupe, lequel disparaît mystérieusement;
Corti, directeur de la Direction centrale du renseignement intérieur, corse et amateur de nourritures roboratives, essaie de tout savoir sur tout, sans se laisser embobiner, et envoie Lorraine mener une enquête à la fois sur la disparition du syndicaliste et celle d'un voilier.
Par pitié, ne fuyez pas dès que vous aurez lu les expressions "politique","services de renseignements", "groupe industriel". Ce bouquin se lit comme un thriller américain (un compliment) dont il possède l'efficacité tout en offrant une écriture de bon niveau.Souvent cynique, mais laissant une petite part à des moments plus tendres, il donne souvent l'impression au lecteur d'être une petite souris dans les chambres ou antichambres du pouvoir, et je n'ai pu m'empêcher de tenter de mettre une tête sur des noms fictifs, en vain la plupart du temps car Dugain se garde de donner trop de détails. Mais tous les rebondissements et les faits demeurent bien crédibles.
"Afin de financer des campagnes électorales avec des sommes prélevées sur des travaux d'adduction d'eau, d'assainissement, de chauffage collectif, de traitement des ordures ménagères, de transports scolaires et urbains, ils avaient corrompu un bon nombre d'élus locaux de tout bord et à tous les étages de la représentation territoriale, ce qui leur valait d'être craints sous couvert de respect et d'estime."
J'ai bien aimé aussi les petites remarques au détour d'une phrase
"Il n'avait pas atteint l'âge où l'on parle du temps pour engager une conversation."
Quinquennat
Comme je le disais pour l'Emprise, ce roman parle de ce qui ne m'attire guère: la politique (et ses coups fourrés), les services secrets (et ses coups en douce), et les magouilles financières... Lecture détente, non?
Encore une fois, je l'avoue : je-n'ai-pas-lâché-ce-bouquin. Fascinée par la crédibilité de l'histoire où résonnent en écho des faits actuels, agacée de ne pouvoir poser un nom sur certains (et pourtant!), écœurée du cynisme de quelques politiques/journalistes/hommes d'affaires, soulagée de l'honnêteté et la ténacité de certains quand même, tendue à cause du danger menaçant ces derniers, épatée par une construction tout en suspense, jubilant à la lecture de bien des passages, riant même parfois (jaune).
L'histoire? Launay est élu président de la République, suite à un 'sursaut républicain', face au candidat du Mouvement patriote. L'élimination de trois islamistes entre les deux tours a pu aider aussi...Mais chut!
Conseillé par une de ses proches collaboratrices, Launay prévoit d'organiser un référendum menant à une réforme constitutionnelle qui pourrait avoir de réels effets positifs, et aussi de rendre moins dangereux pour son avenir politique le Mouvement patriote et ses adversaires (dont certains dans son propre gouvernement).
Je suis d'accord, tout cela peut paraître assez peu attractif, mais croyez-moi, il y aurait encore beaucoup à dire, avec moult personnages et filouteries. D'ailleurs je signale que ce fameux référendum sera repoussé à un troisième tome, qui je l'espère donnera enfin la réponse à quelques questions. Je souhaite que Monsieur Dugain y travaille sans relâche!
Quelques passages:
"En deux semaines, une nuée de collaborateurs de l'ancien régime allaient céder leur place à d'autres. (...) Les diplômes ont remplacé la naissance au bémol près que les titulaires des diplômes sont nés pour la plupart dans les mêmes milieux." (...)Bref, tout ce qui crée l'inertie française paraissait sur le point de se renouveler selon une version nationale du jeu de la chaise musicale, où l'on compte autant de chaises que de gens qui tournent autour."
"D'une beauté évidente, elle évoluait au milieu de la quarantaine sans inquiétude pour la suite."
"Les gens n'existent plus que par le bruit qu'ils font. (...) Le bruit généré par un individu est égal à la moyenne entre son QI et sa position sociale."
Question : les deux tomes sont-ils indépendants? Je pense que c'est comme chez Bello, on peut parfaitement suivre le II sans avoir lu le I puisque l'auteur y insère tous les éléments permettant de suivre, mais ce serait dommage de se priver du I.
Marc Dugain
Gallimard, 2016
Il n'était pas question de rater la lecture du dernier tome de la trilogie (je copie mes avis sur les deux premiers, L'emprise et Quinquennat (parus en poche) pensant su'ils ne contiennent pas trop de spoilers.
Mais voilà le problème : ne lire qu'Ultime partie serait dommage (bien que les rappels nécessaires aux p'tits nouveaux et aux anciens à mémoire courte soient habilement insérés) et je suis bien consciente qu'à imposer TROIS romans d'un coup, ça va hurler!
Dugain possède une écriture ciselée, dégraissée. Les chapitres courts s'intéressent aux différents protagonistes. Je ne dirai pas que se plonger dans les magouilles politico-économiques et les coups fourrés des barbouzes soit ma tasse de thé quotidienne, mais c'est tellement passionnant ici! Dugain arrive à donner à tous une touche d'humanité (pour certains, elle est très très cachée, j'avoue) et, ouf pour le lecteur sensible, à tirer d'affaire les personnages désireux de ne pas (ou plus) se salir les mains. Beaucoup de dynamisme dans la narration. Des problèmes éthiques finement exposés (hé oui, le tout noir tout blanc, pas toujours possible dans la vraie vie!). Tout citoyen peut s'y retrouver.
"Le pays aimait les rentrées. Rentrée politique, rentrée scolaire, rentrée sociale, rentrée littéraire, chaque année, un brouhaha artificiel entretenait l'illusion de la nouveauté, du renouveau, de la renaissance dans un conformisme cadenassé. Il faut dire que si la France aimait les rentrées fracassantes, elle aimait aussi les sorties discrètes qui s'effectuaient en sifflet à partir de début mai, à la faveur des jours fériés et d'une architecture calendaire qui relevait, dans sa conception des ponts, d'un mélange habile de génies civil et religieux."
Les avis de motspourmots,
L'emprise
"Pourquoi vos parents vous ont-ils appelée Lorraine?
-J'imagine qu'ils ont réalisé qu'Alsace c'est un peu dur à porter pour une fille.
-Et votre nom de famille, K., ça vient d'où?
- Je ne sais pas. Un nom breton qui a perdu ses lettres."
Philippe Launay est favori dans les sondages, qui le donnent gagnant à de futures primaires, et au second tour face au président sortant ou l'extrême droite. Son adversaire du même parti aimerait bien mettre la main sur quelques casseroles, Launay, lui, essaie d'avoir un tour d'avance, histoire de garder la main dans le jeu.
Blandine Habber, ancienne présidente du groupe Arlena, "fleuron de l'industrie nucléaire française", est en rapports avec un ingénieur syndicaliste du groupe, lequel disparaît mystérieusement;
Corti, directeur de la Direction centrale du renseignement intérieur, corse et amateur de nourritures roboratives, essaie de tout savoir sur tout, sans se laisser embobiner, et envoie Lorraine mener une enquête à la fois sur la disparition du syndicaliste et celle d'un voilier.
Par pitié, ne fuyez pas dès que vous aurez lu les expressions "politique","services de renseignements", "groupe industriel". Ce bouquin se lit comme un thriller américain (un compliment) dont il possède l'efficacité tout en offrant une écriture de bon niveau.Souvent cynique, mais laissant une petite part à des moments plus tendres, il donne souvent l'impression au lecteur d'être une petite souris dans les chambres ou antichambres du pouvoir, et je n'ai pu m'empêcher de tenter de mettre une tête sur des noms fictifs, en vain la plupart du temps car Dugain se garde de donner trop de détails. Mais tous les rebondissements et les faits demeurent bien crédibles.
"Afin de financer des campagnes électorales avec des sommes prélevées sur des travaux d'adduction d'eau, d'assainissement, de chauffage collectif, de traitement des ordures ménagères, de transports scolaires et urbains, ils avaient corrompu un bon nombre d'élus locaux de tout bord et à tous les étages de la représentation territoriale, ce qui leur valait d'être craints sous couvert de respect et d'estime."
J'ai bien aimé aussi les petites remarques au détour d'une phrase
"Il n'avait pas atteint l'âge où l'on parle du temps pour engager une conversation."
Quinquennat
Comme je le disais pour l'Emprise, ce roman parle de ce qui ne m'attire guère: la politique (et ses coups fourrés), les services secrets (et ses coups en douce), et les magouilles financières... Lecture détente, non?
Encore une fois, je l'avoue : je-n'ai-pas-lâché-ce-bouquin. Fascinée par la crédibilité de l'histoire où résonnent en écho des faits actuels, agacée de ne pouvoir poser un nom sur certains (et pourtant!), écœurée du cynisme de quelques politiques/journalistes/hommes d'affaires, soulagée de l'honnêteté et la ténacité de certains quand même, tendue à cause du danger menaçant ces derniers, épatée par une construction tout en suspense, jubilant à la lecture de bien des passages, riant même parfois (jaune).
L'histoire? Launay est élu président de la République, suite à un 'sursaut républicain', face au candidat du Mouvement patriote. L'élimination de trois islamistes entre les deux tours a pu aider aussi...Mais chut!
Conseillé par une de ses proches collaboratrices, Launay prévoit d'organiser un référendum menant à une réforme constitutionnelle qui pourrait avoir de réels effets positifs, et aussi de rendre moins dangereux pour son avenir politique le Mouvement patriote et ses adversaires (dont certains dans son propre gouvernement).
Je suis d'accord, tout cela peut paraître assez peu attractif, mais croyez-moi, il y aurait encore beaucoup à dire, avec moult personnages et filouteries. D'ailleurs je signale que ce fameux référendum sera repoussé à un troisième tome, qui je l'espère donnera enfin la réponse à quelques questions. Je souhaite que Monsieur Dugain y travaille sans relâche!
Quelques passages:
"En deux semaines, une nuée de collaborateurs de l'ancien régime allaient céder leur place à d'autres. (...) Les diplômes ont remplacé la naissance au bémol près que les titulaires des diplômes sont nés pour la plupart dans les mêmes milieux." (...)Bref, tout ce qui crée l'inertie française paraissait sur le point de se renouveler selon une version nationale du jeu de la chaise musicale, où l'on compte autant de chaises que de gens qui tournent autour."
"D'une beauté évidente, elle évoluait au milieu de la quarantaine sans inquiétude pour la suite."
"Les gens n'existent plus que par le bruit qu'ils font. (...) Le bruit généré par un individu est égal à la moyenne entre son QI et sa position sociale."
Question : les deux tomes sont-ils indépendants? Je pense que c'est comme chez Bello, on peut parfaitement suivre le II sans avoir lu le I puisque l'auteur y insère tous les éléments permettant de suivre, mais ce serait dommage de se priver du I.
Commentaires
C'est passionnant et addictif et, chose appréciable, l'intérêt de faiblit pas contrairement à certains "multi-tomes" qui ont du mal à tenir la distance.
Je ne savais pas du tout que c'était une trilogie.
Mais d'abord il me faudra attaquer le premier! :D
Même si je me demande si retrouver en filigrane quelques événements français assez récents n'ajoute pas au plaisir de la lecture.