Pierre Bayard
Les Editions de Minuit, 2013
Pierre Bayard a le chic pour proposer des titres tels Qui a tué Roger Ackroyd?, Comment améliorer les oeuvres ratées?, Comment parler des livres que l'on n'a pas lus?, Comment parler des lieux où l'on n'a pas été?, qui à première vue ne font pas très sérieux, on sent la plaisanterie voire le canular et les lecteurs raisonnables vont filer.
Si l'on se penche sur les quatrièmes de couverture (où l'on apprend que l'auteur est professeur de littérature française à l'Université Paris 8 et psychanalyste), l'on découvre des sujets sérieux, approfondis et peu attirants, et, pareil, le lecteur raisonnable prend peur.
Quel dommage!
En effet, Pierre Bayard n'est pas un plaisantin, ses livres sont bourrés d'intelligence et de réflexion ET ils se lisent avec une aisance inattendue et un plaisir étonnant.
En exergue de cet opus, une citation de Primo Levi
"Il nous arrive souvent, à nous qui sommes revenus et qui racontons notre histoire, que l'interlocuteur nous dise : 'Moi, à ta place, je n'aurais pas résisté un seul jours." Cette affirmation n'a pas de sens rigoureux : on n'est jamais à la place d'un autre. Chaque individu est un sujet tellement complexe qu'il est vain d'en prévoir le comportement, davantage encore dans des situations d'exception, et il n'est même pas possible de prévoir son propre comportement."
L'auteur va, à chaque fin de chapitre, essayer d'appliquer sa réflexion à son cas personnel, en toute honnêteté, et en imaginant qu'il soit né comme son père, en 1922. A partir de là, quelle aurait été son attitude?
Mais chaque chapitre est abondamment illustré par des exemples (connus ou moins). Lacombe Lucien, dont la personnalité potentielle aurait peut-être pu le faire basculer d'un autre côté que la collaboration; les conflits éthiques, l'expérience de Milgram (où l'on envoie des décharges électriques à des êtres humains). Alors que les sujets de cette expérience n'avaient pas 'officiellement' le choix (on les sommait de continuer), autre fut le cas des hommes du 101è bataillon de réserve de la police allemande, qui se sont vus (au début) accorder le droit de refuser de participer à des massacres de civils.(Relaté dans Des hommes ordinaires, de Christopher Browning). Pierre Bayard parle de bifurcation.
"Chaque vie est ainsi une succession de bifurcations, plus ou moins nettement visibles, qui dessinent devant nous une multitude d'itinéraires virtuels conduisant à des existences parallèles que nous ne connaôtrons pas, où nous aurions vécu d'autres expériences, fait d'autres rencontres, aimé ou haï d'autres gens. Et où se seraient révélées peut-être d'autres personnalités potentielles que nous portons en nous et qui nous demeurent à jamais dissimulées."
Après Cordier (secrétaire de Jean Moulin), Gary, Pierre Bayard s'intéresse aux Justes (en particulier ceux du Chambon sur Lignon)
N'oublions pas aussi l'existence de la peur, pas forcément physique, mais aussi celle de perdre une situation confortable. Parfois aussi il est nécessaire de sortir de son cadre de pensée, de faire appel à la créativité. Exemples de Sousa Mendes (incroyable, ce type!) et Milena Jesenska à Ravensück)
Terminant avec les conflits plus récents au Cambodge, en Bosnie et au Rwanda, il ajoute, 'à la force puisée en soi-même et à celle puisée dans le regard des autres', celle 'puisée dans leur croyance en dieu' (même si peu orthodoxe)
Quel aurait été le choix de Pierre Bayard? Le vôtre? Je m'interroge parfois sur le choix d'un oncle engagé dans les années 40 (et mort en 1944) qui au départ avait exactement le même arrière plan que ses frères...
Idée de lecture trouvée chez Marque pages
Je participe au Challenge Lire sous la contrainte chez Philippe ou ici
Commentaires
Pour celui-ci j'ai été étonnée (bêtement, je sais) de la richesse du contenu, de tous ces exemples y compris actuels, et bien sûr pour moi la question demeure...
J'ai par contre toujours un peu peur des psychanalystes – au contraire des (neuro)psychiatres – très intelligents mais si peu rationnels parfois, ou plutôt qui acceptent trop facilement «ce qu'on ne saurait comprendre».
J'ai trouvé le livre très bien fait, une excellent réflexion. Et je veux bien croire qu'il a quelque chose d'impalpable dans le basculement vers le héros ou non.
là le sujet m'importe plus mais sur ce sujet là je recommande plutôt le roman magnifique de Jérôme ferrari là où j'ai laissé mon âme
je salue avec toi cet homme extraordinaire Sousa Mendes qui a lui seul a pu sauver un nombre de juifs impressionnant en disant NON à son gouvernement et en faisant imprimer en un temps record de faux papiers pour une multitude de gens en danger il devrait exister des Prix Nobel à titre posthume je trouve
Entre le résistant et le bourreau, quel rôle l'auteur donne-t-il à la majorité qui n'opte ni pour le mal ni pour l'héroïsme ?
Toujours ce conditionnel !
En tout cas, un titre qui me convient tout à fait : premier participe passé de la série. Merci pour cette nouvelle participation à mon challenge et bonne soirée.
Daphné
P Bayard est psychanalyste, oui, mais il n'exagère pas ce côté de sa personne, il reste toujours agréable à lire et pas obscur.
Je ne connaissais pas Sousa Mendes, comme quoi j'ai appris beaucoup grâce à ce livre, je suppose qu'il a une place parmi les Justes. Un prix Nobel de la paix à titre posthume? Pourquoi pas?
Je n'ai plus le livre sous la main, quant au rôle de la majorité, en fait. Il se place honnêtement dans cette catégorie, d'ailleurs, (sauf que, à la fin, peut-être, un déclencheur potentiel ?), reconnaît l'existence de la peur. Je ne pense pas qu'il juge.
Il parle aussi du fait que ceux que l'on considère après coup comme héros - à juste titre- ont agi sans avoir conscience qu'ils l'étaient, que c'est venu comme cela, qu'ils ne pouvaient faire autrement.
Et un livre de moins dans la LAL, et l'envie de lire P Bayard, me voilà bien!
j'ai lu récemment deux romans en relation avec la seconde guerre mondiale, et qui questionnent justement sur la notion de bien et de mal, avec un narrateur qui a du mal justement à imaginer ce qu'il aurait pu faire...etc.
Je me demande ce que tu as lu, maintenant?
Quant à Bayard, j'ai lu son bouquin sur Roger Akroyd qui m'a paru vain et je n'ai pas poursuivi.
https://positivr.fr/bain-games-camera-cachee-influence-du-groupe/
Bayard évoque ici un sujet sérieux, évidemment, bien sûr plus que pour Roger Ackroyd. Mais ses autres textes sont sans doute plus intéressants.
j'ai lu plusieurs ouvrages de Pierre Bayard, le dernier je crois s'intitulait " Comment parler des lieux où l'on n'a pas été". Il soutenait (avec de solides arguments) que Marco Polo n'avait jamais mis les pieds en Chine... j'aime bien ce qu'il écrit. Outre qu'il a de l'humour, on apprend pas mal de choses...
Celui ci est sur un thème beaucoup plus 'sérieux', mais se lit tout de même avec intérêt.
J'aime bien la réponse de ta mère, hé oui.
L'émotion est plus présente que l'humour, mais l'auteur n'oublie pas d'user de son autodérision qui fait tomber un peu la pression.
Une bonne question pour les élèves, oui, et qui devrait les porter à creuser un peu les faits 'vus de l'intérieur'. Et à se demander 'que ferai-je aujourd'hui, que vais-je faire dans telle situation?'