Le désert des Tartares

Le désert des Tartares
Il deserto dei Tartari
Dino Buzzati
Poche, 1966
Traduit par Michel Arnaud


(paragraphe qu'on peut sauter)
Il y a plus de 20 ans j'habitais au fin fond du fin fond (et ça l'est resté), selon une bonne vieille habitude j'ai demandé à un collègue de lettres quelles lectures il me recommandait. Dans sa réponse, avec Splendeurs et misères des courtisanes, il y avait Belle du Seigneur, et, pour donner une idée de l'ambiance de la ville où nous habitions : "Le désert des Tartares et Le rivage des Syrtes". 
Quand Ellettres a suggéré une lecture commune du désert des Tartares, j'ai bondi sur l'occasion. Souvenirs flous mais positifs.
Et alors là, j'ai dévoré le roman : grosse claque! On est dans la catégorie 

Coup de coeur Incontournable Ne se lâche pas.

"Ce fut un matin de septembre que Giovanni Drogo, qui venait d'être promu officier, quitta la ville pour se rendre au fort Bastiani, sa première affectation."

Tout jeune homme sorti de l'Académie militaire, Drogo s'en va sur sa monture vers ce fort, lui aussi au fin fond du fin fond, perdu dans les montagnes. Au nord du fort, le fameux désert des Tartares, l'ennemi historique semble-t-il, qui pourrait attaquer de ce côté.
Dès le début, le lecteur sent subtilement que ce fort aux pierres jaunes, sous des nuages passant au dessus, et avec peu d'aperçus sur le désert mystérieux, va à la fois donner à Drogo le désir de vite filer, retour vers une autre garnison, et d'en découvrir plus. Allez, on reste quatre mois, on n'a pas peur. Avec le risque de s'engluer dans le quotidien militaire, ponctué de relève de gardes montantes et descendantes, avec mots de passe, et parfois une rigidité criminelle et obtuse. On le devine, Drogo sera pris au piège, même si toujours il peut partir.

Drogo est un militaire, toujours espérant qu'un jour un jour l'ennemi surviendra, que son temps à Bastiani ne sera pas vain, qu'il aura l'occasion de briller...

Comme Drogo, le lecteur ne peut quitter librement ce fort, il est fasciné, il vaut en savoir plus, il espère.

"Drogo s'obstine dans l'illusion que ce qui est important n'est pas encore commencé. Giovanni attend, patiemment, son heure qui n'est jamais venue, il ne pense pas que le futur s'est terriblement raccourci, que ce n'est plus comme jadis, quand le temps à venir pouvait lui sembler une immense période, une richesse inépuisable que l'on ne risquait rien à gaspiller."

Je dirais que c'est le roman parfait dans sa narration et sa construction. Rien que les rencontres en écho d'un officier ancien et d’une jeune recrue, au début, et vers la fin. Rien n'est appuyé, ni les relations entre ces militaires, leurs pensées, ni le temps qui finalement passe.

L'on s'interroge forcément sur sa vie, à quoi a-t-elle servi, où s'est-elle embourbée dans l'inutile, dans l'attente? Cependant le roman se termine sur une note absolument magnifique, au moment où Drogo livre enfin -et je crois, avec succès- sa plus belle bataille.

Une lecture commune avec Ellettres.

Les avis de nathalie, le bouquineur,

Commentaires

  1. Ahhhh je peux dire que je suis contente ! Oui, c'est un roman aussi simple que parfait, pas grand-chose dedans mais tout est là. Bienvenue chez Buzzati !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, je sais que tu aimes cet auteur, on y pense, on y pense...

      Supprimer
  2. Un très bon roman effectivement !
    http://lebouquineur.hautetfort.com/archive/2012/10/10/dino-buzzati-le-desert-des-tartares.html

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je viens de lire ton billet (les commentaires sont fermés) et ne peux qu'être d'accord : roman à lire!

      Supprimer
  3. J'aime beaucoup les nouvelles de Buzzati, mais je n'ai toujours pas lu ce roman, je ne sais pas trop pourquoi d'ailleurs. Ton billet et celui d'Ellettres me donnent vraiment envie de le remonter dans ma pile de livres à lire. 😉

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, il le faut!!! Il me semble connaître quelques nouvelles (du K)

      Supprimer
  4. Je t'ai fait attendre sur cette lecture commune, mais le résultat en valait la peine (l'attente - toujours moindre que celle de Drogo dans son fort). Je crois que c'est toi qui m'as proposé la LC (et non l'inverse) et je t'en remercie. Ce roman est saisissant tout en étant d'une grande impassibilité. Et la langue est magnifique, même en traduction.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Un grand roman, allez, disons chez d'oeuvre, même si à première lecture j'avais aimé sans excès.

      Supprimer
  5. un vieux de la vieille totalement inusable comme le rivage des Syrtes

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Le rivage des Syrtes m'a perdue quand j'ai réessayé... Mais pfff, quel auteur!

      Supprimer
  6. Je me souviens aussi de cette lecture, fortes impressions, et tu me donnes envie de le relire !

    RépondreSupprimer
  7. Je crois qu'il y a longtemps, je l'avais commencé et abandonné. Je n'accrochais pas. Il faudrait que je refasse une tentative.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tu devrais, en effet. Figure toi que lors de ma première lecture il y a plus de 20 ans, le roman ne m'avais pas fait si forte impression.

      Supprimer
  8. Ca ne m'étonne pas que ce soit un coup d ecoeur. J'ai découvert récemment la plume de Buzzati avec l'invasion de la Sicile par les ours et j'adore ! Il faut que je m'achète ce livre, ca fait partie des livres qui étaient sur la liste de lycée (il y a un siècle, quand j'étais au lycée)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. L'invasion de la Sicile par les ours? Mais quel titre extraordinaire!

      Supprimer
  9. J'étais complètement passé à côté de ce roman.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est possible, ma première lecture ne m'avait pas autant frappée.

      Supprimer
  10. Voila le genre de première phrase qui me pousse à lire immédiatement un roman ! Là c'est déjà fait et je pense toujours au "Désert des Tartares", quand j'approche de Château-Queyras, perché sur son pic !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. En fait j'ai du mal à imaginer, car derrière la forteresse, il y a ... quoi?

      Supprimer
  11. Je ne suis plus très sûre de l'avoir lu, j'ai lu des nouvelles, c'est sûr, et Barnabo des montagnes. j'ai mis récemment de côté Le K à lire ou relire aussi.
    Et sinon, ce roman m'évoque toujours Brel et "le fort de Bellonzo qui domine la plaine d'où l'ennemi viendra, et me fera héros." (c'était la minute poétique)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ah oui, Brel, là on est dans la même geste poétique!

      Supprimer
  12. Je l'ai commencé une première fois, au lycée, et j'avais jeté l'éponge au bout de quelques pages (trop "jeune" sans doute...). Ma 2e tentative, il y a quelques années, a abouti au même émerveillement que toi ! Et je suis d'accord avec Cleanthe, ses nouvelles sont excellentes (notamment celles du K, que tu cites)..

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'ai l'impression qu'il ne faut pas être trop jeune pour apprécier pleinement (mais on peut tenter jeune, et relire, et puis je peux me tromper ^_^)

      Supprimer
  13. Ah ! celui-là, je le connais, ça arrive une fois de temps en temps ! Mais je ne l'ai pas lu et je n'en ai pas l'intention.
    Bonne fin de semaine.

    RépondreSupprimer
  14. Je l ai lu il y a longtemps très longtemps, un merveilleux souvenir, je l ai devoré en une nuit........

    RépondreSupprimer
  15. Savez-vous que je l'ai ressorti il y a quelques jours et que j'ai repris cette lecture après être restée un moment dans le fort qui est près de chez moi. Et j'ai ensuite eu envie de re-re-re-lire aussi Le rivage des Syrtes, de Julien Gracq.
    Buzatti est un de mes auteurs préférés. Il a une vision du monde, une ouverture d'esprit exceptionnelle. C'est, d'après moi, un immense écrivain.
    Bonne journée.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, je viens de découvrir cela chez vous, les grands esprits ^_^ se rencontrent.

      Supprimer
  16. Réponses
    1. Laisse lui sa chance, on peut être désarçonné.

      Supprimer
  17. Comme toi, je l'ai lu dans ma jeunesse et j'avais adoré. Je me suis toujours demandé s'il n'avait pas fortement inspiré "le rivage des scyrtes". Je le relirai volontiers.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ha je ne sais pas. Je le trouve plus facile à lire que le Rivage, qu je viens d'abandonner, pourtant j'avais envie de le relire.

      Supprimer
  18. Un chef-d'oeuvre qui éblouit encore à la relecture. Comme toi, je le préfère au roman de Gracq.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Il parle plus et c'est plus fluide.Plus universel?

      Supprimer
  19. Je l'ai lu il y a des années, et je reconnais qu'il faudrait qu'à présent je le relise, car j'avais adoré ses nouvelles quand je les ai relu plus récemment...On change et parfois on fait des découvertes lors d'une relecture. Merci pour l'idée (pour l'instant je relis John Fante !)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. John Fante, oui, tiens, je devrais m'y intéresser sérieusement.

      Supprimer
  20. Jamais lu Buzatti... Rien que d'entendre prononcer son nom, je fuis. C'est un auteur qui m'effraie parce que je pressens inaccessible pour moi, pas forcément par son style, mais par son univers.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tu as tort, je peux te le dire, mais bon, je ne peux te forcer!

      Supprimer
  21. ce livre est dans ma PAL depuis des lustres, ta critique me donne envie de l'en sortir :-)

    RépondreSupprimer
  22. C'est vrai qu'il y a une grande parenté entre le rivage des syrtes et le désert des Tartares. Mais le style est très différent. Un Balcon dans la forêt de Gracq met aussi un personnage dans cette situation d'attente. Julien Gracq y fait allusion à la "drôle de guerre" de septembre 39 à Mai 40 .

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Mon collègue avait raison. j'avoue avoir du mal avec Gracq (pourtant, le titre de mon blog... ^_^)

      Supprimer
    2. Effectivement, on aurait pu penser que Gracq t'avait inspirée pour le titre de ton blog...

      Supprimer
    3. Il m'a inspirée! J'ai même chroniqué le livre en question. ^_^
      http://enlisantenvoyageant.blogspot.com/2011/06/en-lisant-en-ecrivant.html

      Supprimer
  23. Comment résister quand on lit les mots "roman parfait"? Tu as attisé ma curiosité, là!
    Daphné

    RépondreSupprimer
  24. Un roman lu à l'adolescence, et pas repris depuis lors. Mais comment oublier cette longue attente de l'ennemi qui vient trop tard... le roman de Gracq est de même inspiration mais de style très différent. Certaines descriptions sont fascinantes. Des lectures que j'aimerais reprendre.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. He oui, relire... Mais ça en vaut la peine.
      Ce Désert des Tartares est fascinant, en fait il se passe toujours quelque chose (même si rien)

      Supprimer
  25. J’ai lu ce livre au début du collège et je m’en souviens encore. C’est un très grand livre. (Goran : https://deslivresetdesfilms.com)

    RépondreSupprimer
  26. J'en garde un souvenir...pas génial de lectures par un documentaliste vieillissant qui d'année en année ne nous lisait qu'un seul passage, d'une voix lugubre et trainante. Un enfer quand tu as 12/13 ans...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Quelle horreur! Comment détourner de la lecture... N'hésite pas à le lire toi même.

      Supprimer
  27. Ce roman m'avait fascinée, il est beaucoup plus abordable que Le rivage des Syrtes, et je l'ai largement préféré. Tu as raison, on ne s'ennuie pas une seconde malgré l'apparente inaction du roman. De Buzzati j'ai beaucoup aimé La fameuse invasion des ours en Sicile, et ses nouvelles... Grand auteur !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. OK c'est compris, je me dois de continuer à lire cet auteur.

      Supprimer
  28. Du petit lait ce roman, je m'en souviens encore ! Encore dans mes vieux billets mais moins lointain que le Handmaids'Tale : https://lecture-sans-frontieres.blogspot.com/2011/05/le-desert-des-tartares.html
    Je comptais continuer à le lire d'ailleurs mais évidemment, PAL, LAL, l'air connu quoi. Je vais quand même essayer de me caser La fameuse invasion de la Sicile par les ours d'ici peu.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bon ben va falloir se programmer une LC, histoire de se mettre la pression?
      Pour La servante, on n'a pas de date?

      Supprimer
    2. Pour la servante, on n'a qu'à dire le 04/11 ? Je suis prête. C'était la date pour le Truman Capote mais je ne vais pas pouvoir le caser au final... Et pour les ours de Buzzati (des ouuuurs !!), on pourrait se le programmer pour décembre ? J'hésite à aller voir l'animé avant. Je n'aurai jamais le temps de le lire avant qu'il ne disparaisse des salles...

      Supprimer
    3. Pour les ours, j'ai découvert qu'il y a un film, résultat, faut que je me prépare, mais je pense que le bouquin sera disponible (en folio, non, il y a quelque chose dans le coin). Le film, tant pis.
      Capote, pas de souci, on en reparle. C'est hyper court ceci étant.
      La servante, OK pour le 4 novembre, je voulais lire la suite avant, mais ça va être trop coton de mettre la main dessus à la bibli, tu penses bien...

      Supprimer
  29. Rebonsoir Keisha, tu as tout dit. Et j'adore la chanson de Brel: Zangra, le capitaine du fort de Belonzio. Bonne soirée.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci, et Ellettres a aussi un joli billet. Quand on aime...
      Il va falloir que j'aille voir cette chanson de Brel, ah oui c'est fait, je connais! Totalement l'ambiance.

      Supprimer
  30. J'ai entendu le pire comme le meilleur sur ce roman qui semble incontournable, aussi, je ne sais jamais si je dois m'y lancer ou pas. De Dino B, j'avais adoré le K, mais bon, c'était des nouvelles si je me souviens bien... A suivre, à voir, on verra où ma vie de lectrice me mènera !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. On verra oui, tu peux caser ça dans les classiques; de plus il est possible que tu accroches plus tard, il faut le bon moment.

      Supprimer
  31. "Drogo s'obstine dans l'illusion que ce qui est important n'est pas encore commencé." Magnifique et si vrai, pour beaucoup de personnes. Moins quand on prend de l'âge...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Heu, je lis ça trois fois... Hé oui, magnifique. Mais je pense qu'il a changé, à la fin.

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Les commentaires sont modérés, histoire de vous éviter des cases à cocher pour prouver que vous n'êtes pas un robot.