L'envers du temps
Recapitulation; 1979
Wallace Stegner
Gallmeister, 2017
Traduit par Eric Chédaille
Et voila, le charme de Wallace Stegner a encore une fois agi! Pourtant il s'agissait là de reprendre les personnages de La montagne en sucre, particulièrement le jeune fils, Bruce Mason, qui, des décennies plus tard revient à Salt Lake City, après une carrière de diplomate, pas vraiment terminée, l'ayant emmené surtout au moyen orient.
A Salt Lake City, plus rien ne le retenait, ses parents et son frère y étant enterrés depuis longtemps, laissant des souvenirs douloureux et compliqués, comme ceux restant de Nola, son premier amour, qui l'a laissé tomber pour un autre.
Lui reste un ami de toujours, Joe, et une tante peu connue qui vient de décéder, d'où son retour obligé dans la ville de son adolescence.
Le voilà qui déambule dans une ville ayant bien sûr changé, à la recherche (ou l'évitement) de lieux connus.
"Toutes ses impressions souffraient de distorsion et d'ambiguïté. Regardant les bâtiments, il n'aurait su dire s'il s'en souvenait ou si sa mémoire meublait la rue d'objets qu’elle voulait familiers. Quoique vaguement préparé à observer des changements, il n'avait pas prévu à quel point le connu et l'inconnu pouvaient fusionner. Il connaissait cette rue, mais celle-ci le mettait mal à l'aise. Cela tenait-il à ce que, bien que pourvu des mêmes yeux, celui qui voyait et celui qui se souvenaient n'étaient pas les mêmes?" (p31)
Oui mais
"Dangereux de presser le tube de la nostalgie. Impossible d'y remettre le dentifrice. Le risque était qu'il finisse par verser dans la confusion. Car les côtés sombres qu'il ne pouvait manquer de se remémorer concernant cette ville étaient au moins aussi nombreux que les aspects sentimentaux et plaisants, et le seul fait de chercher à s'y soustraire les faisait remonter à la surface. S'il leur donnait libre cours, ils pouvaient revenir en masse comme des mouches d'automne contre la fenêtre du grenier." (p 42)
Un livre sur la mémoire, son manque de chronologie, ses évitements (et leur impossibilité)? Oui, mais ne pas s'imaginer du systématique, Wallace Stegner renouvelle les façons dont il se remémore le passé, y compris avec une caméra imaginaire. Et c'est passionnant, on a une 'vraie' histoire, dont on connaît bien sûr la fin, mais peu importe, les péripéties se découvrent avec avidité. Ajoutons une merveilleuse façon de décrire les paysages (nature writing bien sûr!), un art de la comparaison et de l'image, visible dans les passages cités plus haut, beaucoup de tendresse, un poil de drôlerie et autant de tragique.
La fin peut étonner, mais découle logiquement de ce qui précède.
Un passage lors de l'enterrement de sa tante, décédée fort âgée, avec un orage qui gronde, et où assistent seulement des dames de sa maison de retraite.
"Ces dames, qui avaient probablement savouré à l'avance cet enterrement comme une occasion de sortir, observaient Mason avec intérêt, le ciel avec inquiétude, le cercueil avec l'empathie chiffonnée de la prémonition." Franchement, quel génie de la concision!
Coup de coeur, forcément. De toute façon c'est (encore) un auteur chouchou.
Des avis lecture écriture, avec l'avis du Bouquineur, que j'enjoins de continuer à lire l'auteur! et chinouk,
Recapitulation; 1979
Wallace Stegner
Gallmeister, 2017
Traduit par Eric Chédaille
Et voila, le charme de Wallace Stegner a encore une fois agi! Pourtant il s'agissait là de reprendre les personnages de La montagne en sucre, particulièrement le jeune fils, Bruce Mason, qui, des décennies plus tard revient à Salt Lake City, après une carrière de diplomate, pas vraiment terminée, l'ayant emmené surtout au moyen orient.
A Salt Lake City, plus rien ne le retenait, ses parents et son frère y étant enterrés depuis longtemps, laissant des souvenirs douloureux et compliqués, comme ceux restant de Nola, son premier amour, qui l'a laissé tomber pour un autre.
Lui reste un ami de toujours, Joe, et une tante peu connue qui vient de décéder, d'où son retour obligé dans la ville de son adolescence.
Le voilà qui déambule dans une ville ayant bien sûr changé, à la recherche (ou l'évitement) de lieux connus.
"Toutes ses impressions souffraient de distorsion et d'ambiguïté. Regardant les bâtiments, il n'aurait su dire s'il s'en souvenait ou si sa mémoire meublait la rue d'objets qu’elle voulait familiers. Quoique vaguement préparé à observer des changements, il n'avait pas prévu à quel point le connu et l'inconnu pouvaient fusionner. Il connaissait cette rue, mais celle-ci le mettait mal à l'aise. Cela tenait-il à ce que, bien que pourvu des mêmes yeux, celui qui voyait et celui qui se souvenaient n'étaient pas les mêmes?" (p31)
Oui mais
"Dangereux de presser le tube de la nostalgie. Impossible d'y remettre le dentifrice. Le risque était qu'il finisse par verser dans la confusion. Car les côtés sombres qu'il ne pouvait manquer de se remémorer concernant cette ville étaient au moins aussi nombreux que les aspects sentimentaux et plaisants, et le seul fait de chercher à s'y soustraire les faisait remonter à la surface. S'il leur donnait libre cours, ils pouvaient revenir en masse comme des mouches d'automne contre la fenêtre du grenier." (p 42)
Un livre sur la mémoire, son manque de chronologie, ses évitements (et leur impossibilité)? Oui, mais ne pas s'imaginer du systématique, Wallace Stegner renouvelle les façons dont il se remémore le passé, y compris avec une caméra imaginaire. Et c'est passionnant, on a une 'vraie' histoire, dont on connaît bien sûr la fin, mais peu importe, les péripéties se découvrent avec avidité. Ajoutons une merveilleuse façon de décrire les paysages (nature writing bien sûr!), un art de la comparaison et de l'image, visible dans les passages cités plus haut, beaucoup de tendresse, un poil de drôlerie et autant de tragique.
La fin peut étonner, mais découle logiquement de ce qui précède.
Un passage lors de l'enterrement de sa tante, décédée fort âgée, avec un orage qui gronde, et où assistent seulement des dames de sa maison de retraite.
"Ces dames, qui avaient probablement savouré à l'avance cet enterrement comme une occasion de sortir, observaient Mason avec intérêt, le ciel avec inquiétude, le cercueil avec l'empathie chiffonnée de la prémonition." Franchement, quel génie de la concision!
Coup de coeur, forcément. De toute façon c'est (encore) un auteur chouchou.
Des avis lecture écriture, avec l'avis du Bouquineur, que j'enjoins de continuer à lire l'auteur! et chinouk,
La dernière phrase est effectivement excellente ! Bon, encore un de tes auteurs favoris qu'il me reste à découvrir...
RépondreSupprimerCela démarre doucement, mais l'homme est talentueux et on ne lâche pas, c'est plein de passages et tournures à noter.
SupprimerJ'ai "la montagne en sucre" dans ma PAL, je le garde pour le prochain pavé de l'été, à moins que l'envie me prenne de le lire avant.
RépondreSupprimerEn effet mieux vaut le lire avant. L'envers du temps ne spoile pas vraiment mais il y a quand même des détails. Ceci étant, l'intérêt de lire Stegner est toujours là, même si on connaît l'histoire, par exemple j'ai déjà relu La vie obstinée.
SupprimerUn très bon roman et je me cite : "Le roman est relativement dense, très bien écrit, assez détaillé (surtout concernant les vêtements !) avec des astuces narratives qui en épicent la lecture et nous donnent finalement un très bon livre, très fin et qui touche par sa nostalgie induite."
RépondreSupprimerRevois la fin de mon billet, je t'incite à continuer à découvrir cet auteur, tu as compris tout de son talent!
SupprimerC'est encore une fois un auteur que je n'ai jamais lu...je ne sais pas si j'arriverai à combler mes manques, mais je garde espoir :) Merci pour cette belle chronique
RépondreSupprimerIl mérite absolument d'être lu.
SupprimerJe n'ai lu que deux romans de cet auteur, toujours avec plaisir... je note La montagne en sucre tout d'abord.
RépondreSupprimerBien sûr, La montagne en premier (objectif pavé!)
Supprimergrâce à toi j'ai lu et apprécié "la montagne en sucre" je vais penser à lire celui-ci.
RépondreSupprimerOui, tu retrouveras le même univers.
SupprimerJ'ai ses livres en stock sur l'étagère depuis euh... plusieurs années... il serait temps de les ouvrir !
RépondreSupprimerIl est plus que temps, mais tu sais, ces stocks pour les temps futurs, c'est bien, on peut y piocher, cet auteur ne peut que plaire de plus en plus!
SupprimerStegner forever.... Celui-ci m'attend, bien au chaud
RépondreSupprimerTu as vu, chouchou un jour, chouchou toujours. J'en ai un à relire, comme projet!!!
SupprimerUn auteur que je ne connais pas mais que tu donnes envie de lire.
RépondreSupprimerMerci pour la découverte, bonne soirée.
Tout est bon chez lui, découvre le!
SupprimerEncore un auteur chouchou que je ne connais pas du tout !
RépondreSupprimerHé oui, mais il devrait te plaire...
SupprimerJ'espère le découvrir un jour.
RépondreSupprimerJe l'espère pour toi, car ce sont de belles et bonnes lectures.
Supprimerj'avais ses livres mais quelque chose m'empêche de le lire .. son style ?
RépondreSupprimerHa? Il demeure agréable à lire, mais ce n'est pas relâché. J'aime ses thèmes et sa façon de parler des gens.
SupprimerLa dernière citation est un régal.
RépondreSupprimerHé oui... Quel talent!
Supprimeril me semble que j'en ai un dans ma pal...j'aime beaucoup la dernière citation!
RépondreSupprimerDépêche toi de l'en sortir!
SupprimerDe cet auteur, je n'ai lu qu'Une journée d'automne qui ne m'avait pas marqué plus que ça mais j'ai tout de même très envie de continuer à le découvrir.
RépondreSupprimerJ'ai lu Une journée d'automne, vraiment le truc de jeunesse qui en donne aucune idée de son talent, donc ne reste pas sur cette expérience... (d'ailleurs je n'en ai même pas parlé sur le blog!)
SupprimerBon, il faut déjà que je passe par La montagne en sucre. Peut-être un de mes prochains pavés. Le challenge A l'assaut des pavés se poursuit en 2020 !^^
RépondreSupprimerNe te prive surtout pas!!!
SupprimerJ'étais persuadée que j'avais lu un titre de cet auteur .... Je vais jeter un oeil sur La vie obstinée, pour commencer. Virée en librairie prévue cet après-midi !
RépondreSupprimerHa ha! Bonne chance! Sinon tu as les biblis.
SupprimerJ'ai beaucoup aimé "la bonne grosse montagne en sucre" mais je me souviens surtout du personnage féminin, la mère de Joe , le personnage principal très fort. Peu du reste, à part, bien sûr, de son beau mari, source de tous les maux !
RépondreSupprimerah oui la pauvre épouse;.. Dans cette 'suite' les deux sont décédés, mais ils sont quand même évoqués.
SupprimerBon je suppose que tu devines que je ne suis pas encore prête à m'approcher réellement de ce type de littérature, coup de coeur ou pas... Et puis j'ai encore tellement d'autres livres à lire !
RépondreSupprimerSnif, pour une fois que le roman n'est pas un pavé!^_^
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