lundi 30 octobre 2017

Une bouche sans personne


Une bouche sans personne
Gilles Marchand
Points, 2017



"Je ne sais pas dans quelle mesure être en représentation m'aide à me livrer chaque fois davantage, à m'avancer vers le cœur de l'histoire. La présence de tous ces anonymes me permet de me détacher de ce que je leur raconte. A travers eux,  mon histoire devient une histoire. C'est peut-être ce dont j'avais besoin pour avancer. Je ne suis plus qu'une bouche, une espèce de lien avec un autre temps qui se dépossède de ce qu'il a sur le cœur. Mon histoire leur appartient et se mêle de ses propres souvenirs. Chacun en fera ce qu'il voudra, chacun a son propre Pierre-Jean qui entre en résonance avec le mien."

Années 80. Chaque soir Sam, Thomas et le narrateur se retrouvent dans le café tenu par Lisa. Sam et Thomas possèdent des cicatrices invisibles, Lisa, on ne sait pas, tous en sont secrètement amoureux, en tout cas le narrateur l'est, dont le bas du visage et le corps est marqué d'une cicatrice dissimulée soigneusement sous une écharpe.

Que s'est-il passé? Pourquoi ce retrait, cette peur des regards? Cette vie étriquée de comptable fuyant ses collègues? Un soir sa parole commence à se délier, sous le regard amical de Sam, Thomas et Lisa. La pelote commence à se dérouler avec l'histoire de son grand père Pierre-Jean.

Pas question justement de tout dévoiler. De toute façon le roman n'est pas que le récit de certains événements, et tant mieux. Je me suis amusée à suivre la vie dans les bureaux (assez caustique), les rencontres avec la boulangère (un poil farfelu, et drôle, et bien vu), les sorties de la femme au chien, l'accumulation des sacs poubelle dans le hall et l'escalier de l'immeuble (j'adore quand on pousse au bout une idée délirante), le succès des soirées dans le bar (pareil, ça évolue sans être bridé). Bref plein de petits détails bien vus, dont certains trouveront une place dans le récit du drame. Un bain de fantaisie qui fait passer (un tout petit peu) l'horreur finale et s'ouvre sur un futur meilleur.

"Ma boulangère, comme toutes les boulangères, reste fidèle au seul temps qu'elle connait : le futur. 'Et avec ça vous prendrez', 'ça vous fera cinq francs.' Quelle est la règle et d'où vient cette exception de conjugaison, ce privilège autorisant les boulangères à ne jamais utiliser le présent et à bénéficier d'une quasi-exclusivité sur le futur? Se rendent-elles compte qu'elles plongent leurs clients dans les méandres parfois complexes de la concordance des temps? Ils ne savent pas s'ils sont, à leur tour, obligés de parler au futur ou s'ils ont une autorisation tacite d'utiliser le présent."(etc.)

Les avis de Charybde, Noukette, Ys, luocine,

vendredi 6 octobre 2017

Blog en mode vacances

L'année dernière, plein nord, avec l'Islande et le Groenland (mais oui, les baleines jouant au pied des icebergs), cette année, plein sud, et quand je dis sud, c'est sud. Celui de l'Afrique, que l'on imagine plein de vastes paysages, de déserts, de parcs, et de bestioles plus ou moins grosses et/ou dangereuses.

Après lecture d'une citation de Farallon islands chez Kathel, j'ai même failli laisser volontairement mon appareil photo à la maison
« Les gens imaginent souvent que prendre des photos les aidera à se souvenir précisément de ce qui est arrivé. En fait, c’est le contraire. J’ai appris à laisser mon appareil au placard pour les événements importants parce que les images ont le don de remplacer mes souvenirs. »

Voyager sans appareil photo, je l'ai déjà fait, cela donne en effet une liberté incroyable. Je pars avec, finalement, mais ne tenterai pas de lutter contre l'équipement des autres, et la vastitude des paysages. Penser à regarder, prendre son temps, et savoir s'émerveiller.

En revanche, pas question de partir sans lectures!
Côté téléphone, internet, Facebook et ces trucs là, ce sera silence radio

A plus! Soyez sages.

lundi 2 octobre 2017

S'émerveiller

S'émerveiller
Belinda Cannone
Stock, 2017


Que dire de ce livre fabuleux, d'une densité incroyable, à part qu'il fut pour moi un exemple parfait d'émerveillement? Quant à mon regret de devoir le rendre à la médiathèque... (nota, attendre le poche)

S'émerveiller n'est pas se comporter en Lou ravi, on devra  " le distinguer de l'émotion devant le sublime (l'objet dont la grandeur dépasse ma capacité de le dire) et devant la merveille (l'objet extraordinaire, pour tout le monde et tout le temps, au delà de ma perception). Car le sublime et la merveille définissent le caractère de ce qui est vu et non pas le regard."

Regard, donc, "état d'être favorable" "disposition intérieure".. Permettant de "révéler une dimension secrète des choses." Avec l'envie de "faire part" si possible. D'où ce billet.

"S'émerveiller réclame non seulement de vivre dans l'instant mais aussi dans la lenteur."
"Dans le tourbillon vertigineux de la vie courante, où ils n'ont plus qu'un usage entièrement pratique, les noms ont perdu toute couleur comme une toupie prismatique qui tourne trop vite et qui semble grise" note Proust dans Le côté de Guermantes. La lenteur : ralentir pour que la toupie manifeste ses couleurs."

S’émerveiller peut se produire par la vue, mais aussi par l'écoute, tous les sens à mon avis. Parfois avec quelque délai. Importance de la lumière qui transforme le trop vu.

"La forme poétique la plus accordée à l'émerveillement modeste que je veux décrire ici, et à la disposition intime qui le suscite : le haïku. Attention au minuscule, au quotidien, au banal; sentiment vif de l'instant et de l'éphémère - quel plus bel éloge du monde simple et de la vigilance?"

J'aurais pu citer des dizaines de passages, le mieux est de savourer vous-mêmes ce livre.
J'ajouterai qu'il propose des photographies parfois anciennes fournies par l'ARDI (Association régionale pour la diffusion de l'image, implantée en Normandie, avec texte de Belinda Cannone en regard.

J'ai cherché en vain d'où me venait cette idée de lecture, j'ai trouvé, merci Papillon !

 Challenge Lire sous la contrainte  chez Philippe