lundi 30 novembre 2015

Les temps sauvages

Les temps sauvages
Yeruldelgger
Ian Manook
Albin Michel, 2015


Yeruldelgger, le retour. Toujours aussi attaché à sa Mongolie, traînant les mêmes casseroles affectives (en dépit de la sécurité amoureuse auprès de Solongo) avec sa fille, son ex beau-père, etc., intraitable, cavalier seul, de plus en plus, violent et parfois cruel. Bon flic, oui, mais on aimerait qu'il sorte moins vite son arme (OK, faut survivre, mais quand même)

Cette fois on l'accuse d'un meurtre, un yack atterrit, des incendies se déclenchent inopinément, Oyun tombe raide amoureuse, et l'enquête se déplace en Sibérie et ... au Havre! (oui, chez nous). C'est l'occasion de constater que les plats traditionnels mongols paraissent moins attractifs (la tête de chèvre!) que les recettes normandes, roboratives, oui, mais miam!

Parfois l'on a du mal à suivre, pas de longueurs ça non, on ne souffle pas! A la fin c'est Yeruldelgger qui gagne, mais pas sans casse.

Ian Manook s'amuse parfois à pasticher
"Et qui te dit que j'ai envie de t'entendre, chinetoque? Les fouille-merde, je les mets sur écoute, moi, je les fracasse. Je vais te mettre sur la feuille de match, et pas pour réchauffer le banc! Je vais te montrer qui c'est, Rebroff. Aux quatre coins de la toundra qu'on va te retrouver, congelé par petits bouts, façon glace pilée. Moi, quand on cherche le brassage, je cogne plus : je slap shot, je drop le puck, je pète la rondelle!"
"C'est curieux, hein, ce besoin des cons de faire des phrases"

Les avis de Hélène, (le même passage qu'elle!), pareil que Yv (décidément!,  saxaoul,

vendredi 27 novembre 2015

Boussole

Boussole
Mathias Enard
Actes sud, 2015



Oui, difficile d'éviter le bandeau, mais je désirais lire ce roman bien avant, d'autant plus que des avis divergent sur le sujet (voir plus bas).
Pour une fois, je ne serai pas à l'ouest, mais à l'est!

A Vienne, lors d'une longue nuit d'insomnie, le musicologue/ chercheur/ enseignant Franz Ritter laisse filer ses souvenirs. Son amour pour Sarah, elle aussi orientaliste, pour l'orient, le fascinant orient, aux portes de Vienne il y a quelques siècles, et que depuis écrivains, peintres, compositeurs, aventuriers (et aventurières) ont cherché à connaître et explorer. Les évocations de ses propres séjours à Istanbul, en Syrie, en Iran, se mêlent à celles de ses prédécesseurs, formant un tout extrêmement érudit et complet, fluctuant, vagabond et captivant.

Alors, digeste ou pas? Si l'on prend le parti de se laisser entraîner au rythme choisi par l'auteur, sans trop vouloir vérifier si tout est vrai, si l'on aime les digressions et les aventures dans ces contrées, si les étoiles brillent dans vos yeux quand il est question de musique et d'orient, alors oui, le voyage est fort agréable. Je me suis même carrément amusée de l'humour au second degré, du côté looser plein d'autodérision de Franz Ritter (et appeler sa mère maman, c'est proustien on va dire), bref c'était mon premier Enard et pas le dernier j'espère. Mais je comprends parfaitement que le baklava puisse être lourd à la longue.

On l'aura compris, c'est un roman avec du souffle, foisonnant, et au détour d'une phrase, des remarques:
"Je ne veux pas me plonger dans ces noms de maladie, les toubibs ou les astronomes aiment à donner leurs propres noms à leur découvertes, les botanistes, ceux de leur femmes - on peut à la limite comprendre la passion de certains pour parrainer des astéroïdes, mais pourquoi ces grands docteurs ont-ils laissé leurs patronymes à des affections terrifiantes et surtout incurables (...)"
Le passage sur l'éviction de Germain Nouveau de la Pleiade est bien drôle aussi.(page 208/209); ou le détachant pour uniformes nazis (page 221)

Ce désert bédouin semble avoir attiré les femmes comme des mouches. Lady Anne Blunt, qui possédait le stradivarius portant son nom, Annemarie Scharzenbach, Ella Maillart,  Martha d'Andurain, propriétaire de l'hôtel Zénobie à Palmyre (mais quelles vies où réalité et fantasmes se mêlent, des années après...)

Le nom de Lucie Delarue-Mardrus, dont le mari Henri Rabaud traduisit les mille et une nuits, a fait tilt (mais quelle vie là aussi!), Rabaud a composé Mârouf, savetier du Caire, et une pensée me titillait, 'mais j'ai déjà entendu parler de ça!', je vérifie et bingo, cela a été donné récemment  à l'opéra comique (en 2013)

Pour terminer dans l'ambiance, voici un titre offert à Sarah par Franz, Kraj tanana sadrvana

Les avis de Mina,    Sandrine,  culturelle,
Le billet de L'or des livres, avec illustrations, exemples, etc

mercredi 25 novembre 2015

Que voit-on quand on lit?

Que voit-on quand on lit?
What  we see when we read, 2014
Une phénoménologie avec illustrations
Peter Mendelsund
Robert laffont, 2015
Traduit par Odile Demange

L'auteur est directeur artistique chez Albert A. Knopf et Pantheon Books, également pianiste classique, et vit à New York.


"La mémoire est faite d'imaginaire; l'imaginaire fait de mémoire."

Nous lisons des romans, nous lisons (peut-être) Anna Karénine, Moby Dick, Voyage au phare, Jane Eyre, Madame Bovary, Le bruit et la fureur, Ulysse, A la recherche du temps perdu (mais point n'est besoin ici de les avoir lus); nous avons conscience que quelque chose se passe dans notre tête, mais quoi? Nous nous représentons Anna Karénine, mais Tolstoï en dit peu, alors ce que nous voyons d'elle est-il semblable à ce que voit un autre lecteur? L'abondance de détails permet-elle de mieux 'voir'? Quelle est la part de l'imagination? De la mémoire?
Représentation d'Anna Karénine  réalisée par un logiciel de portrait-robot de la police à partir des descriptions du texte de Tolstoï (http://www.theparisreview.org/blog/2014/08/14/what-we-see-when-we-read/)
Ces questionnements, ces réflexions, et bien d'autres encore font le sel de ce volume assez gros comportant moitié de texte (en gros caractères) et moitié illustrations, ce qui avouons-le est beaucoup plus digeste et permet d'utiles respirations.

"On ne devrait voir d'adaptation filmée d'un livre qu'on aime qu'après avoir pris en compte, très soigneusement, que la distribution du film a de fortes chances de remplacer définitivement les personnages du livre dans notre esprit. C'est un risque parfaitement réel."
Par exemple pour moi maintenant Autant en emporte le vent, ce sont ces deux là:
"Certains lecteurs ont-ils une imagination plus précise que d'autres? Ou l'imagination qui accompagne la lecture est-elle une ressource dont nous sommes universellement et uniformément dotés?"
"Les livres nous autorisent certaines libertés - nous sommes libres d'être mentalement actifs en lisant; nous participons pleinement à la création (à l'imagination ) d'un récit."

Quand nous lisons une histoire se déroulant en un lieu inconnu, nous nous accrochons à notre connu. Pour l'auteur la maison d'été des Ramsay ressemble à celle louée par sa famille au Cape Cod. "Nous exilons, rapatrions les personnages dans des pays que nous connaissons mieux."

J'ajouterai qu'il peut exister une expérience intéressante à la relecture d'un roman après avoir visité le lieu où cela se déroule (ou même sans. Quand je relis j'imagine parfois autrement les lieux, ou semblablement, j'ignore pourquoi. Vous êtes semblables ou c'est moi seule?)

"Les images que nous 'voyons' en lisant sont personnelles: ce que nous ne voyons pas, c'est ce que l'auteur a imaginé en écrivant tel ou tel livre. Autrement dit: tout récit est destiné à être transposé; traduit par l'imagination. traduit par des associations. Il est nôtre."

"Lire un roman ne revient-il pas à mettre en scène une sorte de pièce de théâtre privée? "

Pour terminer (provisoirement), sachez que je n'ai pas épuisé toutes les richesses de ce livre original...

lundi 23 novembre 2015

Le puits de solitude

Le puits de solitude
The well of loneliness, 1928
Marguerite Radclyffe Hall
L'imaginaire, Gallimard, 2007
Traduction de Léo Lack (1932)



Je ne me souviens plus pourquoi il y a des mois déjà A Girl m'a raconté qu'une de ses collègues lui avait parlé avec enthousiasme de sa lecture du puits de solitude (pas envie de fouiner sur Facebook). Ce roman étant présent à la bibli, en dépit de quelques ronchonnements sur l'écriture qui avait l'air a priori 'pas mon truc' et la taille de la bête (572 pages), j'ai cédé pour une lecture commune 'à condition que j'accroche'. La curiosité me perdra. Curiosité parce que ce roman de 1928 fit à l'époque scandale en Grande Bretagne (et obtint un joli succès au Etats-Unis)  à cause de son sujet. Radclyffe Hall (1880-1943) était une romancière anglaise née dans une famille aisée, vivant en couple avec des femmes et portant des habits masculins, tout comme- sans trop en dévoiler- son héroïne de roman (voir photo plus bas).

Curiosité, odeur de soufre, oui sans doute, mais il fallait tout de même que ce roman ait (à mes yeux du moins) une certaine qualité littéraire. Quelques pages ont suffi pour m'en convaincre.

Un peu de l'histoire:
Dans leur belle propriété de la campagne anglaise, Sir Philip et Lady Anna Gordon s'aiment toujours passionnément lorsqu'après dix ans de mariage est annoncé un héritier, qu'il est prévu de prénommer Stephen. Une fille naît, qui sera Stephen quand même. Ses premières années se passent merveilleusement bien, avec une nanny puis une gouvernante. Elle aime se déguiser en Nelson, insiste pour monter à califourchon, va à la chasse au renard et fait l'admiration de son père pour ses talents de cavalière. Seules ombres au tableau, la retenue gardée par sa mère à son égard, le peu de goût pour les jeux de filles et la disparition d'une femme de chambre aimée sans trop de retenue. Son père, lecteur de Karl Heinrich Ulrichs et de Krafft-Ebing, pressent quelques vérités et n'en aime que plus sa fille, la chérissant et la protégeant.

"Mais Sir Philip posa de nouveau son regard sur elle, et il y avait de l'amour dans ses yeux, de l'amour et quelque chose qui ressemblait à de la compassion.(...) 'Vous êtes tout le fils que j'aie, dit-il. Vous êtes courageuse et saine, mais je désire que vous soyez sage... je désire que vous soyez sage dans votre propre intérêt, Stephen, car même en mettant les choses au mieux, la vie demande une grande sagesse. Je désire que vous appreniez à vous faire des amis de vos livres; vous pourriez en avoir un jour besoin, parce que...' il hésita, 'parce que vous pourriez ne pas toujours trouver la vie facile (...) et que les livres sont de si bons amis.
Un père extraordinaire, permettant à sa fille escrime et gymnastique, et insistant pour qu'elle développe aussi son esprit.

Vivant à l'écart dans la propriété où sa famille a ses racines, Stephen donne une impression d'innocence voire de naïveté, mais elle sent les choses.
"Les yeux des jeunes gens ne laissent pas d'être observateurs. La jeunesse a ses instants d'intuition aiguë, même la jeunesse normale, mais l'intuition de ces êtres qui se tiennent entre les deux sexes est si impitoyable, si poignante, si précise, si implacable qu'on dirait que cela constitue un châtiment supplémentaire."

Là c'est Radcliffe qui parle, car il faut encore des pages pour qu'après avoir cru à une belle amitié masculine (le jeune homme avait d'autres objectifs!) elle réfléchisse. "Mais qu'était-elle? Ses pensées remontaient à son enfance et elle trouvait dans son passé des faits qui la laissaient perplexe. Elle n'avait jamais été tout à fait semblable aux autres enfants, elle avait toujours été seule et insatisfaite, elle  avait toujours essayé d'être quelqu'un d'autre. (...) Seule... il était terrible de se sentir si seule... de se sentir différente des autres."

Hélas son père, le seul qui pourrait l'aider en lui disant la vérité, n'ose pas, par amour. Quand il disparaît, elle s'amourache de l'épouse d'un voisin, puis se voit contrainte de partir à Londres. Son premier roman paraît. Puis sur le front lors de la première guerre mondiale elle conduira une ambulance et connaîtra le Paris des années 20, fréquentant surtout ce qu'on appelait des invertis (Radcliffe utilise ce mot, ainsi que 'normal' et même le n-word). Mais je ne veux pas tout raconter, je passe une grande partie, triste et belle, de ce roman.

Impressions
Ce roman étant sans doute grandement inspiré du vécu de l'auteur, ce n'est pas toujours bien joyeux... Mais elle a su rendre son héroïne attachante dans son ignorance et son désarroi initiaux, puis sa révolte à se voir refuser une vie comme celle des autres, devant se cacher ou mentir.
Les passages sur le front de guerre et la vie mondaine dans certains milieux parisiens est passionnante. D'ailleurs tout le roman est intéressant, j'ai bien sûr aimé la finesse des ressentis de Stephen, et la façon dont la nature est décrite, c'est original et plein de fraîcheur (non, pas de longueurs)

Donnons la parole à Violet, une voisine de ses parents
"C'est une vraie pitié que vous vous habilliez ainsi, ma chère, une jeune fille est tellement plus attrayante quand elle est féminine.... ne pensez-vous pas que vous pourriez féminiser un peu vos vêtements? Je suppose que vous désirez vous marier, n'est-ce pas? Aucune femme n'est complète tant qu’elle n'est pas mariée. Après tout, aucune femme ne peut réellement rester seule, elle a toujours besoin d'un homme pour la protéger."

Finalement, ce roman, même s'il est très soft, demeure bien clair et défend les 'invertis', réclamant le droit de fréquenter qui ils veulent. De vivre avec qui ils veulent. Stephen regarde avec envie la liberté des couples mariés et avec enfants...

Les seuls trucs un peu datés que je relève (mais je suis espiègle) ce sont des remarques sur, par exemple, la 'vaillance celtique' ou 'nul homme n'est un plus fidèle amant des arbres qu'un Allemand.'
Una Elena Troubridge and Radclyffe Hall
http://spartacus-educational.com/Wradclyffe.htm
L'avis de A Girl et de

vendredi 20 novembre 2015

Aborigènes

Aborigènes
avec les derniers nomades d'Australie
Eddie Mittelette
Transboreal, 2015



La présentation de l'auteur sur le site de l'éditeur est parfaite (je la découvre après avoir terminé ce récit...) car elle montre bien qu'Eddie Mittelette en a sous la pédale question Australie et ne s'est pas lancé comme ça en 2010 puis 2013 à vélo dans l'ouest australien pour rencontrer les Martu et vivre quelques mois avec eux. Fasciné par le récit de l'expédition Peasley en 1977 destinée à récupérer un couple d'Aborigènes en plein désert (les derniers à vivre ainsi?) et champion de boomerang (j'ignorais qu'il existait des compétitions internationales), il désire passer du temps avec certains des habitants du désert et séjourne avec la tribu Martu, dont il nous fait découvrir la vie, entre modernisme et tradition. L'on sent parfaitement son respect lucide à l'égard des personnes rencontrées. Il ne nous impose pas des pages et des pages arides sur leur histoire et leurs façons de vivre, leurs problèmes de santé par exemple et les spoliations dont ils ont été victimes, mais il en dit juste assez, au lecteur d'aller plus loin en compulsant l'abondante bibliographie (et une bibliographie commentée, ça c'est excellent!)(et même filmographie et discographie commentée, une vraie mine!)

J'ai dévoré ce récit, qui a trouvé le juste équilibre en longueur, je viens de le signaler, non dénué d'humour et bourré quand même d'informations sur la faune et la flore, en plus du récit de rencontres personnelles fortes.

Des artistes contemporains
Tableau de Maureen Poulson Napangardi (http://www.jgmart.co.uk/maureen-poulson-napangardi/)
Tableau de Clifford Possum Tchapaltjarri, Rock Wallaby Dreaming (http://www.aborigene.fr/products?field_artiste_value=Clifford%20Possum%20Tjapaltjarri&field_couleur_value=)

Le Kiwirrkurra Band, qui "possède deux particularités, et non des moindres: être le groupe le plus isolé au monde et interpréter ses chansons dans le dialecte (pintupi) le plus ancien encore parlé sur terre (depuis environ quarante-cinq mille ans). A la croisée du rock et du reggae."
(remarquer le ballon ovale de footy)
Un grand merci à Marc Alaux qui devine que mes voyages avec Transboreal sont toujours  réussis!

mercredi 18 novembre 2015

Khomeini, Sade et moi

Khomeini, Sade et moi
Abnousse Shalmani
Grasset, 2014

Abnousse Shalmani est née en 1977 à Téhéran. Toute jeune elle a choisi de lutter à sa façon contre les "corbeaux" et les "barbus", jusqu'à l'exil de sa famille à Paris en 1985. Mais les corbeaux et les barbus ne sont hélas pas tous en Iran...

"J'ai trouvé dans l'étude du passé la meilleure voie pour comprendre mon enfance et partager une mémoire commune avec le pays qui m'a recueillie après l'exil. Je suis née plusieurs fois. Une fois un jour d'avril, une autre fois en retirant mon voile et en imposant ma nudité, une troisième fois en foulant le sol français, une autre fois enfin en ouvrant un livre de Zola et en découvrant la littérature libertine du XVIIIème siècle français. "

Autobiographie, pamphlet, cri, plaidoyer, ce récit enthousiasmant, dont j'ai démarré la lecture un certain vendredi 13 novembre au soir dans la sécurité confortable de mon lit et terminé le lundi suivant, a eu une résonance supplémentaire.

Abnousse Shalmani rend hommage à son père, qu'elle surnomme Haute tolérance. "Il écoutait, il proposait, il mettait en débat, mais jamais aucune décision n'était définitive, aucune logique n'était imposée. Il nous laissait non pas la liberté de faire ce qu'on voulait, mais la liberté de réfléchir à ce qu'on voulait. (...) Si j'ai si vite aimé les livres, c'était à force d'observer mon père. (...) Si j'ai voulu être écrivain, c'est parce que mon père aimait lire."   "Un père qui brise la tradition pour donner autant de chances à sa fille qu'à son fils, c'est l'assurance pour une femme de ne jamais se croire inférieure à un homme."

Très vite la littérature française devient indispensable. A juste seize ans elle découvre Pierre Louÿs, et son père (toujours lui!) l'aide à se procurer cette littérature érotique. Ensuite elle plonge dans la littérature libertine du XVIIIème siècle et nous en donne une présentation (qui plairait à Mina) vibrante et révolutionnaire(pour moi en tout cas). Puis c'est Sade, bien sûr.

Féministe, oui, du franc parler, contre les empêcheurs de penser et vivre, contre les barbus et corbeaux, contre le voile, faisant face aux incompréhensions autour d'elle. Pages poignantes quand elle évoque cette amitié n'ayant pas survécu au 11 septembre 2001. Puis voici les printemps arabes, puis Mohamed Merah... Puis le récit s'arrête en 2013.

Alors il faut lire absolument ce livre engagé, puissant, fort.

Les avis de Delphine, qui mène vers d'autres liens. Et de second flore .

Auteur rencontrée au salon du livre de Châteauroux; la photo n'a pas été aisée à prendre, avec Erwan Larher juste derrière qui faisait l'imbécile. Erwan blessé au Bataclan, et à qui je souhaite de vite revenir mettre l'ambiance dans les salons du livre!

(On voit bien derrière la chevelure d'Abnousse sa voisine)(à gauche c'est l'épaule de Bertrand Guillot)(quelle fine équipe)
Erwan, tes fans pensent à toi!

lundi 16 novembre 2015

Les animaux en bord de chemin

Les animaux en bord de chemin
Marc Giraud
delachaux niestlé, 2015


Difficile de poster après ce vendredi, que choisir? Alors comme France Musique qui diffusait de la douceur dimanche vers midi, je propose un livre qui fait du bien...

Après La nature en bord de chemin, comment résister à Les animaux en bord de chemin? Oui, les animaux bien de chez nous, pas réservés aux campagnards d'ailleurs, et les citadins attentifs sauront eux aussi les repérer et les observer!

Les photos sont toujours aussi magnifiques (et sans doute le résultat d'heures d'affût respectueux), la mise en page et le découpage en chapitres et rubriques dynamisent la lecture (décodez les comportements, les animaux se nourrissent, s'expriment, s'aiment, élèvent leurs petits, etc.), les textes accompagnent les photos, ils informent et surtout ne sont pas dénués d'humour. Accessible à tous, recommandé à tous!

Un peu au hasard de ce (chouette) bouquin :
Le cochon: "La boue rafraîchit l'animal, car il ne transpire pas, et élimine ses parasites. Les cochons 'sales' élevés en plein air ont de meilleures défenses immunitaires et sont en bien meilleure santé que ceux des élevages industriels."
"Le cochon est intelligent : il fait partie des espèces qui ont réussi le test du miroir."

Le chat : "Un chat couvert de boue peut se nettoyer entièrement en quelques heures. Hélas pour eux, ceux qui se frottent le dos sous les voitures s’imprègnent de produits toxiques en se léchant."
Certaines espèces s'adaptent à l'urbanisation constante, comme le faucon crécerelle et le renard roux."

L'escargot : "Autant de dents qu'un requin"!

Les toiles d'araignée : "La construction est un comportement programmé: une araignée ne sait tisser sa toile que du début à la fin. Elle est incapable d'en reprendre une qui serait déjà commencée."

Les escargots: "Monsieur/Dame escargot est à la fois mâle et femelle. A chaque fois qu'il rencontre un congénère, c'est donc un partenaire sexuel potentiel. Pratique, quand on avance si lentement, et qu'on a si peu de chances de multiplier les contacts."

Les parades nuptiales, par exemple le grèbe huppé (et en pleine ville, si j'en crois les bruits de fond...)

La mante religieuse, ne mange (parfois) le mâle que "parce qu'elle a besoin de protéines pour fabriquer ses oeufs : la mante a inventé la pension alimentaire."

Les poussins :
Les futurs poussins encore dans l'oeuf de poule échangent des pépiements et communiquent entre eux!
"Un poussin picore mieux devant une maquette de poule que tout seul."

L'auteur nous en parle ici

Challenge Lire sous la contrainte

vendredi 13 novembre 2015

Il n'y a pas de grandes personnes

Il n'y a pas de grandes personnes
Alix de Saint-André
Gallimard, 2007


En 1940 Malraux interroge sur la confession l'aumônier du Vercors, qui termine ainsi "Et puis, le fond de tout, c'est qu'il n'y a pas de grandes personnes."

Jusqu'ici, Alix de Saint-André, c'était En avant, route! et le voyage à Compostelle (son tour viendra) mais une fois le nez dans ce récit je ne l'ai guère lâché. Le fil conducteur en est Malraux (pour moi, depuis l'étude de La condition humaine au lycée nos chemins ne se sont plus croisés, autant dire qu'Alix de Saint-André allait devoir être convaincante), avec lequel elle est tombée en amour grâce à une de ses professeurs en lycée privé bien catholique.

Ses années d'étudiante sont narrées avec un tel allant, un tel humour, la famille de son amie parisienne Pia est tellement pittoresque (et fan de Proust) que je me suis royalement amusée dès le départ. Comme j'ignorais tout d'Alix de Saint-André (surtout son passage à la télévision ou au Figaro Magazine ou Elle), c'était parfait, je l'ai suivie en Bosnie (pendant la guerre), au Panthéon (transfert des cendres de Malraux) et à l'écriture de ses romans (dont un en Série Noire!).

Ce livre est dédié à Florence Malraux, une fille de, mais discrète et inspirant une grande admiration à Alix. Je ne connaissais rien de rien à la vie de Malraux (sauf un épisode disons artistique en Asie du sud-Est et "Entre ici, Jean Moulin"), et ce fut une occasion agréable d'en savoir plus, sans pour autant vouloir me jeter sur ses œuvres, désolée.

Une citation de Maraux, "Proust est un anti-Chateaubriand. Chateaubriand est un anti-Rousseau. j'aimerais être un anti-Proust et situer l'oeuvre de Proust à sa date historique" servit à une thèse en Lettres (indigeste selon ses dires) et plus tard dans le livre à de plus longs développements sur Saint-Augustin, Rousseau (qu'elle déteste avec ferveur), Chateaubriand et Proust (je bois du petit lait).

Bref, tout cela donne sans doute une impression de décousu, mais c'est parfaitement plaisant à lire, bien écrit, plein d'humour, sans vacheries inutiles (bon, Rousseau, OK) et sans temps morts (on sent là la journaliste, je pense)

Les avis (fort fort variés!) de cuné, qui cite (copié collé) d’autres billets : LaureLa Cuisine rougeGambadouMandor

mercredi 11 novembre 2015

Éloge du chat


Existe une multitude de livres autour du chat, en voici deux. Le premier résulte d'un craquage en salon du livre...

Éloge du chat
Stéphanie Hochet
Editions Léo Scheer, 2014

Stéphanie Hochet aborde le sujet par le biais des auteurs et de leurs œuvres (abondante bibliographie non exhaustive de l'aveu de l'auteur), sans dédaigner le cinéma. Bien vu, original, assez approfondi (en dépit de la minceur du volume) mais pas abscons; bref, fort intéressant. Ecrit d'une jolie plume, ce qui ne gâte rien.

"On a accusé les sorcières et les chats de propager la peste noire au milieu du XIV siècle.(...) Le destin est souvent ironique.La peste noire fit vingt-cinq millions de morts en Europe au XIVème siècle. Le massacre des chats contribua à la prolifération des rats, vecteurs d'une maladie qu'ils transmettaient à l'homme par l'intermédiaire des puces infectées."

L'un des chapitres les plus inattendus concerne le "chat replet", oui, Garfield, Le chat de Geluck, l'affreux matou dans le dessin animé Cendrillon, Biscuit dans Le fait du prince de Nothomb, aussi chez Sôseki se révélant ainsi impertinent, etc. Voilà qui doit convaincre de la richesse de ce petit livre!
Photo prise au salon 



Le chat et ses 10 leçons de sagesse à l'usage de son maître
Joanna Sandsmark
Le courrier du livre, 2005


Une sympathique collègue m'a offert ce livre, on se demande vraiment pourquoi! Ladite collègue est celle ayant adopté un jeune chat abandonné, rodant autour puis dans le collège, suivant les gens dans les escaliers, se faisant renfermer dans un casier (les ados sont fripons) et finissant par trouver des coins confortables en salle des professeurs pour siester un peu (beaucoup).

Prendre des leçons de sagesse auprès de son chat? Hum, voyons voir...

Chacun des 10 chapitres met en valeur une des caractéristiques du chat, qu'il s'agit ensuite d'adapter et d'adopter -peut-être. Par exemple le chat aime se divertir, prendre du repos, ronronner, etc. Pas question bien sûr de nous mettre à ronronner, mais rire plus souvent, par exemple? Ou se réjouir?

D'ordinaire je me méfie un peu de ce genre de livre "de conseils", mais là c'est autour du chat, certaines idées "ne mangent pas de pain", et puis les illustrations sont craquantes!!! A s'offrir ou à offrir. Hé oui, dans le livre c'est "Aimer généreusement."

Un choix parfait pour le Challenge lire sous la contrainte

lundi 9 novembre 2015

Ceux de July

Ceux de July
July's people, 1981
Nadine Gordimer
Albin Michel, 1983
Traduit par Annie Saumont



C'est curieux, les auteurs sud africains après lecture donnent souvent l'impression de grand roman, d'incontournable, de fort, de 'qui va rester dans la mémoire' et au moment d'en parler c'est tellement difficile à cerner pourquoi.

Précédée par A girl et Zarline, voici donc Ceux de July (oui, LC en décalage).
Pour en savoir plus sur l'auteur, voir ce billet paru lors de sa disparition en 2014, se terminant par
À propos de Ceux de July (Albin Michel), paru en 1983, Nadine Gordimer déclarait à La Croix : « Le racisme pourrait être le péché originel, l’inévitable tache qui marque tout être humain, de quelque race qu’il soit. Il faut savoir qu’il est là, en chacun de nous, comme le virus de la peste. 

Parlons de l'histoire:
La famille Smales, le père, architecte, la mère, Maureen, et leurs trois jeunes enfants ont fui leur belle villa, quittant Johannesbourg en proie au émeutes, incendies, violence. La population noire a pris possession d'une partie du pays, des avions ont été abattus, bref, c'est le chaos. Où aller? Leur domestique depuis quinze ans, July, propose des les emmener dans son village de brousse, à des centaines de kilomètres, où la case de sa propre mère leur sera prêtée. Le roman va juste raconter quelques semaines de leur séjour. La fin est assez ouverte.

Paru en Afrique du sud en 1981, bien avant la fin de l'Apartheid que l'on connaît, ce roman imagine donc une rébellion armée de la population noire, la mort, la résistance ou la fuite de la population blanche, mais les événements resteront en arrière plan. Nadine Gordimer scrute l'évolution des rapports entre ses personnages. Le couple Smales, avec le mari désormais sans pouvoir et dépendant du bon vouloir de son ex-domestique, lequel décide d'apprendre à conduire et récupère les clés de leur véhicule. Difficile pour le couple de passer d'une immense villa à une simple case, sans intimité réelle (et ni eau ni électricité bien sûr). Cahin caha ils s'adaptent, Maureen essaie de travailler avec les femmes. C'est finalement leur plus jeune fille qui s'intègre le mieux au village.

Mais les moments les plus forts, à mon avis, sont ceux des échanges entre Maureen et July, où l'on retient sa respiration tellement la tension est palpable. Les Smales n'étaient pas de mauvais employeurs selon leurs critères, ils essayaient de respecter July et lui offrir de bonnes conditions de travail, mais pourtant jamais il ne fut leur égal. Maureen commence à réaliser qu'elle ne comprenait pas July.

"De là, elle voyait la brousse. Elle se mit à lire. Mais le dépaysement qu'offre un roman, l'impression illusoire et pourtant profonde de se trouver transportée dans un autre temps, un autre lieu, une autre vie, qui fait tout le plaisir de la lecture, elle ne l'éprouvait plus. Dans un autre temps, un autre lieu, une autre vie? Elle y était déjà. Et cet exil l'oppressait. Ce changement dans son existence, ce dépaysement involontaire occupaient toute sa pensée comme l'air qu'on souffle dans un ballon le remplit et lui donne sa forme. Déjà, elle n'était pas ce qu'elle était. Aucune fiction ne pouvait rivaliser avec ce qu'elle découvrait à présent et qu'elle n'aurait jamais pu imaginer.
Ces gens ne possédaient rien.
Dans leurs maisons, il n'y avait rien. Du moins à première vue."

Un très beau roman, qu'on ne peut oublier.

vendredi 6 novembre 2015

Plage de Manaccora, 16 h 30

Plage de Manaccora, 16 h 30
Philippe Jaenada
Points, 2010


"Les deux premiers jours, tout s'est bien passé. Le troisième, non."

En vacances dans les Pouilles, lors d'un été sec et caniculaire, Voltaire (si! c'est son prénom), Oum et leurs jeune fils Géo se voient contraints de fuir un gigantesque incendie, jusqu'à se retrouver acculés sur un plage sans issue, coincés entre les flammes et la mer... Brûlés ou asphyxiés, voilà le sort qui les menace, eux et une foule d'estivants. Tout au long de leur fuite, des choix se présentent, il s'agit de survie, autant ne pas se tromper!

Attention : on ne lâche pas ce roman! Par bonheur Jaenada place son histoire dans un passé récent - et l'on sait que la famille a survécu- mais reste à connaître comment, et quel fut le sort de leurs compagnons de fuite. Réactions parfaitement plausibles de tous (ignorance, incompréhension puis fuite et interrogation, finalement pas vraiment de panique). Note spéciale pour l'héroïsme et le comportement général de certains italiens du coin, et là Jaenada abandonne totalement l'ironie dont il peut faire preuve (et qui permet de diminuer la tension du récit)(même si l'émotion perce souvent).

Après Le chameau sauvage, il était grand temps que je retrouve Philippe Jaenada (enfin, un de ses romans, même si ce livre fut dédicacé en salon) et cela se confirme : encore un auteur français que j'aime!

Echange avec l'auteur (très intéressant!)
Les avis de Yv, Cecile, Le bouquineur,

Photo prise au salon de Châteauroux

Maintenant, objectif, en lire d'autres (et pourquoi il a pas eu le Renaudot, m'enfin?)

mercredi 4 novembre 2015

Et si on sortait?

Depuis quelque temps je ressens l'envie de parler de mes diverses sorties, sans être bien sûre que ce rendez vous sera pérenne...
Après une saison 2014/2015 un peu gloutonne (et fatigante) je suis revenue là aussi à une consommation locavore (aidée en cela par les travaux au Châtelet et Salle Favart, les tarifs d'autres opéras de la région parisienne, la rareté des matinées et finalement la certitude de chouettes spectacles près de chez moi). De plus certaines salles du coin offrent des catalogues moins tentants et cela laisse la place à des 'au dernier moment'.

Baroque un jour, baroque toujours, démarrage début septembre avec Cantates à l'italienne (Frescobaldi, Scarlatti, Haendel, etc.)(soprano, contralto, basse, clavecin) puis mi septembre avec l'ensemble Consonance (Cantate des paysans de JS Bach et Apollo e Daphne de GF Haendel)(pour la modique somme de ... euh on donne ce qu'on veut, c'est pour participer à la réfection de l'orgue de l'église).
Consonance et la Cie X press d'Abderzak Houmi avaient déjà frappé fort il y a un peu de temps avec Face à face, mélange détonnant de hip hop et de Dixit Dominus. Si, si, je vous assure! Une vidéo qui ne donne pas une idée complète du spectacle mais laisse entrevoir l'intérieur du grand théâtre de Tours (nous y reviendrons)


Puisque déjà je suis sur un petit nuage de bonheur, autant continuer avec un peu de polyphonie Renaissance pure et dure, du latin, huit solistes, pour des œuvres de Jean Mouton (1515 oblige, dans mon coin c'est incontournable) à la cathédrale du chef lieu. Pas un bruit, pas un applaudissement durant la bonne heure de concert; à peine osait-on respirer. En plus on se gelait (mi octobre, rappelez-vous la mini période glaciaire) puisque le chauffage était trop bruyant pour le laisser fonctionner durant le concert.
Ces divers ensembles bougent, alors pourquoi pas dans votre région?

Tenez, par exemple, Pixel, de Mourad Merzouki, celui qui m'avait déjà bluffée avec Boxe Boxe, où un quatuor à cordes accompagnait de la danse contemporaine. Il suffisait d'attendre, Pixel est arrivé début octobre! Suivez une petite partie...
(en totalité ici : https://www.youtube.com/watch?v=1h9hUJ0eoh0)
Mais il n'y a pas que le baroque et le hip hop dans la vie, il y a aussi... oui, l'opéra, j'en vois un qui suit, là, dans le fond.
Tout d'abord je suis au regret de vous annoncer que le taux de mortalité des sopranos ne s'arrange guère, et ce n'est pas Madame Butterfly (à Tours)(compte rendu d'Eimelle) et Lucia di Lamermoor (à Limoges) qui diront le contraire.
L'année dernière à Tours Puccini m'avait eue au tournant, avec cette mère s'adressant à son enfant dans Suor Anjelica, mais cette fois quand Madame Butterfly fait ses adieux à son fils, j'étais prête et blindée (Giacomo, tu ne m'auras pas deux fois!). Quand même, quelle émotion!
Lucia di Lamermoor, c'était dimanche dernier (22 degrés C° dehors, plein de places vides dans la salle). Ma première fois pour cet opéra de Donizetti. J'ai a-do-ré la musique, la finesse de l'accompagnement lors des solos. Je craignais pas mal que la scène de la folie (jamais écoutée) ne soit l'occasion de débordements hystériques, mais non, c'était émouvant, quasiment doux, parfait. Lucia, c'était Venera Gimadieva, déjà entendue dans La Traviata, et je savais qu'elle allait assurer, parce que, comment dire, ce n'est pas un mini rôle, il faut des épaules solides là aussi.
Son amoureux Edgardo, c'était Rame Lahaj, inconnu de mes services. Aifelle, tu as raté, cet opéra passait chez toi!(et il sera bientôt à Reims)
Oui, n'est ce pas?
L'histoire? Oh comme d'habitude, la soprano et le ténor sont amoureux fous, et le baryton s'emploie à empêcher leur bonheur. Les familles de Lucia et d'Edgardo sont farouchement ennemies (ça se passe en Ecosse, au 16ème siècle) (aïe, je rate le mois kiltissime d'un cheveu!) et le frère de Lucia l'oblige à en épouser un autre, lui faisant croire qu'Edgardo l'a oubliée. Bien sûr cela se termine avec des morts, du sang, du drame.

Pour se remettre de ces émotions, il ne faudra pas moins que deux œuvres d'Offenbach prévues au tournant de la prochaine année, avec des mises en scènes que j'espère très spumante et barrées.

Conclusion : toutes ces sorties (sauf Limoges) sont disponibles en Région Centre Val de Loire; peut-être certains spectacles viendront-ils à votre porte, si cela vous intéresse? Le seul bémol dans mon cas, c'est qu'une voiture (polluante) est nécessaire pour les déplacements...

lundi 2 novembre 2015

La patience des buffles sous la pluie



La patience des buffles sous la pluie
David Thomas
Poche, 2011
151 pages

Mais pourquoi Hélène aime-t-elle tant ce livre? La curiosité n'étant pas trop un défaut chez un lecteur, j'ai emprunté d'un seul geste les trois livres de l'auteur m'attendant sur le rayon de la bibliothèque (et en ai lu deux).

Des textes, d'une ou deux pages pour la majorité, écrits à la première personne, soit des soliloques, soit s'adressant à d'autres. Des hommes et des femmes, on va dire comme tout le monde (quoique parfois un poil décalés). C'est souvent drôle, gare à la chute parfois, cela touche juste. Tragi-comique et tendresse, second degré.

Le mieux est de reproduire quelques textes
Recommandé
"Quand je l'ai rencontrée, j'étais tellement heureux que je me suis écrit une longue lettre dans laquelle j'ai raconté tout mon bonheur dans les moindres détails, je n'ai rien oublié, tout ce qu'on a vécu, tout ce que j'éprouvais, tout ce que je pensais, tout ce qu'elle disait, tout, même les choses les plus insignifiantes. Ensuite je me suis envoyé la lettre en recommandé avec accusé de réception,  et quand je l'ai reçue, je l'ai rangée dans un coin. Quelques années plus tard, on était toujours ensemble et, franchement, c'était plus pareil. On avait tous les deux changé, on s'aimait plus du tout de la même façon, notre amour était beaucoup plus sourd, enfoui, tellement enfoui que c'était à se demander si on s'aimait encore. A tel point que j'ai pensé à me barrer. Alors j'ai décacheté la lettre. Ça m'a suffi pour me convaincre de rester."

Certains sont plus longs, tels celui plutôt tragique du type drôle, et celui du lecteur dont la bibliothèque consacrée aux œuvres d'un auteur devient trop petite, et ...

Un dernier
16 22 4 minutes
"Trois fois par semaine je vais prendre ma femme dans le centre ville en rentrant du boulot. Elle sort plus tôt que moi et elle en profite toujours pour voir ses copines ou faire des courses. Ma femme n'est jamais arrivée une seule fois à l'heure  à ces rendez-vous. A chaque fois, elle me fait poireauter entre six et quinze minutes. J'ai fait le calcul., depuis que nous sommes ensemble, j'ai attendu ma femme 16 224 minutes; Un soir je suis arrivé au rendez-vous pile à l'heure, comme à mon habitude, et comme c'était à prévoir, elle n'était pas là. Alors je suis parti. Je suis rentré onze jours, six heures et vingt-quatre minutes plus tard. On est quittes."

D'autres avis : biblioblog, asphodèle,

Juste après j'ai embrayé avec
Je n'ai pas fini de regarder le monde
Albin Michel, 2012

Avec toujours le même principe, encore souvent comme pour l'autre recueil autour de la vie d'un couple, vu par l'un ou l'autre, et tellement bien vu! Parfois un écrivain se glisse, par exemple l'ex trader achetant lui-même ses livres et obtenant contre son gré un nouveau tirage. (Un franc succès). Un dialogue (si l'on peut dire!) avec Logorrhée où Madame saoule son pauvre compagnon, qui use d'un moyen radical pour obtenir quelques secondes de silence.

Ces textes sont de petites perles, exactement du bon gabarit, incisives. Première phrase imparable, parcours sans faute, chute inattendue.
Quant à Je n'ai pas fini de regarder le monde, ce court texte est une petite merveille.

Un dernier pour la route
Portes
"Ma femme a une curieuse manie, elle ne peut pas s'empêcher de claquer les portes. Elle ne crie pas, elle claque les portes. C'est sa façon à elle de clore une conversation quand nous ne sommes pas d'accord. Et notre fille a hérité de ce petit travers maternel, y ajoutant, c'est sans doute pour apporter sa touche personnelle, des hurlements à se fermer les yeux. Alors un jour, fatigué de cette agressivité, muette pour ma femme mais extrêmement sonore pour ma fille, j'ai profité qu’elles soient sorties quelques heures pour démonter toutes les portes de la maison et les descendre à la cave que j'ai refermée avec un cadenas en acier et laiton de 50 mm dont la clé pend à mon cou. Depuis, j'ai la sensation d'avoir une nouvelle famille."

Encore le Challenge Lire sous la contrainte