vendredi 29 janvier 2016

La madeleine et le savant (le retour)

La madeleine et le savant
Ballade proustienne du côté de la psychologie cognitive
André Didierjean
Seuil, Science ouverte, 2015


Ce pourtant mince volume ayant offert trop de richesses pour se contenter d'un seul billet, voici le second en séance de rattrapage pour les oublieux. Premier billet ici.

Depuis quelques décennies est étudié le phénomène des faux souvenirs.  Ces travaux "visent à démontrer qu'il est possible de créer expérimentalement de faux souvenirs chez les personnes et à identifier les conditions qui favorisent le phénomène ou celles qui, au contraire, permettent de l'éviter." Dans le roman de Bello, Les producteurs, le héros et sa mère croient dur comme fer connaître la météo du jour du décès de leur père et mari, qui a raison? Il s'agit là d'une possible erreur sans conséquences, mais qu'en est-il dans le domaine judiciaire? Comment interroger un témoin sans risquer de créer un faux souvenir? Comment savoir si justement un témoignage n'est qu'un faux souvenir?
André Didierjean nous fait part d'expériences et j'en profite pour tirer mon chapeau à tous ces gens qui imaginent les expériences (y compris dans d'autres parties du livre avec des bébés ne sachant pas encore parler). Résumons, les faux souvenirs même confrontés à la vérité demeurent ancrés, qui plus est ils influencent nos comportements.

Un chapitre plus classique explore la cognition au fil de la vie (oui, les fameux bébés : se souviennent-ils? et si oui, pourquoi n'a-t-on pas de souvenirs de cette époque?) J'ai particulièrement aimé le stade de la conservation de Jean Piaget (désolée, la vidéo est en anglais)(et j'avoue avoir testé avec mes deux nièces, la plus jeune réagissant comme la petite de la vidéo dans les deux premières expériences, sous l’œil incrédule de l'aînée)(j'ai été une tantie infâme, je sais)

J'ai retrouvé avec joie notre Marcel (et sa dame en rose) comprenant avec des décennies d'avance la difficulté des enfants à comprendre qu'un autre peut avoir un savoir différent du leur.

Enfin, bonne nouvelle, "il semble que les dégradations de l'avancée en âge soient en partie compensées par la mise en place de processus qui permettent à la fois de conserver une efficacité optimale dans la plupart des tâches habituelles, et de s'orienter vers les choses les plus agréables de la vie. La combinaison de ces deux facteurs permet aux seniors de continuer à être adaptés à leur environnement et de gagner avec l'âge ce qu'on a sans doute appelé de la sagesse."

Pour conclure : si vous voyez ce livre, n'hésitez pas, c'est très lisible moyennant un peu d'attention. De plus vous aborderez d'authentiques morceaux de A la recherche du temps perdu, qui, peut-être, vous convaincront...

mercredi 27 janvier 2016

Nous sommes deux

Nous sommes deux
Marianne Rubinstein
Albin Michel, 2016



J'avais tellement aimé Le journal de Yaël Koppman que j'ai sauté sur ce nouvel opus de l'auteur, quel que soit le thème.

Emma et Axel sont deux, même âge, la trentaine, mêmes père et mère, Laure et Stéphane Bricourt. Jumeaux, quoi. Ils veulent se marier le même jour, Laure avec David, fils de Lisa et Marc Cohen, et Axel avec Philippine, fille de Marie-Hélène et François de Langles. Ces derniers souhaitant que la réception ait lieu dans leur château angevin, les complications surgissent, l'on doit discuter du menu (kasher un peu ou beaucoup) et de fil en aiguille des liens se nouent. L'année en attendant les mariages est celle d'une conversion au judaïsme, d'une liaison, d'une grossesse, d'un cancer (dans le désordre, et je ne dis pas qui est concerné) et surtout de mises au point, de décisions, d'évolutions, d'apaisement face à un ancien deuil.

Alternant le passé d'Emma et Axel, couple de jumeaux fusionnels mais sans que ce soit un long fleuve tranquille, et le présent en passant d'un protagoniste à un autre, ce roman avance de façon dynamique et à la fin j'ai vraiment regretté de laisser là les personnages (sauf Stéphane, vraiment peu sympathique). Marianne Rubinstein aborde (sans insister lourdement) des sujets actuels comme le mariage pour tous et les interrogations des juifs français. Souvent émouvant, parfois amusant, des remarques qui font mouche et une façon fine d'analyser les motivations.

"Mais dans son cas, s'agit-il vraiment de la force irrépressible de l'amour? Elle ne parvient pas à savoir si elle est vraiment amoureuse de / ou si ce qui lui manque surtout, c'est le regard désirant qu'il portait sur elle. Or non seulement ce doute la tourmente, mais son existence même lui fait douter de l'authenticité de ses sentiments.  Si elle aimait vraiment, se poserait-elle toutes ces questions? Et si // décidait soudain de la quitter, n'en serait-elle pas profondément désespérée? C'est la seule répons dont elle dispose, et son seul point d'accroche. Le fait qu’elle soit capable, sans hésiter, de répondre oui, et d'appréhender enfin l'état de dévastation dans lequel cet abandon la mettrait, voilà qui la fait tenir Alors, quand //, encore ensommeillé, s'approche de la table où elle prend son petit déjeuner, elle lui demande en souriant s'il a bien dormi ."

lundi 25 janvier 2016

Mon chat Yugoslavia

Mon chat Yugoslavia
Kissani Jugoslavia
Pajtim Statovci
Denoël & d'ailleurs, 2016
Traduit par Claire Saint-Germain


Pajtim Statovci est un écrivain finlandais, né en 1990 au Kosovo et arrivé en Finlande à l'âge de deux ans. C'est son premier roman, dans lequel on va retrouver Kosovo et Finlande, mais présenté de façon plutôt originale.

En 1980 dans la campagne kosovare, Emine est une jolie jeune fille issue d'une famille albanaise plutôt pauvre; un jeune homme la remarque et la demande en mariage. . La famille déménage en ville, et là les relations avec les Serbes en particulier se dégradent, la famille obtient l'asile en Finlande, parfois en butte au racisme. Les enfants grandissent.

De nos jours, Bekim est étudiant, fréquente les bars gays. Il héberge un boa dans son appartement, fait la rencontre d'un 'chat', en fait une relation amoureuse.

Les deux histoires alternent et se lisent bien, c'est fluide, l'on devine bien quels sont les liens entre les deux. Dans ce roman, la description des traditions musulmanes kosovares (et rurales) est un vrai bonheur, une plongée dans un monde différent. La guerre qui adviendra est en filigrane, et lors de retours au pays assez peu évoquée. De même l'on ressent les difficultés de ces immigrants, surtout les adultes, à s'intégrer dans cette culture différente et à être acceptés. Je ne fais pas de dessin, mais on retrouve les mêmes discours qu'en France... "Evidemment, je comprends bien qu'ils ne sont pas tous pareils, toi par exemple, tu es une exception, et des gens comme toi, nous en prendrions encore davantage, mais il faut bien dire que la plupart..."

Le retour au 'pays' est tout aussi difficile. "Au Kosovo on s'étonnait que nous ne pouvions plus manger de pain blanc et pourquoi nous voulions beurrer des tranches de pain coupées au couteau et non des morceaux rompus-, pourquoi nous ne supportions plus la puanteur des ordures qu'on faisait brûler et pourquoi nous manquions soudain d'étouffer les jours de forte chaleur. Ils ne comprenaient pas pourquoi nous refusions de faire la vaisselle et la lessive à la main, mais préférions les machines, pourquoi nous achetions du pain, alors qu'il était possible de le faire soi-même. (...) Vous vous croyez mieux que nous, hein?"

L'idée de décrire une des relations de Bekim comme un chat fonctionne très bien, et donne un décalage intéressant. Plus généralement les amours de Bekim sont joliment traitées, mais souvent tristes... J'ai été déconcertée par le début du roman, où une heure après un contact sur un site de rencontres la rencontre (et plus car affinités) se fait dans le logement (c'est pas dangereux quand même?)(bon, après tout chacun fait comme il veut) mais heureusement le côté 'direct' n'a pas trop continué dans le roman.
Chats et serpents reviennent dans la vie de Bekim; mais j'avoue n'avoir pas tout compris, où est passé le chat trouvé au Kosovo? Pourquoi les cauchemars ont-ils disparu? Si quelqu'un a une réponse?

La Finlande pour Lire le monde

vendredi 22 janvier 2016

Magnificence

Magnificence
Lydia Millet
le cherche midi, 2016, lot49
Traduit par Charles Recoursé


Bon, ça va être coton de parler de ce roman, sachant qu'il s'agit du dernier d'une trilogie, après Comment rêvent les morts et Lumières fantômes, (à relire mes billets, je n'en dis pas trop, donc vous pouvez les lire) mais que ce n'est pas grave de ne pas voir lu les deux premiers, puisque Lydia Millet prend comme personnage principal Susan, qui était assez personnage secondaire avant, et a le chic pour résumer en deux lignes les deux romans précédents, donc on n'est pas perdu.
Le problème est que révéler la mort d'un personnage n'est pas gentil pour qui voudrait découvrir les deux premiers romans,  qui en valent la peine.

Je peux donc parler de Magnificence tout simplement en racontant que Susan hérite d'une immense maison ancienne, remplie d'animaux empaillés, qu'elle se battra pour la garder et y fera de drôles de découvertes. Par ailleurs sa fille Casey trouvera une voie lui plaisant. Susan ne sait pas résister aux vieilles dames parfois envahissantes, et sa liaison avec un homme marié ne semble pas devoir évoluer, juste les satisfaire du présent.

Je peux dire que l'écriture de Lydia Millet est vraiment dense, qu'elle étonne par les opinions de ses personnages au détour d'un paragraphe, qu'on ne sait jamais trop où ça va nous mener*,  et que vos neurones, sans trop fatiguer, vont quand même devoir se bouger un peu. Vivifiant et original.

Un passage (qui n'engage que Susan)
"Pourtant, pas de doute, le beau sexe était plus changeant que l'autre. En pratique cela signifiait que la folie des femmes se calmait parfois. Mais chez les hommes elle était constante. Question folie, les femmes pouvaient changer d'avis tandis que les hommes ne baissaient jamais les bras. Étrangement, la folie chronique des hommes était souvent prise pour de la stabilité; les hommes, sociopathes permanents, étaient félicités pour leur fiabilité. Tandis que les femmes, simples névrosées à temps partiel, étaient cataloguées comme fantasques. Sur le fond, les accès de santé mentale des femmes se voyaient retournés contre elles. Sociopathes contre névrosées. La distinction n'était pas dépourvue d'importance, car de nombreux hommes allaient un peu trop loin, franchement, et devenaient des tueurs en série, des maris violents, des flics pourris, ou des enfants soldats qui erraient dans les rues avec leur gang; des criminels de guerre, des tyrans, des démagogues.
Les femmes, beaucoup moins."

* J'aime ce genre de roman, et aussi bien sûr ceux dont on connaît déjà la fin, mais pas le chemin, et sont délectables aussi. Deux genres de promenade, la promenade découverte, et la promenade santé.

mercredi 20 janvier 2016

Babbitt

Babbitt
Sinclair Lewis
Editions Rombaldi, 1962
Traduit par Maurice Rémon



Comme souvent,difficile de retrouver la genèse de cette lecture commune avec A Girl, genèse pouvant s'étaler sur des mois, d'ailleurs. Vraisemblablement l'influence de Sous la grêle osée, retrouvée ici. Comme souvent toujours, ce fut l'occasion d'envoyer la bibliothécaire dans le fantastique magasin (souterrain) de la bibliothèque, ne sentant finalement ni le moisi ni la poussière, et où je pourrais passer des heures. Hélas je ne suis pas censée y pénétrer... (juste une fois, discrètement). La bibliothécaire est revenue à la deuxième tentative ('ah j'ai cherché à S, donc ce doit être à L') avec un énorme volume écrit gros, de la collection des Prix Nobel de littérature, imprimé en 1962.
Et c'est là que j'ai découvert que Sinclair Lewis a reçu le prix Nobel de littérature en 1930, qu'en fait il fut même le premier américain US à l'obtenir (si j'en crois la préface, on craignait un peu ces rustres d'américains à l'époque)

Babbitt est un marchand de biens de la ville de Zenith (dans les 200 000 habitants) et sa vie semble être le modèle de celle d'un bourgeois prospère. Une épouse convenable (au foyer bien sûr), un mariage plus basé sur une bonne entente que l'amour fou, trois enfants assez peu respectueux. Les premiers chapitres décrivent une journée ordinaire du héros, départ du foyer vers son bureau, dont les activités sont parfois à la limite de la légalité (on s'entraide, quoi), pause de midi ("cela ne lui demanda pas beaucoup plus de temps de mettre sa voiture en marche et de s'introduire dans le flot qu'il ne lui en aurait fallu pour faire les quelques centaines de pas qui le séparaient du club"), repas avec diverses connaissances et son ami Paul, conversations viriles, volontairement positives, puis retour dans sa maison des Hauteurs Fleuries, semblable jusque dans la décoration à celle des voisins, où l'attendent sa femme reprisant ses bas et ses aînés trouvant tellement chic une voiture couverte.

Une vivifiante ironie parcourt les pages, l'american way of life en prend un coup. Ces hommes d'affaires prônent le progrès, l'amour du pays et préfèrent que les ouvriers restent à leur place, bien tranquilles. Pas de vagues. Il s'agit d'appartenir aux bons clubs, aux bonnes associations et de mettre les pieds de temps en temps à l'église, et voilà. Râler contre la Prohibition (on est dans les années 20), bonne pour les faibles mais pas pour nous, quoi, et la contourner facilement...

Babbitt rêve-t-il d'une autre vie? Evidemment il prend moult fois la décision de manger moins riche et de cesser de fumer (de gros cigares), il s'arrange pour prendre quelques jours de vacances seul avec son ami Paul. Lors d’une petite maladie (coquillages suspects), "Il prenait conscience de sa vie, avec un peu de tristesse. (...)Il trouvait son genre de vie incroyablement machinal. (...) Machinales ses affaires, vente active de maisons mal construites; machinale sa religion, une église sèche, dure, sans rapport avec la vie véritable de la rue, respectable mais sans humanité, comme un chapeau haut de forme. Machinaux les parties de golf et les dîners, les bridges et les conversations. Et, sauf avec Paul Riesling, machinales les amitiés ... tapes dans le dos et ton de blague, sans jamais oser l'épreuve des propos calmes."

Vite j'ai compris que Lewis se livre à une satire au travers de Babbitt, et qu'il ne se passerait rien de révolutionnaire. Juste le dernier tiers voit quelques événements et mini rebellions, mais bientôt l'eau redevient lisse. Le tour de force de l'auteur est d'avoir réussi à rendre son personnage tout de même sympathique et intéressant.

"Des gens qui avaient gagné cinq mille dollars l'avant-dernière année et dix la dernière s'usaient les nerfs et se torturaient le cerveau afin d'en gagner vingt cette année-là. Et ceux qui étaient tombés d'épuisement aussitôt après avoir réalisé leurs vingt mille dollars, se hâtaient d'attraper des trains pour se ruer sur les vacances que leur avaient ordonnées des docteurs pressés.
Au milieu de tous ces gens, Babbitt rentrait en hâte à son bureau, pour s'y asseoir, sans grand-chose à faire, sinon de veiller à ce que ses employés eussent l'air de se hâter.
Tous les samedis après-midi, il se rendait en hâte à son club champêtre et se hâtait de faire neuf trous de golf, pour se reposer de sa hâte de la semaine."

Les avis de A Girl, ma complice de LC,

lundi 18 janvier 2016

En attendant Bojangles

En attendant Bojangles
Olivier Bourdeault
Finitude, 2016


Fidèle à mes goûts baroco-renaissance, j'ignorais totalement l'existence du titre de Nina Simone
Bon, ça c'est fait, vous êtes bien dans l'ambiance? On danse beaucoup, dans ce roman, alors trouvez vous un (une) partenaire, et lancez-vous sans complexe sur la piste...

"Je n'ai jamais bien compris pourquoi, mais mon père n'appelait jamais ma mère plus de deux jours de suite par le même prénom. Même si certains prénoms la lassaient plus vite que d'autres, ma mère aimait beaucoup cette habitude et, chaque matin dans la cuisine, je la voyais observer mon père, le suivre d'un regard rieur, le nez dans son bol, ou le menton dans les mains, en attendant le verdict.
- Oh non, vous ne pouvez pas me faire ça! Pas Renée, pas aujourd'hui! Ce soir nous avons des gens à dîner! s’esclaffait-elle, puis elle tournait la tête vers la glace et saluait la nouvelle Renée en grimaçant, la nouvelle Joséphine en prenant un air digne, la nouvelle Marylou en gonflant les joues.
- En plus je n'ai vraiment rien de Renée dans ma garde-robe!"

Entre un père aimant raconter des histoires, une mère excentrique, l'enfance du jeune narrateur s'écoule merveilleusement bien (une fois retiré de l'école...), dans un très vaste appartement, ou un vrai château en Espagne, accueillant une demoiselle de Numidie, 'Mademoiselle Superfétatoire', un sénateur ("Le sénateur avait un drôle de train de vie") et une multitude d'amis sachant profiter de la vie et des fêtes. ([ils] se félicitaient de ce temps incroyable dont pourtant ils n'étaient pas responsables")

Mais cette ambiance  à bulles, fantaisiste et légère, va doucement se gâter. Non que l'amour entre ces trois là faiblira, bien au contraire. Mais la maman va sortir de plus en plus des cases, sera de plus en plus malheureuse. On sent venir le drame, on espère pourtant, les moments magiques reviennent, se terminent...

Une des réussites du roman est la vision de l'enfant sur ce couple et ses amis, forcément incomplète et un peu faussée, puisqu'il demeure un enfant (des pages écrites par le père complètent l'histoire). Le lecteur est tout de suite entraîné dans un univers foutraque sans guère pouvoir réfléchir. Et quand l'histoire gentille prend un tour plus sombre, son cœur se serre, ce qui n'était pas gagné d'avance!

Les avis de Leiloona, blablablamia, noukette, jérôme, à l'ombre du noyer, gwenaelle,

vendredi 15 janvier 2016

Le poids du coeur

Le poids du coeur
El peso del corazon
Rosa Montero
Traduit comme d'habitude par Myriam Chirousse
Métailié, 2015


Quand j'ai vu la liste des nouveautés chez Métailié, Rosa Montero y était. Sans trop m'attacher au contenu, remarquant en gros la présence de Bruna Husky, le personnage principal de Larmes sous la pluie (rappel, c'est une réplicante, ou techno humaine), j'ai foncé, et grâce à Anne-Charlotte, j'ai pu me délecter du dernier opus de mon auteur espagnole chouchoute. Sans lire la quatrième de couverture, ni la présentation de l'éditeur (et ça divulgâchait pas mal, donc j'ai bien fait), je me suis retrouvée sur Terre, au tout début du XXIIème siècle. Une Terre connaissant en gros la paix, même si l'argent contribue aux différences de cadre de vie. Du District Zéro, contaminé et toxique, la population ne peut sortir, et Bruna Husky, envoyée là-bas pour son travail d'enquêtrice privée, n'a pas l'intention de s'y attarder, mais au dernier moment, elle se voit contre toute attente recueillir une gamine sauvage qu'elle dénomme 'le monstre'.

Une autre enquête va relier la gamine à des trafics douteux, envoyer Bruna sur un monde hors Terre, et dans des endroits bien sombres. Ses amis Yannis, Bartolo le boubi et l'inspecteur Lizard sont toujours là, mais apparaissent aussi une rep de calcul, un bel homme séduisant et une Veuve Noire...

Il n'est pas besoin de trop en savoir pour suivre notre héroïne dans ses aventures. Son monde (notre futur?) est de plus en plus prégnant et crédible. Bruna Husky, notre rep de combat préférée, ou techno humaine, se révèle souvent torturée, incapable de se laisser aller à des sentiments. Mais de plus en plus humaine et poignante dans son décompte de jours lui restant à vivre, puisque les réplicants n'ont que dix ans à eux avant de disparaître.

"Il existait des dizaines de chaînes d'actualité et, de surcroît, les écrans publics étaient supposément ouverts à tous les citoyens, mais malgré cette diversité énorme il y avait des moments où tout ce qui pouvait être vu et su se résumait à la même chose, comme si les strates les plus puissantes de la société serraient les rangs pour manipuler l’information net la réduire à un seul message."

Un appendice documentaire présente une chronologie et divers aspects de ce monde, mais il vaut mieux le lire après. Je suis parfaitement sidérée par  l'endroit secret dont elle parle et qui existe!!! Glaçant.
Sans rien dévoiler, un tableau qui a son importance dans l'histoire...
https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Cri
Je dis ça je dis rien, mais il me semble que Bruna Husky pourrait revenir dans un autre roman? Un potentiel immense, pour ce personnage et son monde... qui fait beaucoup écho au nôtre. Le XXIIème siècle, c'est après demain, et il se décide aujourd'hui!

Edit : je vais tenter d'être objective, oui je crois qu'on peut lire ce deuxième sans le premier, mais quand même... Je signale juste que Larmes sous la pluie existe en poche.

mercredi 13 janvier 2016

La femme au colt45

La femme au colt45
Marie Redonnet
Le tripode, 2016


La femme au colt45, c'est d'abord 'elle', ensuite Lora, au fur et à mesure peut-être que "je dois apprendre toute seule à devenir Lora Sander". Jusqu'ici elle était toute dévouée à son mari Zuka, directeur du Magic Théâtre où elle était comédienne. Hélas, Luka a été arrêté, elle a réussi à fuir l'Azirie, sous le joug d'un dictateur, pour se rendre en Santarie. Immigrante clandestine, elle doit se débrouiller, prendre des décisions et choisir par elle-même son chemin, après bien des aventures souvent rudes.

Un court roman (une novella?) qui se lit d'une traite, pas seulement parce qu'il est court, mais grâce à son écriture directe et son rythme. La narration est particulière, plutôt cinématographique oserais-je proposer. De courts paragraphes descriptifs à la troisième personne, centrés sur Lora  (sa tenue par exemple, au début de chapitre) et ses actions, alternent avec de longs monologues de Lora, en voix off, éclaircissant le passé lointain ou proche (entre deux chapitres par exemples) et contribuant à la marche de l'histoire. Lora comme représentante d'une femme poussée à quitter son pays, vers un inconnu hostile, et découvrant ses capacités de résistance...

Une découverte vraiment intéressante, un roman (un auteur?) que je recommande.
Le site de l'éditeur, avec interview de l'auteur.
Les avis de Gwen, antigone,

lundi 11 janvier 2016

Magic Time

Magic Time
Doug Marlette
Traduit par Karine Lalechère
le cherche midi, 2016

Magic Time, près de Troy (Mississipi) est la salle où se produisaient toutes sortes de musiciens, mais pour l'heure en 1964 c'est le quartier général des militants des droits civiques, noirs et blancs, du coin ou pas. Autant dire que dans ce sud profond, ça ne plait pas à tout le monde. En premier au Klan, bien actif dans ce coin. Comme dans l'Alabama proche, des activistes disparaissent et ne sont pas retrouvés... En 1965, au moment de la marche de Selma à Montgomery (Alabama), l'église de Shiloh à Troy est incendiée, quatre jeunes y laissent leur vie; après le procès sous la houlette du juge Ransom, deux blancs sont condamnés à la prison à vie.
1990 : L'un d'eux a des révélations sur un autre coupable présumé, le procès doit se rouvrir, les blessures aussi, en particulier celles de Carter Ransom, fils du juge, le héros du roman.

Les plus de 600 pages du roman s'avalent absolument sans effort, tellement c'est prenant. Le lecteur est vraiment replongé dans cette ambiance du mouvement des droits civiques, toute une époque que l'on croit connaître, mais plus compliquée qu'il n'y paraît. Les ambiguïtés de certaines situations sont bien rendues, les évolutions des personnages aussi. Car il y a beaucoup de personnages, bien attachants pour la plupart, et pas forcément stéréotypés. Le découpage du roman, alternant les époques, contribue au suspense.

"Ne viens pas dans le Mississipi pour sauver l'homme noir. Viens uniquement si tu es conscient que ta liberté et la sienne sont une seule et même chose."

A découvrir!

vendredi 8 janvier 2016

Pékin pirate

Pékin pirate
Xu Zechen
Traduit par Hélène Arthus
Philippe Rey, 2016
208 pages

Dans un Pékin moderne, en pleins travaux et envahi régulièrement par les pluies de loess, d'un périphérique à l'autre, et bien loin des zones touristiques, l'on se démène, souvent aux marges de la légalité. DunHuang, lui, vient de sortir de prison, mais pas encore son complice BaoDing, puisque se trouvaient sur lui les faux papiers dont ils faisaient commerce. Grâce à Xia, Dunhuang se lance dans la vente (prohibée) de DVD pirates, films classiques, plus modernes, et bien sûr pornos, qui rapportent le plus.

Ce monde de la petite débrouille est brossé sans temps morts et avec humour. Tous ces jeunes entre vingt et trente ans forcent la sympathie; DunHuang particulièrement, en dépit de conditions difficiles, n'a pas oublié l'entraide et le rêve.
A découvrir.

Pékin sous la pluie...

mercredi 6 janvier 2016

Poésie du gérondif

Poésie du gérondif
Vagabondages linguistiques d'un passionné de peuples et de mots
Jean-Pierre Minaudier
Le tripode, 2014

"Une grammaire, c'est avant tout du rêve et de la poésie."

Quand je pense que cet OLNI parfaitement jubilatoire stagnait sur mes étagères depuis plus d'un an! Pourtant Dominique, Luocine (5 coquillages!), cathulu, entre autres, avaient fait preuve d'un enthousiasme parfois délirant. Je dois l'avouer maintenant : elles avaient parfaitement raison, on est là dans le coup de coeur, la pépite, l'incontournable.

Quoi, un type assez malade pour collectionner des centaines de livres de grammaire couvrant une bonne partie des langues parlées (ou hélas éteintes) de notre planète, pour parler (en plus des banals anglais et espagnols) le basque et l'estonien, cela ne se rencontre pas tous les jours. Le pire -ou le meilleur- c'est que son enthousiasme est dévastateur et qu'il fait preuve d'un humour à éclater de rire (vous êtes prévenus, la hyène hilare chère à A girl rode dans le coin)

Mais à quoi ça sert, quand même? A mon avis, à voyager dans tous les recoins de la Terre, à sortir de notre petit coin que l'on pense -à tort- le plus ceci ou le plus cela, découvrant des langues tellement riches, tellement différentes, et des façons de penser et d'appréhender le monde n'ayant rien à envier aux nôtres, à s'étonner de la diversité ou de la ressemblance de nos frères humains.

Une grammaire est "une espèce de grand sudoku" (bon pour les neurones), sa lecture peut "constituer un véritable roman policier." (au risque de passer moi aussi pour une malade, j'avoue que j'adorais les versions latines pour le côté 'mais lui là il s'accorde avec qui' ou 'quel est le temps de ce verbe' - ou, pire, 'où est le verbe'?). Enquêtes au terme de laquelle "le lecteur convenablement excité éprouvera une volupté proche de celle du tchékiste démasquant un nid de saboteurs hitléro-trotskystes dans une usine biélorusse en 1937."

Comme je compte bien que vous allez vous ruer sur cette lecture (qui a dit 'non'?), je ne vous conterai pas toutes ces histoires de records, quelle langue possède le plus ou le moins de consonnes (ou de voyelles), les spécificités ou originalités de langues dont peu ont entendu parler, formes verbales, genres, accords plus ou moins tordus. Parfois c'est le parler des femmes qui diffère de celui des hommes (gare avec qui l'on apprend cette langue! Il s'agit du tchouktche, là vous ne risquez rien, vraisemblablement, et aussi du japonais). En basque la conjugaison n'est pas la même selon que l'on tutoie ou vouvoie, attendez, j'explique : 'j'ai acheté des pommes' ne se dit pas exactement de la même façon selon l'interlocuteur!
Allez, un autre pour la route : en guarani, on dit différemment 'celui qui était mon époux', 'mon futur époux' et 'celui qui devait être mon époux et ne l'est pas devenu'.
Et que dire des migrations? J'ai appris sidérée que le malgache appartient à la même famille que le rapanui, la langue de l'île de Pâques!Cette famille austronésienne de 1255 langues est originaire de Taïwan...

Terminons en signalant quelques coups de griffes (gentils quand même) à certains linguistes et surtout les notes de bas de page, absolument géniales, faisant la part belle aux livres"des éditions berlinoises De Gruyter-Mouton, auprès desquels un Pléiade a l'air d'un livre de poche sri-lankais."

« Historien de formation, gros consommateur de littérature et de bandes dessinées depuis mon adolescence, j’ai, sur la quarantaine, traversé une drôle de crise: durant plus de cinq ans, je ne suis pratiquement arrivé à lire que des livres de linguistique, essentiellement des grammaires de langues rares et lointaines. Aujourd’hui le gros de l’orage est passé, mais je persiste à consommer nettement plus de linguistique que de romans. Je n’apprends pas ces langues: à part l’espagnol, l’anglais et deux mots d’allemand, je ne sais passablement que l’estonien, et je me suis quand même récemment mis au basque car c’est de loin la langue la plus exotique d’Europe. Mais j’en collectionne les grammaires — je possède à ce jour très exactement  1163 ouvrages de linguistique concernant 856 langues, dont 620 font l’objet d’une description complète. Je les dévore comme d’autres dévorent des romans policiers, comme le rentier balzacien dévorait les cours de la Bourse, comme les jeunes filles du temps jadis dévoraient Lamartine, frénétiquement, la nuit, le jour, chez moi, dans les diligences (pardon, le métro), en vacances, en rêve. Il y a longtemps en revanche que j’ai appris à m’en tenir à d’autres sujets dans les soirées en ville, car je ne tiens pas spécialement à dîner avec Lucullus. » (site de l'éditeur)(où l'on trouvera des extraits, et aussi des livres traduits par l'auteur de l'estonien...)(et qui donnent envie, fichtre oui)

lundi 4 janvier 2016

La douce colombe est morte

La douce colombe est morte
The Sweet Dove Died, 1978
Barbara Pym
Christian Bourgois, 1987
Traduit par Martine Bequié avec la collaboration d'Anne-Marie Augustyniak


Léonora, quasi quinquagénaire, londonienne, mène une vie douce et protégée, indépendante et sans soucis d'argent. Avec elle, les messieurs (y compris les chauffeurs de taxi) sont "adorables". Séduisante, sachant s'habiller, la classe, quoi. Lors d'une vente aux enchères elle rencontre Humphrey, la soixantaine, propriétaire d'un magasin d'antiquités, et son neveu James. Une "affaire" entre Léonora et Humphrey serait plausible, mais Léonora prend plaisir à la fréquentation de James... Le beau James trop gentil qu'elle manipule à loisir, se rendant coupable pour l'avoir près d'elle d'une méchanceté (qui se révélera gratuite et inutile) mais saura-t-elle le garder pour elle?

"Maintenant, il [Humphrey] pouvait s'avouer qu'il avait toujours eu des doutes quant au sexe des amants de James. (...) Or cette personne était indiscutablement une fille. Il avait mis ses lunettes pour s'en assurer, car ce n'était pas toujours facile à dire à l'époque où l'on vivait." Un héros plutôt bi, comme ne le dit pas Barbara Pym, qui l'eut cru, dans cet univers douillet et feutré où les tasses de thé se remplissent à grande vitesse...

Encore une fois chez Barbara Pym, l'on se demande bien où elle nous mène; l'héroïne est une femme seule, même si elle possède de nombreux amis et a eu vraisemblablement une vie amoureuse. Se sentir adulée et choyée lui suffit et elle désire bien égoïstement que cela dure, quitte à éliminer en douceur les obstacles. Léonora n'est pas si sympathique, mais  de beaux et courts passages révèlent que son refus de reconnaître qu'elle vieillit ne pourra être complètement tenu à l'écart. Ce roman feutré et doux en apparence contient pas mal de cruauté, que ce soit de la part de Léonora ou de Ned (beau duel entre eux)

Très british "Il avait pensé que ce n'était peut-être pas l'endroit où l'on souhaitait voir habiter sa mère." (à Putney)

Dans sa préface René de Ceccaty écrit
"La jubilation que le lecteur ressent à la lecture des romans de Barbara Pym s'explique, bien sûr, par leur humour et leur finesse psychologique, mais aussi par cette structure spécifique de l'analyse intérieure : avec un art subtil de la dérision, Barbara Pym fait sombrer ses protagonistes dans un brouillard, dont de menues révélations les délivrent. Cela implique que la trame anecdotique soit infime, mais que les coups de théâtre psychologiques soient innombrables, un peu à la manière d’une romancière américaine qui lui doit beaucoup, Alison Lurie, ou encore de sa contemporaine Elisabeth Taylor."

Les avis de Cécile, le nez dans les livres, urgonthe, aline, babelio (chaplum), dominique,

Les fans de Barbara Pym sont nombreux (ou plutôt nombreuses, n'est ce pas Aifelle et Dominique, cette dernière s'étant lancée dans la relecture suivie des romans de cet auteur; je pense bien lui emboîter le pas, ayant acquis plusieurs romans en VO), alors rejoignez le club!

vendredi 1 janvier 2016

Meilleurs voeux 2016! (et sorties novembre décembre 2015)

Gardons l'espoir et la tête haute (c'est pas un zeugma, ça?) et entamons 2016.

Il y a deux mois j'ai commencé la recension de certaines de mes sorties; comme pour les lectures, le blog aide au souvenir. (Un jour peut-être je listerai mes chouchous dans un billet...)

Quoique pour les deux poids lourds suivants, je ne risque pas d'oublier.

Le 6 décembre, c'était la seconde partie de Henri VI, mise en scène par Thomas Jolly (qui s'est attribué le rôle du futur Richard III)(et Stars Wars c'est mon petit poney ou les bisounours à côté : batailles, trahisons, têtes coupées, assassinats, une mise en scène punchy). De 14 h à 22 h, que du bonheur! Et aussi des entractes et un casse croûte (boisson fournie). Un monsieur juste à côté avait concocté des tartes dont il distribuait des parts et j'avoue qu'on s'est très mal comportés pour en reprendre plusieurs fois...
En sortant, une seule envie : voir Richard III !!!
Badge distribué à la fin (16 h de spectacle en tout)
Le 20 décembre, j'ai jeté aux orties l'option locavore des sorties, cassé une tirelire, filé à Versailles, ajouté à la pollution avec mon Diesel, et réalisé un de mes rêves : assister à une représentation du Messie de Haendel. Tant qu'à faire, tout devait être d'Outre Manche : le chef (Paul McCreech), les solistes, le chœur.
Dans la chapelle royale du château
Le contre ténor Iester Davies m'a complètement conquise et je laisse une interprétation du He was despised (vous avez échappé à l'Alléluia)

Comme on nous l'a rappelé à la fin de l'entracte : 'Dans le Messie, il n'y a pas de sonneries de portable'. Façon élégante de nous rappeler de l'éteindre!

Quand on aime, on revoit, et c'était le cas au grand théâtre de Tours pour Magnificences à la cour de France (François 1er) déjà vu à Chambord en juillet.
copyright Doulce Mémoire

Hélas je dois passer vite sur
- David Dimitri, L'homme cirque (chouette spectacle)
- Mozart et Haydn par  Ossonce et l'orchestre symphonique de la région,
- une rencontre/lecture avec Céline Minard,
- une Belle Hélène à Tours, enthousiasmante et vitaminée. Eimelle en parle ici.
- du piano décoiffant dans la ville de  V., (plus connue par son opposition avec Vesoul...) avec la talentueuse Aline Piboule : Makrokosmos de Crumb et sonate de Duthilleux,
(un aperçu de la partition de Makrokosmos)

et bien d'autres choses encore.
En plus des lectures bien sûr.