Feuilleton
Eric Chevillard
La Baconnière
Nouvelle collection langages, 2018
Autant l'avouer, je suis repérée! J'ignorais l'existence de ce livre jusqu'à ce que le bibliothécaire l'inscrive directement sur mon compte comme 'réservé'. En fait Feuilleton comprend 153 des 270 chroniques de Chevillard dans Le Monde des livres, de 2011 à 2017, chroniques lui ayant permis d'écrire Défense de Prosper Brouillon, dont j'avais demandé l'achat à la bibliothèque...
Donc sur le tas j'en ai lu 16 (environ 10 %) et globalement Chevillard confirme mes avis positifs (pas trop modeste, la fille, oui). J'ai aussi compté 24 (des auteurs français!) cruellement étrillés, et que par bonheur je n'avais pas vraiment envie de lire. J'arrête ça, mais bien évidemment j'aurais plutôt tendance à suivre les avis de Chevillard (sauf pour les poètes, oui, il en parle bien, mais...)(on trouve aussi des livres pas vraiment récents).
Chevillard s'amuse souvent, comme cet avis sur Le mode interrogatif de Padgett Powell, roman ne comportant que des phrases interrogatives, et chroniqué de même. "Padgett parvient-il à maintenir notre intérêt et, mieux, à nous fasciner tout du long, à nous envoûter quasiment? Affirmatif!"
Quelques avis (cet homme sait se faire de amis)
"730 pages vendues avec le vent qui les tournera pour vous, seul mérite incontestable de ce livre car alors votre majeur restera disponible pour gratter de l'ongle votre front dubitatif, tourmenté par cette unique et terrible question - comment se peut-il que les romans de ce faiseur malfaisant rencontrent à ce point la faveur du public?" (sur un auteur français que je garde anonyme)
" Ce texte est d'une nullité si parfaite que nous y ferons pourtant l'expérience de l'absolu." (sur un autre auteur français)
"Il me suffirait sans doute de citer intégralement son roman pour en représenter l'inanité sans avoir à en rajouter, mais je dispose de tant de place et le livre est si bref!" (encore un auteur français...)
"ce texte est d'une nullité si parfaite que nous y ferons pourtant l'expérience de l'absolu."
Des extraits aussi de certains livres
"Les végétariens, d'après vous, ont-ils le droit de manger des plantes carnivores?" "Si nous étions de courges, nous pourrions ramper jusqu'à chez moi et téléphoner pour appeler au secours." (La nuit du loup de Tomeo)
"Comme les coccinelles sont rondouillettes et potelées, certaines personnes pensent qu'elles feraient mieux de porter des rayures." (Comment attirer le wombat de Will Cuppy)
"les anciens Egyptiens considéraient qu'il était de bon augure de croiser un essaim d'abeilles sur son chemin. Ce qu'ils jugeaient de mauvais augure, je ne saurais le dire." (idem)
Le Goncourt 1908, Ecrit sur de l'eau, de Francis de Miomandre
Il a beaucoup aimé Pas Liev de Philippe Annocque, mais hélas hélas son avis est paru le 13 novembre 2015 (l'auteur rencontré en salon me l'avait appris)
Anne Weber; Vallée des merveilles :
"Il restait une dernier client qui était penché sur son verre comme s'il regardait sa vie au microscope" L’écrivain qui écrit une telle phrase est un bon écrivian, dixit Chevillard (et hop dans la LAL)
jeudi 31 janvier 2019
lundi 28 janvier 2019
Iris Grace
Iris Grace
La petite fille qui s'ouvrit au monde grâce à un chat
Arabella Carter-Johnson
Presses de la cité, 2017
Traduit par Alice Delarbre
D'accord, a priori, ça craint pas mal. Les classiques anglo-saxons en VO, c'est la classe, mais comment résister à une telle couverture? J'ai donc emprunté le livre à la médiathèque (zéro risque) tout en me réservant le droit de lâcher si ça tombait dans le gnan gnan.
Arabella, mère de la petite Iris Grace, est photographe professionnelle, passionnée de chevaux, et après avoir vécu au Nicaragua et dans le Limousin, est revenue en Angleterre, à la campagne. Assez vite, elle soupçonne que sa petite Iris Grace a des problèmes. "Elle ne répond pas à son prénom, évite les contacts visuels, ne parle pas, et les changements même mineurs la bouleversent. Elle a un côté obsessionnel, agite les mains quand elle est excitée, elle a une réaction exacerbée aux sons et ses autres sens sont d'une sensibilité extrême; elle joue seule, ne s'intéresse pas aux autres. Elle ne s'amuse jamais à 'imiter'. Elle est hyperactive, a des problèmes pour dormir..."
Le verdict tombe : autisme. La maman , en dépit de passages de fatigue et de découragement, ne baisse jamais les bras, entourée par sa famille et son conjoint. Après des temps d'observation, des expériences, des recherches, elle a recours à une ergothérapeute, une orthophoniste, à une diététicienne, une musicothérapeute. les deux tentatives de scolarisation se sont soldées par des échecs (il faut dire qu'Iris n'avait que trois et quatre ans, la maman a opté pour la scolarisation à domicile, mettant aussi en place une sorte de jardin d'enfants à la maison, histoire de sociabiliser Iris)
C'est absolument passionnant, et plein de détails sur l'autisme, pas trop technique, où je retrouve ce que j'avais appris par ma lecture de L'autisme expliqué aux non-autistes, mais appliqué à une seule petite fille. Iris fait des progrès, mais c'est clair qu’elle sera toujours autiste et que son entourage devra rester patient, attentif, et expérimenter les nouveautés graduellement, avec des retours en arrière possibles.
On peut se demander, et si les parents n'avaient pas pu mettre sur pied tout cela? (je précise qu'ils travaillent). L'on tremble à l'idée de ce que donnerait une scolarisation à un stade où l'enfant ne peut le supporter. Le livre s'arrête quand Iris a 6 ans environ et j'ignore ce que sera la suite, mais elle a fait de tels progrès que je sens que c'est possible. D'ailleurs elle a appris à lire, sa mère suivant le programme anglais des écoles maternelles. Et après des efforts demandés à Iris, elle a toujours besoin d'un moment au calme, il faut le savoir.
La narration est ponctués de balades dans la nature et de moments où Iris peut s'isoler dans le grand jardin de ses parents. Et surtout le livre est illustré de belles photographies d'Iris (prises par sa mère, dont c'est la profession, et on sent aussi l'amour pour Iris) et de magnifiques peintures réalisées par Iris (vraiment douée!)(les toiles se vendent et paient les soins)
Bon, d'accord, mais le chat, hein? On m'aurait trompée? Hé bien Thula, adorable (forcément) chaton Maine Coon, apparaît passé la moitié du livre, c'est vrai que c'est un chat exceptionnellement bien adapté à Iris. Un chat qui aime l'eau et permet à Iris de surmonter sa peur (qu’elle n'avait pas au départ, mais les choses changent avec elle)(c'est le côté 'toujours sur le métier...'). Qui l'apaise, joue avec elle, etc. Mais n'oublions pas tout ce qu'a déjà accompli (et continue encore de faire) l'entourage humain. Mais cela n'étonnera pas ceux qui connaissent les chats d'apprendre qu'un félin est idéal. Faut essayer, mais sans garantie néanmoins.
Je termine avec une chouette video, avec au passage Thula à la piscine! Et signalant que le tout est écrit simplement, clairement, sans pathos (le gnan gnan que je craignais est absent, ouf). On n'est pas dans le conte de fées, la sensibilité (et non la sensiblerie) est présente, les souffrances d'Iris ne sont pas passées sous silence. Coïncidence, je lis au même moment une annonce (dans le petit Solognot, pour les plus curieux), apprenant qu'une grande surface de Vierzon ('t'as voulu voir...') a décidé, sollicitée par une association, d'éteindre le tiers des lumières et de stopper la sonorisation une heure par semaine. Après lecture d'Iris Grace, je sens que c'est une aide.
Des avis chez Florinette,
Challenge de Philippe
La petite fille qui s'ouvrit au monde grâce à un chat
Arabella Carter-Johnson
Presses de la cité, 2017
Traduit par Alice Delarbre
D'accord, a priori, ça craint pas mal. Les classiques anglo-saxons en VO, c'est la classe, mais comment résister à une telle couverture? J'ai donc emprunté le livre à la médiathèque (zéro risque) tout en me réservant le droit de lâcher si ça tombait dans le gnan gnan.
Arabella, mère de la petite Iris Grace, est photographe professionnelle, passionnée de chevaux, et après avoir vécu au Nicaragua et dans le Limousin, est revenue en Angleterre, à la campagne. Assez vite, elle soupçonne que sa petite Iris Grace a des problèmes. "Elle ne répond pas à son prénom, évite les contacts visuels, ne parle pas, et les changements même mineurs la bouleversent. Elle a un côté obsessionnel, agite les mains quand elle est excitée, elle a une réaction exacerbée aux sons et ses autres sens sont d'une sensibilité extrême; elle joue seule, ne s'intéresse pas aux autres. Elle ne s'amuse jamais à 'imiter'. Elle est hyperactive, a des problèmes pour dormir..."
Le verdict tombe : autisme. La maman , en dépit de passages de fatigue et de découragement, ne baisse jamais les bras, entourée par sa famille et son conjoint. Après des temps d'observation, des expériences, des recherches, elle a recours à une ergothérapeute, une orthophoniste, à une diététicienne, une musicothérapeute. les deux tentatives de scolarisation se sont soldées par des échecs (il faut dire qu'Iris n'avait que trois et quatre ans, la maman a opté pour la scolarisation à domicile, mettant aussi en place une sorte de jardin d'enfants à la maison, histoire de sociabiliser Iris)
C'est absolument passionnant, et plein de détails sur l'autisme, pas trop technique, où je retrouve ce que j'avais appris par ma lecture de L'autisme expliqué aux non-autistes, mais appliqué à une seule petite fille. Iris fait des progrès, mais c'est clair qu’elle sera toujours autiste et que son entourage devra rester patient, attentif, et expérimenter les nouveautés graduellement, avec des retours en arrière possibles.
On peut se demander, et si les parents n'avaient pas pu mettre sur pied tout cela? (je précise qu'ils travaillent). L'on tremble à l'idée de ce que donnerait une scolarisation à un stade où l'enfant ne peut le supporter. Le livre s'arrête quand Iris a 6 ans environ et j'ignore ce que sera la suite, mais elle a fait de tels progrès que je sens que c'est possible. D'ailleurs elle a appris à lire, sa mère suivant le programme anglais des écoles maternelles. Et après des efforts demandés à Iris, elle a toujours besoin d'un moment au calme, il faut le savoir.
La narration est ponctués de balades dans la nature et de moments où Iris peut s'isoler dans le grand jardin de ses parents. Et surtout le livre est illustré de belles photographies d'Iris (prises par sa mère, dont c'est la profession, et on sent aussi l'amour pour Iris) et de magnifiques peintures réalisées par Iris (vraiment douée!)(les toiles se vendent et paient les soins)
![]() |
« Fleurs au vent », acrylique, mai 2013.© A.CarterJohnson |
Je termine avec une chouette video, avec au passage Thula à la piscine! Et signalant que le tout est écrit simplement, clairement, sans pathos (le gnan gnan que je craignais est absent, ouf). On n'est pas dans le conte de fées, la sensibilité (et non la sensiblerie) est présente, les souffrances d'Iris ne sont pas passées sous silence. Coïncidence, je lis au même moment une annonce (dans le petit Solognot, pour les plus curieux), apprenant qu'une grande surface de Vierzon ('t'as voulu voir...') a décidé, sollicitée par une association, d'éteindre le tiers des lumières et de stopper la sonorisation une heure par semaine. Après lecture d'Iris Grace, je sens que c'est une aide.
Challenge de Philippe
vendredi 25 janvier 2019
Les beaux mariages
The custom of the country
Les beaux mariages
Edith Wharton
Penguin books, 1987
Paru en 1913
Couverture : Woman in white, par Robert Henri
Les beaux mariages, ou à tout le moins un beau mariage, c'est l'objectif d'Undine Spragg. A la fin des années 1880, elle a quitté la petite ville d'Apex avec ses parents pour s'installer dans un hôtel chic de New York. Ce sont des 'nouveaux-riches' qui n'ont pas les codes de la société dans laquelle Undine rêve de s'intégrer. Pourtant elle va intéresser Ralph Marvell, issu d'une ancienne famille new-yorkaise.
Ralph, dont les pensées associent la jeune fille à 'diverse et ondoyant' (en français dans le texte!) demandant à sa mère l'origine du prénom, se voir répondre qu'il vient de celui d'un fer à onduler que son père a mis sur le marché la semaine de sa naissance... 'It's from undoolay, you know, the French for crimping'.
Undine (je n'utilise pas la traduction Ondine dans la version française) est une héroïne parfaitement détestable, à côté Becky Sharp et Scarlett O'Hara sont de gentilles jeunes filles sans ambition et ne rêvant que de se dévouer aux autres. Undine n'écoute personne (même pas ses parents qu’elle mène par le bout du nez), elle n'a guère de culture, elle ne rêve que de s'amuser et montre un grand talent pour dépenser l'argent, dont elle ne se préoccupe pas de l'origine, du moment qu'il lui permet d'acheter toilettes et sorties. Son père puis son mari sont là pour le gagner, non? mais ne pas s’imaginer qu’elle n'est pas intelligente, en tout cas elle sait ce qu’elle veut et fonce, sachant parfaitement sentir les ambiances et s'adapter.
Ne connaissant pas l'histoire, je me suis délectée à découvrir le parcours d'Undine, de bout en bout parfaitement égocentrique et insatiable. Wharton fait merveille à raconter cela avec une ironie sous-jacente. Existent des moments dramatiques (pauvre Ralph, pauvre Paul aussi), apparaît une vision de la France, haut de gamme quand même, par une communauté américaine y passant plusieurs mois chaque année. Des rebondissements, la réapparition de Mrs Heeny et Elmer Moffat à intervalles réguliers, permettent de ne jamais s'ennuyer.
Il n'aura pas échappé que le titre d'origine (yes, j'ai lu ça en VO) parle de coutume du pays. Charles Bowen, un des personnages secondaires, évoque la coutume américaine de ne pas mettre leurs épouses au courant de leurs affaires (tout en reconnaissant que ça ennuierait Undine), les considérant comme juste bonnes à dépenser. 'It's against the custom of the country.'
Pour terminer, quelques mots sur l'auteur. Née en 1862, elle a bien connu la bonne société qu'elle décrit, que ce soit aux Etats-Unis ou en Europe. Mariée, divorcée, veuve, elle s'installe en France de 1910 à sa mort en 1937. Ses activités de bienfaisance durant la première guerre mondiale lui vaudront en 1915 la croix de la légion d'honneur.
Elle était amie avec Henry James. D'après l'introduction d'Anita Brookner, elle serait plus directe dans ses œuvres que son compatriote. 'The current joke is that Edith Wharton's novels are the sorts of novels Henry James would have written if he had been a man.'(la blague habituelle est que les romans d'Edith Wharton sont les genres de romans qu'aurait écrits Henry James s'il avait été un homme)
Promesse de blogueur? Je pense revenir à ces deux auteurs.
Une vie à lire signale à juste titre qu'il ne faut surtout pas lire la quatrième de couverture de l'édition française de 2018 (mais le texte de Wharton, là ça va)
Les beaux mariages
Edith Wharton
Penguin books, 1987
Paru en 1913
Couverture : Woman in white, par Robert Henri
Les beaux mariages, ou à tout le moins un beau mariage, c'est l'objectif d'Undine Spragg. A la fin des années 1880, elle a quitté la petite ville d'Apex avec ses parents pour s'installer dans un hôtel chic de New York. Ce sont des 'nouveaux-riches' qui n'ont pas les codes de la société dans laquelle Undine rêve de s'intégrer. Pourtant elle va intéresser Ralph Marvell, issu d'une ancienne famille new-yorkaise.
Ralph, dont les pensées associent la jeune fille à 'diverse et ondoyant' (en français dans le texte!) demandant à sa mère l'origine du prénom, se voir répondre qu'il vient de celui d'un fer à onduler que son père a mis sur le marché la semaine de sa naissance... 'It's from undoolay, you know, the French for crimping'.
Undine (je n'utilise pas la traduction Ondine dans la version française) est une héroïne parfaitement détestable, à côté Becky Sharp et Scarlett O'Hara sont de gentilles jeunes filles sans ambition et ne rêvant que de se dévouer aux autres. Undine n'écoute personne (même pas ses parents qu’elle mène par le bout du nez), elle n'a guère de culture, elle ne rêve que de s'amuser et montre un grand talent pour dépenser l'argent, dont elle ne se préoccupe pas de l'origine, du moment qu'il lui permet d'acheter toilettes et sorties. Son père puis son mari sont là pour le gagner, non? mais ne pas s’imaginer qu’elle n'est pas intelligente, en tout cas elle sait ce qu’elle veut et fonce, sachant parfaitement sentir les ambiances et s'adapter.
Ne connaissant pas l'histoire, je me suis délectée à découvrir le parcours d'Undine, de bout en bout parfaitement égocentrique et insatiable. Wharton fait merveille à raconter cela avec une ironie sous-jacente. Existent des moments dramatiques (pauvre Ralph, pauvre Paul aussi), apparaît une vision de la France, haut de gamme quand même, par une communauté américaine y passant plusieurs mois chaque année. Des rebondissements, la réapparition de Mrs Heeny et Elmer Moffat à intervalles réguliers, permettent de ne jamais s'ennuyer.
Il n'aura pas échappé que le titre d'origine (yes, j'ai lu ça en VO) parle de coutume du pays. Charles Bowen, un des personnages secondaires, évoque la coutume américaine de ne pas mettre leurs épouses au courant de leurs affaires (tout en reconnaissant que ça ennuierait Undine), les considérant comme juste bonnes à dépenser. 'It's against the custom of the country.'
Pour terminer, quelques mots sur l'auteur. Née en 1862, elle a bien connu la bonne société qu'elle décrit, que ce soit aux Etats-Unis ou en Europe. Mariée, divorcée, veuve, elle s'installe en France de 1910 à sa mort en 1937. Ses activités de bienfaisance durant la première guerre mondiale lui vaudront en 1915 la croix de la légion d'honneur.
Elle était amie avec Henry James. D'après l'introduction d'Anita Brookner, elle serait plus directe dans ses œuvres que son compatriote. 'The current joke is that Edith Wharton's novels are the sorts of novels Henry James would have written if he had been a man.'(la blague habituelle est que les romans d'Edith Wharton sont les genres de romans qu'aurait écrits Henry James s'il avait été un homme)
Promesse de blogueur? Je pense revenir à ces deux auteurs.
Une vie à lire signale à juste titre qu'il ne faut surtout pas lire la quatrième de couverture de l'édition française de 2018 (mais le texte de Wharton, là ça va)
mercredi 23 janvier 2019
Alison Lurie : clap de fin!
Oui, oui, encore Alison Lurie, désolée. Mais j'arrive à la fin (hélas)
Liaisons étrangères
Foreign affairs, 1984
Alison Lurie
Rivages, 1986
Traduit par Sophie Mayoux
Alors que tout me tombait des mains, et même des parutions récentes, Affaires étrangères m'a remise en selle. Oui, il faut toujours avoir chez soi en réserve des livres dont on sait qu'ils ne vous décevront pas.
"A nouveau, Fred se dit qu'il est tombé dans un roman de Henry James."
Cette fois l'ironie subtile d'Alison Lurie va se concentrer sur la rencontre entre l'Angleterre (et les anglais) et américains issus de l'université de Corinth, déjà vue chez l'auteur. Vinnie Miner a cinquante ans, n'a guère de charme, n'espère plus grand chose de sa vie personnelle, et sa tendance à s'apitoyer sur elle-même est incarnée par Fido, petit chien imaginaire la suivant plus ou moins près. Dans l'avion son voisin se révèle être un plouc inculte de Tulsa, Oklahoma, qu’elle espère ne plus revoir, mais bien sûr il en sera autrement.
Alors que Vinnie poursuit ses recherches sur la littérature enfantine, Fred, lui, le bel assistant proche de la trentaine, a du mal à se concentrer sur le 18ème siècle, objet de ses recherches. Surtout qu'il est complètement fasciné par une comédienne. Pour l'amateur de Lurie, je signale que Fred Turner est le fils des Turner, très jeune dans Les amours d'Emily Turner, et que le père de sa femme n'est autre que D.L. Zimmer, personnage secondaire mais récurrent chez Lurie.
Angleterre/Amérique, amour, méfiance, incompréhension. Ce roman, à qui le prix Pulitzer a été décerné, est un concentré d'humour, de tendresse, d'ironie, tout en effleurant bien des drames.
L'on en apprend aussi sur la littérature enfantine, comptines et autres, ce qui n'a rien d'étonnant si l'on considère le thèmes des essais de l'auteur (voir plus bas)
Et l'on pense forcément à Lodge (Changement de décor)
La ville de nulle part
The Nowhere City, 1965
Alison Lurie
Rivages1988
Traduit par Elisabeth Gille
Los Angeles, années 60. Une ville en peine expansion, aux quartiers déjà bien séparés et différents, Venice en décrépitude, Hollywood déjà Hollywood, avec ses starlettes aux dents longues, et ... des beatnicks comme on disait à l'époque, adeptes de quelques fumettes en dépit des descentes de police.
La météo n'a guère dû changer, la pollution non plus, et l'on comprend le choc ressenti par Katherine, originaire de l'est des Etats Unis où les saisons sont de 'vraies' saisons, à découvrir ce coin sans hiver et au soleil omniprésent. De plus elle souffre d'une sinusite tenace; bref, elle déteste Los Angeles.
Années 60, je le rappelle, il aurait été fâcheusement considéré que Katherine reste dans l'est et ne suive pas son mari, Paul, lequel s'est vu offert un travail dans une grande entreprise, juste pour une année. Katherine d'ailleurs retrouve vite une place comme secrétaire d'universitaires.
Tout est en place, Los Angeles, que le lecteur découvrira sous toutes ses facettes ou presque (je m'interroge, la mer est assez chaude?), et le couple Paul / Katherine dont l'évolution devra beaucoup à des rencontres. Cécile et ses amis beatnicks, où Paul essaie de se couler, Iz le psychiatre et son diagnostic intéressé sur Catherine, Glory la starlette épouse de Iz (si!).
Comme d'habitude avec Alison Lurie, c'est extrêmement plaisant à lire, elle ne raconte pas ce qu'on s'attendrait à lire (ah ces ellipses temporelles) et rend ses personnages plutôt attachants même s'ils ne s'entendent pas entre eux.
Et le dernier roman disponible!
La vérité sur Lorin Jones
The truth about Lorin Jones, 1988
Alison Lurie
Rivages, 1989
Traduit par Sophie Mayoux
Prix Femina étranger
Près de 20 ans après la mort de Lorin Jones (qu'on a connue fillette dans un précédent roman), peintre talentueux un peu oublié, Polly se charge d'écrire sa biographie, et pour ce faire rencontre ceux qui l'ont connue. Au départ, elle est sûre que Lorin, en tant que femme, a souffert de l'ambiance patriarcale et masculine, opinion que ses copines lesbiennes ne vont pas détruire! La pauvre Polly au fil du temps est complètement perdue, surtout qu’elle a tendance à excuser et trouver sympathiques ceux qu’elle interroge, même si elle les sait peu dignes de foi. Sa vie et celle de Lorin se mêlent, convergent, divergent...
Un roman subtil, souvent ironique, bien découpé, bref, Alison Lurie...
Que faire maintenant que j'ai fait le tour de cette auteur idéale pour les pannes de lecture? Heureusement Emmaüs propose des romans du même genre, vous savez, ces vieux trucs introuvables, des histoires intelligentes et bien écrites...
Tiens, voici ce qu'en dit wikipedia
Liaisons étrangères
Foreign affairs, 1984
Alison Lurie
Rivages, 1986
Traduit par Sophie Mayoux
Alors que tout me tombait des mains, et même des parutions récentes, Affaires étrangères m'a remise en selle. Oui, il faut toujours avoir chez soi en réserve des livres dont on sait qu'ils ne vous décevront pas.
"A nouveau, Fred se dit qu'il est tombé dans un roman de Henry James."
Cette fois l'ironie subtile d'Alison Lurie va se concentrer sur la rencontre entre l'Angleterre (et les anglais) et américains issus de l'université de Corinth, déjà vue chez l'auteur. Vinnie Miner a cinquante ans, n'a guère de charme, n'espère plus grand chose de sa vie personnelle, et sa tendance à s'apitoyer sur elle-même est incarnée par Fido, petit chien imaginaire la suivant plus ou moins près. Dans l'avion son voisin se révèle être un plouc inculte de Tulsa, Oklahoma, qu’elle espère ne plus revoir, mais bien sûr il en sera autrement.
Alors que Vinnie poursuit ses recherches sur la littérature enfantine, Fred, lui, le bel assistant proche de la trentaine, a du mal à se concentrer sur le 18ème siècle, objet de ses recherches. Surtout qu'il est complètement fasciné par une comédienne. Pour l'amateur de Lurie, je signale que Fred Turner est le fils des Turner, très jeune dans Les amours d'Emily Turner, et que le père de sa femme n'est autre que D.L. Zimmer, personnage secondaire mais récurrent chez Lurie.
Angleterre/Amérique, amour, méfiance, incompréhension. Ce roman, à qui le prix Pulitzer a été décerné, est un concentré d'humour, de tendresse, d'ironie, tout en effleurant bien des drames.
L'on en apprend aussi sur la littérature enfantine, comptines et autres, ce qui n'a rien d'étonnant si l'on considère le thèmes des essais de l'auteur (voir plus bas)
Et l'on pense forcément à Lodge (Changement de décor)
La ville de nulle part
The Nowhere City, 1965
Alison Lurie
Rivages1988
Traduit par Elisabeth Gille
Los Angeles, années 60. Une ville en peine expansion, aux quartiers déjà bien séparés et différents, Venice en décrépitude, Hollywood déjà Hollywood, avec ses starlettes aux dents longues, et ... des beatnicks comme on disait à l'époque, adeptes de quelques fumettes en dépit des descentes de police.
La météo n'a guère dû changer, la pollution non plus, et l'on comprend le choc ressenti par Katherine, originaire de l'est des Etats Unis où les saisons sont de 'vraies' saisons, à découvrir ce coin sans hiver et au soleil omniprésent. De plus elle souffre d'une sinusite tenace; bref, elle déteste Los Angeles.
Années 60, je le rappelle, il aurait été fâcheusement considéré que Katherine reste dans l'est et ne suive pas son mari, Paul, lequel s'est vu offert un travail dans une grande entreprise, juste pour une année. Katherine d'ailleurs retrouve vite une place comme secrétaire d'universitaires.
Tout est en place, Los Angeles, que le lecteur découvrira sous toutes ses facettes ou presque (je m'interroge, la mer est assez chaude?), et le couple Paul / Katherine dont l'évolution devra beaucoup à des rencontres. Cécile et ses amis beatnicks, où Paul essaie de se couler, Iz le psychiatre et son diagnostic intéressé sur Catherine, Glory la starlette épouse de Iz (si!).
Comme d'habitude avec Alison Lurie, c'est extrêmement plaisant à lire, elle ne raconte pas ce qu'on s'attendrait à lire (ah ces ellipses temporelles) et rend ses personnages plutôt attachants même s'ils ne s'entendent pas entre eux.
Et le dernier roman disponible!
La vérité sur Lorin Jones
The truth about Lorin Jones, 1988
Alison Lurie
Rivages, 1989
Traduit par Sophie Mayoux
Prix Femina étranger
Près de 20 ans après la mort de Lorin Jones (qu'on a connue fillette dans un précédent roman), peintre talentueux un peu oublié, Polly se charge d'écrire sa biographie, et pour ce faire rencontre ceux qui l'ont connue. Au départ, elle est sûre que Lorin, en tant que femme, a souffert de l'ambiance patriarcale et masculine, opinion que ses copines lesbiennes ne vont pas détruire! La pauvre Polly au fil du temps est complètement perdue, surtout qu’elle a tendance à excuser et trouver sympathiques ceux qu’elle interroge, même si elle les sait peu dignes de foi. Sa vie et celle de Lorin se mêlent, convergent, divergent...
Un roman subtil, souvent ironique, bien découpé, bref, Alison Lurie...
Que faire maintenant que j'ai fait le tour de cette auteur idéale pour les pannes de lecture? Heureusement Emmaüs propose des romans du même genre, vous savez, ces vieux trucs introuvables, des histoires intelligentes et bien écrites...
Tiens, voici ce qu'en dit wikipedia
Romans
- Les Amours d'Emily Turner (Love and Friendship, 1962)
- La Ville de nulle part (The Nowhere City, 1965)
- Des amis imaginaires (Imaginary Friends, 1967)
- Des gens comme les autres (Real People, 1969)
- Conflits de famille (The War between the Tates, 1974)
- Comme des enfants (Only Children, 1979)
- Femmes et Fantômes (Nouvelles)
- Liaisons étrangères (Foreign Affairs, 1984) - Prix Pulitzer
- La Vérité sur Lorin Jones (The Truth about Lorin Jones, 1988)
- Un été à Key West (The Last Resort, 1998)
- Vérité et Conséquences (Truth and Consequences, 2005)
Essais
- Ne le dites pas aux grands (Don't Tell the Grown-ups: Subversive Children's Literature - 1990)
- Familiar Spirits (2001)
- Il était une fois et pour toujours (Boys and Girls Forever - 2004).
lundi 21 janvier 2019
Hôtel rouge
Hôtel rouge
Maria Efstathiadi
Quidam , 2018
Traduit par Anne-Laure Brisac
Sur le site de l'éditeur
Maria Efstathiadi est née en 1949 à Athènes. Ecrivain et dramaturge, elle est aussi entre autres la traductrice en grec de Mallarmé, Marivaux, Huysmans, Pierre Klossowski, Erik Satie, Nathalie Sarraute, Henri Michaux, Jean Genet, Olivier Py, Enzo Cormann, Alain Robbe-Grillet, Régis Jauffret … Elle est l’auteure de Presque un mélo (Actes Sud), Gants avec mains (L’Harmattan), et des pièces de théâtre Textilen, Démon, Désobéissance et Pivatopia. Au cœur de ses préoccupations : la multiplicité des identités, la déconstruction des personnage, la transgression, le droit à la différence, l’altérité et sa réception.
Bien bien.
J'ai choisi de faire confiance à l'éditeur pour découvrir un roman grec. Merci aussi à ma médiathèque!
D'emblée la forme frappe et interroge. Interviennent Les Oreillyeux, La Voix et Le souffle. La voix serait celle d'une désormais adulte incitée à se plonger dans ses souvenirs d'enfance, en dialoguant avec Le souffle. Les Oreillyeux en parle à la troisième personne, 'elle'. Maria Efstathiadi étant auteur de pièces de théâtre, oui, je verrais fort bien ce livre représenté sur scène, durant ma lecture j'ai eu plus que d'ordinaire des voix dans la tête.
Les souvenirs de Elli, petite fille d'une mère froide et d'un père absent, vivant de multiples interdictions dans ses sorties et fréquentations, demeurent souvent bien flous et sujets à caution, car l'on a aussi les simulacres de la mère, du grand-père... Un certain effort est demandé au lecteur pour lier les rares fils fiables. Elli s'invente un frère (un ami?), des intermèdes se glissent. Oui, oui, du théâtre, ce serait parfait; la langue est belle, évocatrice, sensible.
charybde en parle mieux que moi (et des extraits)
Maria Efstathiadi
Quidam , 2018
Traduit par Anne-Laure Brisac
Sur le site de l'éditeur
Maria Efstathiadi est née en 1949 à Athènes. Ecrivain et dramaturge, elle est aussi entre autres la traductrice en grec de Mallarmé, Marivaux, Huysmans, Pierre Klossowski, Erik Satie, Nathalie Sarraute, Henri Michaux, Jean Genet, Olivier Py, Enzo Cormann, Alain Robbe-Grillet, Régis Jauffret … Elle est l’auteure de Presque un mélo (Actes Sud), Gants avec mains (L’Harmattan), et des pièces de théâtre Textilen, Démon, Désobéissance et Pivatopia. Au cœur de ses préoccupations : la multiplicité des identités, la déconstruction des personnage, la transgression, le droit à la différence, l’altérité et sa réception.
Bien bien.
J'ai choisi de faire confiance à l'éditeur pour découvrir un roman grec. Merci aussi à ma médiathèque!
D'emblée la forme frappe et interroge. Interviennent Les Oreillyeux, La Voix et Le souffle. La voix serait celle d'une désormais adulte incitée à se plonger dans ses souvenirs d'enfance, en dialoguant avec Le souffle. Les Oreillyeux en parle à la troisième personne, 'elle'. Maria Efstathiadi étant auteur de pièces de théâtre, oui, je verrais fort bien ce livre représenté sur scène, durant ma lecture j'ai eu plus que d'ordinaire des voix dans la tête.
Les souvenirs de Elli, petite fille d'une mère froide et d'un père absent, vivant de multiples interdictions dans ses sorties et fréquentations, demeurent souvent bien flous et sujets à caution, car l'on a aussi les simulacres de la mère, du grand-père... Un certain effort est demandé au lecteur pour lier les rares fils fiables. Elli s'invente un frère (un ami?), des intermèdes se glissent. Oui, oui, du théâtre, ce serait parfait; la langue est belle, évocatrice, sensible.
charybde en parle mieux que moi (et des extraits)
vendredi 18 janvier 2019
Retour à Lemberg
Retour à Lemberg
East West street
On the Origins of 'Genocide' and 'Crimes Against Humanity'
Philippe Sands
Albin Michel, 2017
Traduit par Astrid von Busekist
Avocat international, Philippe Sands fut invité en 2010 à participer à une conférence à Lviv (Ukraine). Ville où son grand-père Leon Buchholz est né en 1904. Suite à cela il se lance dans une grande enquête sur les traces de Hersch Lauterpacht et Raphael Lemkin, eux nés près de cette même ville, où ils ont fait leurs études. Hersch, avec le concept de 'Crimes contre l'humanité', et Raphael, avec celui de 'Génocide', ont eu à jouer un rôle lors du procès de Nuremberg et leurs idées sont encore d'actualité. Le dernier personnage ayant retenu l'attention de Philippe Sands est Hans Frank, avocat et ministre de l'Allemagne nazie, gouverneur général de Pologne, condamné et exécuté à Nuremberg.en 1946 pour crimes contre l'humanité.
Lviv est le nom actuel, mais cela fut bien compliqué auparavant! "Entre septembre 1914 et juillet 1944, le gouvernement de la ville changea huit fois. Longtemps capitale du 'royaume de Galicie et de Lodomérie, du grand-duché de Cracovie et des duchés d'Auschwitz et de Zator - oui, il s'agit bien de cet Auschwitz-là-, la ville passa aux Autrichiens et aux Russes, puis à nouveau aux Autrichiens, ensuite brièvement à l'Ukraine occidentale, à la Pologne, à l'Union soviétique, à l'Allemagne, à nouveau à l'Union soviétique, et finalement à l'Ukraine, à laquelle elle appartient encore aujourd'hui. Dans le royaume de Galicie dont Leon, petit garçon, arpentait les rues, se mêlaient les Polonais, les Ukrainiens, les juifs et beaucoup d'autres. Et pourtant, moins de trois décennies plus tard, à l'heure où Hans Frank entrait dans la salle d'audience 600, lors du dernier jour du procès de Nuremberg, l'ensemble de la communauté juive avait été exterminée, et les Polonais avaient été déplacés."
Lemberg, Lviv, Lviv, Lwow, au fil du temps...
Ecriture fluide, bonne pédagogie de l'auteur qui n'hésite pas à bien éclaircir et répéter un détail s'il le faut, livre à lire absolument, dont je fais un coup de cœur, mais je préviens que ça peut bousculer.
Philippe Sands s'est lancé dans des recherches familiales (avec découvertes, des décennies plus tard), et a su rendre l'atmosphère de Lemberg (et autres noms) et Vienne. Les familles des trois originaires de Galicie ont été quasiment anéanties, très peu échappant de justesse à la mort. Le livre est illustré de nombreuses photographies et le coeur se serre...
Forcément j'ai lu sans empathie l'histoire d'Hans Frank, et celle du procès de Nuremberg, avec ses accusés plaidant non coupables et l'évocation de leurs crimes, émaillé en coulisse par les désirs de Lauterpacht et Lemkin de défendre leurs idées.
Crimes contres l'humanité, génocide, . "La distinction est-elle importante? Importe-t-il que la loi cherche à vous protéger parce que vous êtes un individu ou parce qu'il se trouve que vous appartenez à un groupe?" Voir aussi page 346 et 446.
Allez, heureusement qu'il y a Miss Tilney, l'anglaise qui n'a pas hésité à risquer sa vie pour sauver des Juifs. Durant ma lecture je me demandais 'mais quoi elle n'est pas Juste?' Ouf, si! En 2013 Philippe Sands a "envoyé les documents, le récit de tout ce que j'avais découvert sur elle, ainsi que deux déclarations assermentées, l'une signée par ma mère, l'autre par Shula Trotman, à Yad Vashem, le mémorial de l'holocauste à Jérusalem. Le 29 septembre 2013, Miss Tilney a été reconnue comme juste parmi les nations."
Forcément ce genre de livre n'a pas échappé à Dominique, qui comme d'habitude illustre magnifiquement ses billets.
East West street
On the Origins of 'Genocide' and 'Crimes Against Humanity'
Philippe Sands
Albin Michel, 2017
Traduit par Astrid von Busekist
Avocat international, Philippe Sands fut invité en 2010 à participer à une conférence à Lviv (Ukraine). Ville où son grand-père Leon Buchholz est né en 1904. Suite à cela il se lance dans une grande enquête sur les traces de Hersch Lauterpacht et Raphael Lemkin, eux nés près de cette même ville, où ils ont fait leurs études. Hersch, avec le concept de 'Crimes contre l'humanité', et Raphael, avec celui de 'Génocide', ont eu à jouer un rôle lors du procès de Nuremberg et leurs idées sont encore d'actualité. Le dernier personnage ayant retenu l'attention de Philippe Sands est Hans Frank, avocat et ministre de l'Allemagne nazie, gouverneur général de Pologne, condamné et exécuté à Nuremberg.en 1946 pour crimes contre l'humanité.
Lviv est le nom actuel, mais cela fut bien compliqué auparavant! "Entre septembre 1914 et juillet 1944, le gouvernement de la ville changea huit fois. Longtemps capitale du 'royaume de Galicie et de Lodomérie, du grand-duché de Cracovie et des duchés d'Auschwitz et de Zator - oui, il s'agit bien de cet Auschwitz-là-, la ville passa aux Autrichiens et aux Russes, puis à nouveau aux Autrichiens, ensuite brièvement à l'Ukraine occidentale, à la Pologne, à l'Union soviétique, à l'Allemagne, à nouveau à l'Union soviétique, et finalement à l'Ukraine, à laquelle elle appartient encore aujourd'hui. Dans le royaume de Galicie dont Leon, petit garçon, arpentait les rues, se mêlaient les Polonais, les Ukrainiens, les juifs et beaucoup d'autres. Et pourtant, moins de trois décennies plus tard, à l'heure où Hans Frank entrait dans la salle d'audience 600, lors du dernier jour du procès de Nuremberg, l'ensemble de la communauté juive avait été exterminée, et les Polonais avaient été déplacés."
Lemberg, Lviv, Lviv, Lwow, au fil du temps...
Ecriture fluide, bonne pédagogie de l'auteur qui n'hésite pas à bien éclaircir et répéter un détail s'il le faut, livre à lire absolument, dont je fais un coup de cœur, mais je préviens que ça peut bousculer.
Philippe Sands s'est lancé dans des recherches familiales (avec découvertes, des décennies plus tard), et a su rendre l'atmosphère de Lemberg (et autres noms) et Vienne. Les familles des trois originaires de Galicie ont été quasiment anéanties, très peu échappant de justesse à la mort. Le livre est illustré de nombreuses photographies et le coeur se serre...
Forcément j'ai lu sans empathie l'histoire d'Hans Frank, et celle du procès de Nuremberg, avec ses accusés plaidant non coupables et l'évocation de leurs crimes, émaillé en coulisse par les désirs de Lauterpacht et Lemkin de défendre leurs idées.
Crimes contres l'humanité, génocide, . "La distinction est-elle importante? Importe-t-il que la loi cherche à vous protéger parce que vous êtes un individu ou parce qu'il se trouve que vous appartenez à un groupe?" Voir aussi page 346 et 446.
Allez, heureusement qu'il y a Miss Tilney, l'anglaise qui n'a pas hésité à risquer sa vie pour sauver des Juifs. Durant ma lecture je me demandais 'mais quoi elle n'est pas Juste?' Ouf, si! En 2013 Philippe Sands a "envoyé les documents, le récit de tout ce que j'avais découvert sur elle, ainsi que deux déclarations assermentées, l'une signée par ma mère, l'autre par Shula Trotman, à Yad Vashem, le mémorial de l'holocauste à Jérusalem. Le 29 septembre 2013, Miss Tilney a été reconnue comme juste parmi les nations."
Forcément ce genre de livre n'a pas échappé à Dominique, qui comme d'habitude illustre magnifiquement ses billets.
mercredi 16 janvier 2019
La moisson des innocents / Ombres et soleil
Ayant eu en décembre pas mal de voyages en train, il fallait des lectures assez courtes et prenantes, d'où ces polars qui ont parfaitement répondu à mes attentes.
La moisson des innocents
Les enquêtes du généalogiste
Dan Waddell
Babel noir, 2016
Traduit par Jean-René Dastugue
Après Code 1879 je désespérais presque de trouver les autres volumes de la série, ici c'est le troisième mais cela n'est pas gênant, je me mettrai en quête du deuxième plus tard, dès que je ressentirai le besoin d'une bonne histoire policière 'qu'on ne lâche pas', avec un fond intéressant, et pas de détails gore avec faux suspense!
Vingt ans plus tôt l'inspecteur Foster a enquêté sur une affaire qui lui a laissé de pénibles souvenirs : deux gamins ont tabassé et laissé mourant un vieil homme de leur village. Procès, condamnation, puis après quelques années libération sous une nouvelle identité. Or voilà que Foster découvre que les deux viennent d'être assassinés. Il doit retourner sur les lieux du premier crime, celui de ses débuts dans la police.
Ce n'est qu'assez tardivement dans le roman qu'apparaît Nigel Barnes le généalogiste dans la série, de façon inattendue (je ne dirai rien). cela crée une petite rupture pour le lecteur, très brève, jusqu'au final (je ne dirai rien).
Une lecture parfaitement satisfaisante et recommandée!
Ombres et soleil
Dominique Sylvain
Viviane Hamy, 2014
Il y a un bout, j'avais lu des romans de la série et connaissais donc Lola Jost et Ingrid Diesel. Lola est retraitée de la police mais se lance quand même dans une enquête pour défendre un de ses amis policiers accusé d'un crime. Ingrid travaille dorénavant à Las Vegas et n'hésite pas à venir à la rescousse de son amie.
Dominique Sylvain reprend ses personnages, expliquant rapidement et efficacement dans le cours des premiers chapitres ce qui est nécessaire, et j'ai eu un peu l'impression d'une 'suite', cependant le roman forme un tout bien terminé.
Une enquête absolument sans temps morts, peut-être même pas le temps de réfléchir?, et aux nombreux rebondissements. Des dialogues ciselés. Un talent pour les dialogues et les ambiances, que l'on soit à Abidjan, Hong Kong ou Paris. Pourquoi ai-je délaissé cette auteur, mystère!
La moisson des innocents
Les enquêtes du généalogiste
Dan Waddell
Babel noir, 2016
Traduit par Jean-René Dastugue
Après Code 1879 je désespérais presque de trouver les autres volumes de la série, ici c'est le troisième mais cela n'est pas gênant, je me mettrai en quête du deuxième plus tard, dès que je ressentirai le besoin d'une bonne histoire policière 'qu'on ne lâche pas', avec un fond intéressant, et pas de détails gore avec faux suspense!
Vingt ans plus tôt l'inspecteur Foster a enquêté sur une affaire qui lui a laissé de pénibles souvenirs : deux gamins ont tabassé et laissé mourant un vieil homme de leur village. Procès, condamnation, puis après quelques années libération sous une nouvelle identité. Or voilà que Foster découvre que les deux viennent d'être assassinés. Il doit retourner sur les lieux du premier crime, celui de ses débuts dans la police.
Ce n'est qu'assez tardivement dans le roman qu'apparaît Nigel Barnes le généalogiste dans la série, de façon inattendue (je ne dirai rien). cela crée une petite rupture pour le lecteur, très brève, jusqu'au final (je ne dirai rien).
Une lecture parfaitement satisfaisante et recommandée!
Ombres et soleil
Dominique Sylvain
Viviane Hamy, 2014
Il y a un bout, j'avais lu des romans de la série et connaissais donc Lola Jost et Ingrid Diesel. Lola est retraitée de la police mais se lance quand même dans une enquête pour défendre un de ses amis policiers accusé d'un crime. Ingrid travaille dorénavant à Las Vegas et n'hésite pas à venir à la rescousse de son amie.
Dominique Sylvain reprend ses personnages, expliquant rapidement et efficacement dans le cours des premiers chapitres ce qui est nécessaire, et j'ai eu un peu l'impression d'une 'suite', cependant le roman forme un tout bien terminé.
Une enquête absolument sans temps morts, peut-être même pas le temps de réfléchir?, et aux nombreux rebondissements. Des dialogues ciselés. Un talent pour les dialogues et les ambiances, que l'on soit à Abidjan, Hong Kong ou Paris. Pourquoi ai-je délaissé cette auteur, mystère!
lundi 14 janvier 2019
Les frères K
Les Frères K
The brothers K, 1992
D.J. Duncan
Toussaint Louverture, 2018
Traduit par Vincent Raynaud
Si je dis Toussaint Louverture, et bon gros vieux roman comme les américains savent en pondre régulièrement, avec souvent le coeur du lecteur dans un grand huit 'on rigole/on pleure', cela devrait suffire, non?
Ha non?
Dans la famille Chance, vous avez : le père, fan et joueur de base ball, qui a su transmettre sa passion à ses fils, Everett, Peter, Irwin et Kincaid (en gros le narrateur principal, mais pas que lui), mais pas vraiment à ses jumelles, et à son épouse Laura, pilier de l'église adventiste du coin.
Autant le dire tout de suite : il y aura beaucoup beaucoup de base ball là-dedans, et un poil moins mais quand même d'adventisme et de religion. Le lecteur pourra s'en tirer car l'humour est quasiment omniprésent. Pas que drôle d'ailleurs, au fil du temps le tragi-comique s'installe (et j'ai terminé en larmes)(petite nature). D'ailleurs base ball et religion, pour faire court, seront plus ou moins abandonnés par les enfants. Everett tournant hippie, Peter bouddhiste, Irwin fidèle à ses convictions, lui, et Kincaid, observateur.
L'histoire se déroule durant les décennies 1950-1960, avec guerre du Vietnam pour les garçons, qui choisiront différentes solutions face au problème de la conscription.
Pourquoi ce titre? N'ayant pas lu les frères Kamarazov, j'ignore la part russe de l'affaire, mais il y a un rapport avec le base ball.
Alors en conclusion : lisez ce fichtrement bon bouquin!
En parlent hop sous la couette, jérôme,
Challenge de Philippe
The brothers K, 1992
D.J. Duncan
Toussaint Louverture, 2018
Traduit par Vincent Raynaud
Si je dis Toussaint Louverture, et bon gros vieux roman comme les américains savent en pondre régulièrement, avec souvent le coeur du lecteur dans un grand huit 'on rigole/on pleure', cela devrait suffire, non?
Ha non?
Dans la famille Chance, vous avez : le père, fan et joueur de base ball, qui a su transmettre sa passion à ses fils, Everett, Peter, Irwin et Kincaid (en gros le narrateur principal, mais pas que lui), mais pas vraiment à ses jumelles, et à son épouse Laura, pilier de l'église adventiste du coin.
Autant le dire tout de suite : il y aura beaucoup beaucoup de base ball là-dedans, et un poil moins mais quand même d'adventisme et de religion. Le lecteur pourra s'en tirer car l'humour est quasiment omniprésent. Pas que drôle d'ailleurs, au fil du temps le tragi-comique s'installe (et j'ai terminé en larmes)(petite nature). D'ailleurs base ball et religion, pour faire court, seront plus ou moins abandonnés par les enfants. Everett tournant hippie, Peter bouddhiste, Irwin fidèle à ses convictions, lui, et Kincaid, observateur.
L'histoire se déroule durant les décennies 1950-1960, avec guerre du Vietnam pour les garçons, qui choisiront différentes solutions face au problème de la conscription.
Pourquoi ce titre? N'ayant pas lu les frères Kamarazov, j'ignore la part russe de l'affaire, mais il y a un rapport avec le base ball.
Alors en conclusion : lisez ce fichtrement bon bouquin!
En parlent hop sous la couette, jérôme,
Challenge de Philippe
vendredi 11 janvier 2019
La transparence du temps
La transparence du temps
La transparencia del tempo
Leonardo Padura
Métailié, 2019
Traduit par Elena Zayas
Sachez-le, bonnes gens, Métailié fête ses 40 ans, et en profité pour opérer un petit changement d'apparence, très classe avec le rabat, mais qu'on se rassure, le contenu demeure de qualité. Et comme Padura est un de mes chouchous, pourquoi s'en priver? Merci donc à l'éditrice.
"Conde sentit le parfum du Santiago, un rhum vieux servi dans un verre bas et ventru, le plus adapté à ce contenu doré et chaud, et il eut l'impression d'être un personnage de roman qu'on aurait changé de livre. Par erreur."
Mario Conde, notre ex-policier (depuis 25 ans) préféré n'a pas trop le moral, à l'approche de ses 60 ans! Pourtant ses amis et son amoureuse font toujours partie de sa vie. Financièrement il vivote à chercher et vendre des livres anciens.
Un de ses anciens copains de lycée le contacte. Bobby, lui, a bien réussi, malheureusement il a été victime d'un vol, du tout venant facile à revendre, mais aussi bijoux et une vierge noire à laquelle il est fort attaché. Voilà donc Conde menant une enquête, parallèle à celle officielle (des parallèles qui se rejoignent), et l'on retrouve des cadavres. Il est dans le brouillard, mais bien sûr à la fin il en saura plus.
C'est un vrai plaisir de retrouver Conde et son entourage, un Conde carburant à l'alcool et aux cigarettes, parfois désabusé, et trouvant encore à s'étonner de ses découvertes à la Havane. Un ville déglinguée que cherchent à fuir même ses amis. Des quartiers plus que misérables où survivent des immigrés de l'intérieur de Cuba aux beaux quartiers, des petits voyous aux riches marchands d'art, il va tout fréquenter, dans une enquête flirtant parfois avec la transparence du temps, sur les pas d'Antoni Barral, quelle idée fantastique et réussie!
La transparencia del tempo
Leonardo Padura
Métailié, 2019
Traduit par Elena Zayas
Sachez-le, bonnes gens, Métailié fête ses 40 ans, et en profité pour opérer un petit changement d'apparence, très classe avec le rabat, mais qu'on se rassure, le contenu demeure de qualité. Et comme Padura est un de mes chouchous, pourquoi s'en priver? Merci donc à l'éditrice.
"Conde sentit le parfum du Santiago, un rhum vieux servi dans un verre bas et ventru, le plus adapté à ce contenu doré et chaud, et il eut l'impression d'être un personnage de roman qu'on aurait changé de livre. Par erreur."
Mario Conde, notre ex-policier (depuis 25 ans) préféré n'a pas trop le moral, à l'approche de ses 60 ans! Pourtant ses amis et son amoureuse font toujours partie de sa vie. Financièrement il vivote à chercher et vendre des livres anciens.
Un de ses anciens copains de lycée le contacte. Bobby, lui, a bien réussi, malheureusement il a été victime d'un vol, du tout venant facile à revendre, mais aussi bijoux et une vierge noire à laquelle il est fort attaché. Voilà donc Conde menant une enquête, parallèle à celle officielle (des parallèles qui se rejoignent), et l'on retrouve des cadavres. Il est dans le brouillard, mais bien sûr à la fin il en saura plus.
C'est un vrai plaisir de retrouver Conde et son entourage, un Conde carburant à l'alcool et aux cigarettes, parfois désabusé, et trouvant encore à s'étonner de ses découvertes à la Havane. Un ville déglinguée que cherchent à fuir même ses amis. Des quartiers plus que misérables où survivent des immigrés de l'intérieur de Cuba aux beaux quartiers, des petits voyous aux riches marchands d'art, il va tout fréquenter, dans une enquête flirtant parfois avec la transparence du temps, sur les pas d'Antoni Barral, quelle idée fantastique et réussie!
mercredi 9 janvier 2019
Eloge de l'ombre
Eloge de l'ombre
Junichiro Tanizaki
Pleiade, 1997
Traduit par René Sieffert
(existe chez Verdier)
Junichiro Tanizaki (1886 -1965) a écrit Éloge de l'ombre en 1933. Pour en savoir plus sur cet écrivain japonais, wikipedia fait bien le travail.
Comme souvent j'ai oublié quel blog a parlé récemment de Le chat, son maître et ses deux maîtresses, de façon telle que j'ai noté ça dans ma LAL. A la bibliothèque, constatant qu'y existent deux gros Pléiade (!!!) j'ai demandé conseil et opté de démarrer par Éloge de l'ombre. Bingo! (et en fouinant je retrouve des billets récents chez cécile, mais pas cette histoire de chats)
Dans ce court essai à l'écriture fluide (bravo au traducteur en tout cas) l'auteur compare occident et Japon, en ce qui concerne l'amour de l'ombre et celui de la lumière, s'attristant de la baisse des traditions japonaises et l'envahissement des lumières trop vives.
Dans tous les domaines. Le chauffage, les toilettes, le papier, la vaisselle, la cuisine, le théâtre no et le kabuki, la couleur de la peau, le maquillage des femmes... Pour moi ce fut l'occasion de faire connaissance avec l'art de vivre à la japonaise (en tout cas dans les années 1930) et rien que pour cela je recommande cette lecture qui devrait ravir les friands de Japon. C'est subtil, non dénué d'humour.
Quelques passages (mais il faudrait citer in extenso tellement c'est agréable et intéressant!)
Où je découvre qu'il existe déjà un beau florilège de passages... J'en propose quand même :
"En fait on peut dire que l'obscurité est la condition indispensable pour apprécier la beauté d'un laque.
De nos jours on en est venu à fabriquer aussi des 'laques blancs', mais de tout temps la surface des laques avait été noire, brune ou rouge, autant de couleurs qui constituaient une stratification de je ne sais combien de 'couches d'obscurité', qui faisaient penser à quelque matérialisation des ténèbres environnantes. Un coffret, un plateau de table basse, une étagère de laque brillante à dessin de poudre d'or, peuvent paraître tapageurs, criards, voire vulgaires; mais faites une expérience : plongez l'espace qui les entoure dans une noire obscurité, puis substituez à la lumière solaire ou électrique la lueur d'une unique lampe à huile ou d'une chandelle, et vous verrez aussitôt ces objets tapageurs prendre de la profondeur, de la sobriété et de la densité.
Lorsque les artisans d'autrefois enduisaient de laque ces objets, lorsqu'ils y traçaient des dessins à la poudre d'or, ils avaient nécessairement en tête l'image de quelque chambre ténébreuse et visaient donc sans nul doute l'effet à obtenir dans une lumière indigente; s'ils usaient de dorures à profusion, on peut présumer qu'ils tenaient compte de la manière dont elles se détacheraient sur l'obscurité ambiante, et de la mesure dans laquelle elles réfléchiraient la lumière des lampes. car un laque décoré à la poudre d'or n'est pas fait pour être embrassé d'un seul coup d’œil dans un endroit illuminé, mais pour être deviné dans un lieu obscur, dans une lumière diffuse qui par instants en révèle l'un ou l'autre détail, de telle sorte que, la majeure partie de son décor somptueux constamment caché dans l'ombre, il suscite des résonances inexprimables."
"La cuisine japonaise en tout cas, si elle est servie dans un endroit trop bien éclairé, dans de la vaisselle à dominante blanche, en perd la moitié de son attrait. La soupe au miso rouge, par exemple, que nous consommons tous les matins, voyez un peu sa couleur et vous comprendrez aisément qu'on l'ait inventée dans les sombres maisons d'autrefois. Il m'est arrivé un jour, convié ç une réunion de thé, de m'y voir présenter du miso, et cette soupe bourbeuse, couleur d'argile, que n'avais toujours consommée sans y prêter attention, je lui découvris soudain, en la voyant, à la lueur diffuse des chandelles, qui stagnait au fond du bol de laque noir, une réelle profondeur et une teinte des plus appétissantes."
"Et le riz tout le premier, sa seule vue, lorsqu'il est présenté dans une boîte de laque noire et brillante déposée dans un coin obscur, satisfait notre sens esthétique et du même coup stimule notre appétit."
Les avis de Arts et lettres, babelio, dominique de Nuages et vent, lecture écriture (le bouquineur ici directement), Luocine, Dominique (superbes photos comme d'habitude), Sandrion,
Junichiro Tanizaki
Pleiade, 1997
Traduit par René Sieffert
(existe chez Verdier)
Junichiro Tanizaki (1886 -1965) a écrit Éloge de l'ombre en 1933. Pour en savoir plus sur cet écrivain japonais, wikipedia fait bien le travail.
Comme souvent j'ai oublié quel blog a parlé récemment de Le chat, son maître et ses deux maîtresses, de façon telle que j'ai noté ça dans ma LAL. A la bibliothèque, constatant qu'y existent deux gros Pléiade (!!!) j'ai demandé conseil et opté de démarrer par Éloge de l'ombre. Bingo! (et en fouinant je retrouve des billets récents chez cécile, mais pas cette histoire de chats)
Dans ce court essai à l'écriture fluide (bravo au traducteur en tout cas) l'auteur compare occident et Japon, en ce qui concerne l'amour de l'ombre et celui de la lumière, s'attristant de la baisse des traditions japonaises et l'envahissement des lumières trop vives.
Dans tous les domaines. Le chauffage, les toilettes, le papier, la vaisselle, la cuisine, le théâtre no et le kabuki, la couleur de la peau, le maquillage des femmes... Pour moi ce fut l'occasion de faire connaissance avec l'art de vivre à la japonaise (en tout cas dans les années 1930) et rien que pour cela je recommande cette lecture qui devrait ravir les friands de Japon. C'est subtil, non dénué d'humour.
Quelques passages (mais il faudrait citer in extenso tellement c'est agréable et intéressant!)
Où je découvre qu'il existe déjà un beau florilège de passages... J'en propose quand même :
"En fait on peut dire que l'obscurité est la condition indispensable pour apprécier la beauté d'un laque.
De nos jours on en est venu à fabriquer aussi des 'laques blancs', mais de tout temps la surface des laques avait été noire, brune ou rouge, autant de couleurs qui constituaient une stratification de je ne sais combien de 'couches d'obscurité', qui faisaient penser à quelque matérialisation des ténèbres environnantes. Un coffret, un plateau de table basse, une étagère de laque brillante à dessin de poudre d'or, peuvent paraître tapageurs, criards, voire vulgaires; mais faites une expérience : plongez l'espace qui les entoure dans une noire obscurité, puis substituez à la lumière solaire ou électrique la lueur d'une unique lampe à huile ou d'une chandelle, et vous verrez aussitôt ces objets tapageurs prendre de la profondeur, de la sobriété et de la densité.
Lorsque les artisans d'autrefois enduisaient de laque ces objets, lorsqu'ils y traçaient des dessins à la poudre d'or, ils avaient nécessairement en tête l'image de quelque chambre ténébreuse et visaient donc sans nul doute l'effet à obtenir dans une lumière indigente; s'ils usaient de dorures à profusion, on peut présumer qu'ils tenaient compte de la manière dont elles se détacheraient sur l'obscurité ambiante, et de la mesure dans laquelle elles réfléchiraient la lumière des lampes. car un laque décoré à la poudre d'or n'est pas fait pour être embrassé d'un seul coup d’œil dans un endroit illuminé, mais pour être deviné dans un lieu obscur, dans une lumière diffuse qui par instants en révèle l'un ou l'autre détail, de telle sorte que, la majeure partie de son décor somptueux constamment caché dans l'ombre, il suscite des résonances inexprimables."
"La cuisine japonaise en tout cas, si elle est servie dans un endroit trop bien éclairé, dans de la vaisselle à dominante blanche, en perd la moitié de son attrait. La soupe au miso rouge, par exemple, que nous consommons tous les matins, voyez un peu sa couleur et vous comprendrez aisément qu'on l'ait inventée dans les sombres maisons d'autrefois. Il m'est arrivé un jour, convié ç une réunion de thé, de m'y voir présenter du miso, et cette soupe bourbeuse, couleur d'argile, que n'avais toujours consommée sans y prêter attention, je lui découvris soudain, en la voyant, à la lueur diffuse des chandelles, qui stagnait au fond du bol de laque noir, une réelle profondeur et une teinte des plus appétissantes."
"Et le riz tout le premier, sa seule vue, lorsqu'il est présenté dans une boîte de laque noire et brillante déposée dans un coin obscur, satisfait notre sens esthétique et du même coup stimule notre appétit."
Les avis de Arts et lettres, babelio, dominique de Nuages et vent, lecture écriture (le bouquineur ici directement), Luocine, Dominique (superbes photos comme d'habitude), Sandrion,
lundi 7 janvier 2019
Un cadenas sur le coeur
Un cadenas sur le coeur
Laurence Teper
Quidam, 2019
Comme ce livre est arrivé sans crier gare chez moi, j'ai joué le jeu, à savoir le lire sans rien savoir. Tout en sortant de ma zone de confort, puisqu'il s'agit -mais pas que- d'un roman français et d'une héroïne souffrant de ne pas connaître une vérité familiale.
Mais c'est plus malin qu'on ne croit. D'entrée, pas question de lâcher le roman (moins de 200 pages), écrit sans pathos. Claire, née dans les années 60, raconte les vacances d'août au bord de la mer, avec la famille du patron de sa mère. Même moi j'ai vite saisi qu'il y avait quelque chose entre ladite mère et ledit patron. Un 'entre les lignes' subtil.
Le temps passe. Claire passe tout à sa mère, que je qualifierais de toxique, mais réussit tout de même à avoir sa propre vie. Cahin-caha. La famille adore les secrets dirait-on, son frère malade du cancer est bien le seul à ignorer la gravité de son état, puis c'est le tour de Claire, qui saisit le taureau par les cornes (enfin!), questionne sa mère et son père (en vain) et s'en va fouiner dans les archives.
Une fin apaisée.
Les avis de Cunéipage, motspourmots,
Laurence Teper
Quidam, 2019
Comme ce livre est arrivé sans crier gare chez moi, j'ai joué le jeu, à savoir le lire sans rien savoir. Tout en sortant de ma zone de confort, puisqu'il s'agit -mais pas que- d'un roman français et d'une héroïne souffrant de ne pas connaître une vérité familiale.
Mais c'est plus malin qu'on ne croit. D'entrée, pas question de lâcher le roman (moins de 200 pages), écrit sans pathos. Claire, née dans les années 60, raconte les vacances d'août au bord de la mer, avec la famille du patron de sa mère. Même moi j'ai vite saisi qu'il y avait quelque chose entre ladite mère et ledit patron. Un 'entre les lignes' subtil.
Le temps passe. Claire passe tout à sa mère, que je qualifierais de toxique, mais réussit tout de même à avoir sa propre vie. Cahin-caha. La famille adore les secrets dirait-on, son frère malade du cancer est bien le seul à ignorer la gravité de son état, puis c'est le tour de Claire, qui saisit le taureau par les cornes (enfin!), questionne sa mère et son père (en vain) et s'en va fouiner dans les archives.
Une fin apaisée.
Les avis de Cunéipage, motspourmots,
jeudi 3 janvier 2019
Dérangé que je suis
Dérangé que je suis
Ali Zamir
Le tripode, 2019
J'avoue que les deux précédents romans de l'auteur, Anguille sous roche et Étincelle, n'ont pas impressionné la cellule de mon radar (si j'ose dire), mais là, une arrivée sans crier gare dans ma boîte aux lettres m'a convaincue de tester les écrits de ce jeune auteur comorien.
Tout commence mal pour Dérangé, docker sur au port de Mutsamudu, que le lecteur découvre blessé et lié; on découvrira où et pourquoi. Dérangé est considéré comme dérangé car il porte chaque jour une chemise avec écrit dessus le jour de la semaine. Les gens se moquent de lui, il n'en a cure, il est pauvre, laborieux et poursuit chaque jour son bonhomme de chemin, trimant pour gagner son riz.
La concurrence est rude avec les autres dockers, surtout le trio des Pipipi, Pirate, Pistolet et Pitié. Un défi va les opposer, à cause de l'intervention d'une femme qui aimerait beaucoup inscrire le pauvre Dérangé sur son menu. La catastrophe surviendra. Pauvre dérangé!
Tragi-comique, dixit la quatrième de couverture; en effet. La boucle sera bouclée. Mais ce qui frappe c'est la langue utilisée, à la fois familière et inusitée, voire inventée (mais toujours compréhensible ou devinable)
"Le meilleur des hommes, c'est celui qui cherche non seulement à étreindre un rayon de soleil, après avoir percé les voiles, mais surtout à le partager. Sans arrière-pensée. En inondant de lumière la nuit des autres."
"Pirate s'était senti obligé de les accoiser tous les deux "
"L'astre de la nuit brillait à ravir sur nos têtes illuminées et le ciel était majestueusement diamanté jusqu'aux entrailles."
"Dans ma chienne de vie, je n'étais pas du genre à mettre ma main ou mon insolent doigt sur un plat cuisiné pour un autre."
Ali Zamir
Le tripode, 2019
J'avoue que les deux précédents romans de l'auteur, Anguille sous roche et Étincelle, n'ont pas impressionné la cellule de mon radar (si j'ose dire), mais là, une arrivée sans crier gare dans ma boîte aux lettres m'a convaincue de tester les écrits de ce jeune auteur comorien.
Tout commence mal pour Dérangé, docker sur au port de Mutsamudu, que le lecteur découvre blessé et lié; on découvrira où et pourquoi. Dérangé est considéré comme dérangé car il porte chaque jour une chemise avec écrit dessus le jour de la semaine. Les gens se moquent de lui, il n'en a cure, il est pauvre, laborieux et poursuit chaque jour son bonhomme de chemin, trimant pour gagner son riz.
La concurrence est rude avec les autres dockers, surtout le trio des Pipipi, Pirate, Pistolet et Pitié. Un défi va les opposer, à cause de l'intervention d'une femme qui aimerait beaucoup inscrire le pauvre Dérangé sur son menu. La catastrophe surviendra. Pauvre dérangé!
Tragi-comique, dixit la quatrième de couverture; en effet. La boucle sera bouclée. Mais ce qui frappe c'est la langue utilisée, à la fois familière et inusitée, voire inventée (mais toujours compréhensible ou devinable)
"Le meilleur des hommes, c'est celui qui cherche non seulement à étreindre un rayon de soleil, après avoir percé les voiles, mais surtout à le partager. Sans arrière-pensée. En inondant de lumière la nuit des autres."
"Pirate s'était senti obligé de les accoiser tous les deux "
"L'astre de la nuit brillait à ravir sur nos têtes illuminées et le ciel était majestueusement diamanté jusqu'aux entrailles."
"Dans ma chienne de vie, je n'étais pas du genre à mettre ma main ou mon insolent doigt sur un plat cuisiné pour un autre."
mercredi 2 janvier 2019
Scherbius (et moi)
Scherbius (et moi)
Antoine Bello
Gallimard, 2016
Antoine Bello (et moi) c'est une vieille histoire qui dure depuis des années, car je ne me lasse pas d'histoires bien racontées, intelligentes, originales, renouvelées et palpitantes.
Cette fois, immersion dans le monde de la psychiatrie, avec Maxime Le Verrier, qui voit arriver dans son cabinet en 1977 l'auto-dénommé Scherbius, chez qui il détecte un trouble de personnalités multiples. Il décide de relever le défi et de guérir, si possible, ce patient. Mais tout ne va pas se passer comme prévu.
Il serait criminel de trop en dévoiler, sachez juste que Bello s'amuse bien avec les façons de voir la psychiatrie en France et aux USA, qu'il n'hésite pas à s'auto critiquer dans son écriture (ou celle de Le Verrier) et que le livre que vous avez en mains se compose en fait de plusieurs livres parus à la suite, au fur et à mesure du temps et des rebondissements de l'action. Si, contrairement au psychiatre, vous aimez les impostures et qu'on vous roule dans la farine, foncez!
Comme à la fin je ne démêlais plus trop le vrai du faux, j'ai vérifié, oui, Daniel Keyes a bien écrit sur Billy Milligan.
Le billet de l'inconditionnelle de Bello, Papillon. Aussi Nicole, noukette , dasola, cunéipage,
Antoine Bello
Gallimard, 2016
Antoine Bello (et moi) c'est une vieille histoire qui dure depuis des années, car je ne me lasse pas d'histoires bien racontées, intelligentes, originales, renouvelées et palpitantes.
Cette fois, immersion dans le monde de la psychiatrie, avec Maxime Le Verrier, qui voit arriver dans son cabinet en 1977 l'auto-dénommé Scherbius, chez qui il détecte un trouble de personnalités multiples. Il décide de relever le défi et de guérir, si possible, ce patient. Mais tout ne va pas se passer comme prévu.
Il serait criminel de trop en dévoiler, sachez juste que Bello s'amuse bien avec les façons de voir la psychiatrie en France et aux USA, qu'il n'hésite pas à s'auto critiquer dans son écriture (ou celle de Le Verrier) et que le livre que vous avez en mains se compose en fait de plusieurs livres parus à la suite, au fur et à mesure du temps et des rebondissements de l'action. Si, contrairement au psychiatre, vous aimez les impostures et qu'on vous roule dans la farine, foncez!
Comme à la fin je ne démêlais plus trop le vrai du faux, j'ai vérifié, oui, Daniel Keyes a bien écrit sur Billy Milligan.
Le billet de l'inconditionnelle de Bello, Papillon. Aussi Nicole, noukette , dasola, cunéipage,
Inscription à :
Articles (Atom)