mercredi 29 avril 2015

Le mur invisible

Le Mur invisible
Die Wand (paru en 1968)
Marlen Haushofer
Actes sud, 1988
Traduit par Liselotte Bodo et Jacqueline Chambon


Il existe des romans étonnants dont le résumé n'est pas follement attirant, où il ne se passe finalement pas grand chose ... et qu'on ne lâche pas. Je peux me tromper, mais Le Mur invisible risque de me rester longtemps en mémoire et je le classe derechef dans la liste des 'livres qu'il faut avoir lus'.

 Dans un chalet perdu dans la montagne autrichienne, une femme écrit, sans doute pour elle seule, le récit de ses deux dernières années, bloquée dans une vallée par un mur invisible apparu au cours d'une nuit. Quand elle regarde de l'autre côté, il lui semble que les êtres vivants ont été changés en pierre, à la suite de quoi? Une catastrophe? Une guerre?

Assez vite elle est happée par ses nouvelles responsabilités. En effet, elle se charge de la vache Bella, du chien Lynx et d'une chatte sans nom, et se lance dans un dur labeur de paysan, sa survie en dépend. Couper du bois, le ranger, faucher un champ, retourner le foin et l'entreposer, préparer le terrain pour les haricots et les pommes de terre, réparer ce qui doit l'être.

"La première année où je n'étais pas adaptée, j'avais dépassé mes forces au point que jamais je ne pourrai me remettre complètement de ces excès. (...) A présent je prends le pas tranquille du paysan, même pour me rendre de la maison à l'étable. Le corps reste détendu et les yeux ont le temps de regarder."

Sa vie d'avant était celle d'un femme ordinaire, la quarantaine, veuve, deux enfants. Cette remarque au détour d'une page, quand ses filles partent à l'école : "Plus tard je ne fus plus jamais heureuse. Tout se transforma d'une manière désolante et la vraie vie s'arrêta pour moi."

Une narration posée, lucide, presque froide, où affleure quelque espoir. Elle vit au jour le jour, tout en devant prévoir ses occupations pour survivre."Je suis devenue un paysan, et un paysan doit prévoir."

La nature environnante n'est pas l'occasion de grandes envolées lyriques, même si elle est sensible à sa beauté, mais plutôt perçue comme le seul moyen de pourvoir à ses besoins.

"Quand je repense à ce premier été, il m'apparaît bien plus marqué par le souci que je me faisais pour mes bêtes que par la conscience du caractère désespéré de ma propre situation. La catastrophe ne m'avait déchargée d'une grand responsabilité que pour, sans que je le remarque, m'accabler d'un autre fardeau. Quand je pus enfin comprendre ce qui se passait, je n'étais plus en mesure d'y rien changer."

Je viens (enfin) à ce qui pour moi a rendu ce roman si attachant, à savoir les relations entre la narratrice et ses animaux. Le chien Lynx, en particulier, qui savait ressentir ses humeurs et l'en sortir quand il le fallait. Les chats excellemment décrits. Même la brave vache Bella...

A la place de cette femme, d'autres auraient réagi autrement, sans doute; exploré la région à fond ou creusé pour passer sous le mur (au risque d'en mourir) ou désespéré. Simplement, elle raconte son évolution et sa vie.

Les avis de clara, cathulu, cuné, qui vous mèneront vers d'autres avis; je constate que la couverture de mon exemplaire, due à Christine Le Boeuf, est bien plus réussie... Mark et Marcel en parle récemment. Les avis de Moglug,

Adapté au cinéma en 2012/2013

Une LC avec Agirl, Cryssilda (zarline, on t'attend!)

lundi 27 avril 2015

Du polar chez Ginkgo

Ginkgo éditeur possède un catalogue varié et tentateur, ne comprenant pas seulement des romans roumains un poil givrés ou du coréen bizarroïde ou une grecque auteur de SF... Existent aussi des documents et des polars. Comme c'est fifty fifty cadeau de l'éditeur/achat en salon, je me sens libre d'en parler. Voici donc quelques polars atypiques, en attendant que je lise enfin mes derniers achats aux Rendez vous de l'histoire (oui parce qu'aux Rendez-vous de l'histoire Ginkgo est là -ainsi que Transboréal et leurs complices, je ne vous dis pas...)

D'abord faisons connaissance avec Jimmy Spinoza.
L'irrésistible
Arnaud Le Gouëfflec
Ginkgo, 2009


Si j'ai bien saisi, pour rencontrer l'auteur (Brestois!) mieux vaut aller en Bretagne. L'homme possède de multiples centres d'intérêt, musicaux et littéraires.

Pour cet irrésistible, un conseil, moins on en sait, mieux c'est. Traduction : pas besoin des quatrièmes de couverture. Une fois plongé dans une aventure de Johnny Spinoza, détective privé un brin décalé, je vous mets au défi de la lâcher. Au détour d'une page j'ai découvert ce qu'était cet Irrésistible!
Après un superbe chapitre introductif sur les filatures, fréquent quotidien de notre détective, apparaît le commissaire Pélage. " Chaque détective privé a son commissaire, c'est un lieu commun. On ne choisit pas. Moi, j'étais tombé sur Pélage, tantôt bonne pâte, tantôt pétrin."
Maris trompés, maris soupçonneux, on a besoin de Spinoza. Les portes claquent, comme dans un vaudeville les armoires abritent ceux en mal de cachettes ('ciel mon mari!'). Tout va à 100 à l'heure, le rythme est irrésistible. Cunégonde la secrétaire de Spinozza (concoctant des philtres mystérieux dans son laboratoire...) intervient (elle est invincible semble-t-il?). Jusqu'à un final frôlant le fantastique, parfaitement en accord avec l'époustouflante demeure du roi pêcheur, indécelable dans la ville... (j'ai adoré l'idée).

Sans respirer ou presque j'ai attaqué la suite
La Noctambule
Arnaud Le Gouëfflec
Ginkgo, 2014

"Longtemps, je me suis couché de bonne heure." Oui, Johnny Spinozza aussi. Mais ça va changer : Cunégonde n'est pas revenue d'une de ces mystérieuses virées nocturnes démarrant sur les toits. A sa recherche, il découvre le monde de la nuit, les toits ("D'en bas, on n'y voyait que des couvercles. Il ne nous serait jamais venu à l'idée que ce plafond n'est que le sol d'un autre monde."). Son enquête se déroule dans une ambiance lourde : le maire, le nouveau commissaire sont adeptes du 'transparence totale, zéro secret' et traquent les amateurs de secrets (et là, le lecteur a des pistes de réflexion...). Aidé de Bruno, qui lui fait connaître tout un univers de passages secrets dans la ville (j'adore! oui, encore), et de quelques escargots, Spinozza retrouvera-t-il Cunégonde?

Je suis  totalement emballée par cette série, son univers quotidien qui dérape, l'humour fin, le suspense sans failles, l'imagination (un poil) délirante. Je recommande!!!

Pour terminer, un autre genre:

Les quatre saisons de Rimbe
Les enquêtes du Poète libertaire
Gilbert Vincent Caboud
Editions du Baz'Art des mots
Ginkgo Editeur, 2015

Le narrateur surnommé Rimbe reçoit un coup de fil de Lucie, avec qui il aurait pu vivre quelque chose il y a, tiens, 20-30 ans, si les conditions avaient été autres. Elle lui fait part de la disparition d'Eric, classée sans suite par la police, ledit Eric, quoique père de famille sans histoires et plutôt heureux, ayant disparu avec les économies du ménage. Disparition volontaire, si oui, pour quelles raisons? Assassinat? Rimbe, à nouveau sous le charme de Lucie, se lance au volant de sa 2CV (on est en 1996) dans une enquête menée sans accélération, de petit village tristounet en petit village défiguré par la modernité, découvrant que les rêves de jeunesse ne se réalisent pas toujours.

Rimbe se découvre de l'aide, particulièrement Charlie, aux originales méthodes de recherche (en bar)
"Voilà comment on va opérer: on va tenter de prendre une cuite sèche, c'est-à-dire de boire un maximum sans succomber à l'ivresse. Il ne sera pas question de sortir un bout de papier pour noter ce qui nous semblera intéressant car nos interlocuteurs perdraient confiance. Donc, on va essayer, tous les deux, de se rappeler le maximum d'indications, de mots intéressants ayant un rapport même lointain avec notre préoccupation. Au début, ce sera facile, mais en fin de journée je ne t'explique pas."

Quant à l'écriture, elle est belle et très travaillée avec le risque (parfois) de nuire à la fluidité de la lecture. J'ai aussi râlé pas mal in petto contre l'utilisation de l'imparfait à la place du passé simple (ex : 'je téléphonais à celle-ci, puis je mis...' 'je me retrouvais bientôt ... j'empruntai ' )(pour être honnête je signale que ce n'est pas le seul roman où je butte la-dessus, mais ça me coup l'élan de lecture)
Mais je retiendrai que l'histoire est intéressante, bien menée sans temps morts tout en n'étant pas trépidante (ce n'est pas négatif pour moi!), les personnages sont bien campés et crédibles, l'ambiance rurale moderne bien rendue et pour les amateurs de polars, ça tient la route!
Une ambiance noire, pas dénuée d'humour, un poil poisseuse et désenchantée, pour une enquête sur plusieurs mois, donnant le temps au temps.

vendredi 24 avril 2015

L'univers de carton

L'univers de carton
Un guide du monde de Phoebus K. Dank
The cardboard Universe
Christopher Miller
le cherche midi, Lot49, 2014
Traduction de Claro


Bien évidemment j'ai emprunté ce (gros) roman à la médiathèque parce qu'un Lot49 ne se refuse pas, promesse de lecture souvent décoiffante. Hé bien mes amis, totale réussite pour les amateurs de décalé joyeux, d'humour au second degré, parfois de grand n'importe quoi. J'ai levé les yeux au ciel ('mais c'est pas possible, quel taré!'), ricané (façon hyène hilare, © Lectures sans frontières ), pouffé, suis passée à d'autres lectures histoire de ne pas m'essouffler parce que c'est épais quand même et aussi que je voulais savourer, et finalement terminé  d'une seule foulée, admirative du tour de force et heureuse d'avoir découvert où tout cela menait (et franchement on se gratte la tête, se demandant où on en est). 

Connaissez-vous Phoebus K. Dank (oui, clairement du Philip K. Dick là dessous), auteur prolixe de science fiction? Pour Boswell (oui, le même nom que l'auteur de la biographie de Samuel Johnson...) son ami c'est le plus grand, au point qu'il a consacré sa vie à défendre son oeuvre, pour Hirt, son ex-ami, suspecté d'avoir assassiné Dank, c'est un pauvre type nullissime. Les avis des deux paraissent dans ce roman, encyclopédie dankienne où le lecteur trouvera des résumés de ses romans, le récit de la vie de Dank, et forcément de Boswell, Hirt et les autres. De petits détails mettront la puce à l'oreille du lecteur, qui aura sans doute une idée plus claire des faits à la toute fin. Quoique, l'on trouve aussi un échange entre Miller et Dank pour savoir qui a imaginé l'autre, et Dank a par ailleurs une fois rêvé 'qu'il était le héros d'un roman comique mettant en scène un auteur de troisième zone.' Les entrées dégoulinantes de louange de Boswell s'opposent à celles fielleuses de Hirt ("Les goûts littéraires de Dank - si on peut parler de Dank et de goût dans la même phrase")

Drôle de zèbre que ce Dank. Imagination délirante, obsédé sexuel (les blondes à forte poitrine abondent dans ses romans) se prenant moult râteaux, obèse, drogué, agoraphobe, j'en passe. "Il construisit une machine à remonter le temps et se persuada qu'elle fonctionnait", "se persuada que son voisin dirigeait sur lui un rayon mortel et se mit à porter un costume en papier alu tout en travaillant dans son jardin", "régla son réfrigérateur pour que la petite lumière reste allumée quand la porte était fermée, fit venir le véto chez lui en pleine nuit parce qu'il avait donné à manger à son chat de la nourriture pour chien", etc.

Il y avait longtemps que je m'étais autant amusée à lire un roman. Dank (et Boswell) sont souvent pathétiques, mais quelle imagination débordante! "Il expérimentait en permanence.(...)Un jour, il modifia les toilettes du bas pour que l'eau qui coule quand on tire la chasse soit chaude." "Dank demandait toujours ''Que se passerait-il si?' Que se passerait-il s'il prenait un excitant et un somnifère en même temps? un antidiarrhéique et un laxatif? Un somnifère et un laxatif? () A-t-on le droit d'acheter juste une noisette dans un supermarché? Peut-on la payer par carte bancaire? Par chèque? () Votre ordinateur explosera-t-il si vous cherchez 'e' sur google?" [non, je n'ai pas essayé]

Quant à l'oeuvre de Dank, je vous laisse en juger; selon Hirt, trop de dialogues inutiles. En tout cas certaines histoires tenaient la route et j'aurais aimé les lire.

Je constate avec désespoir qu'il m'est impossible de tout citer, tellement ce roman foisonne de passages notables, un vrai feu d'artifice!

Je terminerai donc en précisant que Claro, le traducteur, en a rajouté dans le bazar ambiant, faisant de ce roman traduit un livre encore meilleur que l'original! En effet il s'est bien lâché dans les notes du traducteur...
Exemples parmi d'autres
"un centime" * avec note: "Je sais bien que le centime n'a pas cours aux Etats-Unis, mais je ne suis pas là pour bercer le lecteur dans l'illusion que ce qu'il tient entre les mains est autre chose qu'une traduction."
"August et April"* avec note : "Ce sont les prénoms des deux protagonistes du roman. (...) Mais sachez qu'on ne traduit jamais les noms et prénoms anglais en prénoms français, de peur que le lecteur oublie qu'ils sont anglais et les imagine avec un béret et une baguette;"
"mainstream"* avec note : "je laisse à dessein ce terme anglais car l'expression 'littérature blanche' m'a toujours paru inappropriée pour désigner des fictions qui méprisent souverainement les Martiens et les pisto-lasers."

Clairement, ce bouquin ne plaira peut-être pas à tout le monde, mais croyez-moi, ça vaut le détour!!!

En parlent Le tour du nombril, Claro (le génial traducteur!), L'armurerie de Tchékov,

mercredi 22 avril 2015

Sur la scène intérieure

Sur la scène intérieure
Faits
Marcel Cohen
L'un et l'autre, Gallimard, 2013


Coup de cœur, à lire absolument.

Un livre peu attirant sur le présentoir de la médiathèque, sauf qu'il appartenait à la collection L'un et l'autre, gage de qualité*. A feuilleter ce livre peu épais (140 pages de texte)(pas de quatrième de couverture) je tombe sur les titres des parties, et maintenant je les donne toutes, comme une litanie en hommage à des inconnus (je ne me suis pas sentie le droit d'user du etc) : Maria Cohen, née le 9 octobre 1915 à Istanbul. Convoi n°63 du 17 décembre 1943. Jacques Cohen, né le 20 février 1902 à Istanbul. Convoi n°59 du 2 septembre 1943. Monique Cohen, née le 14 mai 1943 à Asnières (92). Convoi n°63 du 17 décembre 1943. Sultana Cohen, née en 1871 à Istanbul. Convoi n°59 du 2 septembre 1943. Mercado Cohen, né en 1864 à Istanbul. Convoi n°59 du 2 septembre 1943. Joseph Cohen, né le 10 août 1895 à Istanbul. Convoi n°59 du 2 septembre 1943. Rebecca Chaki, née le 13 avril 1875 à Istanbul. Convoi n°59 du 2 septembre 1943. David Salem, né le 29 avril 1908 à Constantinople. Convoi n°75 du 30 mai 1944.

Parents, grands parents, tante, oncles et sœur de l'auteur, né en 1937 à Asnières, sont évoqués ici. Laissons-le parler:
"Ce livre est donc fait de souvenirs, et, beaucoup plus encore, de silence, de lacunes et d'oubli. L'espoir secrets serait qu'un usage de ces faits s'impose néanmoins, et en premier lieu à moi-même, comme chaque fois qu'il y a accumulation, rangement, volonté de mettre au net. Une seule certitude : c'est bien l'ignorance, la ténuité et les vides qui rendaient cette entreprise impérative. Aux monstruosités passées, il n'était pas possible d'ajouter l'injustice de laisser croire que ces matériaux étaient trop minces, la personnalité des disparus trop floue et, pour utiliser une expression qui fait mal mais permettra de ma faire comprendre, trop peu 'originale' pour justifier un livre."
Jeunesse des disparus, manque de témoins, ou mutisme de ceux-ci, peu de détails donc. Marcel Cohen s'est basé sur ce qu'on lui a raconté, et, en italique, ses propres souvenirs d'enfant. En fin de volume sont reproduites les photos d'objets retrouvés (parfois 70 ans plus tard, tel le coquetier en bois de la couverture!) appartenant à son passé. Très émouvants, ces objets à valeur sentimentale pour la plupart, qui ravivent les souvenirs, souvenirs par ailleurs incroyablement olfactifs (eau de Cologne, poudre de riz)

Ce livre m'a extrêmement émue en dépit de -ou à cause de - sa volonté de ne pas romancer, de donner les faits, les simples faits. Au détour d'un paragraphe, on est atteint en plein cœur.
Ces juifs originaires d'Istanbul avaient étudié dans des écoles privées catholiques, y apprenant le français et sont arrivés à Paris dans les années 20 (l'on y apprend pourquoi). Lointains descendants des juifs chassés d’Espagne à la fin du 15ème siècle, ils parlaient aussi le judéo-espagnol, "étudié aujourd'hui comme une langue morte, après la disparition dans les camps de la quasi totalité des communautés séfarades de Grèce et des Balkans."
Quant au "pauvre petit David", dont la femme, la seule à être revenue, disait qu'il "a eu une belle mort"?... Découvrez laquelle ... (quelle horreur!)
Et Monique, l'âge de Monique! Pourquoi sa mère et elle partirent-elles avec le convoi 63 au lieu de 59 comme presque tout le reste de la famille? J'ai appris que "de même que les enfants ne portaient pas d'étoile jaune avant l'âge de six ans, la police française ne remettait aux Allemands que les nouveaux nés âgés de plus de six mois. Après son arrestation le 14 août, Marie fut donc internée à l'hôpital Rothschild en attendant que (...) Monique, qui avait alors trois mois, ait l'âge requis pour le voyage vers Auschwitz, via Drancy." Bien gardés, mères et enfants attendaient dans cet hôpital. Le jeune Marcel y a rendu visite à sa mère, puis ensuite s'est contenté de la saluer de loin (très très imprudent, car des policiers en civil procédaient à des arrestations dans le quartier  à la fin de l'heure des visites ou aux abords du métro le plus proche.)
Pour se remettre (un peu) de ces détails absolument épouvantables, se rappeler comment le jeune Marcel a échappé à la police et a été recueilli et aussi que "autour du camp, à Drancy, des hommes et des femmes de bonne volonté  ramassaient les messages jetés par dessus les barbelés, les mettaient sous enveloppe, recopiant l'adresse, collaient un timbre et les postaient."

* L'un et l'autre (texte de second rabat, pour cette collection)
"Des vies, mais telles que la mémoire les invente, que notre imagination les recrée, qu'une passion les anime. Des récits subjectifs, à mille lieues de la biographie traditionnelle.
L'un et l'autre : l'auteur et son héros secret, le peintre et son modèle. Entre eux, un lien intime et fort. Entre le portrait d'un autre et l'autoportrait, où placer la frontière?
Les uns et les autres: aussi bien ceux qui ont occupé avec éclat le devant de la scène que ceux qui ne sont présents que sur notre scène intérieur, personnes ou lieux, visages oubliés, noms effacés, profils perdus."

lundi 20 avril 2015

Festival castelroussin

Samedi 18 et dimanche 19 se tenait à Châteauroux l'Envolée des livres, salon à taille humaine, entrée gratuite, des auteurs pour tous les goûts en nombre raisonnable, des promeneurs, des lecteurs et même des blogueurs.
Le cadre (du 13ème siècle) (ça calme, hein?)

Peu avant 14 heures, une petite foule se pressait pour la montée des marches, déjà auteurs et visiteurs se côtoyaient et je cherchais du regard Syl (que je n'avais jamais vue).
En revanche je tombe vite sur Laetitia (pas de blogs bouquins, mais c'est une lectrice, croyez-moi!) et ('mais je connais ces lunettes!') Séverine  de Blablablamia en envoyée spéciale sur l'événement (OK j'en rajoute peut-être, mais tant pis)
Photo prise sur internet, j'ai oublié d'en prendre, pfff
Dans son compte rendu Syl raconte ses aventures... De mon côté j'ai agité en l'air de temps en temps Sous les couvertures de Bertrand Guillot, c'était le signe de ralliement; sous les yeux d'auteurs (mais Bertrand est là, me disaient-ils -oui, je sais) et de visiteurs mi-inquiets mi moqueurs. Mais ouf, on s'est retrouvées.
On a échangé des livres (c'était un des objectifs de la rencontre, et, surprise, Syl avait plein de cadeaux! (Syl, t'es folle!)(mais ça m'a fait énormément plaisir)
Un aperçu de quelques uns... Carnet, petit coeur...
Durant deux bonnes heures j'ai parcouru les allées en compagnie de Syl et de Laetitia . A nous trois on a bien flambé, d'auteur en auteur, et on s'est bien amusées. On recommencera? Ce serait même mieux si d'autres étaient là, non?

Voici ma liste des prix (mais je suis sûre que j'en ai raté)

Ex aequo : prix de l'auteur toujours présent ou presque à Châteauroux et à chaque fois je n'achète rien mais là je craque un poche ça ne compte pas
Bertrand Guillot, avec Hors Jeu (le seul que je n'ai pas lu)

Philippe Jaenada, avec Plage de Manaccora, 16h30

Prix spécial pour son oeuvre
Erwan Larher (l'heureux propriétaire du Logis du musicien) (un projet grandiose!)
Prix de l'auteur qui choisit bien ses personnages (pouvais-je résister?)
Stéphanie Hochet, avec Éloge du chat (chat et littérature, miam d'avance)(et pourquoi pas découvrir ses autres romans?)
Prix de l'auteur connu grâce à Syl (non, je ne dénonce pas la tentatrice)
Pascal Martin avec Du danger de perdre patience en faisant son plein d'essence
Prix de l'auteur du roman "parce que c'était lui parce que c'était moi"
Abnousse Shalmani avec Khomeini, Sade et moi (Iran, exil, littérature, ça me suffit pour craquer)
Prix de l'auteur que je me réjouissais de rencontrer pour la première fois parce que j'ai énormément apprécié son roman
Pierre Raufast avec La fractale des raviolis
En prime, le prix de la dédicace (merciiiiiiiiiiii)
Prix de l'auteur dont le voisinage perturbateur m'a empêchée de la vite découvrir 
Sophie Adriansen, avec Max et les poissons

A l'année prochaine?


vendredi 17 avril 2015

La meilleure d'entre nous

La meilleure d'entre nous
The art of baking blind
Sarah Vaughan
Préludes, 2015
Traduit par Alice Delarbre


Eléments de ma (fascinante) bio : même si petite j'ai fait des madeleines avec ma tante -moule spécial- ce qui devait m'amener je suppose à l'amour de la prose proustienne, je dois avouer que 1) je n'aime pas trop cuisiner et encore moins les gâteaux, 2 ) je ne regarde pas les émissions de téléréalité culinaire, 3 ) je préfère le salé au sucré (seule la tarte au citron me fait saliver).
Rien ne me prédestinait donc à aimer ce roman, mais comme Albertine en parlait si bien...

La chaîne de magasins Eaden organise un grand concours pour élire la nouvelle Mrs Eaden; le gagnant se verra offrir cinquante mille livres pour donner son avis sur les gâteaux distribués dans lesdits magasins, tenir une rubrique dans leur journal et prêter son visage lors de campagnes publicitaires. Kathleen Eaden... l'auteur de L'art de la pâtisserie (1966)(un poil kitsch quand même mais si agréable à lire) qui a inspiré des milliers de pâtissières anglaises... la femme parfaite en apparence, heureuse, un peu sur papier glacé...mais qui dissimulait des fêlures...

Bref, en 2011, cinq candidats triés sur le volet arrivent à Bradley Hall pour cuisiner des gâteaux parfaits! Entre eux, pas vraiment de compétition, mais une bonne ambiance propice à l'amitié (et même l'amour). Vicky, jeune maman regrettant d'avoir laissé son métier pour un temps afin d'être près de son petit garçon, désirant être une mère parfaite, Jenny, dont le mari ne rêve que de courses et de marathons, Claire, mère célibataire galérant pour élever sa fille, Karen parfaite en apparence, glacée, en proie à ses souvenirs, et l'homme de l'équipe, Mike, veuf depuis peu et 'bonne mère' en plus de 'bon père'.

Au fil des mois surgissent les souvenirs d'enfance liés à la cuisine (pareil que pour nous, non?), touiller et manipuler les pâtes diverses sont l'occasion de lâcher prise et de prendre des décisions pour orienter différemment sa vie...

J'ai beaucoup beaucoup aimé ce roman (sans prendre un gramme en dépit des ingrédients crémeux), tellement féminin (Mike est sympathique mais pas le plus en lumière)(et je réalise que les mères des quatre candidates jouent un grand rôle dans leur vie, le père on n'en parle pas) et attachant. (L'on comprendra aisément qu'il a été la lecture parfaite après Une si jolie petite fille).

mercredi 15 avril 2015

Une si jolie petite fille

Une si jolie petite fille
Les crimes de Mary Bell
Récit
Cries unheard The story of Mary Bell, 1998
Gitta Sereny
Plein jour, 2014
Traduction de Géraldine Barbe
Photographie : Mary Bell vers l'âge de 11 ans


Gitta Sereny (Vienne 1921 - Cambridge 2012) est une journaliste d'investigation habituée aux sujets lourds - enfants dans les camps de réfugiés à la fin de la seconde guerre mondiale; accusés de crimes de guerre- et elle s'est intéressée sur des années à Mary Bell. En 1968, à Newcastle sur Tyne, deux petits garçons de trois quatre ans sont retrouvés assassinés à quelques semaines de distance. Après jugement par un tribunal pour adultes, Norma Bell, 13 ans, est acquittée et Mary Bell, 11 ans est condamnée à la prison à vie(avec situation reconsidérée à intervalles réguliers) , reconnue 'coupable d'homicide involontaire pour cause de responsabilité atténuée'. En 1968 Gitta Sereny avait assisté au procès et en 1972 avait écrit Meurtrière à 11 ans, après avoir rencontré ceux qui connaissaient la fillette.
De 1995 à 1998 elle rencontre Mary Bell, à cette époque sortie de prison, après avoir connu de 11 à 16 ans un établissement pénitentiaire où elle était la seule fille (!)(elle n'a pas été envoyée en hôpital pour être prise en charge car il semble que ça n'a pas été possible) puis après 16 ans la prison pour femmes. De leurs entretiens sortira ce nouveau livre, Cries unheard, le titre anglais, étant bien plus parlant.

C'est une lecture passionnante, et, vous le pensez bien, éprouvante quand même. Fort heureusement, rien de glauque là dedans, absolument pas de voyeurisme, pas question non plus d'oublier les petites victimes et leurs familles. Gitta Sereny ne croit pas sur parole Mary Bell, elle repose les questions patiemment, elle s'appuie sur d'autres rencontres, des dossiers, etc. Les rencontres entre les deux femmes s'étalent sur des mois. L'on apprend comment ces années se sont déroulées pour Mary Bell et les relations effarantes avec sa mère Betty ("elle a gagné sa vie en étant ma mère")(et ce n'est pas vrai seulement à cause de l'intérêt médiatique suscité par sa fille).
Ces crimes auraient-ils pu être évités si l'entourage, les services sociaux, la police avaient tenu compte de signes avant coureurs? Un enfant de 11 ans réalise-t-il comme un adulte ce qu'est la mort? La réhabilitation est-elle possible? Des tas de questions sont posées par l'auteur. Je pense que c'est un livre à lire sans peur, il est très dense, il remue, certains faits sont sidérants, mais pas question de se voiler la face, cela existe. A lire - en choisissant le bon moment - mais à lire!

Les avis de Antigone, clara,

lundi 13 avril 2015

Iénisseï

Ienisseï
Christian Garcin
Verdier, 2014



Entre Verdier et moi, l'histoire d'amour continue (et si quelqu'un peut me rappeler sur quel blog j'ai vu ce livre, vite inscrit dans ma LAL?).

Christian Garcin est un auteur français né en 1959 à Marseille, dont la bibliographique se révèle attirante ('La neige gelée ne permettait que de tout petits pas', quel titre magnifique!).


Deux ans plus tôt l'auteur avait descendu le cours de la Lena et le voici récidivant avec l'Ienisseï (plus de 400 kilomètres). Le débit étant trop faible à Krasnoïarsk, il embarque à Ienisseïsk, au delà du confluent avec l'Angara. Il évoque les "gigantesques et hallucinants projets staliniens d'inversion du cours des fleuves orientés sud-nord, sous prétexte que leurs millions de mètres cubes se jetaient stérilement dans l'Arctique et ne servaient à personne". Pauvreté, abandon, chômage, rien de bien gai dans cette région où l'on envoyait au Goulag.
"Violemment jaune et tragiquement schizophrène : c'est ainsi que m'apparut Norilsk lorsque j'y entrai en juillet 2012." "La ville ,je le savais, était une ville du Goulag." Une des dix villes les plus polluées de la planète(cuivre, nickel, dioxyde de soufre)
Credit: darkroastedblend.com

A ce tableau forcément pas exhaustif sur ce coin de Sibérie, mais si parlant, l'auteur ajoute deux chapitres sur la Biélorussie, pays mal connu, n'est-ce pas?, dont il dresse un portrait fascinant, du présent et aussi du passé.

Tout m'a plu dans ce court livre (90 pages), une belle écriture, des informations intéressantes, et une certaine façon de considérer le voyage
"On aimerait parfois lever le pied. Traverser l'Atlantique en porte-conteneurs, la Russie en transsibérien, ou descendre les 2000 kilomètres d'un fleuve sur un bateau de passagers."

Les avis de biblioblog, la cause littéraire,

vendredi 10 avril 2015

La nuit des lucioles

La nuit des lucioles
And the dark sacred night
Julia Glass
Les deux terres, 2015
Traduit par Anne Damour

J'aime Julia Glass, son écriture élégante (bravo à la traductrice, aussi), ses histoires attachantes. J'ignore comment cela se fait, d'autres auteurs ont sans doute une écriture plus originale, des histoires plus haletantes, mais lire Julia Glass, c'est retrouver une vieille copine pour papoter, faire la planche à la piscine, grignoter à pas d'heure un truc salé, se rendormir le matin, bref, ces petits plaisirs de l'existence un peu banals mais indispensables. Surtout que de roman en roman on retrouve des personnages (nan, pas de spoilers, la dame sait y faire) et moi j'aime beaucoup cet univers. Fenno McLeod, oui, celui de Jours de juin et Refaire le monde, est de retour, en dernière partie. Fenno est libraire à New York, ou plutôt était, car nous vivons dans un monde de brutes adepte du profit!

Tout démarre quand Kit, marié à Sandra (parfaite!) et père de jumeaux, a besoin d'un coup de pied (moral) de son épouse lasse de le voir traîner à ne rien décider de sa vie. Il faut qu'il connaisse enfin l'identité de son père biologique, que sa mère Daphné a toujours refusé de lui révéler, en interrogeant par exemple son beau-père Jasper, solide montagnard, le roi des Planches (ah, ses chiens!) et au régime pour raisons de santé ." Que reste-t-il d'un dessert une fois que le sucre, les glucides et les graisses on disparu?".

"Qu'est ce qu'un père, exactement, sinon un homme qui, une fois que vous êtes devenu adulte, parti occuper votre place dans le monde, y commettre vos propres erreurs, faisant fi des bons conseils, attend patiemment votre retour? Et si vous ne revenez pas, et bien tant pis. Il accepte ce risque. Il sait de qui dépend le choix."

C'est un gros bouquin, dont les pages se lisent vraiment toutes seules, au fil des parties vues du point de vue d'un des (nombreux, finalement) personnages, ne parlant pas que de paternité, mais aussi de problèmes de couples (y compris gay), de maladie et même de mort.

"Le bonheur ne vient pas comme ça, uniquement parce que tu le désires ou le mérites. Je ne pense pas que tu sois trop jeune pour le savoir. Tu dois apprendre seul à faire entrer le bonheur dans ta vie. Parfois, quand il menace de s'éloigner, il te faut tendre le bras par la fenêtre et l'attirer à toi, comme si tu capturais un oiseau."

Bonne nouvelle : tous ses romans sont en poche! (ce qui permet l'addiction...)
 Les joies éphémères de Percy Darling       Refaire le monde    Louisa et Clem   Jours de juin 

L'avis de cathulu

mercredi 8 avril 2015

Géronimo a mal au dos

Géronimo a mal au dos
Guy Goffette
Gallimard, 2012


Dans un tout petit village de l'est de la France (références à Saint Nicolas plus qu'au père Noël), le cercueil du père de Simon est là, dans la salle à manger familiale. Simon, venu pour l'enterrement, raconte et se remémore son enfance, son adolescence puis son envol d'adulte loin de la sphère familiale, contrairement à ses frères et sœur. Il se remémore surtout son père, homme strict, dur au travail, vivant chichement et sans générosité, prompt à la claque surtout pour Simon son aîné, rebelle, discutailleur et devenu peintre (c'est un métier, ça?). Simon ressentait de la colère et de la détestation, souvent il aurait voulu un autre père, c'est sûr, mais l'on sent aussi respect et admiration pour ce père désireux de l'élever en lui inculquant ses valeurs.

J'ai trouvé une vidéo extrêmement intéressante, où Guy Goffette explique que ce 'roman' est sans doute le plus autobiographique de ses romans, Simon est son double. Très beau passage vers la fin, où il explique que ce roman vient après Un été autour du cou, où apparaissait Simon, mais lire en second Un été autour du cou  est finalement le bon cheminement...

J'ai découvert et apprécié l'écriture nette, précise, faussement simple, pudique, avec de vrais morceaux de poésie en fin de chaque chapitre. Forcément cette enfance campagnarde et ce milieu dur à la tâche ont ravivé des souvenirs. Un beau roman où le narrateur se livre sans fards, se remet en question, nous livrant le portrait d'un homme sans doute pas très heureux, même en dehors de houleuses relations père-fils.

"J'en garde un souvenir lointain mais ému en repensant à cet homme dans sa boîte, que les tracas ne laissaient jamais tranquille, jamais assez en tout cas pour se contenter du bonheur d'être ensemble. Pauvre Géronimo."

"Je savais déjà sans le savoir que sous une seule casquette plusieurs hommes pouvaient se tenir, qui refusaient de se parler, sauf au secret, parfois, dans les nuits d'insomnie. Moi-même, j'avais un double qui me jouait des tours et m'empêchait d'être une seule voix quand je parlais, un seul homme quand je me battais."

Les avis d'Asphodèle,
C'est en cherchant des informations sur l'auteur (une fois la lecture terminée) que j'ai réalisé que Guy Goffette est belge! Voilà donc une pierre de plus à l'édifice du Mois belge.

lundi 6 avril 2015

Comment Thomas Leclerc 10 ans 3 mois et 4 jours est devenu Tom L'Eclair et a sauvé le monde

Comment Thomas Leclerc 10 ans 3 mois et 4 jours est devenu Tom L'Eclair et a sauvé le monde
Paul Vacca
Belfond, 2015




Années 60. Thomas Leclerc habite avec ses parents un pavillon de Montigny, en banlieue parisienne et fréquente le collège. Mais Tom n'a pas d'amis, il ne sait pas s'en faire, il ne sait pas sourire, pleurer. Alors, sur le modèle des Comic books américains,  il s'imagine super héros sauvant le monde ou, plus modestement, améliorant le quotidien de son entourage et réconciliant ses parents. Il y a du travail!

Ce joli roman se dévore en une soirée; le jeune Thomas est sympathique, ses idées rafraîchissantes, ses erreurs font sourire. Bien sûr tout ou presque se termine bien.

J'ai cependant quelques questions. Pourquoi les années 60? (et pourquoi pas, après tout?) Evidemment c'est bien agréable de les voir si bien reconstituées, mais parfois je me serais passée de certaines explications. J'ai eu l'impression que certains épisodes ne sont là pour pour servir de prétexte à une expression, par exemple vampirisation ou Catch 22. Thomas, et c'est normal à son âge, a besoin de certains renseignements, mais je n'en demandais pas tant. J'ai trouvé aussi que Thomas évoluait trop rapidement, avec des copains, de l'empathie pour les autres. Mais j'avoue mal connaître sa 'maladie' dont parle la quatrième de couverture. D'autre part, si le premier comic book en français sort dans les années 70 (page 71)  comment se fait-il que Thomas l'achète régulièrement (page 62) dans la petite Maison de la presse près de chez lui? Ou y-a-il une présence américaine dans le coin (page 70)?

J'avais préféré les romans précédents de Paul Vacca, en fait.

Les avis de cathulu, Canel, blablablamia  (bien plus enthousiastes!). Lisez leurs avis et que le mien ne vous détourne pas de ce roman lu avec plaisir, je vous assure!

vendredi 3 avril 2015

Le musée de l'inhumanité

Le musée de l'inhumanité
Middle C, 2013
William Gass
le cherche midi, 2015
Traduit (excellemment) par Claro


William Gass, oui. Né en 1924 (91 ans). L'auteur du Tunnel, l'une des plus incroyables expériences de lecture de ma vie pourtant bien dense en trucs improbables.
Surtout, prendre son temps (la bête n'a résisté que 4 jours, mais j'ai attendu le bon moment). J'en ressors un peu sonnée avec l'impression d'avoir plongé dans du 'on ne lit pas ça tous les jours', et bien sûr, de me sentir bien dépourvue au moment d'en parler.

Le titre, d'abord. En anglais, Middle C est en gros la note au milieu d'un clavier de piano. Un peu à l'image du héros, pianiste autodidacte, homme assez effacé ne désirant rien tant que les résultats scolaires intermédiaires, ni trop brillant ni trop nul, histoire de ne pas être remarqué.
Dans le grenier de la maison où il vit avec sa mère, Joseph Skizzen expose les ouvrages et coupures de journaux témoignant de la méchanceté humaine au cours des siècles, le musée de l'inhumanité. Tâchant aussi de fignoler une phrase qui le hante : "La crainte de voir la race humaine s'éteindre a été remplacée par la crainte qu'elle ne perdure."
Joseph/Joey Skizzen, ex Yussel Fixel à l'époque où son père autrichien se fit passer pour juif et put émigrer en Angleterre. Par la suite, il fila aux Etats Unis sous une encore autre identité, laissant derrière lui sa femme, son fils et sa fille, qui réussirent cependant à arriver dans l'Ohio. Après des études médiocres et différents petits boulots (dans une bibliothèque notamment), Joseph devient le Professeur Skizzen chargé d'enseigner la musique moderne (et craignant que son manque de capacités officielles à le faire ne soit découvert). Déjà qu'il a changé sa date de naissance, bidouillé un faux permis, etc.

Bon, il y a une histoire, on va dire roman d'apprentissage. Mais ce serait faire fi de digressions (?) où la plume toujours fluide et riche de William Glass s'envole, scotchant le lecteur. Les inhumanités, d'accord, sans trop de détails gore, ouf! Le professeur de piano (quand la musique a commencé à intervenir dans la vie de Joseph, là j'étais ferrée). Myriam, la mère et son fabuleux jardin. Sa leçon sur le Concerto pour orchestre de Bela Bartok (un grand moment,  en gros tous ses passages comme professeur le sont). Son travail à la bibliothèque, entre Miss Moss et Miss Bruss (qui ne s'aiment pas) , bibliothèque au curieux système de classement (page 248). Et gare à ne pas tenir les livres n'importe comment! La vendeuse de voitures d'occasion, aussi chanteuse de gospel.

Un roman que je conseille aux curieux de hors normes. Comme un des avis propose déjà le Concerto de Bartok, voici le 'Remember me' de Purcell (cf exergue du roman, vers 3')(et puis c'est splendide)
Les avis chez charybde (complet complet...), unwalkers,  et ...cuné!

mercredi 1 avril 2015

La route des coquelicots / Au tour de l'amour

Véronique Biefnot et Francis Dannemark se sont associés pour proposer deux ouvrages, illustrés par Véronique Biefnot. Voir le site des deux auteurs (making-of des livres, bonus dont les dessins des deux livres, où j'ai bien puisé pour mon billet)

Tout d'abord un roman
La route des coquelicots
Biefnot-Dannemark
Le Castor Astral, 2015


Le duo d'auteurs nous entraîne à la suite de Lydie, Henriette et Flora, trois pensionnaires de maison de retraite, dans un grand périple destiné à regrouper -pour un moment du moins- la famille d'Olena, sans papiers ukrainienne. Rien ne destinait ces quatre femmes à passer les frontières dans une vieille Opel, Henriette et Flora ayant aussi tendance à se disputer. Nostalgie et tendresse ne manquent pas - ainsi que des moments plus sombres- mais la tonalité générale est à la joie et la bienveillance. Tout se passe trop bien peut être? Mais avec Francis Dannemark (le seul que je connaisse) j'ai toujours connu cette ambiance avec des histoires 'qui se lisent toutes seules' parsemées de jolies réflexions, et pas question de renoncer à un happy end.

Les avis de Lire et relire, Yv, blablablamia,

Là où je pouvais me montrer rétive, c'est avec...
Au tour de l'amour
Biefnot-Dannemark
Le Castor Astral, 2015

... avec de la poésie à l'intérieur! Mais aussi une histoire d'amour et de somptueux dessins. La rencontre s'est bien passée. De plus, Wallis & Ashvin, échange épistolaire entre inconnus dans un monde où l'on ne rêve plus, est une réussite de délicatesse.




Je termine avec quelques extraits:

Quand on voit des ombres,
c'est qu'il y a de la lumière.


Et dans le calme de la nuit,
par deux tendrement s'en allaient les gens,
laissant derrière aux
comme le doux souvenir d'un feu.





Et si c'était la dernière fois...
Pose le bout de tes doigts sur mon poignet,
pose-les là où ça palpite.
Tout entier, je me rassemble sur ces dix centimètres
de peau, suivant le doux mouvement
du bout pulpeux de tes doigts.

Tu hésites, effleures,

...

L'avis de Yv aussi.
Ce billet était prêt depuis février, mais Anne et Mina ayant parlé de mois belge  en avril, j'ai attendu!