jeudi 30 mars 2023

Par la racine


 Par la racine

Gerald Tenenbaum

Cohen & Cohen, 2023


"Les ultimes chapitres d'un livre peuvent découler logiquement des précédents, ou se poser en rupture. Bifurcation ou porte-à-faux, il s'agit alors d'emporter l'adhésion du lecteur. On ne peut le surprendre qu'à condition de semer dans son esprit un graine de perplexité pour récolter la conviction que, tout bien posé, il ne pouvait en aller autrement."

Samuel Willar est écrivain, en fait il écrit des biographies, mais plus ou moins arrangées. Il rencontre Luce qui a besoin d'une biographie afin d'intégrer un institut new yorkais. Elle désire "récrire sa vie jusqu'ici pour la poursuivre jusque là". Pourtant son activité actuelle au centre Rachi de Troyes pourrait l'en dispenser a priori.

Mais Samuel ne discute pas cette commande, les coordonnées de Luce venant des papiers de son père Baruch récemment décédé. Le passé s'invite, une quête s'impose, qui conduira Luce et Samuel jusqu'en Israël, et beau retour en France. Ayant sur leur chemin rencontré bien des personnages, tels ce tailleur de pierre, ou tout simplement Jacques frère de Samuel, pour une balade au cimetière de Gênes (clin d'oeil à certaine blogueuse).

Dès le début j'ai apprécié l'écriture élégante de l'auteur, et me suis laissée conduire sur les pas de Samuel, sans trop savoir (lui non plus) où ça me conduirait; voyage ponctué de références musicales classiques qui m'allaient bien (liste à écouter prochainement?) et parfois de détails éludés délicatement.

Une lecture agréable, prenante, au cours de laquelle on se sent bien, confortable, avec des rencontres de bons personnages et des passages m'ayant marquée, tels

"Un commentaire de Rachi sur la sortie d'Egypte et les trois éléments dont il ne faut pas se séparer m'est revenu en mémoire. (...)

- Les migrants doivent conserver trois attributs essentiels: les vêtements pour se couvrir, les mots pour se comprendre et les noms pour se penser."

Avis babelio, Didi, bibliosurf (propose des articles plus fouillés que le mien, mais en total accord!)

lundi 27 mars 2023

Le Décaméron des femmes


 Le Décaméron des femmes

Julia Voznesenskaya

Babel, 2001

Traduit par Danielle Chinsky

avec le concours de Karin Linden


Cherchant en vain à la bibliothèque un auteur précis à la lettre W, mes yeux se sont posés sur la tranche de ce petit Babel, parfait dans le cadre du Mois de l'Europe de l'est, et ... gros coup de coeur!

Dix femmes venant d'accoucher ne doivent pas quitter la maternité de Leningrad, pas à cause d'une épidémie de peste, non, mais peu importe. Le personnel médical est là, elles peuvent recevoir colis et courrier. Que faire? L'une d'elles, Emma, metteur en scène, lisant à ce moment le Décaméron (que j'ai follement envie de lire maintenant), propose à ses dix compagnes de raconter durant dix jours une histoire. Ce sont des professeurs, une ouvrière, une dissidente ou femme de dissident, un zonarde (vagabonde), une hôtesse de l'air, une 'grosse légume' que les autres n'apprécient pas trop -au début. Les sujets? Le premier amour, les garces, le viol, la jalousie, l'infidélité, ...,  pour terminer par des histoires sur le bonheur.

Important : ce livre est paru en 1985, oui, l'URSS, les dissidents, les camps, les zeks, les files d'attente dans les magasins, le manque de tout ou presque cycliquement, le rêve de l'ouest, la propagande. Les appartements communautaires, le problème de l'alcool et de la violence conjugale. Quant à savoir ce qui est encore d'actualité, à vous de choisir. Mes dix copines du roman n'auraient pas tranché je le sens.

Bref, oui, je les aime ces dix femmes, souvent si courageuses, énergiques, amusantes, émouvantes. A travers leurs récits se dessine bien l'histoire du pays, ses modes de vie et ses problèmes.


 Avis babelio

jeudi 23 mars 2023

La réparation du monde

 


La réparation du monde

Slobodan Snajder

Liana Levi, 2021

Traduit par Harita Wybrands



Bien sûr ce n'est pas un joueur de flute qui, en 1770, a entrainé à sa suite de pauvres paysans survivant mal en Souabe pour les conduire, via un Danube tumultueux parfois, en Transsylvanie où l'herbe était garantie plus verte. L'impératrice Marie-Thérèse en avait décidé, et qu'on lui obéisse! Parmi eux Georg Kempf, l'ancêtre du narrateur.

Puis grand saut dans le temps, et là un certain Hitler réalise que ces Volksdeutsche, d'origine allemande vivant en Slavonie / Croatie feraient très bien dans les Waffen-SS. Certains y vont sans problème, d'autres, comme Georg/Djuka Kempf,  né en 1919 et père du narrateur, est un 'volontaire-forcé'. Le voilà arrivé en Pologne, pas trop sûr d'en sortir vivant, en tout cas tâchant de ne pas se faire remarquer. Son refus de fusiller des civils va l'entrainer ans toutes sortes d'aventures, et donner l'occasion de se frotter à toutes sortes d'opinions et peuples, frôler la mort, rencontrer le juif errant. 

Je ne divulgache rien, car des compléments dans la narration dus à la plume du fils de Georg, encore à naître (ce sera chose faite après la fin de la seconde guerre mondiale) nous font part de son inquiétude à l'idée de ne pas naitre, ses deux parents étant -chacun de leur côté- pris dans la tourmente. Une très belle idée qui dynamise bien le roman et apporte un peu de légèreté.

Le père donc, notre héros, va épouser la mère, qui elle a vécu une guerre active. Entre son mari qui s'adonne à la poésie et elle qui ne pense qu'au parti, cela devient vite compliqué. Surtout dans une Yougoslavie qui va connaître explosion et guerre.

J'avoue ne pas connaître toute l'Histoire de ces coins là, et les noms des différentes factions, mais peu importe, l'écriture vive non dénuée d'ironie tragi-comique de l'auteur permet de bien suivre. Une belle découverte pour moi.

Lecture commune avec 


Avis babelio

lundi 20 mars 2023

tous sports confondus


 tous sports confondus

Frigyes Karinthy

La petite collection des éditions du sonneur, 2014

Préface et traduction de Cécile A. Holdban



Dans la famille Karinthy, je demande le père! Le fils, c'est Ferenc, auteur du génial Epépé, mais Frigyes (1887-1938) avec Je dénonce l'humanité m'avait déjà épatée.

Amis sportifs ou non sportifs, bonjour. Parues dans les journaux entre 1912 et 1936, ces nouvelles ont sans doute fait grincer les dents de certains lecteurs et, on le suppose, bien amusé d'autres; un style impeccable mis au service de la causticité et de l'ironie.

"En général, on considère la natation et la course à pied comme des sports d'endurance, par opposition aux exploits sportifs sur place tels que le saut en hauteur, la boxe et les discours parlementaire."

Il ne fait pas que se moquer de certains hongrois ou du sport, il est souvent sérieux, voir philosophique, dans ce dialogue entre Nurmi et Socrate autour du marathon. Ecrit en 1929, on y parle même d'eugénisme.

"Je trouve qu'il est foncièrement injuste de reprocher et de faire grief à l'état hongrois de ne pas laisser nos athlètes participer aux Jeux olympiques américains, ou plutôt de les y laisser aller, mais sans les y aider. (...) Dans le cas présent, il ne s'agit pas d'argent, loin s'en faut, car voilà ce dont il retourne: la Hongrie n'a nullement besoin d'aller concourir contre toutes sortes de nations qui, de surcroit, ne sont même pas hongroises."

Après nous faire assister à un combat de boxe (délirant), voici des interviews de cinq athlètes méconnus, tels Jacob (combat avec l'Ange), Samson secouant les colonnes, Mahomet courant vers Médine.

Terminons avec certains sports, "La course de fond: pour pouvoir la pratiquer, il faut une caisse et deux gendarmes. Le sportif emporte la caisse et les gendarmes le poursuivent à bonne distance." et une course de vieilles voitures "Il existe une forme incroyable d'inertie et d'obstination qui fait que les innovations technologiques tentent toujours d'imiter, dans leur aspect extérieur, d'anciens outils obsolètes ont elles diffèrent pourtant par essence." (premières automobiles sur le modèles des anciens fiacres)

Avis babelio

samedi 18 mars 2023

Mon instant sur cette terre


 Mon instant sur cette terre

Vilhelm Moberg

L'Elan , 2013, Ginkgo éditeur

Traduit par Raymond Albeck


Albert Karlsson/Carlson réside dans une chambre d'hôtel, entre le Pacifique et une grande artère de sa ville californienne. Nous sommes en 1962, cela fait 50 ans qu'il a quitté la Suède, et il n'y est revenu que peu de fois. C'est pour lui l'heure des bilans, après deux divorces, des enfants éloignés ne donnant pas de nouvelles, et la liquidation de sa dernière entreprise. Il est conscient d'approcher de la fin de sa vie, mais va finir par l'accepter paisiblement. 

Une grande partie du roman est consacrée à son frère Sigfrid, son grand frère disparu il y a longtemps, on en apprendra la raison au fil des pages. Ils étaient fils de fermiers travailleurs, rigoureux, attendant l'obéissance de leurs enfants. Albert a su se libérer de leur emprise en émigrant, mais il demeure entre deux endroits, c'est le lot de l'émigrant...

Rapidement j'ai été conquise par cette histoire simple en apparence, les deux 'vies' du narrateur, et sa lucidité d'homme mûr. Ambiance mélancolique, j'ai bien aimé.


mardi 14 mars 2023

Sambre


 Sambre

Alice Géraud

JC Lattès, 2023


Grâce à la journaliste Alice Géraud, qui s'est penchée sur ce fait divers dont j'ignorais tout, j'ai vécu des heures de lecture passionnantes et troublantes. Pendant trente ans (oui, trente ans!) à sévi dans un coin du nord peu étendu un homme appelé 'le violeur de la Sambre'. Des dizaines (oui!) de femmes, jeunes pour la plupart, voire des adolescentes (collégiennes) ont été 'agressées' selon un schéma bien reconnaissable. Je passe les détails traumatisants pour les victimes, mais il s'agit bien de viols (à l'époque la justice était encore bien floue sur certaines qualifications). Ensuite leur vie a été cassée, la peur de sortir, ou seule, la boulimie, l'arrêt des études, etc.

Mais comment est-ce possible? Des plaintes perdues, rangées. Souvent les victimes se retrouvent accusées de mentir (elles voulaient sécher les cours?) , on leur pose des questions sur leur vie intime, parfois il s'agit de gamines ne comprenant même pas certains mots. On parle juste d'incidents.

Alice Géraud évoque des dizaines de cas, c'est écrasant, c'est évident, mais pas lassant, je trouve normal qu'elle laisse sa place à toutes. 

Au fil du temps des enquêteurs se bougent, quand même. Mais les liens entre les administrations ne se font pas ou mal. Un portrait robot correct a même été établi et distribué dans les gendarmeries. En vain. Quand on a voulu demander une liste d'employés dans les usines du coin, une n'a jamais répondu, justement celle du coupable. Qui par ailleurs poursuit sa vie, de père puis grand père, bien inséré dans la vie de sa commune.

Il sévit aussi dans une proche commune, de l'autre côté de la frontière. Les belges, traumatisés par l'affaire Dutroux, sont un peu plus réactifs et efficaces, ils aident les victimes, mais le lien avec la France ne se fait pas instantanément.

L'ADN du violeur a été récupéré plusieurs fois,  mais comme il n'apparaît pas dans les 'fichiers', il demeure anonyme. Au moins cela servira à disculper des suspects au cours des recherches.

Finalement, une arrestation a lieu, puis un procès. Difficile pour les victimes.

On ressort lessivé, ahuri, de cette lecture nécessaire, avec en tête le courage de ces victimes, et aussi la ténacité de certains policiers et enquêteurs.

J'en fais un coup de cœur, un incontournable.

Avis babelio, et ? rien trouvé, faut se bouger!

samedi 11 mars 2023

Histoires bizarroïdes


 Histoires bizarroïdes

Olga Tokarczuk

Noir sur Blanc, 2020

Traduit par Maryla Lament


Pour cette lecture commune de l'auteur, dont j'ai quasiment tout lu de traduit à ce jour, j'ai repris ce recueil de nouvelles, déjà entamées il y a un bout, et que j'avais dû abandonner, sans doute éberluée par leur côté bizarroïde. Hé bien, on s'en doutait, non, c'est dans le titre? Oui, mais.

J'ai repris l'affaire en mains, relu le début, et en terminant : oui, c'est ô combien bizarroïde, mais absolument génial! D'ailleurs, hum, chez Olga Tokarczuk, se glissent souvent de petits décalages, des bizarreries, n'est ce pas? Rappelez-vous ce que vous avez lu d'elle ...

Avec Les enfants verts, est donné à lire un document écrit par un médecin du roi de Pologne, au cours d'un 17ème siècle avec tatares, guerres avec les suèdois, etc., mais racontant la découverte de deux enfants verts vivant dans une forêt. La bonne traduction rend parfaitement le style et le ton d'un document de ce genre.

D'autres font appel à un présent possible, un cauchemar enfantin, des bocaux un poil trop vieux, des détails de la vie quotidienne qui ne sont plus les mêmes (Le passager, Les bocaux, Les coutures), Une histoire vraie montre un enchaînement incontrôlable de mésaventures (mais ça va loin), Le coeur raconte les suites d'une transfusion.

Les autres nouvelles sont carrément évocatrices de futurs pas encore réalisés.

Avec La visite l'on découvre un égoton, où -si j'ai bien compris- vivent plusieurs égons. Cet univers est décrit au travers de la visite d'un double (comme si on recevait des jumeaux, quoi), avec ses règles de courtoisie. 

J'ai pensé à des clones ou des robots, mais pour les autres histoires restantes, je ne dis rien, préférant que vous découvriez totalement ce que ça vous inspire.

Avec Le Transfugium, il s'agit d'une famille réunie pour une cérémonie, une femme a pris une décision controversée mais elle ira jusqu'au bout. 

La montagne de Tous-les- Saints démarre paisiblement dans un monastère suisse, où loge une scientifique devant étudier certains enfants, le tout  avec des histoires de reliques moyenâgeuses. Olga Tokarczuk a l'art d'entremêler les histoires passionnantes. A la fin, ça interroge pas mal. Mais je ne dirai rien.

Quand j'ai compris ce qui se cachait sous Le calendrier des fêtes humaines, dans cet univers dédié à la stricte observance de rituels, j'ai été horrifiée.

Bref, je recommande chaudement la lecture de ce recueil. Oui, bizarroïde, mais faisant écho à notre société et certaines de nos interrogations.

Juste un passage

"Les intouchables y déposaient les cadavres de vaches sacrées pour qu'ils ne polluent pas la cité. (...) J'approchai d'un des monticules. Je m'attendais à ce qu'il soit fait de restes, avec la peau et les os desséchés par le soleil. Pourtant, de près c'était autre chose: des sacs en plastique chiffonnés, à demi-décomposés, avec le nom toujours visible de chaînes de magasin, des fils, des élastiques, des bouchons, des gobelets. Aucun suc digestif naturel ne pouvait venir à bout de la chimie humaine la plus élaborée. Les vaches se nourrissaient d'ordures qu'elles transportaient non digérées dans leur estomac. Voilà ce qui reste des vaches, me dit-on"

Avis Babelio, athalie, le bouquineur

mercredi 8 mars 2023

Comment j'ai rencontré les poissons

 

Comment j'ai rencontré les poissons

Ota Pavel

Editions Do, 2016

Traduit du tchèque par Barbora Faure

(couverture prise sur le site de l'éditeur)

(existe en poche)


C'est grâce à son père féru de pêche que le jeune Oto a rencontré les poissons et est devenu lui aussi amateur de ce passe temps nourricier. Dans les années 30 40 à Prague et sa région, ce n'était pas qu'une passion et un passe temps. Rivières, étangs, tout est bon, mais il fallait échapper aux gardes pêches et aux allemands. 

Mais il s'agit surtout d'un hommage à son père, capable de vendre un aspirateur dans un village sans électricité, pour la société Electrolux, passant du succès à la réussite, et inversement. Doué pour se faire des amis, y allant souvent au culot, amateur d'anguilles d'or, vendeur d'attrape mouches (au DDT), bref, un homme sympathique haut en couleurs.

L'ombre des camps plane sur la famille aussi, une grand mère n'en est pas revenue, le père et les deux frères y sont allés et revenus.

Des textes pleins d'humour et de nostalgie, j'ai beaucoup aimé.

Avis babelio, Luocine, aleslire, Patrice

lundi 6 mars 2023

Le traducteur cleptomane


 Le traducteur cleptomane

et autres histoires

Dezső Kosztolányi

Alinea, 1985 (photo VH 2006)

Traduit par Maurice Regnaut en collaboration avec Péter Adam


Il s'avère que l'univers des auteurs hongrois est jusqu'ici ma tasse de thé (deux Karinthy -il y a une famille, là! et Laszlo Krasznahorkai)(un mouais avec Magda Szabo mais ça peut s'arranger) alors voici un petit nouveau.

Né en 1885 dans un coin ayant changé de nationalité depuis, mort à Budapest en 1936, il a touché à de multiples genres littéraires, ici de courts récits mettent en lumière Kornel Esti. Un personnage attirant les aventures ou les confidences...

Le traducteur cleptomane ne peut s'empêcher d'enlever des biens dans les livres d'origine, bijoux, maisons, forêts, billets, Qu'est-il devenu après ces vols?

Avec L'argent, voilà Kernel Esti et des embarras de richesse (en français dans le texte). Il a hérité de tellement d'argent que, vu ses besoins assez modérés, il ne pourra tout dépenser, et il imagine des stratagèmes pour donner cet argent. Pas si facile!

On commence à réaliser que la fantaisie règne en maître dans ces nouvelles.

Voici Le contrôleur bulgare, où Kornel Esti se met en demeure de converser avec un contrôleur dans un train en nuit, alors qu'il ne connaît que trois quatre mots de bulgare. Mais communiquer peut se faire autrement que par la parole (y compris en laissant l'autre parler...)

Et cette Ville franche, où règne la franchise! Imaginez. Un restaurant annonçant "Mets immangeables, boissons imbuvables. C'est meilleur chez vous." A la librairie : "Rebut illisible... La dernière œuvre du vieil écrivain gâteux, pas un seul exemplaire vendu à ce jour... Les poèmes les plus maniérés, les plus nauséeux d'Erwin Râle." Le journal : "Chaque ligne de ce journal est payée. Nous dépendons du gouvernement quel qu'il soit, nous n'écrivons jamais notre propre opinion, sauf quand nous y contraint le plus sordide esprit de lucre. En conséquence, nous avertissons nos lecteurs, pour lesquels, individuellement et collectivement, nous n'avons que profond dédain et mépris, qu'ils n'ont pas à prendre au sérieux nos articles, "

Vous sentez l'ironie et la causticité du bonhomme, là?

Je ne vais pas tout raconter, il faut découvrir ces textes (onze en tout) mettant bien en lumière le fonctionnement de l'être humain, plutôt sans méchanceté d'ailleurs, mais lucidité.

Passage à l'est parle de Alouette et Anna la douce  du même auteur.

Avis babelio


vendredi 3 mars 2023

Journal de Nathan Davidoff


 Journal de Nathan Davidoff

Le juif qui voulait sauver le tsar

Nathan Davidoff

Traduit du russe et de l'hébreu

par Benjamin Ben David et Yankel Mandel

Ginkgo, 2017


Présentation et commentaires de Benjamin Ben David, un petit fils de Nathan Davidoff, qui au décès de son grand père dans les années 1970 a découvert ce gros journal. Il s'est ensuite lancé dans des recherches, particulièrement en Ouzbékistan, où il a mis au jour documents et photographies. Le livre contient donc une partie du journal (1300 pages au départ, il fallait des coupures!), et des photos vieilles de plus d'un siècle (tout ce que j'aime).

Une totale découverte pour moi de ce mode des 'juifs boukhariotes'. Vivant d'abord dans un 'émirat', puis en Russie au fil des conquêtes territoriales. Certains étaient fort prospères, dont la famille Davidoff. Né en 1880, Nathan avait le génie des affaires et n'était pas paresseux. Tout lui réussissait. Il se lançait dans à peu près tout, au départ, coton, tissage, tissus. Il se rendait fréquemment en Russie pour ses affaires et connaissait des proches du tsar. 

Quand la révolution se profilait, il a senti venir les événements, a mis de côté quelques valeurs, et (d'où le sous titre) a tenté de prévenir le tsar, pour qu'il quitte la Russie ou à tout le moins laisse partir son épouse et ses enfants. D'autres amis et relations ont suivi ses conseils et s'en sont bien trouvés.

Après un démarrage où défilaient les milliers (voire plus) de roubles et des réussites à l'envi, je me suis mise à mieux connaître ce Nathan Davidoff, et ce qu'il disait de lui-même me le rendait sympathique (sans doute manque-t-il un peu de modestie, mais en tout cas pas d 'intelligence et d'ardeur dans les affaires!)

Un patron assez cool finalement qui choisissait de faire confiance à ses ouvriers, "à mon avis, mes ouvriers sont mes partenaires, c'est pourquoi je leur suis reconnaissant de se servir tout en me laissant quelque chose"

Mais il veille au grain. "Les erreurs [dans des compte-rendu] entrainaient une observation, de sorte que toute l'équipe savait que la fraude n'était pas de mise. Cependant, tous savaient que les fautes involontaires étaient pardonnées. Par contre, les réussites étaient récompensées.et, en outre, je payais des salaires élevés, tout patron devant savoir que pertinemment que les bas salaires étaient facteurs de vols et d'un travail laissant à désirer."

Il a créé une école russo-juive pour les enfants pauvres, aidait des étudiants juifs à poursuivre leurs études à Kiev ou Saint-Petersbourg.

Il a su aussi appuyer les bonnes personnes qui lorsque la situation s'est dégradée lors de la Révolution, lui sont venus en aide.

Je passe sur les détails, une intéressante postface concerne les juifs du Turkestan (ces pays de l'Asie centrale en -stan). Nathan Davidoff, après moult péripéties, se trouve à Paris dans les années 40. Figurez vous les les 'juifs boukhariotes' y résidant à ce moment ne furent pas déportés, grâce à des interventions et l'établissement de documents assez incroyables.

Je termine avec un passage qui fait écho à ma lecture actuelle de Printemps silencieux. Je résume :

Les sauterelles se multiplient, grignotant le vert et en particulier ravageant les champs de coton. La misère se propage. On répand du poison sur les champs. Le bétail et les chevaux sont empoisonnés! Terrible famine. "Survint un miracle". Des milliers d'oiseaux apparaissent, et boulottent les sauterelles. 45 jours de combat!

L'avis de Anne-yes

Sans doute possible de le placer dans ?

mercredi 1 mars 2023

Contes

 

Contes

Alexandre Pouchkine

Traduit par Hélène Vivier-Kousnetzoff

Illustrations de Mikhaïl Nesterov

Ginkgo, 2023


Oui, Pouchkine (Moscou 1799-Saint Petersbourg 1837, lors d'un duel), est l'auteur de cinq contes, écrits alors qu'il était en résidence surveillée. On connaît de pires façons de passer son temps.

Le résultat est franchement réussi. Pouchkine a bien assimilé les codes des contes, par exemple il faut bien qu'un même épisode, ou presque, revienne trois fois. Bien évidemment cela fait partie du charme de l'affaire.

Un autre charme, c'est le décalage géographique : "Le tzar a quitté la tzarine. il s'est équipé pour la route. Seule, restant assise à la fenêtre, la tzarine l'attend. Elle attend, et attend, du matin à la nuit. Si longuement elle contemple la plaine, de l'aube blanche jusqu'au soir, que de regarder ainsi les yeux lui font mal.

Elle ne voit pas son ami cher! Elle voit seulement la neige qui tourbillonne, la neige qui s'accumule sur la plaine, la terre toute blanche."

Bref, le tzar devenu veuf épouse  une méchante femme dotée d'un petit miroir, etc. On reconnait l'histoire.

Mais certaines sont originales, tiens, commençant par "Il était un pope, pope de peu de cervelle."

Deux contes se terminent par une grande fête. "D'ailleurs J'y étais. Je bus l'hydromel et la bière, mais je ne fis qu'y tremper mes moustaches."

Pour terminer, des illustrations de Ivan Bilibine et Boris Zvorykine , en noir et blanc, que j'ai beaucoup aimées .



Illustrations prises ici 

Ainsi je démarre ma participation à