lundi 30 janvier 2017

Le condor et la momie / Qat, honneur et volupté

En plus de sorties 'grand format' et de la collection Petite philosophie du voyage, où voyage est à prendre au sens large (il y en a même un sur l'opéra!), Transboréal propose du semi-poche, je dirais, à prix doux, mais toujours de qualité.
On y trouve des recueils de nouvelles, comme Bons baisers du Baïkal ou les deux livres présentés ci-dessous (merci à l'éditeur!), ou bien des récits, Par les sentiers de la soie, Vers Compostelle, Amours, Seule sur le Transsiberien (lu avant blog), parfois parus en grand format avant. Y piocher sans modération.

Le condor et la momie
Nouvelles du Pérou
Julie Baudin
Transboreal, 2016


L'éditeur présente ici son auteur, j'en extrais
Devenue écrivain, réalisatrice et conférencière, Julie Baudin n’en délaisse pas pour autant son métier de guide. Entre 2008 et 2012, elle accompagne fréquemment des groupes de voyageurs au Pérou. Touchée par la cordillère des Andes, par ses paysages et ses habitants, elle profite de ses visites régulières pour nouer de solides amitiés. Son intérêt pour les peuples amérindiens, les langues étrangères et l’histoire finit par la rattraper : à l’automne 2012, elle s’installe à Cusco, ancienne capitale de l’Empire inca perchée à 3 400 mètres d’altitude, où elle réside aujourd’hui avec son mari et sa fille.


Qat, honneur et volupté
Nouvelles du Yémen
Sébastien Deledicque
Transboreal, 2016

L'auteur, ici, un extrait
Sébastien Deledicque est titulaire d’une licence de langue arabe de l’Inalco. Après divers séjours au Maghreb et au Moyen-Orient, il arrive au Yémen en septembre 2002 afin d’y mener sa maîtrise sur la littérature contemporaine locale. Rapidement séduit par ce pays dans lequel il retrouve la riche culture arabe classique appréhendée durant ses études, il délaisse ces dernières pour aborder le monde du travail. De 2003 à 2006, outre une courte expérience dans une agence de voyages, il œuvre à la coopération linguistique en tant que responsable du centre culturel français d’Aden, tout en acquérant un bateau, porte d’entrée de l’univers des pêcheurs adénis, et en découvrant l’Afrique de l’Est – Éthiopie, Érythrée, Djibouti, Zanzibar – à l’occasion de brefs voyages. (il vit en France depuis 2015)

Je prends la liberté de présenter ces deux livres d'environ 200 pages ensemble, car ils ont quelques points communs. D'abord, écrits par des voyageurs qui connaissent bien le pays dont ils parlent. Ensuite parce qu'il ont choisi des nouvelles ou plutôt de courts textes dont les personnages imaginaires et exemplaires existent ou ont existé, c'est sûr, et non un récit personnel ou une présentation classique d'un pays. Puis finalement le lecteur parcourt tout un pays, historiquement et géographiquement, d’agréable façon, avec ces personnages souvent attachants, entre tradition et modernité, pour chaque pays. J'en ressors avec l'impression de mieux connaître ces pays (dont j'ignorais quasiment tout!). Julie Baudin n'hésite pas à faire parler la roche ou des extra-terrestres, en plus de chamanes, paysans, jeunes montés à la ville, et Sébastien Deledicque s'intéresse aux anciens dans les villages, aux chefs, à un gamin des rues, à des marins, et - mais je ne suis pas étonnée!- très peu de femmes traversent ses pages.

A découvrir.

Ma participation au challenge Lire sous la contrainte avec un contrainte plutôt facile, ce qui explique que je n'y fais figurer que les 'nouvelles 'lectures.

vendredi 27 janvier 2017

Sur les chemins noirs

Sur les chemins noirs
Sylvain Tesson
Gallimard, 2016


Bref, tout le monde ou presque a son avis sur Sylvain Tesson (la personne)  et a entendu parlé de sa chute d'un toit et ses conséquences. L'homme est quand même abîmé, il ne s'étale pas dessus, il l'accepte et le gère, mais on sent qu'il a changé.
De plus il ne boit plus une goutte d'alcool, donc pas de délires à la vodka; il tourne au viandox.
La patronne d'un café
"- Qu'est-ce que c'est? dit elle.
- Un bouillon, dis-je.
- Jamais entendu. Où trouvez-vous cela?
- Partout. A Brûlon, ils m'en ont servi un hier.
- C'est dans la Sarthe, ça! dit-elle. cela ne m'étonne pas d'eux."

Trêve de plaisanterie, j'ai adoré ce bouquin. Donc, pour accélérer/aider sa guérison -ou l'évolution favorable de son état- Sylvain Tesson décide de partir sur 'les chemins noirs'. Ceux que l'on peut parcourir sans trop voir de 'civilisation', villes, tourisme hyper développé, sentiers trop fréquentés et zones industrielles, même rurales.
Voici
http://www.la-croix.com/Actualite/France/250-bassins-de-vie-hyper-ruraux-en-France-2015-04-07-1299761
"Le texte était illustré de cartes. Les départements hyper-ruraux au secours desquels la gouvernance s'apprêtait à voler (intelligence de l'Etat au service de l'hyper-ruralité, disaient-ils, ces troubadours!) occupaient une large zone noire. Elle prenait en écharpe les Alpes du sud, marchait vers les Vosges et les Ardennes en englobant la quasi-totalité du Massif central et nombre de départements voisins de la Haute- Loire. Je l'apprendrais quelques semaines plus tard: ces territoires, du Mercantour à la Lozère, correspondaient au cheminement du loup après son retour en France. Pas folle la bête! Elle mettait sa tranquillité au pinacle des vertus. Non seulement le loup n’attaquait pas l'homme mais il tenait à l'éviter."

Muni de moult cartes IGN au 25ème, il trace sa route.
"Passages secrets, les chemins noirs dessinaient le souvenir de la France piétonne, le réseau d'un pays anciennement paysan."(suite p 24)

Ah ce n'est pas toujours aisé de trouver ce genre de chemin...

Le voilà qui chemine, partant du sud est, direction nord ouest, vers la pointe du Cotentin (c'est son choix), arpentant la Provence
"Quand un pays de montagne se modernise, l’homme ruisselle comme une nappe d'eau."

Au mont Ventoux, un ermite affiche
"J'accepte le pain rassis et les livres."

Cette rencontre
"Elle appartenait à cette catégorie de gens pour qui la santé des prunes est un enjeu plus important que le haut débit."

Fin du parcours en Normandie
"Parfois nous trouvions refuge dans le café d'un village. En Normandie, toute la question est de se trouver du bon côté de la vitre."

Pour conclure le voyage du lecteur: j'ai franchement aimé cette lecture, un des meilleurs opus de l'auteur (j'avais aussi aimé Berezina, un poil fou, et différent). Hé oui, Tesson traverse l'hexagone, chacun se sentirait capable d'y aller aussi, et ses remarques pleines de sagesse ou d'autodérision ponctuent un ensemble fort plaisant.

Les avis de cathulu, Hélène,

mercredi 25 janvier 2017

De la BD, de la jeunesse, et même de la BD jeunesse.

(si je m'écoutais, je n'écrirais que rarement des billets BD ou jeunesse, reprends toi, voyons!)

Culottées 1
Des femmes qui ne font que ce qu'elles veulent
Pénélope Bagieu
Gallimard, 2016

Quinze portraits de femmes, toutes époques et tous lieux, avec en commun la prise en main de leur destin, contre vents et marées !
J'ai été particulièrement touchée par Las Mariposas, résistant au dictateur Trujillo (ça se finit mal), Joséphine Baker (j'avais lu une biographie d'elle, la vie de cette femme extraordinaire mérite d'être connue, c'est bien plus qu'une chanson et une ceinture de bananes!), Agnodice, gynécologue en Grèce antique (interdit à l'époque, pour une femme, un comble!), Leymah Gbowee, du Liberia, prix Nobel de la paix 2011, et j'ai découvert que Tove Jansson était une femme!
Après chaque histoire, belle double page très colorée. je recommande, et attends le numéro 2, sortie le 26 janvier, je viens de l'apprendre sur le blog de l'auteur. Avec lecture des futures histoires, courez-y! (j'avoue avoir lu le tome 2 sur écran, ça se passe très bien!)

Rayon jeunesse, catégorie 'ça ne fera pas chauffer les neurones, mais en raffermira quelques uns, car rire c'est bon pour la santé!'

Le journal de Gurty
Vacances en Provence
Bertrand Santini
Pepix, 2015

Gurty est une chienne (oui, ça change des chats), en vacances avec Gaspard, son humain. Elle retrouve son amie, Fleur, chienne un peu fragile après avoir vécu des aventures traumatisantes, et son ennemi, un chat!!! Gurty est un vrai chien, adorant les mauvaises odeurs, compissant arbres et autres, je passe du plus gégueu, mais absolument adorable dans ses réflexions. Âmes sensibles parfois s'abstenir, mais je sens que les gamins doivent apprécier... ('beurk!')

"En mijotant toute une année sous terre, l'os avait complètement viré au bleu. Il empestait le moisi et grouillait de petits vers verts. De ma vie, je n'avais rien flairé d'aussi infect. Pire qu'une couche de bébé!
Et ce fut donc le meilleur repas de ma vie."
"Oh que ça puait bon, là-dedans! A vue de truffe, ce sale veinard n'avait pas pris de douche depuis des années."

Aiment : Jérôme, Noukette,  Stéphie,  bref des gens très bien, la preuve, on leur confie des enfants.

Pour terminer, le tome 3 de Une sacrée mamie! Voir les Une sacrée mamie tome 1   Tome 2

Une sacrée mamie
Yoshichi Shimada et Saburo Ishikawa
Delcourt, 2012


Le jeune garçon des tomes précédents est toujours chez sa grand mère, espérant voir sa mère de temps en temps. La moitié du livre est consacrée à la rivalité à la course avec un autre gamin, son ami par ailleurs. Retenir la gentillesse de la grand mère et sa façon intelligente d'éduquer le héros pour supporter leur pauvreté. Et la délicatesse du professeur pour lui donner un meilleur repas.
"La véritable bonté, comme la profonde gentillesse, sont discrètes et n'en imposent jamais."

lundi 23 janvier 2017

The Sellout / Moi contre les Etats-Unis d'Amérique

Moi contre les Etats-Unis d'Amérique
The Sellout
Paul Beatty
Cambourakis, 2015
Traduit par Nathalie Bru


Ce roman est déjà paru en français, je vous donne deux avis assez anciens, de Sandrine, et Le bouquineur, et puis plus rien! Viennent d'arriver dans ma médiathèque la version française marquée Réservé (mais pas réservable à ce jour)(grrrr) et la version originale (que j'ai donc lue). Ce roman a obtenu le Man Booker Prize 2016.

Quand le narrateur découvre que Dickens, sa petite ville bien aimée, a disparu des cartes et des panneaux, il se rebelle. D'accord, Dickens est une banlieue pourrie de Los Angeles, avec tous les problèmes d'une banlieue pourrie de Los Angeles (traduire, ni blanche ni riche), mais il y a ses habitudes, sa bien-aimée Marpessa (qui le rejette), conductrice de bus scolaire, le vieil Hominy, ex star enfant des Little Rascals, une série en noir et blanc plutôt ancienne, et puis sa ferme, aux fruits extraordinairement goûteux et l'herbe, euh, planante. Élevé par un père professeur de psychologie considérant son fils comme un objet d'étude et un cobaye, père abattu en coin de rue par la police, il est assez solitaire mais en fait c'est Hominy qui va le pousser à une décisions radicale : le prendre, lui, Hominy, comme esclave (et devoir le fouetter une fois par semaine, activité vite déléguée à des dames dont c'est en partie le métier). De fil en aiguille, le voilà qui réinstalle la ségrégation dans la ville, ce qui le conduira à la Cour suprême des Etats Unis, à Washington.

Avec Percival Everett et Effacement je croyais avoir découvert tout ce dont un auteur africain américain était capable quand il aborde les sujets du racisme et de la place des noirs outre Atlantique, mais là, on est sur orbite! J'ai passé mon temps à rigoler (jaune parfois), à penser 'mais ce type est fou'! (il faut découvrir les expériences dingues du père, et le cadeau d'anniversaire de Hominy dans le bus...).
Je ne peux reproduire de passages, d'abord il y en aurait trop, ensuite la traduction de ces explosions d'inventivité est quasi impossible à mon niveau (un grand bravo à la traductrice!)

Si vous voulez découvrir un nigger-whisperer (ah oui au fait un were nigger, pas mal non plus), foncez, c'est hyper caustique et bourré d'autodérision, et ... ça fait réfléchir!


The Sellout
A Oneworld book, 2016



J'espère quand même vérifier ça en français, un jour, et en attendant j'ai emprunté American Prophet du même Paul Beatty.




vendredi 20 janvier 2017

Une île, une forteresse

Une île, une forteresse
Hélène Gaudy
inculte/dernière marge, 2016


Terezin...
Tout le monde ou presque connaît ou croit connaître. Oui, ce 'ghetto modèle', oui, ce film intitulé "Hitler offre une ville aux juifs". Hélène Gaudy s'y est rendue à deux reprises.

"Il va falloir remonter le fil qui mène à ces images, à leur germe, à la naissance de leur aberration. Voir les rues où l'on a forcé les internés à jouer leur propre rôle, à se rendre au théâtre et au concert, à se coucher sur les flancs des remparts. Photographier cette ville où s'est noué un rapport si particulier à l'image, interroger ceux qui l'ont connue et ceux qui la connaissent, sans savoir encore si ce qui me conduit ici est la question du mensonge, celle des traces ou celle de leur imbrication intime, puisque même les traces peuvent devenir mensongères selon qui les exhume et qui les met en scène."

Au départ, c'est une petite ville tchèque de quelques milliers d'habitants, construite sur le modèle des forteresses de Vauban:
http://www.avantgarde-prague.fr/decouverte-de-prague/excursions-privees-hors-de-prague/la-forteresse-de-terezin/
En 1942 les habitants sont priés de partir (certains reviendront plus tard) et des dizaines de milliers de juifs de tous âges y seront enfermés, mourant sur place ou expédiés à Auschwitz. Ville surpeuplée, donc. Des compositeurs, des musiciens y passèrent, des dessins sont restés, dont des dessins d'enfants, parfois retrouvés de façon fortuite.
Bedřich Fritta, Vue de Theresienstadt
merci wikipedia
Bien avant le film tourné en 1944, une délégation de la Croix Rouge avait visité la ville, et le chapitre de Une île, un forteresse justement intitulé Cité Potemkine raconte cet incroyable aveuglement de la délégation (j'ai appris aussi qu'il y avait eu une visite à Auschwitz, bien évidemment 'bidouillée' avant).

Mais Hélène Gaudy ne se contentera pas de se rendre à Terezin, elle ira en Pologne, là où disparut son grand père (le livre lui est dédié). Passé et présent se mêlent, Terezin l'actuelle devenue touristique (voir sur internet, c'est organisé) l’entraînent en banlieue parisienne, où l'on peut retrouver (un peu et à moindre échelle bien sûr)) un phénomène similaire

"La difficulté de vivre dans une ville qui n'est ni vraiment un lieu de vie, ni un lieu de mémoire, le sentiment d'indifférence, de lassitude et de délaissement de ses habitants, l'impression d'une superposition bancale de strates dont chacune viserait à recouvrir la précédente : j'ai trouvé tout cela dans un autre lieu, Drancy, où la cité de la Muette, qui a été le plus grand camp d'internement des Juifs de France, est aujourd'hui une cité HLM.
Une délégation de la Croix Rouge est également venue la visiter en 1944, quelques jours avant la visite de Roussel à Theresienstadt. Là aussi, on a tenté de rendre les lieux présentables. Là aussi, on a du mal, aujourd'hui, à savoir quoi faire de ces murs, comment les insérer, encore, dans le paysage."

Des photos de l'époque existent, trompeuses, mais
"Les ficelles sont plus vicieuses, moins apparentes que je l'avais cru et la mise en scène, suffisamment fondue dans les souvenirs qu’elle imite pour que les témoins eux-mêmes ne l'aient pas remarquée."

Y est passée, parmi bien d'autres, Marceline Loridan-Ivens, y est mort Robert Desnos.
"Je pense à toi Desnos qui partis de Compiègne
Comme un soir en dormant tu nous en fis récit
Accomplir jusqu'au bout ta propre prophétie 
Là-bas où le destin de notre siècle saigne"

Et puis
"Dans la petite forteresse, il y a aussi la cellule de Gavrilo Princip qui, en assassinant l'archiduc François-Ferdinand et sa femme, la duchesse de Hohenberg, roturière pour une fois épousée par amour, a déclenché la première guerre mondiale." Son médecin de l'époque fut interné à Terezin (puis déporté en Pologne).
"Les strates de l'Histoire surgissent nues, absurdes sous la lumière d’une seule vie."

Conclusion : A lire absolument, ce document, cette recherche fort complète (je n'ai pas tout évoqué) magistralement composée, réfléchie et écrite.


En parlent : charybde

mercredi 18 janvier 2017

S'enfuir

S'enfuir
Récit d'un otage
Guy Delisle
Dargaud, 2016


Le nom de Delisle sur une couverture est gage de qualité, mais en dépit des avis positifs, j'attendais un peu le gars au tournant: quoi, passionner le lecteur sur plus de 400 pages avec l'histoire d'un otage dans le Caucase, menotté à un radiateur la plupart du temps... Un otage qui s'ennuie, somnole, gamberge, espère, tient le compte du calendrier.

Hé bien c'est la BD coup de coeur de ma fin 2016! Chapeau Guy Delisle (et chapeau Christophe André). L'histoire est racontée complètement au niveau de l'otage, l'on ressent ses espoirs (différés), ses interrogations, son humour (ben si)(surtout quand il imagine les dialogues entre ses ravisseurs), son souci de tenir le calendrier, de repérer les petits détails, de passer le temps en se remémorant des batailles napoléoniennes (il n'avait rien à lire, quelle horreur!), et le moment où ça s'emballe vers la fin est particulièrement réussi (non, je ne raconterai rien)


lundi 16 janvier 2017

Rien (oui, c'est le titre)

Rien
Emmanuel Venet
Verdier, 2013


Trop fort, Emmanuel Venet. Franchement, question titre peu attirant, on frôle le record du monde. Mais heureusement, après lecture de deux de ses (minces) opus, je savais que sous la couverture jaune de Verdier se cachait sûrement une pépite que je n'allais pas rater, non mais!

Un couple, Agnès et le narrateur, dont le mariage atteint 20 ans d'âge sans trop de brillance, ont loué une chambre au Negresco. Hélas celle où logea Jean-Germain Gaucher et Marthe Lambert n'existe plus. Jean-Germain Gaucher? Mais oui, ce compositeur fin 19ème début 20ème, dont les seules œuvres valables ne furent jamais données, et qui se fit connaître par des opérettes ou chansons données en cabaret parisien. Une vie ratée à tous points de vue, se terminant sous un demi-queue Pleyel en 1924 (oui, sous, et ça pèse lourd). Mais, avec Emmanuel Venet, une vie passionnante, écrite d'une écriture impeccable bourrée de second degré. Une vie en écho avec celle du narrateur, musicologue n'ayant produit que d'obscurs volumes sur ce musicien de troisième zone...

Était-il trop gentil pour réussir?
"Tous les génies se conduisent envers autrui comme des butors voire des délinquants, profitent et abusent de leurs proches en toute sérénité, se font entretenir sans contrepartie et finissent par mordre, un jour ou l'autre, la main qui les a nourris. Un véritable artiste ne s'inquiète nullement pour le bonheur de ses enfants: au mieux il les condamne aux travaux forcés comme Bach, dont les marmots engendrés par douzaines consacraient leurs vertes années à copier les parties séparées de ses cantates; au pire il ne les reconnaît pas lorsqu'il les croise dans la rue, comme Schumann dont l'unique obsession consistait à écrire des pièces en apparence faciles mais exigeant une extrême virtuosité, histoire d'obliger sa femme à des prouesses pianistiques que le public ne détecterait pas."

Hélas les jouissives pages 112 et 113 sont bien longues à recopier, où l'auteur se lâche férocement sur les touristes du bout du monde, les amateurs d'automobiles, les écrans divers...

Les avis de charybde 27,

Dernier petit livre (43 pages) à la médiathèque

Ferdière, psychiatre d'Antonin Artaud
Emmanuel Venet
Verdier, 2006

Si vous connaissez en gros l'histoire, c'est à lire car transfiguré par l'écriture d'Emmanuel Venet.
Si comme moi vous ne connaissez que le nom d'Artaud, vous apprendrez que Ferdière était son psychiatre dans les années 40, noté comme poète et médecin, beaucoup critiqué (à l'époque certaines méthodes étaient limite limite, mais il a essayé de nourrir ses patients, c'est à son crédit)
A lire évidemment.

En parlent : charybde 27,

Voilà, j'ai lu les quatre présents à la bibli, maintenant vous lisez Venet, je ne peux plus rien pour vous!

vendredi 13 janvier 2017

Numero 11

Numero 11
Jonathan Coe
Gallimard, 2016
Traduit par Josée Kamoun


Cela ne se discute pas, je lis systématiquement tous les romans de Jonathan Coe. Voici donc le dernier en date, dévoré bien sûr, mais dont je sors avec une drôle d'impression.

Une fois n'est pas coutume, avant d'écrire mon billet, je suis allée en relire d'autres, j'aime vivre dangereusement mais espère éviter quand même le plagiat... Voir donc les avis de Nicole, Delphine, clara, qui confirment ce que j'en avais compris (ouf!)

Jonathan Coe s'amuse visiblement pas mal avec ce numéro 11, qui revient à plusieurs reprises dans le roman, que ce soit le numéro du bus emprunté par Alison et sa mère Vic à Birmingham, le numéro de la villa de la mystérieuse Phoebe (mais zut, ce n'était pas déjà un personnage de Coe? je n'ai rien trouvé et pourtant...) et un numéro de Downing Street, celui du Chancelier de l'échiquier, où se réunissent des gens très importants intervenant secondairement dans le roman.

Dès l'abord une impression d'éparpillement de l'intrigue et des personnages, heureusement le lecteur peut se fixer sur Rachel et Alison, âgées de 10 à 20 ans en gros au cours du roman. Ce sont juste des camarades de classe, puis des amies, puis la vie les sépare, puis etc. Mais le roman peut très bien se focaliser au départ sur Rachel et son frère, dans une parodie de roman 'à faire peur', sur Vic, avec une émission de télé-réalité, sur Laura, professeur de Rachel dont le mari était obnubilé par un film de 10 minutes passé une fois à la télévision des années auparavant, sur un jeune policier dans aussi une parodie d'enquête, pour terminer avec une incursion dans le fantastique, terminée le soir (pas question de lâcher l'affaire) mais prudemment suivie de quelques pages plus neutres d'un autre livre. Oui, j'ai bien dormi.

Tout cela est extrêmement intéressant, et à force les fils se nouent et le lecteur  s'aperçoit que mille petits détails reviennent ou font sens. Bien évidemment c'est la société anglaise qui prend quelques coups, avec des très très riches complètement déconnectés du vrai monde et ceux survivant grâce à la banque alimentaire, les idéalistes et ceux à la limite du légal (disons même, de l'autre côté, fric oblige); l'on retrouve une famille de Testament à l'anglaise (mais pas besoin de trop connaître). La fin, comme clara, m'a laissée un peu pantoise, mais à y revenir à tête reposée, c'est un bon roman et je demeure fidèle à l'auteur!

D'ailleurs depuis j'ai emprunté Testament à l'anglaise (pour relecture) et Les nains de la mort (qui m'avait échappé!). Chic alors!


mercredi 11 janvier 2017

Les cris de l'innocente

Les cris de l'innocente
The screaming of the innocent, 2002
Unity Dow
Actes Sud, actes noirs, 2006
Traduit par Céline Schwaller


Unity Dow est botswanaise, a été juge à la cour suprême de son pays, et a écrit des romans, dont celui-ci, qui n'est d’ailleurs pas qu'un polar!

Alors prêts à partir pour le Botswana? Plus particulièrement dans le delta de l'Okavango? Pas pour du tourisme, mais pour mieux connaître la réalité de la vie villageoise.

Nous sommes en 1999. Amantle effectue son service national (obligatoire) dans un dispensaire de brousse. Elle désire devenir médecin, mais en attendant elle s'investit bien, y compris quand les deux infirmières tire au flanc lui demandent de ranger un débarras. Voilà qu'elle met la main sur un carton contenant des vêtements ensanglantés, remettant à la lumière une histoire de disparition de fillette dans le village cinq ans auparavant. La police avait conclu à une attaque de lion, les villageois à l'étouffement d'une affaire de meurtre rituel. La tenace Amantle va faire bouger ses amis dévoués, et des personnages haut placés (mais là, contre leur gré)

Je m'attendais à une enquête policière classique, mais, pour mon grand bonheur, j'ai eu l'impression de vivre au Botswana.
Un long et passionnant chapitre, par exemple, raconte l'enfance de la petite Amantle, dernière née et première de la famille à aller à l'école. Villageois et citadins sont aussi enclins à des croyances les poussant à la violence, et hélas le pays n'échappe pas à d'autres maux, tels la corruption... Le lecteur peut s'émouvoir, mais aussi s'amuser (en dépit du sujet). Passionnant de bout en bout.

Apprécions la fréquente ironie du texte (ce Disanka est un des meurtriers, on le sait au départ)
"A tous les égards, donc, M. Disanka était un honnête homme. Il possédait des commerces florissants, une bonne épouse, une bonne maîtresse qui savait élever seule ses enfants, de bons enfants légitimes, et de bonnes ex-maîtresses qui savaient élever seules leurs enfants et qui étaient à l'occasion disponibles pour rompre la monotonie de l'épouse et de la maîtresse actuelle. Après tout, les gens ne disaient-ils pas souvent qu'un homme ne pouvait se nourrir uniquement de porridge."

"Je ne vis pas passer la nuit dans la brousse, avec des hyènes qui hurlent et des éléphants qui font trembler le sol! Et puis il y a des lions, par ici!" (citation spéciale pour Fanja)

Lire le monde chez Tête de lecture

lundi 9 janvier 2017

La Campagne de France / Le front russe

La Campagne de France
Jean-Claude Lalumière
le dilettante, 2013



Le billet récent de MrsPepys parlait de cette Campagne de France, et j'ignorais même le nom de l'auteur; comme je voulais une lecture sympathique et amusante, le roman a vite rejoint la PAL.

Alexandre et Otto sont deux amis qui , après avoir tâté sans enthousiasme de l'enseignement, ont ouvert une agence de voyage, en fait après achat d'un bus orange. Le problème est qu'ils placent la barre très très haut culturellement parlant, alors que leur public est surtout constitué de retraités dont les centres d'intérêt sont autres. La faillite menace, ils concoctent une balade à travers la France, avec visite de maisons d'écrivains (on ne les refait pas!) pour terminer à Bergues (oui, les Ch'tis, ça fonctionne). Le petit groupe d'anciens, douze plus un chat, ne se laisse pas mener à la baguette, et la tournée vire à l'aventure.

Ecriture classique sans relâchement, laissant glisser aisément quelque ironie, péripéties permettant une critique d'à peu près tout dans notre monde actuel, un poil d'émotion, voilà justement un roman plus profond qu'il ne paraît, et donnant envie de découvrir un autre titre, gage de bon moment de lecture.

Ce sera donc

Le front russe
Jean-Claude Lalumière
le dilettante, 2010

"Enfant, je pouvais passer des heures à regarder le papier peint."
Après un tel début de roman, on pressent  l'humour au second degré, et le côté looseur du narrateur, c'est sûr.
Rêvant de voyages, il passe le concours des Affaires étrangères, pour se retrouver vite fait dans un placard, au bureau des pays en voie de création/ section Europe de l'Est et Sibérie.

Bref, l'auteur s'attaque cette fois aux travers de la vie de bureau, avec une équipe assez pitoyable, mais réussissant à nous amuser (rire un peu jaune quand même).

Une grand moment est l'échange de mails visant à débarrasser le narrateur d'un pigeon mort. Quand il évoque Kafka, c'est en vain, son interlocuteur ne comprend même pas l'allusion (ça me rappelle quand on avait à fournir une looooooongue liste de fournitures pour le bureau, à la fin on a ajouté 'et un raton laveur', et-hum- le chef a avoué ne pas comprendre. Le flop, quoi.)

"Rire avec modération à la blague du chef est un précepte à garder à l'esprit si l'on veut survivre en milieu administratif. Il faut toujours rire à la blague du chef. Mais ce rire doit cependant être modéré si l'on ne veut pas passer pour un lèche-bottes auprès de ses collègues.C'est un dosage difficile, un équilibre malaisé lorsqu'on débute mais, bien vite, on acquiert ces automatismes."

"Je vis venir la fin des vacances avec la lenteur d'un courrier transmis par la voie hiérarchique."

Ma participation au challenge Lire sous la contrainte avec un contrainte plutôt facile, ce qui explique que je n'y fais figurer que les 'nouvelles 'lectures.

vendredi 6 janvier 2017

La baleine thébaïde

La baleine thébaïde
Pierre Raufast
Alma éditeur, 2017


Après La fractale des raviolis et La variante chilienne, l'auteur nous a habitués à ces titres énigmatiques et attirants : oui, il sera question de baleine!

Volontairement je n'ai rien voulu savoir de ce roman avant de m'y plonger (merci à l'éditeur!) et je voudrais respecter aussi le plaisir de la découverte du futur lecteur.

Sur un baleinier se retrouvent Richeville, le héros un peu largué mais si sympathique, Eduardo le capitaine, Dimitri le roi de l'informatique (parlant des mathématiques, "Il faut dire qu'il n'y a pas grand chose à apprendre par cœur dans cette discipline: juste réfléchir pendant les devoirs surveillés." )(tout à fait d'accord, et moi ça m'allait comme un gant, je dois l'avouer), et un certain Marc (mais, mais, ne serait-ce point -par inadvertance?- ce Marc voisin de Théo rencontré dans La fractale des raviolis?)(raviolis fatals à un pape, p 155).

Tous les quatre à la recherche de la baleine bleue, dite baleine 52.

Voilà, je n'en dirai pas plus sur ce nouveau cru gouleyant et raufastueux, à découvrir fissa. Imagination sans limites, même si "certaines choses racontés dans ce roman sont vraies", manipulations génétiques (nan, je ne dévoile rien, mais j'avoue que le Pecho Chocolate m'a transformée en hyène hilare, oui, Fanja), des moments sexuels (mais soft) , des moments plus romantiques (petit cœur brisé!), de vrais méchants hélas crédibles.

En plus de dévorer ce roman, je me suis amusée à découvrir les petits cailloux laissés par l'auteur à l'intention de son lectorat fidèle (même si j'en ai sans doute oublié). Citons les rat-taupes, la variante chilienne (ici l'on joue à la variante danoise du capateros, qui a ses avantages sur un baleinier), Emma (très furtivement), Rambarane le village de la variante chilienne, où il plut des années sans arrêt (enfin l'explication!), et un homme ramassant des cailloux...

J'espère bien avoir l'occasion un jour de déranger l'auteur dans la torpeur digestive d'un salon du livre...

Les avis de Culturelle, Leiloona, je sens qu'il y en aura beaucoup, mais que cela ne dissuade pas les gens de découvrir le roman!

mercredi 4 janvier 2017

Est-ce qu'on pourrait parler d'autre chose?

Est-ce qu'on pourrait parler d'autre chose?
Can't we talk about something more pleasant?
Roz Chast
Gallimard bande dessinée, 2015
traduit par Alice Marchand


Puisque Fanja insiste (ici son billet ayant déclenché ma lecture) je vais essayer de parler BD, genre de lecture régulière chez moi mais sans billet...

L'auteur est américaine, et vit dans le Connecticut avec sa propre famille. Elle est née en 1954 de parents, George et Elisabeth, nés tous deux en 1912. Une couple très fusionnel, n'ayant jamais quitté son quartier de Brooklyn; un père auquel l'auteur peut se comparer pour la personnalité, mais une mère pensant avoir toujours raison et de caractère souvent difficile. Le couple a très bien fonctionné ainsi, mais leur fille (unique) a vite quitté le coin à la fin de ses études.

Des années plus tard, elle retourne chez eux. La question du vieillissement desdits parents devrait se poser, mais chacun des trois est content d'éluder le futur problème.

Cependant les deux parents dépassent les 90 ans, le père perd un peu la tête, la santé de la mère décline. Leur fille fait appel à toutes les solutions possibles, de l'aide à domicile jusqu'à, quand c'est vraiment impossible de faire autrement, l'installation dans 'cet endroit', à savoir une institution pour personnes très âgées, de qualité, donc très cher, mais quand même demeurant 'cet endroit'.

Forcément les deux parents vont décéder.

Pfou là! Chacun a son itinéraire personnel avec ses parents, mais bien peu passeront à côté du "que vont devenir mes parents si?". Ma belle-sœur est en plein dedans (et en souffre car du côté maternel il y a du très très lourd à vivre depuis des décennies, je passe, mais dans ces cas là, pas de vraie solution), dans mon cas j'ai connu les visites en long séjour pour mon père, autre version de 'cet endroit' et pas plus réjouissant. J'ignore ce que ma mère me réserve, pour l'instant elle est adorable et se prend au jeu du 'on va faire un peu le vide dans les armoires et les cartons', signe à mon avis d'excellente santé!

Bon, le livre. Il y a de l'humour, heureusement, et beaucoup de lucidité. On sait que les choses ne vont pas aller en s'arrangeant, et grâce à l'auteur on découvre les mêmes problèmes qu'en France, sans doute encore plus lourds financièrement (hé oui, faut pas se leurrer, même le minimum correct coûte énormément cher, par bonheur ses parents avaient de belles économies). La mère demeure difficile à gérer, jusqu'au bout; la fille aimerait se rapprocher d’elle, mais reconnaît que c'est un peu tard.

Ne nous leurrons pas, ce n'est pas une lecture 'licorne à paillettes'. J'ai curieusement craqué quand l'auteur a inséré dans son livre des photos du bazar incroyable régnant dans l'appartement de ses parents (mais ils gardaient absolument tout!), et là j'ai deux citations
"Un de mes amis a une excellente règle pour ce qui est de vider la maison de vos parents: si vous ne pensez pas que vos enfants le voudront, ne le prenez pas."
et
"Ce n'est pas par hasard que la plupart des pubs visent les gens de 20 et 30 ans; non seulement ils sont beaucoup plus mignons que leurs aînés ; ... mais en plus ils risquent moins d'avoir vécu l'épreuve formatrice de trier les affaires de leurs parents décédés ; une fois que vous serez passés par là, vous ne verrez plus jamais vos affaires à vous de la même manière."

Voilà. Si vous voulez un compte rendu plus exact et exhaustif, voir chez Fanja! En parle aussi Luocine,

Quelques planches ici. Oui, il y a beaucoup de texte, finalement, et des photos.

lundi 2 janvier 2017

L'autofictif en vie sous les décombres

(merci à la F d'accepter de prêter une image,
contrairement à l'autre, A)
L'autofictif en vie sous les décombres
Journal 2012-2013
Eric Chevillard
L'arbre vengeur, 2014


Quand je me suis régalée de  L'auteur et moi  et  L'autofictif croque un piment (et j'ai aussi dû en lire un de la série, sans billet), j'ignorais tout de l'auteur, en particulier qu'il écrivait dans Le monde des livres. Le savoir maintenant m'a permis de comprendre certains textes...

Le principe, écrire tous les jours sur une année, un court texte en trois parties indépendantes, souvent mais pas toujours. L'on pourrait établir une sorte de classement des idées et thèmes, les quelques passages reproduits ci-dessous peuvent en donner une faible idée, mais fantaisie et un certain second degré sont omniprésents et difficiles à réaliser hors lecture.

Interviennent Agathe et Suzie, les deux fillettes, liées d'une jolie complicité avec un papa un brin plaisantin.
Agathe (avec un grand rire, comme je lui montre une image du globe terrestre dans le cosmos, parmi les étoiles) - Sauf que normalement, la Terre, elle est pas dans le ciel!

Agathe (tandis que j'écoute bob Dylan) -Il n'arrive pas à chanter en français?

Agathe  -Bon, papa, maintenant t'arrêtes de me parler parce que je voudrais bouder tranquille!

L'autodérision n'est jamais bien loin.
Tu as peu de lecteurs, réjouis-toi, ils sont moins nombreux encore à ne pas aimer tes livres.

Il partage ses préférences (Jourde, Michon), ses détestations. D'ailleurs je me demande bien pourquoi Pierre Bergé persifle dans son dos, mais comme il dit 'moi, quand je me fais tailler un costard, attention, c'est du Yves Saint-Laurent'

La lecture
"Comme nous en relirons fort peu, chaque livre que nous refermons est une époque de notre vie qui s'achève, si courte fût-elle, que nous laissons derrière nous et que nous ne visiterons plus que par le souvenir - un monde encore duquel nous sommes pour toujours bannis bientôt nous n'en comprendrons plus la langue -, auquel ne nous rattache plus que le regret et la nostalgie. Les épisodes de notre existence ne sont jamais si nettement tranchés, leur fin n'est jamais si abrupte; chaque volume lu contient comme une urne funéraire les heures qui ne reviendront plus. Le grand lecteur ne cesse de dire adieu à la vie."

"Le lecteur reste attaché à l'oeuvre de Proust comme le narrateur lui-même à son passé. Il se la remémore à la faveur de sensations, de circonstances fortuites. Ainsi s'affirme la postérité d'une oeuvre selon son principe même. Peut-être existe-t-elle encore plus conformément à sa loi dans ce second temps. Le livre qui se déplie dans notre mémoire inclura désormais aussi le souvenir de notre lecture et de celui que nous étions alors, dedans et au-dehors."

"Il n'est malheureusement plus possible de savoir ce que lisent les gens munis de liseuses numériques dans les espaces publics, me fait remarquer un ami. En effet, et j'ajoute que là encore uen fenêtre se ferme et que le volet nosu claque au nez. Car une couverture entraperçue renvoyait quelquefosi le passant à son expérience du livre -surgissement soudain d’une réminiscence proustienne - émouvant partage à contretemps et lui offrait accessoirement un bon prétexte pour aborder la fille : étreitnes et embrassements s'ensuivainet. Puis la joyeuse marmaille, les grandes tablées.. Le lecteur qui tient sa tablette devant lui a désormais un dos derrière, un dos devant."

"Conditionnement des esprits. On achète le roman à succès du moment sans se soucier de ce qu'il est. Ce réflexe grégaire désormais bien connu se trouve remarquablement illustré par cette requête d'une cliente à un de mes amis libraires:
- Je voudrais...j'ai oublié le titre...vous savez...le livre qu'il faut que je lise?"

Le téléphone "Il passe ses journées pendu au téléphone, où trouverait-il le temps d'appeler sa mère? Sincèrement?"

Et encore, non classé
C'est un roman plein de rebondissements, certes, mais qui rebondit sur place comme la balle du tennisman dont on se demande s'il va un jour se décider à servir.

N'est-il pas un peu abusif de considérer qu'en retournant une chaise sur une autre, on a rangé les deux?

Quand l'imbécile montre l'étoile, le sage lui apprend qu’elle est morte depuis longtemps. Quel ennuyeux bonhomme décidément!

Voler une vieille dame n'est pas aussi simple qu'on le croit; encore faut-il pouvoir l'arracher à son sac.

Et voir comment 'monsieur Chevilarde' se débarrasse des opératrices de télémarketing...

L'arbre vengeur est l'éditeur du mois chez Tête de lecture (il existe un blog fait exprès!)

L'autofictif se poursuit aussi ici