vendredi 30 novembre 2018

L'été des quatre rois

L'été des quatre rois
Camille Pascal
Plon, 2018



Allez, j'avoue parce que c'est rare, j'ai lu ce 'roman' sur la foi du prix. Mérité, disons-le d'emblée. Fichtre! j'en fais carrément un coup de coeur!

Pourtant, détailler sur plus de 600 pages les événements du 25 juillet au 16 août 1830, qui ont vu se succéder quatre rois en France, c'était a priori casse-cou. Pour le lecteur lambda, pas besoin de trop en connaître, juste se souvenir un poil de la Révolution Française, Louis XVI, Marie Antoinette, leur fille, puis de la succession,  Napoléon, Louis XVIII, Charles X et Louis-Philippe, ce dernier succédant justement au précédent en 1830. Mais alors, qui sont ces deux autres rois? Deux, ce n'est pas quatre!

Finalement, par chance je n'en connaissais guère plus, et c'était absolument palpitant de découvrir quasiment minute après minute comment s'est déroulée la 'révolution' de 1830, avec les revirements, les rencontres ratées, les positions impossibles à quitter pour les plus obtus. Bref, les personnages sont bien campés, les dialogues vifs et le style, mais quel  bonheur, je me suis régalée. Quelques moments émouvants, d'autres haletants, mais souvent  fort drôlement racontés (belle ironie).

En dépit d'un ou deux coups de mou pour suivre ces titres de noblesse et ces grades de l'armée, je ne me suis jamais perdue. L'impression de coller aux basques des personnages les rend vivants, par exemple la fille  de Louis XVI, épouse du fils de Charles X (son cousin, oui, faut suivre), traumatisée par les anciens événements de la Révolution de 1798 et suivantes, et on la comprend, et la duchesse de Berry, mère du petit fils de Charles X, dotée semble-t-il d'un bel appétit pour la gent masculine.

La Cour du roi, avec son étiquette rigide, mais on y est. Les émeutiers à Notre-Dame, aussi (comme Victor Hugo en spectateur!). On croise Stendhal, Balzac, Vigny, surtout Chateaubriand, pas flatté le pauvre, quant à Talleyrand, rien à redire, on connaît la souplesse de ses revirements.

L'auteur signale qu'il 'ne s'est interdit aucun des artifices de la littérature pour écrire de l'histoire, les faits rapportés dans ce récit sont rigoureusement exacts , et l'intégralité des dialogues est tirée des mémoires ou des témoignages du temps.'
Mémoires ou témoignages anonymes, ou bien des auteurs cités plus haut, auxquels j'ajouterai la comtesse de Boigne, vraiment aux premières loges, et dont les Mémoires figurent dans ma bibli, affaire à suivre? Où l'on apprend que l'ambassadeur de Russie se nommait Pozzo di Borgo, avec une vieille vendetta qui le fera refuser la nomination d'un ministre...
Et quel final! Je n'en dirai pas trop, mais le parallélisme est formidable.

Des avis chez Babelio, et eimelle (oups je l'ai retrouvé!, ève récemment, et aussi enthousiaste!;

Lire sous la contrainte,chez Philippe, avec le mot 'été'

mercredi 28 novembre 2018

La seule histoire

La seule histoire
The only story
Julian Barnes
Mercure de France, 2018
Traduit par Jean-Pierre Aoustin



"Mais n'oublie jamais, jeune master Paul : chacun a son histoire d'amour; chacun et chacune. Elle a pu être un fiasco, elle a pu tourner court, elle a même pu ne jamais commencer, elle a pu être entièrement dans la tête, ça ne la rend pas moins réelle. Parfois, ça la rend plus réelle. Parfois on voit un couple, et chacun semble assommer profondément l'autre, et on ne peut imaginer qu'ils aient quelque chose en commun, ou pourquoi ils vivent encore ensemble. Mais ce n'est pas seulement l'habitude, ou la complaisance envers soi-même, ou les conventions, no rien de tel. C'est parce qu'ils ont eu, à un moment, leur propre histoire d'amour. Comme tout un chacun. C'est la seule histoire."

Dans les années après la seconde guerre mondiale, Paul, 19 ans, rencontre au club de tennis de sa ville Susan, 48 ans, avec qui les parties en double vont continuer sur une histoire qui durera des années. Quand Susan connaîtra un grave problème, il essaiera de l'aider. En vain.

Voilà un roman que je ne qualifierais pas d'attachant par ses personnages, dont se dégage, après un démarrage plutôt drôle, beaucoup de mélancolie. On n'en sort pas avec du peps, autant le dire. Barnes est un auteur excessivement brillant, pour raconter et rendre crédible une telle histoire. Oh pas de détails graveleux, Paul est amoureux, cette passion est racontée par lui. Le mari et les filles de Susan restent à deux ou trois passages près, plutôt des ombres.

Mais l'écriture de Barnes demeure étincelante, d'une folle élégance, passant du je de Paul, au vous quand il se tient de côté, et même au il parfois. En rapport avec le bonheur ressenti? Son implication? Son désir de se protéger? Sa faiblesse?

Les avis de motspourmots, jostein, lilly,

lundi 26 novembre 2018

Avec joie et docilité

Avec joie et docilité
Auringon ydin, 2013
Johnna Sinasalo
Actes sud, 2016
Traduit par Anne Colin du Terrail


Avec tristesse je réalise que j'ai dévoré récemment trois romans de Johanna Sinisalo, et qu'il ne m'en reste plus de disponible! Mais quelles lectures!!!

Dans ce roman paru en 2013 et qui se déroule en 2016 et 2017, avec des retours en arrière dans le passé des héros et l'histoire - supposée- de la société finlandaise au cours d’une centaine d'années, s'exprime principalement Vanna (née Véra), addict à la capsaïcine, substance interdite (comme l'alcool, le tabac, etc.) et que l'on trouve dans les piments.

Vanna a connu une enfance plutôt libre et heureuse à la campagne, avec sa grand mère et sa soeur Manna / Mira. Libre surtout de s'instruire et de lire des livres destinés aux garçons (ou virilos). Elle n'est pas attirée par le comportement des autres fémines, qui après quelques générations de 'sélection' et 'dressage' ne s'intéressent qu'aux poupées et dînettes, rêvent du prince charmant, et n'étudient que "la cuisine, la budgétisation des achats, l'hygiène domestique, la puériculture, l'entretien du corps et l'agilité sexuelle."

Mais Vanna doit cacher soigneusement son intelligence et ses goûts, et se couler dans le moule, avec maquillage, robes froufroutantes, corsets, et entreprise de séduction à l'encontre des virilos. L'un d'eux, Jare, ne sera pas dupe, mais leur association leur permettra de s'en tirer.

Cette 'dystopie misogyne' (copyright Mes imaginaires à propos du roman de J. Melamed) est parfaitement ressentie de l'intérieur et aussi expliquée grâce à des documents, extraits de revues, de nouvelles sentimentales, textes de lois, dictionnaires... On sourit, mais jaune...

Lecture hautement recommandable, avec un titre et une couverture vraiment excellents!

Lecture commune avec A girl
D'autres avis: cathulu, Nathalie,

vendredi 23 novembre 2018

Comment parler des livres que l'on n'a pas lus?

Comment parler des livres que l'on n'a pas lus?
Pierre Bayard
Minuit, 2007


Si l'on connaît un peu Pierre Bayard et ses titres choc, l'on se doute qu'un peu de sérieux se cache sous un tel titre. "Entre un livre lu avec attention, et un livre que l'on n'a jamais eu entre les mains et dont on n'a même jamais entendu parler, de multiples degrés existent.""Qu'entend-on par "lecture"?  Et un livre non lu ne peut-il pas exercer un grand effet sur nous? Qu'est-ce que la lecture et la non lecture?

Pierre Bayard est passionnant car il utilise de nombreux exemples tirés de (bons) romans. Par exemple le bibliothécaire de L’homme sans qualités, qui se refuse à lire les livres l'entourant, mais sachant parfaitement se repérer parmi eux (pas du repère spatial). Dans Le nom de la rose, l'enquêteur n'a pas lu le livre central de l'intrigue (et ça se comprend!) mais il est capable d'en saisir le contenu par déductions. Et, comme pour Montaigne, que de livres oubliés (au point que Montaigne prenait des notes en fin de livre). Citons Valery, parlant de façon vache (et floue) d'auteurs qu'il n'avait visiblement pas lus, de Balzac et la critique littéraire dans les journaux (Illusions perdues), de Lodge où un jeu finalement dangereux conduit un personnage prof d'université à déclarer n’avoir jamais lu Hamlet, en passant par le film Un jour sans fin.
Pierre Bayard abord même le cas d'un roman de Pierre Siniac dans lequel un auteur n'a même pas lu son propre livre!
Terminons avec Oscar Wilde
" Je ne lis jamais un livre dont je dois écrire la critique; on se laisse tellement influencer."

Avant de dire que Pierre Bayard n'est pas sérieux, lisez le, c'est brillant, intelligent, remet un peu en place quelques certitudes et amène à se grattouiller la tête.

En prime quelques façons intéressantes de considérer quelques romans (gare, il divulgâche un peu, cet homme, même s'il se réserve le droit de tromper son lecteur)

Parmi les livres présentés sur le blog, tous ont été lus dans le sens donné par tous à ce terme, mais à lire Bayard, peu demeurent 'lus' (pas de honte à avoir, Montaigne y est passé aussi!), combien sont oubliés assez vite? Et puis, avouons-le, que de livres qu'on n'a jamais parcourus en entier, voire jamais ouverts, et dont on peut parler! Tiens, l'Iliade ou l'Odyssée, ou Hamlet ou Roméo et Juliette. Je terminerai en citant Ulysse de Joyce, abandonné semble-t-il au tiers, mais dont je pourrai(s) parler.
Et je me demande même si j'ai lu ce livre de Pierre Bayard, mais j'en ai parlé. (je plaisante!)

mercredi 21 novembre 2018

La somme de nos folies

La somme de nos folies
The sum of our follies
Shih-Li Kow
Zulma, 2018
Traduit par Frédéric Grellier


Un roman malais, une grande première pour moi! Qui plus est bourré de fraîcheur, de fantaisie et de mille détails sur la vie en village ou en capitale. Y compris de l'ironie à l'encontre des politiques et des touristes. Mais avec une certaine tendresse pour les divers personnages.

Car il y en a, des personnages! A Lubok Sayong, Beevi et ses histoires 'inconcevables', son poisson libéré emporté vers le lac de la quatrième épouse lors d'une des inondations; Auyong, l'un des narrateurs, directeur de l'usine de conserves de litchis; Mary Anne, l'autre narratrice, orpheline quasi adoptée par Beevi, rêvant de sa mère; Miss Boonsidik employée par Beevi dans son bed and breakfast sis dans une incroyable Grande Maison; des professeurs et élèves de l'école, etc.

Ne pas s'attendre à un suspense, à des happy end à la pelle, non, mais cela se lit d'un souffle, le sourire aux lèvres. Pas de temps morts (quelques belles et rares descriptions, des moments plus intimes pour connaître mieux un personnage) . Beaucoup aimé.

Les avis de Didi, Nicole, Yv, Antigone, Hélène, Bricabook, Kathel, Cosy Corner,

lundi 19 novembre 2018

Le libraire de Wigtown

Le libraire de Wigtown
The diary of a bookseller
Shaun Bythell
Autrement, 2018
Traduit par Séverine Weiss


Pour une fois il ne s'agit pas d'un roman feel good se déroulant dans une librairie (genre honorable ayant engendré d'excellents ouvrages ainsi que d'excellents films), mais du journal d'un libraire de Wigtown, petite ville  du Galloway, au sud ouest de l'Ecosse et d'environ 1000 habitants. Sa librairie est la plus importante librairie de livres d'occasion de tout le pays. Il en est propriétaire depuis 2001 mais ce journal court sur une année, de février 2014 à février 2015.


Chaque mois est introduit par une citation de Quand j'étais libraire, de Georges Orwell, et d'un commentaire de Shaun Bythell sur le sujet abordé. Mis à part le Festival du livre de Wigtown, chaque année en octobre, la vie de la librairie est rythmée par des tâches récurrentes. Ranger les livres, accueillir les clients, pas toujours délicats, préparer les colis pour des abonnés à un envoi 'au choix du libraire'. Se battre avec les sites de vente en ligne  (les conséquences d'Amazon sont présentes, mais la librairie met des livres en vente sur des sites). Aller trier de vieux livres chez des particuliers, faire une offre pour ce qui sort du lot. Constater que Nicky l'employée a un sens du rangement assez particulier et s’obstine à ramener une drôle de nourriture. Sorties pêche. Menues (ou pas) réparations. Revoir des clients fidèles.
Pour le lecteur : Découvrir des titres de bouquins complètement improbables. Et au final en apprendre pas mal sur le métier!

Cela peut paraître répétitif mais justement les gags qui reviennent contribuent à l'humour (british bien sûr) du livre. Jamais l'auteur n'en dit trop ou insiste, au lecteur d’avoir ses réactions face à des coups durs ou des attitudes limite.

Justement l'équipe a concocté une video (le livre en parle)
Envie d'y aller?

Une lecture commune avec A girl , en fait on a constaté sur Goodreads qu'on l'avait lu en gros en même temps...

vendredi 16 novembre 2018

Une double famille (suivi de ...)

Une double famille
Le contrat de mariage
L'interdiction
Honoré de Balzac
Folio, 1995
Préface (excellente) de Jean-Louis Bory


Parus dans les années 1830, ces trois courts romans se déroulant durant la Restauration, appartiendront aux Etudes de mœurs, Scènes de la vie privée.

Sans rien divulgâcher vu le titre, Une double famille raconte l'idylle entre Roger de Granville (mal marié à une bigote rigide) et Caroline la jolie brodeuse, qu'il installera dans un joli nid confortable, elle et leurs deux enfants.

Le contrat de mariage est celui de l'union entre Paul de Manerville, bien gentil et amoureux, et Natalie, bordelaise dépensière, fille de Madame Evangelista, la redoutable!

La marquise d'Espard, elle, veut faire 'interdire' son époux dont elle vit séparée, et cherche à manipuler l'honnête juge Popinot.

Autour des personnages principaux (que le lecteur peut parfois retrouver dans d'autres livres de Balzac) gravitent des personnages bien connus par ailleurs, Bianchon, Rastignac, etc. C'est le principe (addictif) de la comédie humaine selon Balzac.

Quid de ces trois romans? Hé bien on n'est pas du tout dans la romance! Le mariage, c'est sérieux et surtout une affaire de gros sous, même si certains sont réellement amoureux. Balzac présente le mariage sous un jour bien peu favorable (oui, les histoires ne se terminent pas bien pour les héros les plus sympathiques). J'avoue que les histoires de majorat, gros point de discussion entre les notaires du contrat de mariage, me sont un poil passées par dessus, et de manière générale, ne me rends pas vraiment compte du pouvoir d'achat des très très riches (ou des très très pauvres). Mais Balzac est incomparable dans les dialogues et les descriptions de maisons et d'intérieur, et de ses personnages.

Conclusion : un peu de Balzac de temps en temps, c'est à noter.

mercredi 14 novembre 2018

L'excuse

L'excuse
Julie Wolkenstein
P.O.L., 2008


Utiliser le canevas d'un roman existant (un classique de préférence) , voilà qui n'est pas une grande première, que ce soit pour un roman ou un film. Si, comme dans les cas de L'excuse, c'est assumé et participe au ressort et aux péripéties du roman, alors quelle réussite! (j'en profite pour signaler le délicieux Betty et ses filles , lui aussi une réussite, mais là c'est au lecteur d'avoir du flair)

Au décès de sa tante Françoise, la narratrice Lise hérite d'une maison à Martha's Vineyard et d'un bateau (la famille est vraiment très très riche) et retrouve trois cartons pleins de documents, laissés par son cousin Nick. Contenant des photos, un jeu de tarot incomplet (il manque les trois bouts) et un écrit de Nick intitulé "Déjà-vu", dont les chapitres ponctueront la narration principale.

D'après Nick, la vie de Lise calque celle d'Isabel Archer, l'héroïne de Portrait de femme de Henry James. Roman qu'il n'est pas nécessaire d'avoir lu pour suivre L'excuse, car Julie Wolkenstein en rappelle habilement le contenu et insère des remarques à son sujet, jusqu'à "ce que nous vivons ensemble, (...) , ce n'est pas la transgression littéraire de Portrait de femme, ce n'est pas une victoire sur cette malédiction littéraire que j'ai vue organiser ton existence, c'est au contraire l'élucidation du véritable sens du roman. Ce que James ne dit pas, peut-être même ne sait pas, ses personnages l'ont fait."

J'ai adoré ce roman très subtil, bien sûr c'est Julie Wolkenstein qui mène la danse, décidant que Lise et les autres auront cette destinée, mais dans les années 80 et suivantes, avec assez de flou, de péripéties, et un découpage dans le temps permettant un suspense et un intérêt sans faille. En plus d'un attachement à Lise, devenue âgée mais qui grâce à Dick (et le petit du tarot) vivra encore quelques aventures.

De plus cela se termine en une sorte de "chasse au trésor bizarre", Lise devant découvrir le "21" (et des révélations) et surtout "l'excuse", qui la mènera à la fin d'une recherche palpitante (pour moi lectrice aussi!). Dernière remarque : pas besoin de savoir jouer au tarot.

Des romans comme cela, j'en redemande. J'ai trouvé le livre dans la "caisse aux dons" de la bibliothèque, où les usagers peuvent déposer ce qu'il veulent, j'y fouille systématiquement, et là, pépite!

L'avis de Papillon, qui mènera à d'autres, et sur lecture/écriture

lundi 12 novembre 2018

Le coeur converti

Le coeur converti
De Bekeerlinge
Stefan Hertmans
Gallimard, 2018
Traduit par Isabelle Rosselin

"Ce livre s'inspire d'une histoire vraie. Il est le fruit à la fois de recherches approfondies et d'une empathie créative."

Monieux, מניו  ou MNYW, Vaucluse, 650 mètres d'altitude. De nos jours, Stefan Hertmans y réside et s'intéresse à l'histoire locale. Tout part d'un ancien document parlant d'une prosélyte de Monieux, et retrouvé dans la Gueniza d'une synagogue du Caire, document actuellement conservé à Cambridge. Mais contrairement à ce que j'attendais, il faudra du temps pour en savoir plus sur ce document.

A Rouen, à la fin du 11ème siècle, la jeune Vigdis, fille d'un riche Normand et d'une Flamande, tombe raide amoureuse d'un juif de Narbonne venu étudier à la yeshiva de sa ville. Tout les sépare, mais les deux jeunes gens fuient Rouen pour se réfugier à Narbonne, chez le père de David. Ils risquent gros, et le père de Vigdis envoie des cavaliers à leur poursuite.
Après quelques années heureuses du jeune couple à Montieux, le village subit un pogrom, et l'on saura comment ce fameux document sera écrit et arrivera au Caire.

Stefan Hertmans s'appuie sur des documents authentiques, et a refait le parcours de Vigdis à travers la France et plus loin, et c'est passionnant, voire émouvant par moments, quand il pense avoir vriament mis ses pas dans ceux de Vigdis. Magnifique reconstitution de cette période, la vie en campagne et au village, la navigation en Méditerranée, la vie en Egypte,  les croisades et leurs conséquences, la reconquista et ses conséquences, et bien sûr la vie de la communauté juive. Evidemment certains passages doivent tout à l'imagination de l'auteur, mais il sait ne pas insister quand il ne sait pas, tout en rendant plausible l'histoire tragique de Vigdis.

Les avis de Jostein, Anne, Dominique, Nicole (juste aujourd'hui, sans se concerter; je te rappelle que le captcha m'empêche de commenter chez toi)

vendredi 9 novembre 2018

Jacques le fataliste

Jacques le fataliste
Denis Diderot
Paru en 1796




En guise de couverture du livre, l'incipit (célèbre je pense) de ce roman que je me décide à lire maintenant, ne me souvenant plus si je l'ai déjà lu (car je confonds avec Le neveu de Rameau...)

Bref, lecture plaisir, lecture non obligatoire, comme pour les classiques apparaissant dans ce blog.

L'histoire c'est simple, Jacques est le valet, et le maître, le maître. Et ils discutent au cours de leur voyage, dont on apprendra le motif vers la fin, après que le maître a conté l'histoire de ses amours. Mais auparavant Jacques aura narré celle des siennes, avec moult arrêts, incidents dans le voyage, rencontres, et racontars d'autres histoires.

Parmi ces histoires, celle qui a causé ma lecture (enfin j'y viens), à savoir la vengeance de Madame de La Pommeraye, fraîchement adapté au cinéma.
A lire les avis sur les blogs, par exemple ici chez dasola, au sujet de l'épilogue, je me demandais s'il n'avait pas été changé, mis je pense (sans avoir vu le film) que non, car j'ai eu à la lecture les mêmes réactions que les spectatrices du film.

Et le livre de Diderot, me demandez-vous, lecteur du blog? Hé bien ça va venir, mais vous commencez à vous sentir comme celui du livre, baladé de digressions en digressions, d'histoires en histoires, le tout émaillé de disputes entre les deux personnages principaux et de considérations sur le destin et ce qui advient d'ordinaire dans un vrai bon roman classique.

"Je me rappelai l'Harpagon de Molière.(...) Et je conçus qu'il ne s'agissait pas seulement d'être vrai, mais qu'il fallait encore être plaisant; et que c'était la raison pour laquelle on dirait à jamais : Qu'allait-il faire dans cette galère? et que le mot de mon paysan : Que faisait-elle à sa porte? ne passerait pas en proverbe."
Référence à Molière, à Goldoni plus loin.
Critique de l'histoire de Madame de la Pommeraye : "Si vous vouliez que cette jeune fille intéressât, il fallait lui donner de la franchise, et nous la montrer victime innocente et forcée de sa mère et de la Pommeraye, il fallait ..." etc.

Jacques et son maître sont liés, à se demander qui mène l'autre :
"Il est écrit là-haut que tant que Jacques vivra, que tant que son maître vivra, et même après qu'ils seront morts tous deux, on dira Jacques et son maître." Pas faux, n'est-ce pas?

"Toutes nos querelles ne sont venues jusqu'à présent que parce que nous ne nous étions pas encore bien dit, vous, que vous vous appelleriez mon maître, et que c'est moi qui serait le vôtre."

Bref, un livre plaisant à lire, parfois difficile pour les nerfs quand Diderot sursoit à une suite, et plutôt leste par moments (je m'interroge : c'est au programme du lycée?). Les religieux de l'époque ne prennent aussi pour leur grade, décrits comme  faux jetons et libertins.

"Ici, Jacques fit halte à son récit, et donna une nouvelle atteinte à sa gourde. Les atteintes étaient d'autant plus fréquentes que les distances étaient courtes, ou comme disent les géomètres, en raison inverse des distances. Il était si précis dans ses mesures, que, pleine en partant, elle était toujours exactement vide en arrivant. Messieurs des ponts et chaussées en auraient fait un excellent odomètre, et chaque atteinte avait sa raison suffisante."

Deux avis chez lecture/écriture

mercredi 7 novembre 2018

Invasion

Invasion
Luke Rhinehart
Aux forges de Vulcain, 2018
Traduit par Francis Guévremont



Billy Morton est un septuagénaire ancien du Vietnam et des mouvements contestataires des années 70, autant dire qu'il en a vu d'autres et n'aime pas qu'on lui marche sur les pieds, surtout face à un membre de l'autorité (mais il sait filer doux devant son épouse Carlita et ses talents d'avocate). Lorsqu'il découvre sur son bateau une boule poilue grosse comme un ballon de basket, qui se révèle être un être venu d'un univers parallèle, pas question d'en parler à qui que ce soit au départ. Nommé Louie par Billy, l'être se révèle être extrêmement intelligent et adorer s'amuser. Son jeu favori au départ consiste à craquer les sites de la sécurité nationale et des banques, se livrant à des transferts peu appréciés des propriétaires légaux.
En fait Louie n'est pas seul, et Billy fait connaissance de quelques uns de ses potes.
La vie de Billy va basculer, car les petits jeux de Louie et ses compatriotes ne peuvent passer inaperçus. Soutenus par quelques humains, ils n'ont quasiment pas de barrières. Les voilà rapidement sur la liste des terroristes.

Loin de n'être qu'une réjouissante histoire d'alien plutôt originale, ce roman est prétexte à Luke Rhinehart à dézinguer dans tous les coins. Pas grand chose ne lui échappe, le capitalisme en général, dans sa version US en particulier. Sa causticité frappe les paradis fiscaux (épisode aux Caïmans), la guerre en Irak et la politique étrangère, le racisme ambiant, les services secrets, la CIA, les êtres humains, et surtout surtout : le parti Républicain.

Ironie efficace et bienvenue, donc (sauf si on vote républicain), pour un roman qui se lit quasiment d'une traite, à la fin abrupte augurant peut-être d'une suite (?), un poil répétitif vers la fin peut-être (j'aurais préféré que ce soit Billy qui s'exprime plus souvent). Du barré plein de mauvais esprit, poussant à la réflexion. Louie et ses amis ont vraiment compris comment ça fonctionne ici...

Un passage qui m'a rappelé quelque chose:
La vase majorité des élus disent à leurs électeurs que les baisses des impôts des entreprises, des très riches, ou des actionnaires leur seront bénéfiques, que ces immenses fortunes ruisselleront miraculeusement jusqu'à eux et créeront de l'emploi, que cela profitera aux classes moyennes et pauvres. Bizarrement, ces élus ne proposent jamais de théories d'un ruissellement vers le haut - que l'Etat réduise les impôts des moins riches et leur accorde des allocations, afin que ceux-ci dépensent l'argent ainsi obtenu, ce qui créerait une demande, et donc de nouveaux emplois et par conséquent des profits pour les entreprises et donc plus d'argent pour les riches. Le ruissellement vers le haut, on dirait que ça n'intéresse jamais ces élites qui nous gouvernent.
Les Américains se font sans cesse répéter qu'il est nécessaire de dépenser des centaines de milliards pour des missiles, des avions de chasse encore un tout petit peu plus rapides, toujours plus de sous-marins nucléaires, toujours plus de bombes, de bases militaires, toujours plus de troupes à l'étranger, qu'il est nécessaire de bombarder toujours plus d'Arabes un peu partout dans le monde. En revanche, il n'y a pas d'argent pour un système de santé national qui permettrait de soigner tout le monde; pas d'argent pour un système éducatif  qui soit entièrement gratuit pour tous, au lieu d'un système où les étudiants, après avoir obtenu leur diplôme, sont écrasés par les dettes. "

Des avis sur babelio, Le bouquineur,

lundi 5 novembre 2018

Les bracassées

Les bracassées
Marie-Sabine Roger
La brune au Rouergue, 2018


Quand j'ai aperçu ce roman dans la liste des nouveautés de la bibli, j'ai noté, ne voulant pas me priver d'une occasion de se faire du bien, l'auteur étant coutumière de ce genre d'histoires sympathiques où tout finit bien (de plus lors de la lecture je sortais de nouvelles de Balzac, j'avais donc besoin de moins de causticité et de noirceur)

Harmonie est une jeune femme affligée de 'crises', lançant ses bras dans tous les sens, tapant, hululant, poussant des sortes d'aboiements... et jurant! Pas facile dans la vie de tous les jours. Son amoureux Freddie la couverait bien trop. Ses amis? Elvire, pas gâtée non plus, Tonton, sculptrice vendeuse de poisson, et Monsieur Poussin, le plus que centenaire photographe doué.

Fleur, elle, est une septuagénaire un peu beaucoup naïve, obèse, comme son chien Mylord qu’elle adule, angoissée, phobique sociale, bourrée de médicaments tels Noctisom, Zenocalm, Sérénix, Placidon aux noms évocateurs, et consultant régulièrement son bien-aimé Docteur Borodine.

Comment ces deux héroïnes là vont-elles se rencontrer? Comment va se former ce groupe des Bracassé(e)s? C'est ce qu'il faut découvrir dans ce livre tendre et non dénué d'humour, où Marie-Sabine Roger a encore une fois tapé dans le mille.

Bracassé(e)?
"Ce mot tourne et tourne dans ma tête il commence à changer mon regard je cherche mes congénères non mes compatriotes ceux qui vivent aussi en terre étrangère Jamais vraiment mêlés à la vie qui les cerne. Gouttes d'huile dans le verre d'eau. Petits cailloux gênants dans le plat de lentilles. Petits cailloux salvateurs qui m'ont parfois aidée à trouver mon chemin."

J'ai aussi beaucoup aimé les variations sur ce qu'évoque aux personnages le terme Bracassés, selon l'orthographe...
"Tonton a décidé que c'était un outil, et que ça s'écrivait e-t. Elle nous a donné comme exemple la phrase. 'File-moi le bracasset qui est sous la clé de seize.' Monsieur Poussin a pensé à une danse ancienne.."
"J'ai inventé des Bracassés pur beurre, une spécialité gourmande agrémentée de fruits confits, et le verbe transitif Se bracasser (je me bracasse, elle se bracasse, nous nous sommes bracassés, que tu te bracassasses) qui signifie 'se tracasser pour des critiques blessantes qui n'en valent pas la peine '. "

Les avis de cunéipage,

vendredi 2 novembre 2018

Adieu Montaigne

Adieu Montaigne
Jean-Michel Delacomptée
fayard, 2015


D'accord, après Les Essais -la totale- et aussi A la recherche du temps perdu -la totale- il paraissait évident que je n'allais pas récidiver sur le blog, gardant d’éventuelles relectures pour la sphère privée. Mais jamais je n'avais promis de ne plus lire sur le sujet. De plus j'aime beaucoup Jean-Michel Delacomptée, et il m'a encore enchantée avec ce (court- moins de 200 pages) voyage avec Montaigne.

C'est à vingt ans que l'auteur a lu Les Essais pour la première fois. Il était amoureux, et sa belle l'avait quitté pour un autre. "En quête de remèdes, j'ai lu Les Essais: ils m'ont aidé. S'ils ne m'ont pas guéri, leur lecture m'a soulagé."

De quoi parle ce livre, passionnant, intelligent, bien écrit, agréable à lire? Hé bien, de Montaigne, sa vie, sa famille, son amitié avec La Boétie, ses opinions, sa vision des choses. Une belle présentation aux Essais, pas rasoir du tout.

En conclusion, l'auteur se désole que Montaigne soit quasiment ignoré au cours des études au lycée, craint qu'il ne soit plus lu, alors qu'il demeure moderne et finalement abordable.

Justement! "La langue pose des barrières faciles à surmonter: il suffit d’une édition en français de l'époque mais à l'orthographe et à la ponctuation rafraîchies, celle que pour ma part j’utilise, avec la traduction des expressions et des termes à présent hors d'usage."(Claude Pinganaud, Arléa, 1996) C'est "préférable aux conversions en français d'aujourd’hui où se perd la saveur du style." Comme "marchepied" ou "mise en bouche", elle peut être utile, mais "un Montaigne édulcoré, comme Pagnol sans l'accent, Wagner sans les cuivres, Paris sans Notre-Dame."

Après, vous faites ce que vous voulez. Mais quitte à patauger un peu, autant avoir la saveur originale. Vive le fromage au lait cru!

Une lecture qui entre finalement dans le nouveau Lire sous la contrainte (qui n'est pas franchement une contrainte pour moi)(je lis ce que je veux) de Philippe.