mercredi 30 décembre 2015

Et tu n'es pas revenu

Et tu n'es pas revenu
Marceline Loridan-Ivens
avec Judith Perrignon
Grasset, 2015

Comme le savent les lecteurs de Ma vie balagan, Marceline Loridan-Ivens et son père ont  été arrêtés par les allemands en 1944 et déportés à Auschwitz.
A Drancy, son père lui avait dit: "Toi tu reviendras peut-être parce que tu es jeune, moi je ne reviendrai pas." Oui, elle est revenue; mais quinze ans plus tard encore, "Je tremblais dans un hall de gare. je refusais toute salle de bains avec douche à l'hôtel. Je ne supportais pas la vue des cheminées d'usine. On le sent toute sa vie qu'on est revenu." Un frère et une sœur, pourtant non déportés, n'ont pas supporté et se sont donné la mort des années plus tard...

Une fois au camp, ils se croisent, une autre fois son père lui transmet un message, elle ne se souvient que du début "Ma chère fille" et de la signature "Shloïme", en vain elle cherche à se souvenir du reste, mais "Il fallait que la mémoire se brise, sans cela je n'aurais pas pu vivre."

Ce récit court, direct, bouleversant, raconte ce qui manquait à Ma vie Balagan, les mois dans les camps, le retour, les retrouvailles avec sa famille, sa vie, ses deux mariages, ses engagements, ses films. Elle s'adresse à son père, 'tu', c'est à lire absolument, il y a des remarques terribles, là-dedans, qui résonnent en vous.

Les avis de cathulu, clara, aifelle (?), mirontaine, leiloona, Anne, le nez dans les livres, mrs pepys,

lundi 28 décembre 2015

Les plus belles mains de Delhi

Les plus belles mains de Delhi
Delhis vackraste händer
Mikael Bergstrand
Gaia, 2014
Traduit par Emmanuel Curtil


Un roman suédois se déroulant à Malmö et surtout à Delhi, voilà qui intrigue  (et puis j'aime bien Gaia). L'auteur a vécu et travaillé à Delhi entre 2007 et 2011, m'apprend la quatrième de couverture.

Göran Borg, cinquantenaire pas très mature, divorcé (dix ans après il compte encore les jours depuis la séparation d'avec Mia...), deux grands enfants avec lequel les liens sont assez distendus, et une tripotée de bon vieux potes, vient de se faire licencier. Le voyant broyer du noir, son ami Erik de convainc de se joindre au groupe de touristes qu'il accompagne en Inde. Choc visuel, choc auditif, et hélas choc gastrique, et Göran abandonne le groupe, pris en mains par un ami d'Eric, dénommé Yogi. Tout un poème, ce Yogi... Chef d'entreprise, il vit dans une grande maison avec la redoutable Amma, sa mère. A Delhi Göran rencontre la belle Preeti, qui n'a qu'un seul défaut, elle est déjà mariée. Göran se débrouille pour prendre contact, et décide de rester à Delhi, louant un appartement, se lançant avec succès dans le journalisme.

Göran étant doté d'un bel humour plein d'autodérision, l'on s'amuse beaucoup à suivre ses aventures et sa découverte des réalités indiennes, d'autant plus que le bougre est finalement sympathique.  Son histoire d'amour avec Preeti est gentillette, mais ce n'est pas l'essentiel à mon avis et on ne s'ennuie pas une seconde tellement il s'en passe dans ce roman, avec ce pauvre Göran face aux habitudes indiennes, sous la houlette de son ami Yogi. Découvrir un peu mieux l'Inde actuelle est d'ailleurs l'un des intérêts de ce roman distrayant.

"Énième embouteillage à un feu rouge. Dès qu'on s'arrêta, Yogi se joignit à la cacophonie habituelle.
' Tu as vraiment besoin de klaxonner?
- Pourquoi est-ce que je ne klaxonnerais pas?
- Mais parce que ça ne sert à rien de klaxonner, quand on est à un feu rouge! Personne ne peut avancer!
- Peut-être pas dans l'immédiat. Mais dès que le feu passe au vert, tout peut arriver, donc il vaut mieux klaxonner d'avance. Et puis, c'est aussi un bon moyen  de savoir où chacun se trouve dans la file.
- C'est tellement débile que je ne vais même pas commenter.
- Ne sois pas d'humeur aussi massacrante. Ici on est en Inde, on est contents de faire entendre nos beaux klaxons et on aime bien que les autres nous répondent en klaxonnant aussi.'
Je regardai autour de moi, à travers la bruyante mer de voitures et d'autorickshaws à l'arrêt. Il n'y avait pas un seul automobiliste énervé. Ils donnaient tous des coups de klaxon, mais sans aucune agressivité. Ils avaient même l'air de s'amuser de leur propre concert. A l'arrière d'un camion arrêté devant nous, je vis un énorme autocollant qui disait : KLAXONNEZ-MOI!"

"De mon côté, je passai quelques coups de fil en Suède pour faire part de ma décision au répondeur de ma mère, à la messagerie d'Erik, à la secrétaire de Richard, à Steffi, une fille à qui ma fille avait apparemment donné son portable, ainsi qu'à la boîte vocale Skype de mon fils John. Eh non, il n'est pas toujours facile de communiquer dans notre société de communication."

vendredi 25 décembre 2015

Noël tombe le 25 décembre (et papotages aussi)

Bon, les amis, j'ai failli, par pure paresse, ne pas proposer de billet de Noël. Mais vous m'avez fait craquer.
Comme le rappelle Anne, Noël est d'abord une fête chrétienne, mais c'est ouvert à tous bien sûr.
Voici un tableau de Rembrandt, datant de 1627 et visible au musée des beaux arts de Tours. Oui, je sais, j'aurais dû proposer une Nativité, mais ce tableau est tellement beau!
La fuite en Egypte
Cette période est l'occasion pour les nombreux châteaux de ma (belle) région de forcer sans complexes sur la déco, les lumières, le doré...
Tiens, par exemple, Valençay (seul coin ayant AOC vin ET fromage), les 19 et 20 décembre.
Avec aussi un court concert par l'ensemble La rêveuse, (Marin Marais et consorts), dans le petit théâtre du château.
Violon baroque, viole de gambe, luth et guitare baroque attendent les musiciens
Pour rester dans la note, après Anne et Charpentier, je me concentre sur Haendel, avec For unto us a child is given (tiré du Messie de Haendel). Une version au tempo plutôt rapide, mais soooooooo british!

Pour terminer, une photo qui me fait rire aux éclats à chaque fois (m'en faut pas beaucoup, je sais)

mercredi 23 décembre 2015

Sur les ossements des morts

Sur les ossements des morts
Prowadź swój pług przez kości umarłych, 2009
Olga Tokarczuk
libretto, 2014
Traduit par Margot Carlier


Le début : "Je suis à présent à un âge et dans un état de santé tels que je devrais penser à me laver soigneusement les pieds avant d'aller me coucher, au cas où une ambulance viendrait me chercher en pleine nuit."
D'emblée, j'ai su que ce roman allait me plaire. De toute façon, l'auteur des Pérégrins se doit d'être découverte.

Pour raisons de santé, Janina Doucheyko a dû abandonner son métier d'ingénieur, et s'occupe à donner quelques cours d'anglais à des enfants du primaire, surveiller les maisons voisines de la sienne durant l'hiver quand leurs occupants sont en ville, se passionner pour l'astrologie et le poète Blake (Conduis ton char -et ta charrue- par dessus les ossements des morts est d'ailleurs tiré d'une oeuvre de Blake -1793). Elle aime aussi observer la nature, biches, sangliers, renards, et est une farouche adversaire des chasseurs, braconniers et éleveurs d'animaux. Lorsque son voisin est retrouvé étranglé par un os de la biche qu'il dégustait, elle est convaincue que les animaux peuvent se venger, idée qui suivra son chemin après quelques autres décès suspects. Mais elle a beau donner sa vision des faits à la police, on la prend pour une vieille toquée!

"Vous avez plus de compassion pour les animaux que pour les hommes.
-C'est faux. J'ai de la compassion pour les uns et pour les autres.(...) Un pays est à l'image de ses animaux. De la protection qu'on leur accorde. Si les gens ont un comportement bestial envers les animaux, aucune démocratie ne pourra leur venir en aide. Pas plus qu'autre chose d'ailleurs."

Qu'est donc ce roman? Un combat pour la nature et les animaux? Un policier? Un roman frôlant le fantastique? Un peu tout ça, et aussi une atmosphère particulière, surtout quand Janina se retrouve avec ses amis, auxquels elle donne des noms,  telle Bonne Nouvelle et sa boutique de vêtements d'occasion (où le thé est prêt!), ou bien le voisin Matoga, dont la mère d'origine non polonaise était incapable de prononcer le prénom... Un vraiment chouette roman, avec une héroïne terriblement sympathique et un peu givrée quand même.

Les avis de Dominique, Athalie, ingannmic, yueyin,

lundi 21 décembre 2015

Grizzly Park

Grizzly Park
Arnaud Devillard
Le mot et le reste, 2013


Et voilà, j'ai tout lu des fantastiques aventures du couple Arnaud Cécile dans l'ouest américain, et comme Chinouk, me voilà un peu orpheline et désemparée.

Durant toute cette équipée dans les parcs américains, du Colorado au Montana, rode en eux la peur du grizzly avec la grande question que se pose le lecteur : "vont-ils en rencontrer un, oui ou non?"
Le Montana annonce la couleur.

Peur du grizzly? Pas possible!
Oubliez tout de suite vos souvenirs de teddy bear, de nounours de votre enfance... Le grizzly "pèse entre deux cents à quatre cents kilos pour plus de deux mètres de haut dressé sur les pattes arrière". Ursus arctos horribilis. Même le nom fait peur. Pour info, l'ours noir, black bear, fait dans les deux cents cinquante kilos maximum et un mètre cinquante de haut. (je le bats, c'est dire!). "Entre les deux espèces, il existe une barrière génétique : grizzly et ours noir ne peuvent pas se reproduire entre eux."

Certains, comme Doug Peacock (mes années grizzly)(et sur la piste des derniers grizzlis, de Rick Bass, mais voyageant avec Peacock)(et là je me demande si mon blog ne parle pas trop de grizzlys) pensent qu'il faudrait flanquer une paix royale aux grizzlys et ne même pas permettre aux touristes de risquer de les rencontrer. Les rangers des parcs font tout pour que les rencontres n'aient pas lieu, mais bon, quand une de ces bêtes traverse le chemin, commence un joli bearjam, chacun voulant prendre 'la' photo. Ces accumulations de voitures pour des photos parfois au plus près fonctionnent aussi pour les wapitis, bisons et autres... Dangereux! Ensuite le sentier est fermé histoire que la femelle furibonde car trop asticotée ayant attaqué une touriste se soit calmée.

Avant d'aller plus loin, j'avoue que moi aussi j'ai agi de même
OK, cet ours est canadien...
Se pose donc toujours le problème de l'animal sauvage qui doit le rester - pour son bien- en restant loin de l'homme, face au randonneur désireux d'admirer la nature (parce que ces fichus nounours habitent de chouettes coins - enfin, ceux qu'on leur a laissés, car avant leur territoire était plus étendu).

L'un des grands bonheurs à lire ce récit, pour moi, ce fut de retrouver une partie des paysages de ma dernière grande virée par là-bas.
Parc du Yellowstone : ses couleurs démentes!

Arnaud et Cécile n'ont vraiment pas cherché à voir un grizzly, et pris au sérieux les recommandations des rangers, sombrant dans une bearanoia assumée gentiment. Quand seule votre toile de tente vous sépare des griffes d'un grizzly ayant repéré une odeur sympa, on rigole moins, alors autant ne pas faire les malins. Ne serait-ce que par respect pour l'animal.

On l'aura compris, notre couple est plutôt du côté de l'ours, et ne se prive pas d'ironiser sur le mode de vie américain.
"Aux Etats Unis, un parc national ne se conçoit qu'avec son réseau routier.  Le Continental Divide est une belle chose, mais si vous ne pouvez pas le photographier depuis la portière du Subaru, il n'a aucun intérêt. Ce serait même anti-américain, et il ne faut pas jouer avec ça."
"Dans ce pays, commander un dessert entraîne automatiquement une question piège du serveur : glace à la vanille ou chantilly? Parce qu'il est entendu que le seul gâteau ne suffit pas, il lui faut des gadgets. Et vous n'avez pas le droit de refuser, surtout si vous venez de manger du poisson avec des légumes. Ce serait très suspect. Je choisis la glace, évitant ainsi d'échoir sur la liste des most wanted du FBI."

Tout en faisant preuve d'autodérision.
"J'avoue, la première fois que j'ai vu un tamia, c'était l'extase. Pensez! Une bête sauvage, Dame Nature en son château, l'homme est peu de chose, vite, passe-moi l'appareil photo. La deuxième fois, on est encore émerveillé, car cela prouve que l'on est vraiment en pleine sauvagerie, la première fois n'était pas qu'un coup de chance.  La troisième fois, il y en a deux en même temps, ce qui justifie une douzième photo. La quatrième fois (c'est-à-dire un quart d'heure après), on ne fait plus attention. Ensuite on leur jette des pierres parce qu'ils gênent."
Je pense avoir vu le même nid de balbuzard qu'Arnaud et Cécile dans le canyon de la rivière Yellowstone

Chouette bouquin, donc, mêlant crapahutage sur de beaux sentiers, admirant le panorama, réflexion sur les animaux sauvages et leur préservation, sur l'histoire récente des Etats Unis, surtout vis à vis des premiers habitants spoliés de leurs terres. Arnaud sait aussi évoquer son père de façon poignante, et la musique qu'il aime à presque me la faire apprécier! Son dernier bouquin s'intitule Dire Straits, l'Amérique fantasmée.

Edit : J'annonce à Chinouk et Didi que j'ai retrouvé mes photos, alors rien que pour elles je donne une vue de ce qui m'attendait à Glacier Park en juillet (la balade prévue a été annulée)

vendredi 18 décembre 2015

Hadassa

Hadassa
Myriam Beaudoin
Bibliothèque québécoise, 2013


Franchement, j'ignorais l'existence d'une communauté hassidique à Québec (http://outremonthassid.com/), alors j'ai saisi l'occasion d'en connaître plus grâce à ce roman ayant déjà charmé quelques blogueuses.

Engagée comme professeur de français (et plus, en fait) dans un établissement pour élèves juives orthodoxes, Alice découvre de l'intérieur tout un monde avec ses règles bien établies. Parviendra-elle à établir le contact?

"Depuis la maternelle, mes élèves apprenaient que les professeures de français n'étaient pas juives, qu'elles vivaient autrement et qu'il était strictement interdit de s'intéresser à leur vie, pas de questions, pas de curiosités. De la même façon elles devaient rester discrètes, ne pas dévoiler les cérémonies de la synagogue, ne pas traduire les versets des livres sacrés, et surtout, surtout, ne jamais discuter de Dieu devant des non-juifs."

D'emblée elle décèle une différence entre les 'douze ans', déjà bat mitzwa, prêtes à se consacrer à devenir une femme hassidique parfaite, et les 'onze ans', possédant toute le spontanéité et la curiosité de l'enfance, qui lui révèlent tout de même certaines coutumes (avec autorisation d'autres adultes!). Ces jeunes s'expriment dans un français pas toujours correct mais savoureux, mêlé d'anglais et de yiddish.

L'année scolaire se déroule tranquillement, ponctuée par les multiples fêtes juives. Alice s'attache de plus en plus à Hadassa, l'une des plus jeunes, même si elle sait qu'à la fin de l'année celle-ci comme les autres rejoindra le territoire zéro goy du troisième étage de l'école. En attendant, elle s'attache à leur faire découvrir le monde des livres...

Parmi les amis d'Alice figure Jan, récemment arrivé de Pologne, et travaillant dans une épicerie, où il remarque Deborah, une de ces femmes hassidiques. Son patron Charles le met vite clairement au courant : "Ces femmes-là ne s'intéressent pas à nous, pas plus à toi, c'est un univers fermé, tu ne pourras jamais avoir de contact avec elle. Ces juifs-là restent entre eux, ils se marient entre eux, ils veulent garder les traditions, ils gardent leur nom, leur argent, les femmes restent à la maison et élèvent une dizaine d'enfants, les hommes étudient et travaillent. Avant vingt ans, les filles sont mariées, avec des juifs, et puis c'est tout, il n'y a pas d'exception, il n'y a pas de mélange.

Pourtant le courant passe entre la belle Deborah récemment mariée à David, et dont l'annonce du premier bébé se fait attendre...
"Ils sont face à face, séparés par un comptoir de bois, une balance et une caisse remplie d'argent. La jeune femme lève le bras pour poser les pommes, et c'est là qu’elle voit l'épicier, qui la regarde. Un homme blond avec des lèvres pleines. Mince, grand de taille, son regard à lui posé sur son visage à elle. Elle est dévisagée. Sur le mur de pierre derrière la caisse, la trotteuse de l'horloge s'arrête une petite seconde, et dans cet intervalle, elle, la femme, découvre, explore ce que c'est d'être dévisagée par un homme. Il n'y a pas de doute, la cliente ne baisse pas les yeux comme elle devrait, comme elle l'a toujours fait. C'est incroyable, pour elle, de regarder un homme comme lui, elle le fait quand même, ça dure, c'est inexplicable, la première fois que ça lui arrive, on ne sait pas encore ce qu'elle pense, elle aussi l'ignore, elle se laisse dévisager. Puis la trotteuse reprend, mais rien ne change, tout persiste dans l'instant des yeux qui se contemplent. Il fait humide, le mouvement va s'achever, un millième de seconde, et puis avant de baisser la tête sur les pommes, elle emporte le blond dans sa tête comme une voleuse, c'est instinctif, inconcevable, pire que tout. Tout de suite après viennent la fièvre, l'étourdissement et le regret.C'est fini, elle s'ordonne de ne plus y penser, elle n'y pensera plus."

Le lecteur va en savoir plus sur la vie de Deborah et à travers elle celle des femmes hassidiques, la future vie des fillettes de l'école, bien vraisemblablement. Une vie bien réglée, calme, en communauté.

Comme les autres (voir liens plus bas) j'ai aimé ce roman, qui a l'art de présenter délicatement et respectueusement un monde différent. Pour l'histoire d'amour, ce n'était pas gagné pour moi, mais tant de fraîcheur et de romantisme a emporté mon adhésion. Les petites élèves si vivantes forment un autre pan du tableau, et je vous encourage à lire ce roman.

Les avis d'Aifelle (merci), de miriam, Karine:),  yueyin, le papou,

mercredi 16 décembre 2015

Seuls sont les indomptés

Seuls sont les indomptés
The Brave Cowboy, 1956
Edward Abbey
Gallmeister, 2015
Traduit par Laura Derajinski et Jacques Mailhos




Au fur et à mesure de ma lecture je pensais que cette histoire ferait un chouette film, et au moment d'écrire le billet, je cherche et voilà qu'Hollywood n'a bien sûr pas raté une telle occasion! Seuls sont les indomptés (Lonely Are the Brave, 1962), est un film de David Miller avec Kirk Douglas (le cow boy), Gena Rowlands et Walter Matthau (le shérif). A voir la bande annonce, j'ai retrouvé les scènes du roman.

Bien sûr le roman a été adapté, mais franchement Abbey a bien mâché le travail. Les belles descriptions de ces coins arides des montagnes du nouveau-Mexique, de la végétation, des animaux, du ciel à diverses heures, facile, il suffit d'installer les caméras, mais Abbey donne à ressentir la chaleur, la poussière, comme pas un. Rarement (jamais, il faudrait vérifier) Abbey explique les pensées d'un personnage, tout est dans les descriptions de gestes, les regards et les dialogues, rendant parfaitement lisibles leur caractère (très fort, cet Abbey): très cinématographique, si l'on a d'excellents acteurs, ce qui est le cas.

Maintenant il serait peut-être temps de parler du roman plus clairement, au lieu d'un film que je n'ai pas vu.

Le cow boy de l'histoire, c'est Jack Burns, chevauchant Whisky, sa jument à peine domptée, vivotant dans les grands espaces à garder des moutons, par exemple. "Si tu continues comme ça, tu finiras dans un ranch pour touristes, Jack. - T'as raison. Quand on est tombé suffisamment bas pour garder des moutons, autant toucher le fond." Le début le voit réapparaître, solitaire, parfaitement adapté à la vie sauvage. Un peu moins lorsqu'il s'agit de traverser les quatre voies sur le chemin menant à la maison de ses amis les Bondi. Car nous sommes dans les années 1950, Mc Carthy, la guerre de Corée, essais nucléaires dans le désert, et chaque homme doit être bien clair vis à vis de la souscription. Ce qui n'est pas le cas de Paul Bondi, ami de Jack Burns et étudiant en philosophie, qui a préféré être condamné à deux années de prison.
Jack Burns décide de se faire arrêter, de retrouver Paul et de s'évader avec lui.
Cela donnera lieu à une chasse à l'homme complètement disproportionnée, sous la direction d'un shérif intelligent et plutôt correct, sensible à la nature, mais faisant son travail (son activité dans son bureau est un grand moment du roman)

De crainte de trop en dire, je passerai presque sous silence l'ambiance de la prison du comté, les personnages secondaires absolument bien croqués, le shérif au travail (oui, je l'ai dit), bref tout ce qui fait de ce roman une pépite exceptionnelle.

Quelques passages entre Jack Burns et Paul Bondi, dans la prison, quand Jack tente Paul avec une vie sauvage dans les grands espaces...
Paul à Jack "Tu essaies de me tenter avec tes idées d'un autre siècle, romantiques, excentriques et irréalistes." Pauvre Jack, même son meilleur ami le trouve à côté de la plaque...

Pourtant ce Paul est emprisonné pour ses convictions
"Je vois mon propre pays crouler sous la laideur, la médiocrité, la surpopulation, je vois la terre étouffée sous le tarmac des aéroports et le bitume des autoroutes géantes, les richesses naturelles vieilles de milliers d'années soufflées par les bombes atomiques, les autos en acier, les écrans de télévision et les stylos-billes. C'est un spectacle bien triste. Je ne peux pas t'en vouloir de refuser d'y prendre part. Mais je ne suis pas encore prêt à prendre ma retraite, malgré l'horreur de la situation. Si tant est qu'une retraite soit possible, ce dont je doute.
-Mais si , c'est possible, rétorqua Burns. C'est possible. je connais des endroits ici même, dans l'Ouest américain, où l'homme blanc n'a encore jamais mis les pieds.
Bondi sourit.
-Les toilettes pour femmes, tu veux dire?
-Non, dit Burns. je suis allé dans toutes les toilettes pour femmes. Je pense plutôt à quelques canyons de l'Utah, à quelques lacs de montagne dans l'Idaho ou le Wyoming.
-Peut-être, peut-être. Mais je ne suis pas encore prêt. C'est plus pratique de rester ici un moment, d'essayer de gagner ma vie honnêtement à introduire un peu de philosophie dan le cerveau des futurs ingénieurs, des futurs pharmaciens et politiciens. Ne va pas croire un seul instant que je me prenne pour une sorte de héros anarchiste. Je ne compte pas lutter contre l’Autorité, du moins pas ouvertement. J'ouvre peut-être quelques brèches clandestines."

J'ai beaucoup aimé ce dialogue philosophique entre les murs d'une prison. L'homo americanus tiraillé entre deux conceptions de la vie... Jack le représentant d'une espèce en voie de disparition, mais parfaitement adapté au mode de vie qu'il a choisi ...

Un roman d'Abbey annonçant parfaitement les suivants
"L’obéissance est une telle habitude fondamentale dans l'esprit américain contemporain que toute forme de désobéissance est considéré comme une sorte de folie." L'esprit de Thoreau (cité dans le roman) y flotte nettement.

lundi 14 décembre 2015

La madeleine et le savant

La madeleine et le savant
Balade proustienne du côté de la psychologie cognitive
André Didierjean
Science ouverte, Seuil, 2015


Pouvais-je résister à ce livre -présenté par Marque-pages ici et  - unissant deux de mes sujets chouchous, à savoir les neurosciences et Proust? (Soyez sympas, ne fuyez pas encore à toutes jambes!)

"La psychologie cognitive est une discipline dont la spécificité est d'étudier les 'fonctions cognitives', telles que l'attention, le raisonnement  ou encore la mémoire". Oui, mais encore? En quoi ça me concerne? Que raconte ce livre, en fait, est-ce lisible, est-ce long (non, 175 pages)?

Chacun de ses lecteurs le sait, Proust excelle dans la description des comportements humains et cela va bien plus loin que le souvenir grâce à une madeleine (ou des pavés inégaux). La madeleine et le savant propose donc de découvrir les résultats de recherches illustrées par des passages du roman de Proust. Une façon agréable de découvrir - et sans souffrir! En si peu de pages l'auteur ne peut entrer dans trop de détails (mais à chacun de fouiller dans la bibliographie) et il est bien possible que certaines connaissances soient déjà bien vulgarisées et connues, comme les différents types de mémoire, les faux souvenirs et la faculté des bébés à distinguer les sons de toutes les langues.

Vous croyez que certains (certaines, dit-on) sont multi-tâches? Sachez que "notre système cognitif comporte une limite structurelle qui nous empêche de traiter deux informations en même temps. Dans cette optique, lorsque nous avons l'impression d'effectuer de manière simultanée deux opérations mentales, l'une des opérations est mise en attente, le temps que la première opération soit traitée." Page 35 est expliquée une expérience permettant de confirmer. Conduire en devant traiter beaucoup d'informations (téléphone, discussion avec passager, ou même écoute de la radio) amène à ralentir le temps de réaction pour effectuer un freinage d'urgence. Je vous laisse tirer la leçon de l'information!

Je passe à Mémoire et mémorisation, chacun sait que les souvenirs sont d'autant plus ancrés qu'ils sont associés à une forte émotion, par exemple. Où étiez-vous le 11 septembre 2001, etc.

Mais comment rappeler des souvenirs bien stockés, par exemple le nom d'une personne?
Marcel Proust nous en parle (oui, longuement et en détail, mais c'est passionnant et bien observé)
"(une dame qui vint me dire bonjour en m'appelant par mon nom). Je cherchais à retrouver le sien tout en lui parlant; je me rappelais très bien avoir dîné avec elle, je me rappelais des mots qu'elle avait dits. Mais mon attention, tendue vers la région intérieure où il y avait ces souvenirs d'elle, ne pouvait y découvrir ce nom. Il était là pourtant. Ma pensée avait engagé une espèce de jeu avec lui pour saisir ses contours, la lettre par lequel il commençait, et l'éclairer enfin tout entier. C'était peine perdue, je sentais peu à peu sa masse, son poids, mais pour ses formes, les confrontant au ténébreux captif blotti dans la nuit intérieure, je me disais 'Ce n'est pas cela'.(...) Enfin d'un coup le nom vint tout entier(...) J'ai tort de dire qu'il vint, car il ne m'apparut pas, je crois, dans une propulsion de lui-même.  je ne pense pas non plus que les légers et nombreux souvenirs qui se rapportaient à cette dame, et auxquels je ne cessais de demander de m'aider (...) je ne crois pas que tous ces souvenirs, voletant entre moi et son nom, aient servi en quoi que ce soit à le renflouer. Dans ce grand cache-cache' qui se joue dans la mémoire quand on veut retrouver un nom, il n'y a pas une série d'approximations graduées. On ne voit rien, puis tout d'un coup apparaît le nom exact et fort différent de ce qu'on croyait deviner. (...) En tout cas, s'il y a des transitions entre l'oubli et le souvenir alors ces transitions sont inconscientes. Car les noms d'étape par lesquels nous passons, avant de trouver le nom vrai, sont, eux, faux, et ne nous rapprochent en rien de lui. Ce ne sont même pas à proprement parler des des noms, mais souvent de simples consonnes et qui ne se retrouvent pas dans le nom retrouvé. D'ailleurs ce travail de l'esprit passant du néant à la réalité est si mystérieux, qu'i lest possible après tout, que ces consonnes fausses soient des perches préalables, maladroitement tendues pour nous aider à nous accrocher au nom exact." (Sodome et Gomorrhe, pages 50-51)

Fort heureusement pour nous, récupérer des connaissances est souvent automatique (par exemple, prendre un ascenseur, savoir que tel jaune est celui choisi par La Poste, etc.) sinon on saturerait!
L'on sait même expliquer les impressions de 'sentiment de déjà-vu' (page 74) et là encore Marcel est au top!(les trois arbres dans A l'ombre des jeunes filles en fleur)

Pour terminer
" De nombreuses recherches expérimentales en psychologie ont montré ce même phénomène : le rappel est meilleur si la situation au cours de laquelle on souhaite se rappeler quelque chose partage des éléments de contexte avec la situation dans laquelle nous avions mémorisé cette chose." Cela fonctionne avec les lieux, musique, odeurs...
Vous savez bien qu'hors contexte on a du mal à reconnaître les gens... Notre facteur - pour rester avec La Poste- au supermarché, et récemment j'ai réalisé avoir rencontré des tas de fois à la piscine l'ex responsable de la médiathèque ... sans faire le lien!
Et puis, vous aussi, pour retrouver ce que vous êtes bien venus chercher à la cuisine, retrouvez la mémoire en revenant à l'endroit de la maison où l'idée vous est venue...

Arrivé là, je dois constater que ce livre n'est pas épuisé, vous si peut-être, rompons là, et suite un autre jour!

vendredi 11 décembre 2015

Les tribulations de Maqroll le gabier : Ecoute moi, Amirbar

Les tribulations de Maqroll le gabier
Alvaro Mutis
Grasset, 2007


Après avoir lu La neige de l'Amiral, et découvert ce mystérieux Maqroll, gabier roulant sa bosse sur toutes les mers mais ne dédaignant pas quelques aventures au coeur des terres, j'ai craqué pour ce gros volume de sept histoires autour de Maqroll. Après Un bel morir, La dernière escale du tramp steamer et Ilona vient après la pluie (ce dernier titre est l'un des plus beaux que je connaisse), voici le suivant, le cinquième, donc...

Dans Ecoute-moi, Armirbar, traduit par François Maspero, le narrateur/ami de Maqroll  retrouve celui-ci fort malade. En Californie, venant de Vancouver et prévoyant ramener des cargaisons de pierre d'Amérique du sud. Au cours de sa convalescence, il raconte ses aventures dans les montagnes d'un pays longeant le Pacifique, en proie à des troubles, l'armée recherchant brutalement des révolutionnaires et se méfiant des étrangers. Maqroll, au passeport chypriote (lui ne l'est vraisemblablement pas) réussit à passer à travers les problèmes. Son objectif là-bas est de rechercher de l'or dans des mines abandonnées près d'un village nommé San Miguel. Encore une fois, de fort belles figures de femmes traversent l'histoire (ah Dora Estela!), intense, avec échappées sur d'autres aventures narrées dans d'autres titres.

Mais peu importe, ce qui compte, c'est une ambiance particulière, et cette façon fabuleuse qu'a Alvaro Mutis de raconter des histoires.

Des trucs comme ça, par exemple, "Oui, à Rangoon : à l'époque, je m'étais embringué dans une affaire de bois de teck avec des associés anglais plus fourbes qu'un faux derviche." ou "De Vancouver j'ai gagné la Basse-Californie et là, je me suis livré au cabotage dans le golfe de Cortès, sur un bateau dont je suis devenu le propriétaire en association avec deux individus d'origine croate qui ont fini par me laisser sur le sable." Ma machine à imaginer est immédiatement en route!

Au détour d'une page je découvre une description de Maqroll, "son allure de convalescent sans foyer, avec son maillot bleu clair que je lui avais connu en d'autres temps, son ample vareuse bleu marine aux boutons de cuir noir achetée dans Dieu sait quelle friperie d'un port de la Baltique; sa casquette de marin noire d'où s'échappaient, sur les côtés, les mèches rebelles et emmêlées d'une chevelure indomptée; ses yeux agrandis, avec cette expression d'alerte permanente de celui qui a vu plus de choses qu'il n'est permis aux hommes d'en voir; et à la main son éternel sac, dans lequel il emportait deux rechanges de vêtements aussi fatigués que ceux qu'il avait sur lui,(...) et trois ou quatre livres qui ne le quittaient jamais." (lecteur acharné, il possède une histoire des chouans, les Mémoires d'outre-tombe, les Mémoires du prince de Ligne, celles du cardinal de Retz,  ... et un roman de Simenon)

Éternel aventurier, en errance, sans pouvoir se fixer, plus à l'aise sur un bateau qu'à terre... Actuellement je suis en train de terminer le gros volume de sept titres, toujours sous le charme. 

Pile poil dans Lire sous la contrainte  nouvelle session.

mercredi 9 décembre 2015

Des garçons bien élevés

Des garçons bien élevés
The Murder Bag
Tony Parsons
Editions de la Martinière, 2015
Traduit par Pierre Brévignon


De temps en temps, on aime bien une lecture susceptible de faire grimper notre taux d'adrénaline -et sans risques- alors ces garçons bien élevés sont parfaits.
Ces garçons fréquentaient il y a vingt ans la même public school (comme chacun sait, c'est une école privée), même genre qu'Eton, où n'entre pas le vulgaire désargenté. Que des garçons, bien sûr, ambiance virile et parfois sadique. Une soirée bien arrosée sous l'emprise de la drogue, et ça dérape violemment.

Vingt ans plus tard, que sont-ils devenus? Pour la plupart, ça baigne, jusqu'à ce qu'un mystérieux assassin décide de les éliminer brutalement l'un après l'autre.
Parmi les enquêteurs, l'inspecteur Max Wolfe, élevant seul sa gamine de cinq ans, gaga de son cavalier King Charles, se shootant aux litres de café bien fort, et tenace! Lui, contrairement au lecteur, ignore le début, mais il va vite comprendre et ne rien lâcher.

Les cadavres se succédant à cause d'un mystérieux vengeur des années après, c'est un classique, bien sûr, mais comme Max Wolfe on est dans le brouillard jusqu'à la fin (et l'avant dernière page donne une information qui fait froid dans le dos!)(mais j'aurais pu m'en douter si j'avais gardé certaine information en mémoire). Que la journaliste fasse cavalier seul (et en soit bien punie), que Wolfe justement décide de foncer à la fin sans attendre ses collègues- alors qu'il n'y avait aucune urgence- , que le témoin décidé à parler disparaisse juste avant, c'est aussi du classique. Cependant, ça fonctionne, bon suspense, bon découpage, bon rythme. Plus des petits détails qui humanisent les personnages.
(C'est le début d'une série, bonne nouvelle).

Les avis de Parenthèse de caractère,

Merci à Anaïs et à l'éditeur (dont j'ignorais qu'il publiait du polar!)

lundi 7 décembre 2015

Vrac de (bonnes) BD

En coulisse je lis régulièrement des BD, et parfois j'en empaquette quelques unes en un billet.

Ainsi se tut Zarathoustra
Nicolas Wild
La boîte à bulles, 2014


Nicholas Wild est l'auteur de Kaboul Disco (repéré, je rêve de lire ça), mais cette fois il entraîne le lecteur en Suisse et en Iran.
Connaissez-vous les Zoroastriens? Adeptes d'une des plus vieilles religions monothéistes, Zarathoustra étant son prophète. Le feu est un symbole divin. Ce fut la religion officielle des Perses avant l'islam. (tout cela je le prends dans la BD). "Le symbole le plus connu est le frahawar, l'homme ailé, dont les trois rangées de plumes rappellent l'un des préceptes de la religion, bonnes pensées, bonnes paroles, bonnes actions."
Fronton du temple zoroastrien de Yazd
Cette religion est tolérée en Iran. Une recherche sur internet m'apprend que plusieurs exilés iraniens et zoroastriens ont été assassinés il y a peu d'années. Nicolas Wild imagine donc la vie d'un responsable zoroastrien, et le procès de son assassin, en plus d'un voyage en Iran, accompagnant la fille du défunt.
Une tour du silence où l'on disposait les corps des défunts
Inutile de dire que j'ai posé avec plaisir mes pas sur ses traces, et apprécié cette BD instructive et non dénuée d'humour.

L'auteur s'exprime ici
"Ce livre est un dialogue, le regard d’un étranger sur l’Iran d’aujourd’hui. Lors de mon voyage, je réalisais des croquis mais j’étais aussi accompagné par un photographe car je ne pouvais pas dessiner tout le temps. Entre BD-reportage et intrigue imaginaire, j’ai tissé mon récit autour du réel. Les paysages m’ont largement impressionné, et en dehors de la dimension politique, je voulais rendre hommage à la magie de ce pays. De retour en France, j’ai procédé en toute sincérité pour rendre compte également de toute cette communauté iranienne immigrée nostalgique d’un Iran plus tolérant, avide d’une reconnaissance de la richesse culturelle iranienne."

Quelques planches sur le site de l'éditeur.

Crédit photo : moi en juillet 2009.

Une année au lycée
Deuxième guide de survie en milieu pédagogique numérique
Fabrice Erre
Dargaud, 2015

Après le Tome 1, il y a ? Oui, le Tome 2 (merci pour ceux qui suivent, là au fond).
Et c'est reparti pour une nouvelle  année scolaire au lycée, plus précisément en histoire géographie. Les pages ont paru sur le blog de l'auteur, mais il ajoute des gags réponses à ses commentateurs.

Attention, possibilités de rires bruyants, si vous n'êtes pas seuls. Un livre qui fait du bien.

"Hein? - Mais non, voyons, enfin! - La Jordanie n'est pas le pays des Jordan!"

Et Inès-Amélie faisant des mines devant son ordi non allumé. Le prof "Il n'est pas allumé?" L'élève "Va-t-il s'apercevoir que je m'en sers de miroir? ..." Le prof "Ne me dites pas qu'elle s'en sert de miroir!..."

Enfin sachez que les profs n'ont pas le droit de
"Continuer à parler après la sonnerie.
Classer les copies dans l'ordre décroissant.
Dire qu'en 20 ans d'enseignement 'c'est la première fois que je vois une classe pareille!!'
Donner de faux espoirs : Donc mardi, pas cours avec vous, j'ai une réunion...(ouéééééééé!!) Ah! non! pardon! c'est pendant l'heure des 1ereS, pas la vôtre... (oooooooooo!...)
Mettre 9,5/20"

Avec aussi des réflexions plus profondes sur l'actualité et notre monde... Par exemples les réactions post-attentats des lycéens.

vendredi 4 décembre 2015

Le mystère du Hareng Saur

Le mystère du Hareng Saur
One of Our Thursdays Is Missing
Jasper Fforde
10/18, 2015


Le billet de cathulu annonçant la sortie en poche (ma CB te dit merci), et hop, achat compulsif en librairie... Parce que Jasper Fforde, c'est ma came. Au point de le lire en VO (mais ça m'a un peu passé, on s'use les yeux avec ces poches en anglais)(voir ici où d'ailleurs je rappelle pas mal d'informations sur la série, et je n'ai pas envie de recommencer, ça va comme ça, non mais quand même)

Faut-il vraiment tenter de résumer ce nouvel opus? (alors que déjà je sais que le suivant est paru - en VO- oui, je sais). Dans le Monde des livres c'est un peu le train-train pour Thursday Next, pas la vraie, celle de fiction, qui gère les lectures de la série (il suffit d'être prêt quand un lecteur se pointe). Bien moins maligne et plus incompétente que Thursday Next, la réelle, elle se voit chargée d'enquêter sur un accident -qui n'en serait pas vraiment un- ses supérieurs espérant visiblement son échec. Poursuivie par de tenaces et violents Hommes en plaid, recherchant Thursday Next y compris dans le monde réel (chouette description de ses impressions de ce monde réel...)(le nôtre ou presque, faut suivre), jouant les remplaçantes au pied levé pour éviter la guerre entre le Roman Grivois et la Littérature Féminine, menant l'enquête avec son robot-majordome, et tâchant d'éviter un soupirant accusé d'avoir mis le feu à un bus rempli de religieuses et de chiots (de chiots orphelins, qui plus est)(et je ne vous parle pas des chatons; ah Fforde manie l'humour au n-ième degré, j'adore).

Ce bref résumé devrait suffire à vous convaincre qu'il vaut mieux plonger dans ce truc foutraque sans trop se poser de questions. Au premier degré, c'est un polar qui se tient pas mal, suspense, poursuites, méchants, etc. , et plus profond un joli coup d'oeil sur notre monde, les catégories de livres (ah les comptes d'auteurs!), les clichés dans les romans (j'ai adoré le voyage en bateau) et même les astuces utilisées dans les feuilletons (connaissiez-vous le Bobby-Ewing?) Bref, c'est brillant, inventif, plein d'humour, et des idées quasiment sans discontinuer! Quand je pense qu'il faut encore tant de temps avant d'avoir la suite en poche...

Pour ceux qui ne connaissent pas (encore), faut-il lire dans l'ordre? Je pense que si, alors voilà :
La série Thursday Next
  1. L'affaire Jane Eyre (The Eyre Affair), 
  2. Délivrez-moi ! (Lost in a Good Book), 
  3. Le Puits des Histoires Perdues (The Well of Lost Plots), 
  4. Sauvez Hamlet ! (Something Rotten),
  5. Le début de la fin (First Among sequels), 
  6. One of our Thursdays is missing, Le mystère du Hareng Saur, ce bouquin ci, donc.
  7. Petit enfer dans la bibliothèqueFleuve2014 (  The Woman Who Died a Lot2012)(ah je veux le lire!)

mercredi 2 décembre 2015

Relire

Relire
Enquête sur une passion littéraire
Laure Murat
Flammarion, 2015


"C'est peu dire que ce livre s'inscrit à contre-courant. A l'heure où les réseaux sociaux imposent une vitesse supersonique à nos échanges, de préférence limités à cent quarante caractères, où l'on n'entend que cris et lamentations à propos de la disparition des librairies et de l'érosion du lectorat, un essai sur la relecture, éloge inévitable de la lenteur et hommage à la récidive, passera pour une provocation. Disons plutôt : un défi. Celui d'accéder au noyau dur de la passion littéraire, dont la relecture est à la fois le symbole et la métaphore."

En 2013 Laure Murat envoya un questionnaire sur la relecture à deux cents "grands lecteurs" (écrivains ou gens du livre, français ou francophones). La moitié ont répondu, elle a dépouillé les questionnaires, écrit une intéressante synthèse, et choisi de reproduire les réponses de vingt d'entre eux.

Parmi les auteurs cités comme relus, 93% d'hommes et 7% de femmes. Aucun homme (à une exception près), n'a cité de femmes. 59% des auteurs cités sont francophones et parmi le reste, 45% d'anglophones. Proust arrive largement premier et fait l'objet d'une question particulière, d'ailleurs.

Dans son billet Cuné s'est intéressée plus fortement que moi aux réponses aux questionnaires, assez dissemblables, certaines longues et/ou amusantes, contradictoires entre elles parfois, passionnées pour certaines, assez sèches pour d'autres. Allez voir chez elle pour les passages cités!

Bien évidemment il est difficile de lire ce "relire" sans interroger nos propres pratiques (et j'en ai profité pour ajouter sur mon blog une rubrique "relecture", qui d'ailleurs était en projet). On y trouve pas mal de relectures à l'occasion de lectures communes (pour entraîner une blogueuse rétive ou non), ou du Blogoclub, ou la Chaîne des livres. Mais aussi quelques choix sans pression extérieure aucune. De toute façon, pour relire, il faut déjà que je sache que le plaisir sera là! Quitte à ce qu'il le soit moins que prévu...

"Une bibliothèque, ce serait donc d'abord cela: un réservoir à relectures potentielles. Selon ce principe : je veux pouvoir être sûr, même si l'occasion ne se présentera jamais, de pouvoir un jour accéder à telle oeuvre, dans telle édition annotée, et retrouver l'émotion de ma première lecture."

Le billet de cuné qui a déclenché l'achat compulsif...
Et celui de Dominique, paru juste aujourd'hui !!!

lundi 30 novembre 2015

Les temps sauvages

Les temps sauvages
Yeruldelgger
Ian Manook
Albin Michel, 2015


Yeruldelgger, le retour. Toujours aussi attaché à sa Mongolie, traînant les mêmes casseroles affectives (en dépit de la sécurité amoureuse auprès de Solongo) avec sa fille, son ex beau-père, etc., intraitable, cavalier seul, de plus en plus, violent et parfois cruel. Bon flic, oui, mais on aimerait qu'il sorte moins vite son arme (OK, faut survivre, mais quand même)

Cette fois on l'accuse d'un meurtre, un yack atterrit, des incendies se déclenchent inopinément, Oyun tombe raide amoureuse, et l'enquête se déplace en Sibérie et ... au Havre! (oui, chez nous). C'est l'occasion de constater que les plats traditionnels mongols paraissent moins attractifs (la tête de chèvre!) que les recettes normandes, roboratives, oui, mais miam!

Parfois l'on a du mal à suivre, pas de longueurs ça non, on ne souffle pas! A la fin c'est Yeruldelgger qui gagne, mais pas sans casse.

Ian Manook s'amuse parfois à pasticher
"Et qui te dit que j'ai envie de t'entendre, chinetoque? Les fouille-merde, je les mets sur écoute, moi, je les fracasse. Je vais te mettre sur la feuille de match, et pas pour réchauffer le banc! Je vais te montrer qui c'est, Rebroff. Aux quatre coins de la toundra qu'on va te retrouver, congelé par petits bouts, façon glace pilée. Moi, quand on cherche le brassage, je cogne plus : je slap shot, je drop le puck, je pète la rondelle!"
"C'est curieux, hein, ce besoin des cons de faire des phrases"

Les avis de Hélène, (le même passage qu'elle!), pareil que Yv (décidément!,  saxaoul,

vendredi 27 novembre 2015

Boussole

Boussole
Mathias Enard
Actes sud, 2015



Oui, difficile d'éviter le bandeau, mais je désirais lire ce roman bien avant, d'autant plus que des avis divergent sur le sujet (voir plus bas).
Pour une fois, je ne serai pas à l'ouest, mais à l'est!

A Vienne, lors d'une longue nuit d'insomnie, le musicologue/ chercheur/ enseignant Franz Ritter laisse filer ses souvenirs. Son amour pour Sarah, elle aussi orientaliste, pour l'orient, le fascinant orient, aux portes de Vienne il y a quelques siècles, et que depuis écrivains, peintres, compositeurs, aventuriers (et aventurières) ont cherché à connaître et explorer. Les évocations de ses propres séjours à Istanbul, en Syrie, en Iran, se mêlent à celles de ses prédécesseurs, formant un tout extrêmement érudit et complet, fluctuant, vagabond et captivant.

Alors, digeste ou pas? Si l'on prend le parti de se laisser entraîner au rythme choisi par l'auteur, sans trop vouloir vérifier si tout est vrai, si l'on aime les digressions et les aventures dans ces contrées, si les étoiles brillent dans vos yeux quand il est question de musique et d'orient, alors oui, le voyage est fort agréable. Je me suis même carrément amusée de l'humour au second degré, du côté looser plein d'autodérision de Franz Ritter (et appeler sa mère maman, c'est proustien on va dire), bref c'était mon premier Enard et pas le dernier j'espère. Mais je comprends parfaitement que le baklava puisse être lourd à la longue.

On l'aura compris, c'est un roman avec du souffle, foisonnant, et au détour d'une phrase, des remarques:
"Je ne veux pas me plonger dans ces noms de maladie, les toubibs ou les astronomes aiment à donner leurs propres noms à leur découvertes, les botanistes, ceux de leur femmes - on peut à la limite comprendre la passion de certains pour parrainer des astéroïdes, mais pourquoi ces grands docteurs ont-ils laissé leurs patronymes à des affections terrifiantes et surtout incurables (...)"
Le passage sur l'éviction de Germain Nouveau de la Pleiade est bien drôle aussi.(page 208/209); ou le détachant pour uniformes nazis (page 221)

Ce désert bédouin semble avoir attiré les femmes comme des mouches. Lady Anne Blunt, qui possédait le stradivarius portant son nom, Annemarie Scharzenbach, Ella Maillart,  Martha d'Andurain, propriétaire de l'hôtel Zénobie à Palmyre (mais quelles vies où réalité et fantasmes se mêlent, des années après...)

Le nom de Lucie Delarue-Mardrus, dont le mari Henri Rabaud traduisit les mille et une nuits, a fait tilt (mais quelle vie là aussi!), Rabaud a composé Mârouf, savetier du Caire, et une pensée me titillait, 'mais j'ai déjà entendu parler de ça!', je vérifie et bingo, cela a été donné récemment  à l'opéra comique (en 2013)

Pour terminer dans l'ambiance, voici un titre offert à Sarah par Franz, Kraj tanana sadrvana

Les avis de Mina,    Sandrine,  culturelle,
Le billet de L'or des livres, avec illustrations, exemples, etc

mercredi 25 novembre 2015

Que voit-on quand on lit?

Que voit-on quand on lit?
What  we see when we read, 2014
Une phénoménologie avec illustrations
Peter Mendelsund
Robert laffont, 2015
Traduit par Odile Demange

L'auteur est directeur artistique chez Albert A. Knopf et Pantheon Books, également pianiste classique, et vit à New York.


"La mémoire est faite d'imaginaire; l'imaginaire fait de mémoire."

Nous lisons des romans, nous lisons (peut-être) Anna Karénine, Moby Dick, Voyage au phare, Jane Eyre, Madame Bovary, Le bruit et la fureur, Ulysse, A la recherche du temps perdu (mais point n'est besoin ici de les avoir lus); nous avons conscience que quelque chose se passe dans notre tête, mais quoi? Nous nous représentons Anna Karénine, mais Tolstoï en dit peu, alors ce que nous voyons d'elle est-il semblable à ce que voit un autre lecteur? L'abondance de détails permet-elle de mieux 'voir'? Quelle est la part de l'imagination? De la mémoire?
Représentation d'Anna Karénine  réalisée par un logiciel de portrait-robot de la police à partir des descriptions du texte de Tolstoï (http://www.theparisreview.org/blog/2014/08/14/what-we-see-when-we-read/)
Ces questionnements, ces réflexions, et bien d'autres encore font le sel de ce volume assez gros comportant moitié de texte (en gros caractères) et moitié illustrations, ce qui avouons-le est beaucoup plus digeste et permet d'utiles respirations.

"On ne devrait voir d'adaptation filmée d'un livre qu'on aime qu'après avoir pris en compte, très soigneusement, que la distribution du film a de fortes chances de remplacer définitivement les personnages du livre dans notre esprit. C'est un risque parfaitement réel."
Par exemple pour moi maintenant Autant en emporte le vent, ce sont ces deux là:
"Certains lecteurs ont-ils une imagination plus précise que d'autres? Ou l'imagination qui accompagne la lecture est-elle une ressource dont nous sommes universellement et uniformément dotés?"
"Les livres nous autorisent certaines libertés - nous sommes libres d'être mentalement actifs en lisant; nous participons pleinement à la création (à l'imagination ) d'un récit."

Quand nous lisons une histoire se déroulant en un lieu inconnu, nous nous accrochons à notre connu. Pour l'auteur la maison d'été des Ramsay ressemble à celle louée par sa famille au Cape Cod. "Nous exilons, rapatrions les personnages dans des pays que nous connaissons mieux."

J'ajouterai qu'il peut exister une expérience intéressante à la relecture d'un roman après avoir visité le lieu où cela se déroule (ou même sans. Quand je relis j'imagine parfois autrement les lieux, ou semblablement, j'ignore pourquoi. Vous êtes semblables ou c'est moi seule?)

"Les images que nous 'voyons' en lisant sont personnelles: ce que nous ne voyons pas, c'est ce que l'auteur a imaginé en écrivant tel ou tel livre. Autrement dit: tout récit est destiné à être transposé; traduit par l'imagination. traduit par des associations. Il est nôtre."

"Lire un roman ne revient-il pas à mettre en scène une sorte de pièce de théâtre privée? "

Pour terminer (provisoirement), sachez que je n'ai pas épuisé toutes les richesses de ce livre original...

lundi 23 novembre 2015

Le puits de solitude

Le puits de solitude
The well of loneliness, 1928
Marguerite Radclyffe Hall
L'imaginaire, Gallimard, 2007
Traduction de Léo Lack (1932)



Je ne me souviens plus pourquoi il y a des mois déjà A Girl m'a raconté qu'une de ses collègues lui avait parlé avec enthousiasme de sa lecture du puits de solitude (pas envie de fouiner sur Facebook). Ce roman étant présent à la bibli, en dépit de quelques ronchonnements sur l'écriture qui avait l'air a priori 'pas mon truc' et la taille de la bête (572 pages), j'ai cédé pour une lecture commune 'à condition que j'accroche'. La curiosité me perdra. Curiosité parce que ce roman de 1928 fit à l'époque scandale en Grande Bretagne (et obtint un joli succès au Etats-Unis)  à cause de son sujet. Radclyffe Hall (1880-1943) était une romancière anglaise née dans une famille aisée, vivant en couple avec des femmes et portant des habits masculins, tout comme- sans trop en dévoiler- son héroïne de roman (voir photo plus bas).

Curiosité, odeur de soufre, oui sans doute, mais il fallait tout de même que ce roman ait (à mes yeux du moins) une certaine qualité littéraire. Quelques pages ont suffi pour m'en convaincre.

Un peu de l'histoire:
Dans leur belle propriété de la campagne anglaise, Sir Philip et Lady Anna Gordon s'aiment toujours passionnément lorsqu'après dix ans de mariage est annoncé un héritier, qu'il est prévu de prénommer Stephen. Une fille naît, qui sera Stephen quand même. Ses premières années se passent merveilleusement bien, avec une nanny puis une gouvernante. Elle aime se déguiser en Nelson, insiste pour monter à califourchon, va à la chasse au renard et fait l'admiration de son père pour ses talents de cavalière. Seules ombres au tableau, la retenue gardée par sa mère à son égard, le peu de goût pour les jeux de filles et la disparition d'une femme de chambre aimée sans trop de retenue. Son père, lecteur de Karl Heinrich Ulrichs et de Krafft-Ebing, pressent quelques vérités et n'en aime que plus sa fille, la chérissant et la protégeant.

"Mais Sir Philip posa de nouveau son regard sur elle, et il y avait de l'amour dans ses yeux, de l'amour et quelque chose qui ressemblait à de la compassion.(...) 'Vous êtes tout le fils que j'aie, dit-il. Vous êtes courageuse et saine, mais je désire que vous soyez sage... je désire que vous soyez sage dans votre propre intérêt, Stephen, car même en mettant les choses au mieux, la vie demande une grande sagesse. Je désire que vous appreniez à vous faire des amis de vos livres; vous pourriez en avoir un jour besoin, parce que...' il hésita, 'parce que vous pourriez ne pas toujours trouver la vie facile (...) et que les livres sont de si bons amis.
Un père extraordinaire, permettant à sa fille escrime et gymnastique, et insistant pour qu'elle développe aussi son esprit.

Vivant à l'écart dans la propriété où sa famille a ses racines, Stephen donne une impression d'innocence voire de naïveté, mais elle sent les choses.
"Les yeux des jeunes gens ne laissent pas d'être observateurs. La jeunesse a ses instants d'intuition aiguë, même la jeunesse normale, mais l'intuition de ces êtres qui se tiennent entre les deux sexes est si impitoyable, si poignante, si précise, si implacable qu'on dirait que cela constitue un châtiment supplémentaire."

Là c'est Radcliffe qui parle, car il faut encore des pages pour qu'après avoir cru à une belle amitié masculine (le jeune homme avait d'autres objectifs!) elle réfléchisse. "Mais qu'était-elle? Ses pensées remontaient à son enfance et elle trouvait dans son passé des faits qui la laissaient perplexe. Elle n'avait jamais été tout à fait semblable aux autres enfants, elle avait toujours été seule et insatisfaite, elle  avait toujours essayé d'être quelqu'un d'autre. (...) Seule... il était terrible de se sentir si seule... de se sentir différente des autres."

Hélas son père, le seul qui pourrait l'aider en lui disant la vérité, n'ose pas, par amour. Quand il disparaît, elle s'amourache de l'épouse d'un voisin, puis se voit contrainte de partir à Londres. Son premier roman paraît. Puis sur le front lors de la première guerre mondiale elle conduira une ambulance et connaîtra le Paris des années 20, fréquentant surtout ce qu'on appelait des invertis (Radcliffe utilise ce mot, ainsi que 'normal' et même le n-word). Mais je ne veux pas tout raconter, je passe une grande partie, triste et belle, de ce roman.

Impressions
Ce roman étant sans doute grandement inspiré du vécu de l'auteur, ce n'est pas toujours bien joyeux... Mais elle a su rendre son héroïne attachante dans son ignorance et son désarroi initiaux, puis sa révolte à se voir refuser une vie comme celle des autres, devant se cacher ou mentir.
Les passages sur le front de guerre et la vie mondaine dans certains milieux parisiens est passionnante. D'ailleurs tout le roman est intéressant, j'ai bien sûr aimé la finesse des ressentis de Stephen, et la façon dont la nature est décrite, c'est original et plein de fraîcheur (non, pas de longueurs)

Donnons la parole à Violet, une voisine de ses parents
"C'est une vraie pitié que vous vous habilliez ainsi, ma chère, une jeune fille est tellement plus attrayante quand elle est féminine.... ne pensez-vous pas que vous pourriez féminiser un peu vos vêtements? Je suppose que vous désirez vous marier, n'est-ce pas? Aucune femme n'est complète tant qu’elle n'est pas mariée. Après tout, aucune femme ne peut réellement rester seule, elle a toujours besoin d'un homme pour la protéger."

Finalement, ce roman, même s'il est très soft, demeure bien clair et défend les 'invertis', réclamant le droit de fréquenter qui ils veulent. De vivre avec qui ils veulent. Stephen regarde avec envie la liberté des couples mariés et avec enfants...

Les seuls trucs un peu datés que je relève (mais je suis espiègle) ce sont des remarques sur, par exemple, la 'vaillance celtique' ou 'nul homme n'est un plus fidèle amant des arbres qu'un Allemand.'
Una Elena Troubridge and Radclyffe Hall
http://spartacus-educational.com/Wradclyffe.htm
L'avis de A Girl et de

vendredi 20 novembre 2015

Aborigènes

Aborigènes
avec les derniers nomades d'Australie
Eddie Mittelette
Transboreal, 2015



La présentation de l'auteur sur le site de l'éditeur est parfaite (je la découvre après avoir terminé ce récit...) car elle montre bien qu'Eddie Mittelette en a sous la pédale question Australie et ne s'est pas lancé comme ça en 2010 puis 2013 à vélo dans l'ouest australien pour rencontrer les Martu et vivre quelques mois avec eux. Fasciné par le récit de l'expédition Peasley en 1977 destinée à récupérer un couple d'Aborigènes en plein désert (les derniers à vivre ainsi?) et champion de boomerang (j'ignorais qu'il existait des compétitions internationales), il désire passer du temps avec certains des habitants du désert et séjourne avec la tribu Martu, dont il nous fait découvrir la vie, entre modernisme et tradition. L'on sent parfaitement son respect lucide à l'égard des personnes rencontrées. Il ne nous impose pas des pages et des pages arides sur leur histoire et leurs façons de vivre, leurs problèmes de santé par exemple et les spoliations dont ils ont été victimes, mais il en dit juste assez, au lecteur d'aller plus loin en compulsant l'abondante bibliographie (et une bibliographie commentée, ça c'est excellent!)(et même filmographie et discographie commentée, une vraie mine!)

J'ai dévoré ce récit, qui a trouvé le juste équilibre en longueur, je viens de le signaler, non dénué d'humour et bourré quand même d'informations sur la faune et la flore, en plus du récit de rencontres personnelles fortes.

Des artistes contemporains
Tableau de Maureen Poulson Napangardi (http://www.jgmart.co.uk/maureen-poulson-napangardi/)
Tableau de Clifford Possum Tchapaltjarri, Rock Wallaby Dreaming (http://www.aborigene.fr/products?field_artiste_value=Clifford%20Possum%20Tjapaltjarri&field_couleur_value=)

Le Kiwirrkurra Band, qui "possède deux particularités, et non des moindres: être le groupe le plus isolé au monde et interpréter ses chansons dans le dialecte (pintupi) le plus ancien encore parlé sur terre (depuis environ quarante-cinq mille ans). A la croisée du rock et du reggae."
(remarquer le ballon ovale de footy)
Un grand merci à Marc Alaux qui devine que mes voyages avec Transboreal sont toujours  réussis!

mercredi 18 novembre 2015

Khomeini, Sade et moi

Khomeini, Sade et moi
Abnousse Shalmani
Grasset, 2014

Abnousse Shalmani est née en 1977 à Téhéran. Toute jeune elle a choisi de lutter à sa façon contre les "corbeaux" et les "barbus", jusqu'à l'exil de sa famille à Paris en 1985. Mais les corbeaux et les barbus ne sont hélas pas tous en Iran...

"J'ai trouvé dans l'étude du passé la meilleure voie pour comprendre mon enfance et partager une mémoire commune avec le pays qui m'a recueillie après l'exil. Je suis née plusieurs fois. Une fois un jour d'avril, une autre fois en retirant mon voile et en imposant ma nudité, une troisième fois en foulant le sol français, une autre fois enfin en ouvrant un livre de Zola et en découvrant la littérature libertine du XVIIIème siècle français. "

Autobiographie, pamphlet, cri, plaidoyer, ce récit enthousiasmant, dont j'ai démarré la lecture un certain vendredi 13 novembre au soir dans la sécurité confortable de mon lit et terminé le lundi suivant, a eu une résonance supplémentaire.

Abnousse Shalmani rend hommage à son père, qu'elle surnomme Haute tolérance. "Il écoutait, il proposait, il mettait en débat, mais jamais aucune décision n'était définitive, aucune logique n'était imposée. Il nous laissait non pas la liberté de faire ce qu'on voulait, mais la liberté de réfléchir à ce qu'on voulait. (...) Si j'ai si vite aimé les livres, c'était à force d'observer mon père. (...) Si j'ai voulu être écrivain, c'est parce que mon père aimait lire."   "Un père qui brise la tradition pour donner autant de chances à sa fille qu'à son fils, c'est l'assurance pour une femme de ne jamais se croire inférieure à un homme."

Très vite la littérature française devient indispensable. A juste seize ans elle découvre Pierre Louÿs, et son père (toujours lui!) l'aide à se procurer cette littérature érotique. Ensuite elle plonge dans la littérature libertine du XVIIIème siècle et nous en donne une présentation (qui plairait à Mina) vibrante et révolutionnaire(pour moi en tout cas). Puis c'est Sade, bien sûr.

Féministe, oui, du franc parler, contre les empêcheurs de penser et vivre, contre les barbus et corbeaux, contre le voile, faisant face aux incompréhensions autour d'elle. Pages poignantes quand elle évoque cette amitié n'ayant pas survécu au 11 septembre 2001. Puis voici les printemps arabes, puis Mohamed Merah... Puis le récit s'arrête en 2013.

Alors il faut lire absolument ce livre engagé, puissant, fort.

Les avis de Delphine, qui mène vers d'autres liens. Et de second flore .

Auteur rencontrée au salon du livre de Châteauroux; la photo n'a pas été aisée à prendre, avec Erwan Larher juste derrière qui faisait l'imbécile. Erwan blessé au Bataclan, et à qui je souhaite de vite revenir mettre l'ambiance dans les salons du livre!

(On voit bien derrière la chevelure d'Abnousse sa voisine)(à gauche c'est l'épaule de Bertrand Guillot)(quelle fine équipe)
Erwan, tes fans pensent à toi!

lundi 16 novembre 2015

Les animaux en bord de chemin

Les animaux en bord de chemin
Marc Giraud
delachaux niestlé, 2015


Difficile de poster après ce vendredi, que choisir? Alors comme France Musique qui diffusait de la douceur dimanche vers midi, je propose un livre qui fait du bien...

Après La nature en bord de chemin, comment résister à Les animaux en bord de chemin? Oui, les animaux bien de chez nous, pas réservés aux campagnards d'ailleurs, et les citadins attentifs sauront eux aussi les repérer et les observer!

Les photos sont toujours aussi magnifiques (et sans doute le résultat d'heures d'affût respectueux), la mise en page et le découpage en chapitres et rubriques dynamisent la lecture (décodez les comportements, les animaux se nourrissent, s'expriment, s'aiment, élèvent leurs petits, etc.), les textes accompagnent les photos, ils informent et surtout ne sont pas dénués d'humour. Accessible à tous, recommandé à tous!

Un peu au hasard de ce (chouette) bouquin :
Le cochon: "La boue rafraîchit l'animal, car il ne transpire pas, et élimine ses parasites. Les cochons 'sales' élevés en plein air ont de meilleures défenses immunitaires et sont en bien meilleure santé que ceux des élevages industriels."
"Le cochon est intelligent : il fait partie des espèces qui ont réussi le test du miroir."

Le chat : "Un chat couvert de boue peut se nettoyer entièrement en quelques heures. Hélas pour eux, ceux qui se frottent le dos sous les voitures s’imprègnent de produits toxiques en se léchant."
Certaines espèces s'adaptent à l'urbanisation constante, comme le faucon crécerelle et le renard roux."

L'escargot : "Autant de dents qu'un requin"!

Les toiles d'araignée : "La construction est un comportement programmé: une araignée ne sait tisser sa toile que du début à la fin. Elle est incapable d'en reprendre une qui serait déjà commencée."

Les escargots: "Monsieur/Dame escargot est à la fois mâle et femelle. A chaque fois qu'il rencontre un congénère, c'est donc un partenaire sexuel potentiel. Pratique, quand on avance si lentement, et qu'on a si peu de chances de multiplier les contacts."

Les parades nuptiales, par exemple le grèbe huppé (et en pleine ville, si j'en crois les bruits de fond...)

La mante religieuse, ne mange (parfois) le mâle que "parce qu'elle a besoin de protéines pour fabriquer ses oeufs : la mante a inventé la pension alimentaire."

Les poussins :
Les futurs poussins encore dans l'oeuf de poule échangent des pépiements et communiquent entre eux!
"Un poussin picore mieux devant une maquette de poule que tout seul."

L'auteur nous en parle ici

Challenge Lire sous la contrainte