vendredi 30 août 2013

Triburbia

Triburbia
Karl Taro Greenfeld
Philippe Rey, 2013
Traduit par Françoise Adelstain



Vous aimez New York? (Là j'en vois qui ont déjà sorti leur passeport) Manhattan? (J'en entends qui soupirent)
Cap donc sur le quartier de Tribeca (acronyme de Triangle below Canal Street)

D'assez courts chapitres axés sur différents habitants de Tribeca, ayant pour point commun de partager un petit déjeuner après avoir déposé leurs enfants à la même école, permettent de suivre l'évolution du quartier (où habiter un loft n'est pas accessible au premier venu!), en un kaléidoscope maîtrisé et passionnant.

 "Qu'est-ce qui les rassemblait? Encore maintenant, ils se posaient la question. L'ingénieur du son regardant Sumner avec dégoût, l'auteur dramatique qui ne voyait dans le sculpteur qu'un goy à l'esprit médiocre, les mémorialiste qui leur en voulait à tous de n'avoir pas pris sa défense quand on l'avait cloué au pilori, le photographe se demandant régulièrement pourquoi il trainait avec cette bande de médiocres. C'est par hasard qu'ils avaient des enfants à peu près du même âge fréquentant la même école. Et le vague sentiment de parenté qu'ils éprouvaient, ils le devaient à ce qu'ils n'étaient pas - ni avocats, ni banquiers, ni dirigeants de sociétés d'investissement, comme tant de ceux qui débarquaient maintenant à Tribeca."
Hudson Street

"Les riches d'ailleurs semblaient arriver en nombre sans cesse croissant. Au début, elle n'avait pas remarqué le changement : la disparition des Ford cabossées au capot aussi long qu'une table de ping pong et des break Volvo avec de la toile adhésive en guise de vitre arrière au profit des Mercedes et Land Rover dernier cri, garées le long des trottoirs et l'air abandonné sous l'éclairage triste de la rue, mais rutilantes, attirant le regard, et malgré cela pouvant rester intactes de journées d'affilée, signe de l'embourgeoisement du quartier."

Un quartier pluriculturel, pluriethnique et religieux, et bobo, en gros.

J'ai beaucoup aimé ce roman, qu'on ne lâche pas, tellement l'auteur (à suivre, certainement!) excelle  à croquer ses personnages et à installer le lecteur directement dans le vif du sujet.

L'auteur, dont c'est le premier roman, habite Tribeca, il est né à Kobé d'une mère japonaise et d'un père américain.

Merci à l'éditeur pour cette jolie surprise dans ma BAL...Ainsi qu'à Anne et Arnaud.

mercredi 28 août 2013

Angle d'équilibre

Angle d'équilibre
Angle of repose
Wallace Stegner
Phebus libretto, 2003
Traduit par Eric Chédaille
Prix Pulitzer 1972




"N'ayant point d'avenir à moi, pourquoi ne me tournerais-je pas vers le tien?"

Souffrant d'une grave maladie invalidante, dont la cause probable ne sera abordée qu'une fois au cours du roman (faut être vigilant), Lyman Ward a dû être amputé (et sa femme est partie avec le chirurgien...). Il se lance dans la rédaction d'une biographie de sa grand mère, Susan Ward, à partir de documents divers, dessins et articles, et surtout les lettres envoyées à sa grande amie Augusta. D'ailleurs ce roman est directement fondé sur les lettres d'une certaine Mary Hallock Foote.

Susan, jeune dessinatrice prometteuse de l'est des Etats Unis, épouse dans les années 1870 Oliver Ward, un ingénieur qui ne trouvera de travail que dans l'ouest du pays, encore peu habité et développé. Écartelée entre le milieu intellectuel laissé derrière elle et sa fidélité et son amour pour son mari, Susan sera une "dame" dans cet ouest rude. Qu'on se l'imagine en robe longue, col montant, taille serrée, jupon, et toujours un carnet de croquis.

Lyman a connu ses grands parents (qui vécurent jusqu'à des quatre-vingt dix ans) et cherche à comprendre ce qu'ils ont pu ressentir au fil de leur existence commune (ou pas, car ils furent séparés de longs mois quand Oliver travaillait dans un endroit peu propice à l'installation d'une famille), au long de petites réussites, mais surtout de "désirs émoussés, d'espoirs ajournés ou abandonnés, d'occasions ratées, de défaites acceptées, de chagrins endurés."

En plus d'une belle évocation  de l'ouest américain en cours de développement, un beau portrait de femme. Ne pas s'attendre à des événements toujours extraordinaires, quoiqu'il y eut des drames. Stegner est bien sûr suffisamment habile pour entremêler deux récits, passé et présent, ne laissant pas ignorer quand Lyman Ward imagine ce qu'il ne connaît pas avec certitude (à l'époque de Susan Ward, on n'étalait pas au grand jour certains aspects de sa vie privée, comme il regrette que le fassent les jeunes femmes de 1969). Les dialogues justement entre Lyman et la jeune femme qui l'aide à classer les documents m'ont d'ailleurs plus fait ressentir un décalage temporel que la vie dans les campements miniers en 1880...Peace and Love, c'est loin tout ça.

Wallace Stegner (1909-1993) est un des "écrivains de l'ouest" et évidemment un incontournable. Belle finesse dans l'étude psychologique et la description de la nature.

Des avis chez Lecture/Ecriture et

Challenge Pavé de l'été chez Brize (eh oui, plus de 700 pages, mais qui méritent découverte)


lundi 26 août 2013

Voyage aux îles de la Désolation

Voyage aux îles de la Désolation
Emmanuel Lepage
Futuropolis, 2011? 2013?


"Ce qui est étrange avec le voyage, c'est qu'on ne comprend qu'après - et encore pas toujours- ce qu'on est allé chercher."


Quand on propose au dessinateur Emmanuel Lepage d'embarquer à bord du Marion Dufresne pour une mission de ravitaillement dans les TAAF (Terres Australes et Antarctiques Françaises), il réfléchit, euh... 15 minutes. Le rêve! Son rêve (il n'a jamais navigué mais dessine des navires depuis l'enfance)! Celui de beaucoup! (Le mien maintenant!)

Archipel de Crozet. Kerguelen. Amsterdam. Saint-Paul. Des îles au bout du bout du monde, une mer hurlante ou rugissante selon les moments. Vent. Froid.

Avec Emmanuel Lepage on va découvrir les marins, les scientifiques sur les bases, un peu d'histoire (tragique parfois). Humour. Admiration palpable pour ces navigateurs et travailleurs. On sent brièvement l'atmosphère de ces drôles de communautés.

Absolument passionnant!

Les dessins sont souvent fantastiquement somptueux ou à couper le souffle. Le grand format, sur deux pages, peut vous en mettre plein la vue, on sent l'iode, les embruns.

Petites notes:
Lors des conférences scientifiques à bord, pas question de prononcer le mot "lapin", alors on utilise l'acronyme BLO (bête à longues oreilles)(lapins introduits par les anglais et faisant des ravages sur la faune et flore locales)
Kerguelen : il y a même un glacier! Qui fond de 150 mètres par an. Le réchauffement climatique est une réalité visible.
Le site de Futuropolis pour autres images, liens (dont blog), videos...

Les nombreux avis chez babelio

vendredi 23 août 2013

Manuel de survie à l'usage des incapables

Manuel de survie à l'usage des incapables
Thomas Gunzig
Au diable vauvert, 2013


Wolf (Wolf = loup? tiens tiens) , gelé et rêvant à Cathy, "à sa peau aussi douce que du coton génétiquement modifié et tissé avec soin dans une usine du Kerala", travaille sur un baleinier, qui prendra une drôle de baleine...

Drôle de monde aussi, où justement le génétiquement modifié conduit à des rencontres surprenantes. Blanc, Brun, Gris et Noir, quatre loups dangereux, Marianne, qui a du mamba vert en elle (pas envie de rencontrer un vrai mamba vert, croyez-moi), épouse du falot Jean Jean, qui se retrouvera bien malgré lui pourchassé par les quatre loups, à cause en partie d'un certain Jacques Chirac (je ne mens pas), mais recevra l'aide de Blanche de Castille (toujours véridique). Tous ceux là vont vivre des aventures à cent à l'heure, parfois ça castagne et saigne.

Surtout l'auteur n'aime pas, mais alors pas du tout les écoles et les métiers du commerce. Gageons qu'il connaît parfaitement ce milieu, représenté par Marianne:
"Moi j'ai un travail, une position, un statut, des responsabilités, des collègues qui comptent sur moi, une entreprise qui a des projets et des investissements en cours et un contrat à durée indéterminée. J'ai bossé comme une dingue, moi, j'ai mis au point des stratégies qu'on va mettre en oeuvre dans les semaines qui viennent, vous avez déjà entendu parler du bake-off, le rayon boulangerie dans les grandes surfaces? C'est ma spécialité, j'ai plein d'idées pour développer le cross selling et faire exploser les ventes. Je suis une machine de guerre, je vaux du fric."

Les grandes surfaces, oui... Vous ne les verrez plus du même oeil, oh non... Son univers impitoyaaaaable...
"C'était comme un écosystème: il n'y avait ni bien ni mal, les actions se posaient selon des vecteurs complexes résultant des contraintes environnementales et répondaient aux impératifs simples de la survie et de la reproduction."

Avec cette dénonciation d'un monde qui pourrait être le nôtre dans peu de temps - et qui l'est déjà!- Thomas Gunzig réussit en même temps à proposer un vrai roman d'aventures haletantes, jubilatoire et un peu inquiétant, tout en nous rendant intéressants, voire sympathique, des personnages assez improbables.
Ma première rencontre avec Thomas Gunzig, et sans doute pas la dernière.

Merci à l'éditeur et Anne V.

mercredi 21 août 2013

La veuve Barnaby

La veuve Barnaby
The Widow Barnaby
Frances Trollope
Archipoche, 2013
(dans "poche" il y a prix doux)



Dans la famille Trollope, on connaît Anthony, le fils, Joanna, d'une branche plus éloignée, et maintenant, Frances, la mère! Née en 1780 en Angleterre, sa vie aventureuse la mènera en Amérique, elle en reviendra bien déçue, et à la cinquantaine se mettra à l'écriture de romans (il faut bien vivre); elle meurt à Florence en 1863.

Se faire courtiser par les beaux militaires dans une petite ville de garnison anglaise au tout début du 19ème siècle se révèle un hobby plaisant, mais à 30 ans la belle Martha n'est toujours pas mariée, tandis que sa soeur laisse une petite Agnès Willoughby après son décès et le départ du mari au bout du monde. Une tante excentrique mais avisée a bien payé une éducation correcte à Agnès, mais la crainte qu'elle ne ressemble à l'horrible Martha l'a dissuadée de plus s'en occuper.

Voilà donc la jeune Agnès, 16 ans, sous la responsabilité de Martha, qui entre temps est devenue l'épouse puis la veuve de Monsieur Barnaby. Son héritière aussi, et elle se sent pousser des ailes, à elle la belle vie dans les stations chic, et un remariage à la clé lui siérait fort.

Égocentrique, vulgaire, manipulatrice, menteuse, maltraitant quasiment Agnès, cette veuve Barnaby mérite le détour! La jeune Agnès en est bien sûr l'exact contraire. Alors que la veuve Barnaby n'attirera que des escrocs, des pleutres ou des menteurs, Agnès se fera remarquer de jeunes gens de la bonne société.

Les lecteurs attentifs auront déjà remarqué dans ma présentation quelques relents austéniens de bon augure. Frances Trollope s'amuse visiblement...

Évidemment cette veuve Barnaby est un peu forcée, mais quel plaisir de la voir évoluer, même si le cœur se serre à la pensée des conséquences pour Agnès. Après moult péripéties, tout se terminera bien, pas de crainte là-dessus. Mais le lecteur aura appris comment se tenir dans cette société très codifiée, où le maître mot est distinction, qualité nécessaire mais pas suffisante pour mener au mariage, l'argent ayant son importance.

Emportée par la plume caustique de l'auteur, j'avoue m'être régalée.

Il semblerait que ce soit le premier volume d'une trilogie (écrite dans les années 1839-1855), les deux autres intitulés
  • The Widow Married; A Sequel to the Widow Barnaby (La veuve remariée)
  • The Widow Wedded; or The Adventures of the Barnabys in America (La veuve en Amérique)
Un peu plus de 600 pages, donc encore une participation au challenge de Brize!

lundi 19 août 2013

Un peu de bois et d'acier

Un peu de bois et d'acier
Chabouté
Glénat/Vents d'ouest, 2012



Un banc tout simple dans un parc, sous un arbre.

Au fil de la journée, des saisons, des gens passent, s'arrêtent ou pas, s'asseyent ou pas.

Des histoires se dessinent au fur et à mesure. Les enfants amoureux (que l'on reverra!) , le couple âgé attendrissant partageant un gâteau, la jeune femme qui reçoit une bonne nouvelle, celle qui reçoit une mauvaise nouvelle, le jeu de cache cache du policier municipal et du SDF, le virtuose du skate-board (pas à 100% virtuose...), le joggeur, l'amoureux qui attend, l'enfant qui fait ses premiers pas, le groupe de commères, le peintre, oh impossible de tout noter!

C'est bourré d'humour, de fantaisie, de tendresse. Dessins sobres en noir et blanc, parfois juste des silhouettes, visages reconnaissables et expressifs.
J'ai adoré.

Un seul bémol : trop vite lu! (enfin, lire...  pas de paroles du tout).

De nombreuses critiques enthousiastes sur les blogs, voir Babelio.

vendredi 16 août 2013

La disparition de Jim Sullivan

La disparition de Jim Sullivan
Tanguy Viel
Les éditions de Minuit, 2013



"Les Américains ont un avantage troublant sur nous : même quand ils placent l'action dans le Kentucky, au milieu des élevages de poulet et des champs de maïs, ils parviennent à faire un roman international.
Même dans le Montana, même avec des auteurs du Montana qui s'occupent de  chasse et de pêche et de provisions de bois pour l'hiver, ils arrivent à faire des romans qu'on achète aussi bien à Paris qu'à New York. Cela, c'est une chose qui m'échappe. Nous avons des hectares de forêts et de rivières, nous avons un pays qui est deux fois le Montana en matière de pêche et de chasse et nous ne parvenons pas à écrire des romans internationaux."

Qu'à cela ne tienne, l'auteur décide d'écrire un roman américain! Comme il est sympa, il donne les recettes, qu'il suit presque pas à pas. D'abord, un type dans la cinquantaine, divorcé, des problèmes avec l'alcool, professeur d'université, une maîtresse étudiante et serveuse de cafétéria prénommée Milly. Parler d'événements récents réels, style 11 septembre, éventuellement insérer des personnages réels. Quelques flash-backs. "Souvent il y a des pages entières sur la mère du héros ou le père du héros mort depuis longtemps, au point qu'on en arrive à oublier qu'on est dans le passé, et qu'alors, quand on revient au présent, on a l'impression que c'est le contraire, je veux dire, que c'est le personnage principal qui ne sert plus à rien."

Le lecteur est donc dans ce roman en cours d'écriture, sorte de pastiche jubilatoire, mais attention, finalement une histoire passionnante, avec suspense, vengeance, intervention du FBI, bref, tout ce qu'on trouve dans un vrai roman américain, en général. (Et j'en lis bien assez pour le savoir...)

"C'est vrai, notre histoire ressemble à un roman, on dirait du Jim Harrison, tu ne trouves pas? Et elle lui répondait que non, que c'était une histoire pour une femme, une histoire pour Laura Kasischke ou Joyce Carol Oates. "

Hommage plein d'humour et d'ironie au roman américain, une vrai roman français réussi!


Les avis chez babelio, lecture/écriture

mercredi 14 août 2013

Saison brune

Saison brune
Philippe Squarzoni
Delcourt, 2012 (oui, c'est une BD)





Le site de l'éditeur, avec présentation du livre, des "personnages", un résumé aussi. Tellement bien fait que je n'ambitionne pas de détailler plus. Un livre énorme par la taille (près de 500 pages) et le sujet, qui englobe réchauffement climatique, causes et conséquences, solutions (ou pas).(Je résume grossièrement, je sais)  L'auteur y a travaillé pendant des années, lu et épluché pour les lecteurs des tas de documents (qu'ils n'auraient sûrement jamais lus). Le résultat est un pavé, d'accord, mais rendu digeste, qui m'a fait réfléchir, et m'a pas mal interpellée, forcément. Un incontournable. A lire absolument si vous habitez la Terre.

Le titre? "Dans le Montana, il existe une cinquième saison, un moment suspendu entre l'hiver et le printemps, entre le gel et le dégel. Une "saison brune" intermédiaire, où les glaces ont commencé à fondre... mais où le printemps n'a pas encore affirmé sa présence."

Je vais juste relever quelques remarques au fil de la lecture:
"Tout ce qui va dans le sens d'une plus grande consommation matérielle contribue également à déstabiliser le climat." "La croissance s'accompagne nécessairement de l'augmentation des émissions de gaz à effets de serre." "L'ampleur des bouleversements à venir dépend encore de la façon dont nous allons réagir."
Pour les émissions de gaz à effet de serre, la voiture particulière se situe entre l'avion long-courrier et l'avion court-courrier (lui c'est le pire). Bon, on évitera de parler du 4x4, la bête noire de l'auteur, à juste titre. Même mon petit vélo n'est pas à zéro dans l'affaire (sans doute sa fabrication) et juste en dessous du TGV.
Saviez-vous qu'au Royaume-Uni 126 millions de litres de lait ont été importés en 1997, et 270 millions de litres exportés la même année?
Vers la fin le discours devient plus engagé.
"La crise écologique n'abolit pas la question sociale. Au contraire, les inégalités environnementales s'ajoutent aux inégalités sociales."

Comment réagir? Est-il encore temps? Non, pas de happy end.

Comment faire "passer" un tel volume d'informations? C'est là que le côté BD se révèle sans égal. Les images parlent. L'auteur utilise des références cinématographiques (le début... et la fin de certains films). Il illustre aussi par la reproduction de tableaux (le tricheur de George de La Tour, les chasseurs de Brueghel). Lui et sa compagne Camille sont mis en scène dans leur vie, leurs voyages, leurs balades en montagne; il s'interroge, se remet en cause, n'évite pas ses propres contradictions. Finissant par ne plus prendre l'avion pour se rendre à des festivals BD (il y a des alternatives à l'avion), mais ne désirant pas plus que nous aboutir à mener la vie d'un indien pauvre.


Avis sur babelio

lundi 12 août 2013

Grands espaces

Grands espaces
In Open Spaces, 2002
Russell Rowland
Autrement, 2007
Traduit par Marie-Anne de Kisch



Les Arbuckle possèdent un ranch dans le Montana. Plus de cinq mille hectares, trois cent bovins, une centaine d'ovins. En trois décennies de la première moitié du vingtième siècle, ils devront lutter contre la sécheresse des années trente, affronter le deuil, accepter les dissensions familiales, mes disparitions et réapparitions de Jack, un des fils, intégrer plus ou moins bien des "pièces rapportées"...
Blake, un autre fils, est le narrateur. Tenté par une carrière dans le base ball, il ne pourra quitter le coin où il est né. Un homme honnête, se remettant en question, racontant l'histoire comme ses souvenirs.

En plus d'une histoire intéressante, j'ai aimé l'évocation d'une vie rude dans ce coin où la neurasthénie guettait certains, où maints fermiers ne tenaient pas le coup et partaient ailleurs, en dépit d'une grande solidarité dans le travail entre ranchers. Pas de tape à l’œil, les changements sont progressifs, machines agricoles, automobiles, électricité, téléphone... Questions importantes : qui possèdera le ranch après la mort du père? Comment faire sa cour quand on est séparé par deux ou trois heures de route? (et sans téléphone).

Un roman qui ravira les amateurs de grands espaces, de cow boys au travail (et au cœur sensible quand même)

Les avis chez babelio

vendredi 9 août 2013

Comment vivre?

Comment vivre?
Une vie de Montaigne en une question et vingt tentatives de réponse
Susan Bakewell
Albin Michel, 2013
Traduit par Pierre-Emmanuel Dauzat



Avis à celles et à ceux qui hésitent encore à lire Montaigne : Susan Bakewell est votre nouvelle amie! Sous le joli prétexte de répondre à une question, Comment vivre?, elle propose une vingtaine de réponses émergeant des Essais, mais c'est surtout une méthode plaisante et sans douleur pour brosser une vie de Montaigne, rappeler ses influences, le remettre dans le contexte historique d'une France en proie aux guerres civiles, évoquer le destin de ses manuscrits, l'opinion de ses contemporains puis l'accueil réservé à ses écrits durant les siècles entre lui et nous. On y croisera Pascal et Descartes, les philosophes du 18ème siècle, les Romantiques, et même Nietsche, Woolf (les deux époux!), Zweig, et bien d'autres. Ajoutons que c'est écrit (et traduit, je le signale aussi) d'élégante façon, avec humour, clarté, et bien sûr on en ressort avec une incroyable envie de lire ces Essais.

Passionnant et incontournable.
L'avis de Dominique, du bien nommé A sauts et à gambades, merci à elle!!!

L'auteur parle de son livre:

Amis des chats : Montaigne a aussi pensé à vous!Voir ici.

Montaigne et moi (restons modestes) : comme d'habitude, pas de contact durant mes études, d'où une terre non labourée le jour où je pris en mains la troisième partie en poche (un prêt). Lecture sans aide, mais bon souvenir, à tel point que depuis j'ai mon exemplaire et que j'avais commencé à y grappiller. Susan Bakewell et son livre tombent à pic!

Montaigne savait que ses Essais seraient lus et interprétés par ses lecteurs
"Un suffisant lecteur [lecteur capable] découvre souvent es écrits d'autrui des perfections autres  que celles que l'auteur y a mises et aperçues, et y prête des sens et des visages plus riches."
Chacun y puisera sans fin, et se reconnaîtra, c'est cela aussi le charme des Essais.

mercredi 7 août 2013

Le premier mot

Le premier mot
Récit
Pierre Bergounioux
Gallimard, 2001


Le moins que je puisse dire, c'est que la prose belle mais touffue, les allusions voilées et et les références à un coin de France que je connais peu (en gros, entre Limoges et Brive) ne font pas de ce récit d'apprentissage une lecture facile.

Après le baccalauréat, Pierre Bergounioux se voit contre son gré - mais sans lutte- contraint de poursuivre des études de Lettres classiques à Limoges. Ses grands parents défunts désiraient un fils professeur (il sera pharmacien), et ce sera à lui de réaliser leur rêve.
"L'ambition limitée d'un couple depuis longtemps défunt planait seule, irréalisée, sur le vide et le silence. J'ai pris le parti de patienter un an, que cette complication inopinée se dissipe d'elle-même, comme d'autres que j'avais crues insurmontables, à d'autres époques, s'étaient évanouies, le temps aidant. Quoiqu'il advienne, je possédais au suprême degré la faculté de m'absenter."

Mais il ne demandera pas sa liberté, puisqu'il ira préparer le concours de l’École Normale à Bordeaux.
"Alors que l'hiver limougeaud demeure dans ma mémoire comme un mégalithe de granit noir, les jours aquitains flottent au vent tiède, mouillé, angoissant de la mer. Il n'y avait moyen de les traverser qu'à la condition d'oublier qu'ils ne menaient à rien."

Le voilà finalement à Paris. Certains de ses condisciples étant "grevés d'un passé au regard de quoi celui, quasi minéral, dont je cherchais à briser la gangue, était à tout prendre anecdotique, bénin, léger."
"Mais on ne peut faire que l'on ne se souvienne. Quand le monde ou un de ses cantons s'est annexé une part de nous-même,celle-ci s'obstine à réclamer sa délivrance et nous n'aurons de cesse qu'elle ne l'ait obtenue."

C'est un vieux bouquin de géologie qui dénouera l'affaire et lui permettra de tracer "le premier mot"...
 
Du même auteur : Miette 



lundi 5 août 2013

Middlemarch

Middlemarch
George Eliot
Paru en 1871-1872
Christian Bourgois, 1981
Traduit par Albine Loisy



Middlemarch, petite ville de l'Angleterre rurale en ces années 1830, sert de cadre à ce (copieux) roman. Pas vraiment de descriptions, l'on parle d'une réforme politique, un peu de religion, le chemin de fer tout nouveau n'est pas forcément bien accueilli. George Eliot mêle habilement les histoires de plusieurs personnages principaux.

Ils se marièrent, et vécurent heureux, et fin de l'histoire? Pas dans ce roman.

Dorothea, jeune fille au caractère bien trempé, entichée de spiritualité, qui aurait pu avoir un mari gentil, beau, dévoué à 100%, toujours d'accord,  préfère Casaubon, de 25 ans de plus qu'elle, pas glamour pour un sou, mais avec qui elle se sent intellectuellement sur la même longueur d'ondes. Elle est prête à se dévouer, l'aider dans ses recherches et ses classements... Le mariage a lieu, apportant bien évidemment quelques déceptions. Casaubon n'apprécie guère l'entente régnant entre son épouse et son cousin Ladislaw.

Autre couple, Lydgate et Rosemonde. Lui, un jeune médecin, nouveau dans la région, plein d'idées modernes pour l'époque, s'attirant la jalousie et les critiques de ses confrères. Elle, jolie enfant gâtée et superficielle.

Pour plus de détente, Fred, le jeune homme pas bien sérieux, mais amoureux de Mary Garth, qui saura lui parler rudement et sincèrement.

Autour d'eux, bien sûr, leurs familles, leurs amis, apportant une intense vie à ce roman, qui comportera son lot de désillusions et d'échecs, de chaudes luttes psychologiques, d'humour et tendresse aussi, de sentiments élevés, de réflexions de l'auteur et un peu de romantisme, mais pas trop, avec la belle scène vers la fin entre Dorothea et Ladislaw, alors que l'orage menace dehors...

George Eliot intervient dans la narration, dévoilant pensées et motifs de chacun, arrivant à les rendre sympathiques (en général) , y compris le "pauvre" Casaubon. Par exemple "J'introduis donc le nouveau venu Lydgate à tous ceux qui s'intéressent à sa personne; ils le connaîtront ainsi beaucoup mieux que tous ceux qui le fréquentent le plus depuis son arrivée à Middlemarch."

 Quelques réflexions, toujours en lien avec les personnages :
"Il faudrait savoir si la reconnaissance du bien que l'on nous fait doit gêner notre indignation du mal que l'on fait aux autres."
"Ma parole, je crois que la vérité est le plus terrible projectile avec lequel on puisse nous lapider."

Middlemarch est un monument du genre, à découvrir bien sûr, sans crainte. Prévoir du temps tout de même.
Existe en poche, avec préface de Virginia Woolf et traduction de Sylvère Monod. Du grand monde, quoi.

Un bon billet qui conduira vers d'autres avis en lien... et chez babelio

Lu en VO quelques dizaines de pages, le prélude de l'auteur et une introduction, en poche petits caractères, assez pour sentir l'écriture de George Eliot, puis suis repartie en version française, qui demande aussi parfois pas mal d'attention.

Challenge Pavé de l'été chez Brize


vendredi 2 août 2013

Album / Les pays

Album
Marie-Hélène Lafon
Buchet-Chastel, 2012



L'auteur de L'annonce demeure fidèle à ses racines, son Cantal, sa campagne, pour une évocation sous forme d'Abécédaire.
Le Cantal... " estives bleues hivers blancs automnes de feu, et pas de printemps.
Pas. De. Printemps.
Sauf les jonquilles.
Pas de printemps; sauf deux heures, sauf trois jours; de violente folie très douce sous le vitrail immense du ciel neuf."

Son écriture heurtée, brève souvent, et râpeuse est puissamment évocatrice. Chez d'autres auteurs ce style m'horripile, mais là je ne peux m'empêcher de voir, de ressentir, de me souvenir. Ces courtes vignettes ancrées dans la terre rude et l'univers rural sont pétries de réalité parfois poétique et de véracité.

Jardins n'est qu'une liste de propos tenus ou entendus . "Il faut s'y tenir. Un peu tous les jours. Pour la santé. Avoir ses légumes. Et les salades, vous les avez repiquées. Les limaces ont tout mangé. Les radis viennent trop gros. Les haricots, on les sème par sept, cinq ou neuf, toujours, un nombre impair, et pas trop serrés.(...) On commande pas le temps, encore heureux. etc..."

Journal lui aussi est tellement bien observé. Vous savez, le journal quotidien apporté par le facteur, régional, pas parisien pour deux sous.
"On commence par les Avis d'obsèques, on fait ses réflexions, on connaît, on pourrait connaître ou avoir connu, on compare les âges." "Le journal sera prêté, il circulera entre deux maisons et reviendra le lendemain."

Longues litanies pour Pierres. "Chevelues d'herbes folles, duveteuses, moussues, vêtues, grenues de lichen. Ou nues. Éclatées, rompues aux usages de tous les tmeps, pierres d'angle, pierres de seuil, elles portent trace. Taillées, sculptées, scarifiées, lézardées, écartelées bras en croix, bouches d'ombre ouvertes sur maints  cris ravalés, obscures, cabalistiques, bossues, rondes, lourdes de mystères tus. Qu’elles ne diront pas si elles pouvaient parler."

L'avis de L'or des livresLa lettrine,

Puis un roman de tendance autobiographique sûrement :
Les pays
Marie-Hélène Lafon
Buchet Chastel, 2012

Après sept années d'internat religieux, Claire, fille de paysans du Cantal, poursuit ses études à Paris. Elle doit apprivoiser les codes.

Un voyage entre deux pays, celui de ses ancêtres, et Paris. Une visite au salon de l'agriculture, les années d'étude où elle ne retourne que peu de jours dans son pays natal, puis l'accueil de la famille à Paris. Pas trop de choc de deux mondes, mais le sien a évolué, elle n'a pas quitté Paris, a fait son trou, sans regrets avoués.

Mais comme d'habitude elle décrit admirablement ce monde rural, avec tendresse. Le père dans le métro adressant la parole aux voisins, ses collègues à la banque durant son job d'été, tout est bien croqué. Et toujours cette langue rude, évocatrice.

Définitivement, cet auteur, sans effets de manche, sait me toucher, me parler...

Plein d'avis chez babelio

Challenge de Lystig (saison 2)