vendredi 29 novembre 2013

Le Tour du Monde en 80 Livres

Le Tour du Monde en 80 Livres
Marc Wiltz
Magellan & Cie, 2011



D'ordinaire je me méfie un peu de ces listes de livres incontournables qui ne le seront pas forcément pour mon goût et en tous les cas risquent d'allonger quelque peu ma Liste à Lire. A feuilleter sur le stand des Editions Magellan & Cie aux rendez-vous de l'Histoire à Blois (moi qui croyait ce salon pas dangereux...), sous l'oeil de l'auteur et fondateur de la maison d'édition (au catalogue désespérément attractif), j'ai constaté que j'avais déjà lu certains titres (le quart) et prévu d'en lire d'autres déjà.

Première bonne surprise : c'est extrêmement bien écrit, la plume est élégante, le ton est passionné et convaincant.
"Certains verront peut-être ici une collection effrénée de "références" ou une tendance affreuse au name-dropping. Peut-être, et au fond tant mieux. Mais il ne s'agit pas de cela. Ce livre est un simple exercice d'admiration, et un coup de chapeau à quelques-unes des figures qui m'ont donné le goût du voyage, le goût de la curiosité et du respect pour ceux qui me sont différents et qu'il convient de considérer pour eux-mêmes, avec leurs convictions, car même si parfois elles sont divergentes de celles auxquelles je suis sensible, la compréhension de leur réalité m'enrichit."
Vingt-deux chapitres, axés sur un thème, illustrés par trois ou quatre livres de fiction ou non-fiction présentés en deux pages (auteur, contexte, intérêt, prolongements), ceci après une introduction  où l'auteur dévoile souvent ses goûts et ses convictions.

Des exemples : La solitudes des îles, avec Defoe, Golding et Durrell, ou L'attente, avec Saint-Exupéry, Buzzati et Gracq ou Le polar ethnologique, avec Upfield, Van Gulik, Hillerman, Ravenne et Giacometti.

Cette fort agréable promenade au fil des livres a enrichi mes envies de lecture de quelques titres, bien sûr... ou rappelé quelques titres déjà notés... Mais pas de façon insurmontable (deuxième bonne surprise)

Participation au challenge de Philippe D Lire sous la contrainte

mercredi 27 novembre 2013

Mola mola

Mola mola
Agnès Dumont
Nouvelles
Quadrature, 2013



 Pour cette douzaine de courtes nouvelles, court un fil rouge dans les titres, Jeanne Moreau, JR (celui de Dallas), Julia Roberts, Bruno Crémer, Frank Sinatra, Lulu Gainsbourg, Angela Davis, des gens connus, parfois juste une allusion au coeur du récit. Histoires présentant des gens de tous les jours, des gens qu'on connaît, qu'on a rencontrés, souvent âgés (et parfois déjà en maison de retraite). Comme Jeanne Rose, la dame fan de romans policiers et qui pique dans les supermarchés ou Jeanne déjà grand tante n'hésitant pas à scandaliser dans les cafés. Ambiance nostalgique, un peu tristounette, occasions ratées, petits bonheurs...

"Un malheureux livre de poche coincé près de la caisse enregistreuse suffit à vous démarquer mais ça ne veut rien dire. En profondeur, je suis comme la plupart des gens : un mélange de lâcheté et d'apathie qui rouspète en douce contre les coups du sort, sans rien faire pour les éviter." [la caissière de la "petite grande surface"]

Les avis de FattoriusFlo,

Mina dans son Salon littéraire propose une découverte de Quadrature...

PS J'avoue que ma lecture de ce recueil de bonne facture a été complètement perturbée par l'ombre d'Alice Munro, dont j'ai lu trois nouvelles peu auparavant,  c'était tellement fort que j'ai dû faire une pause. J'ai donc laissé passer du temps avant de programmer ce billet, pour éviter toute injustice. Mieux vaut ne pas comparer des nouvellistes, chacune a son univers.

lundi 25 novembre 2013

Ma grand-mère russe et son aspirateur américain

Ma grand-mère russe et son aspirateur américain
Meir Shalev
Gallimard, 2013
Traduit par Sylvie Cohen


 "Notre grand mystère à nous était un aspirateur américain qu'un double traître, ni sioniste ni socialiste, avait expédié de Los Angeles, en Californie, à sa belle-soeur, établie dans le premier moshav fondé par les pionniers de la deuxième vague d'immigration en Terre d'Israël: le sweeper de grand-mère Tonia, condamné à la réclusion à perpétuité dans la salle de bains verrouillée à double tour et gardée par une épée flamboyante en forme de chiffon sur la poignée."

Cette histoire de svieeperr (prononcer à la russe comme grand-mère Tonia) peut paraître anecdotique, mais elle est l'occasion pour Meir Shalev de brosser avec un humour léger l'histoire de ces immigrants du début du 20ème siècle et de leurs descendants. Le sweeper américain, cheval de Troie du capitalisme dans un univers socialiste, est le héros involontaire du récit, où trône Tonia, née en Ukraine, attachée à son moshav de Nahalal, et super maniaque du ménage, dans un coin voué à la poussière l'été et la boue l'hiver... Sans oublier les oncles, tantes, les brouilles, les discussions sur les différentes versions de chaque petit événement.

septembre 1921, les débuts

Mine de rien, c'est un demi-siècle de l'histoire du coin qui défile, et l'on en apprend pas mal sur les moshavim (ne pas confondre avec  kibboutzim, malheureux! ^_^)
Lecture empreinte de nostalgie et d'humour, et hautement recommandée!
On dit qu'elle se fait même une manucure". Cette expression encore usitée aujourd'hui exprime le summum de l'abjection, une décadence tant idéologique que spirituelle. Elle procédait d’une conversation au cours d'un dîner familial. Quelqu'un du village "a vendu des melons à un négociant qui passait par là", déclara l'un des convives. En d'autres termes, cette personne avait transgressé les principes du moshav subordonnant les échanges commerciaux aux institutions officielles. A l'époque, cela représentait une faute morale  si grave qu'un autre convive s'empressa d'ajouter: "Et en plus, sa femme fricote avec un type de Ramat David.", pas du kibboutz d'à côté, heureusement, mais de la base aérienne voisine.
Une fois établi qu'il s'agissait de gens profondément malhonnêtes ayant enfreint le règlement du moshav, comme le code moral de l'humanité tout entière, on porta le coup final, la phrase prouvant la pire dépravation où l'on puisse tomber :"Et elle se fait une manucure, à ce qu'il paraît".
 La manucure incarnait une symbole négatif, le pire de tous, car elle s’appliquait aux doigts, aux mains industrieuses vouées à labourer, bêcher, semer et construire. Les mains des pionniers que la révolution pouvait arracher à la plume, au commerce, à la casuistique talmudique pour les renvoyer aux outils et aux travaux des champs. Ces mains destinées à manier le sécateur ou le pis des vaches, attraper le manche de la faux, et, le cas échéant, appuyer sur la détente, comment pouvaient-elles jouer les coquettes?
J'allais oublier : le livre est agrémenté de photos noir et blanc de la famille...

Challenge Lire sous la contrainte de Philippe

vendredi 22 novembre 2013

Yeruldelgger

Yeruldelgger
Ian Manook
Albin Michel, 2013





Pour vous sans doute, la Mongolie, c'est

Rassurez-vous, pour y être allée (un tout petit peu), c'est vraiment parfois ainsi. Mais pas partout.
Oulan Bator
Suivons donc Ian Manook et son commissaire Yeruldelgger (son nom complet est Yeruldelgger Khaltar Guichyguinnkhen, pour ceux qui râleraient) au travers d'enquêtes qui pourraient bien se rejoindre : le corps d'une fillette enterrée avec son tricycle a été retrouvé dans la steppe et trois Chinois et deux prostituées ont été assassinés à Oulan Bator. Aidé par sa collègue Oyun, la légiste Solongo, Gantulga le gamin des rues débrouillard, il va dénouer tous les fils, devant affronter "des policiers pourris et des nazis déglingués", des moines un peu spéciaux, son beau-père, sa fille qui le hait, et le souvenir de sa petite fille assassinée. Du lourd, oui, à un rythme qui ne faiblit jamais, tout en apprenant une multitude de détails sur la Mongolie, ses traditions (en perte de vitesse) et son passé récent sous les soviétiques. Vous reprendrez bien un peu d'airag?

Les avis de Yv , Hélène,
Ian Manook écrit aussi sous son véritable nom, Patrick Manoukian (Le temps du voyage, par exemple)

mercredi 20 novembre 2013

Un été dans le pré

Un été dans le pré
Summer with My Sister
Lucy Diamond
Presses de la cité, 2013
Traduit par Cécile Arnaud



D'accord, l'été est terminé. Mais pour le faire revenir dans le coeur, ce livre est idéal. D'accord, c'est chick lit, d'accord, j'avais deviné la fin dès le premier tiers. Mais justement cela permet de concentrer ses neurones uniquement sur les péripéties. Et puis comment aurais-je pu résister à une couverture pareille?

Deux soeurs très très dissemblables. Il y a 20 ans, le drame dont elles ne sont pas remises et surtout s'en pensant responsables : la mort de leur frère Michael.

Polly est la femme d'affaires jusqu'au bout des ongles, ne quittant que rarement son bureau de la City, occupant un superbe appartement londonien. Tout lui réussit, jusqu'au jour où elle perd son emploi, doit vendre son appartement et ne voit qu'une seule solution, retourner passer l'été dans le village (so british) de ses parents (so british encore), en cachant bien sa triste situation.

Sa soeur Clare vit toujours dans le même village que ses parents, elle est divorcée, possède deux gamins adorables et un ex pas du tout sympathique. Financièrement, c'est un peu juste. Elle va se lancer dans la fabrication de produits pour salles de bains d'hôtels. Polly pourra l'aider, et les relations tendues entres les deux sœurs évoluer nettement.

Que les petits cœurs tendres des filles qui lisent ce billet soient bien aises, oui, il y aura aussi pour Polly et Clare une âme sœur qui leur conviendra.

On n'est pas dans la haute littérature, c'est compris, mais une jolie histoire ne peut faire de mal. Entre deux lectures plus ardues.

lundi 18 novembre 2013

Et quelquefois j'ai comme une grande idée

Et quelquefois j'ai comme une grande idée
Sometimes a great notion, 1964
Ken Kesey
Monsieur Toussaint Louverture, 2013
Traduction Antoine Cazé


Coup de coeur!

Fichtre mes amis, quelle lecture! L'impression d'avoir un chef d’œuvre entre les mains, le truc à lire absolument, du digne descendant des auteurs américains incontournables...

Oregon, Wakonda, années 60. Dans la famille Stamper, on est bûcherons. Harry, le père, un sacré numéro un peu fou, et Henri le fils aîné refusent d'être aux ordres d'un syndicat et se mettent la ville à dos. Après douze ans d'absence, Leland le fils cadet revient de New York, décidé à se venger de son frère Hank (à vous de découvrir pourquoi) et débarque donc dans la maison familiale que Hank répare quasiment toutes les nuits, pour éviter le sort des autres, tomber dans la rivière.

Au départ, on ne se rend pas compte où tout ça va nous mener, les personnages entrent en scène, c'est parfois pas mal allumé,  les quelques descriptions de la nature (histoire de calmer la tension du lecteur) sont d'une beauté incroyable, des scènes d'anthologie se succèdent, on a de l'humour, de l'émotion, des passages déchirants, de chouettes bagarres, des personnages fort et inoubliables. Même les secondaires sont extrêmement bien fouillés.

Surtout, grâce au talent de l'auteur (et du traducteur, et de la typographie), l'on a l'impression de suivre plusieurs tempêtes sous un crâne. Comme à l'opéra, quand plusieurs chantent des textes différents tout en restant en harmonie. L'on peut passer d'un personnage à l'autre (et d'une époque à l'autre parfois) sans s'y perdre, tellement c'est prenant et les "voix" et façons de parler sont différentes.

Les petits détails ont tous leur importance, rester vigilant! La construction en un grand flash back se fait légère et une fois la dernière page tournée, on se dit : "wahou". J'ai a-do-ré. Bon, je force personne, mais j'ai déjà des noms de lecteurs pour qui ce roman serait totalement dans leurs cordes. Ne faites pas les timides!

Pas étonnant qu'il y ait eu une adaptation ciné (1970?), réalisée par Paul Newman, avec Henri Fonda et Paul Newman dans les rôles de Henri et Hank Stamper...

Challenge Lire sous la contrainte
Les avis de Jostein
Merci à Anne et Arnaud et l'éditeur.

vendredi 15 novembre 2013

Lumières fantômes

Lumières fantômes
Ghost Lights
Lydia Millet
le cherche midi, lot49, 2013
Traduit par Charles Recoursé



Hal Lindley, fonctionnaire  de l'IRS (les impôts, quoi), approche-t-il de la crise de la cinquantaine? Cela en a tout l'air. Sa fille Casey est handicapée à la suite d'un accident de voiture et il apprend qu’elle travaille pour un téléphone rose. De plus il a la certitude que sa femme Susan le trompe avec un jeune employé de son bureau. Penser à sa fille et son destin cassé l'a-t-il empêché de rester attentif à Susan? Lors d'une soirée arrosée il s'engage à rechercher au Belize le patron de Susan, dont on est sans nouvelles. Hal au départ n'a pas l'intention de vraiment chercher, juste profiter d'une coupure, mais les choses vont évoluer autrement.

Hal fait donc le point. A son habitude Lydia Millet en profite pour jeter sur notre monde un regard incisif. Sans oublier des scènes frôlant la comédie (aaaaah Hans et Gretel, nos deux teutons et leurs gamins!). Elle nous entraîne inexorablement dans un monde un peu feutré, un peu dur.
Ceux qui ont lu Là où rêvent les morts retrouveront T., le patron de Susan, laissé dans la jungle à la fin du roman. Il semble qu'il y aura un troisième volet, ce qui explique peut-être les fins parfois déconcertantes des romans de Lydia Millet, qui demeure cependant un auteur à suivre.

Merci à Solène.

mercredi 13 novembre 2013

Chers disparus / Au lecteur précoce

Chers disparus
Claude Pujade-Renaud
Actes sud Babel, 2006




Jules Michelet, Robert Louis Stevenson, Marcel Schwob, Jules Renard et Jack London. Des écrivains plus ou moins lus ou connus de nos jours, qui tous ont laissé à leur mort une veuve désolée, et aussi face aux documents, lettres, journaux, laissés par l'époux, et dont elles vont s'occuper. Parfois en censurant, comme Athénaïs Michelet ou Marie Renard, cette dernière brûlant carrément l'original du journal (elle avait laissé copier auparavant ce qu’elle avait décidé de laisser passer).
Pas facile d'être l'épouse d'un grand homme, parfois d'un malade... Pas facile d'être accusée de trop empiéter sur son oeuvre....
Curieusement, ou pas, puisqu'ils ont vécu globalement à la même époque, certains de ces couples se sont connus, ou admirés. Schwob est même allé en pèlerinage en Polynésie où est mort Stevenson.Les Stevenson et les London ont effectué à des années de décalage un voyage dans les eaux du Pacifique (pas si pacifique que cela). Fanny Stevenson est l'auteur de La croisière de la Janet Nichol (disponible à la bibli).

Claude Pujade-Renaud a su donner vie à ces femmes plus ou moins dans l'ombre, à partir sans doute de parutions moins accessibles, tout en laissant parfois libre court à son imagination, évidemment.

Au lecteur précoce
Claude Pujade-Renaud
Actes sud Babel, 2003

De courtes nouvelles écrites dans un français superbe, fluide et lumineux.
De la première, Mourir à petite pluie, et son éblouissante évocation de la côte normande, jusqu'à la dernière, Au lecteur précoce, et un auteur piégé dans un salon du livre. Claude Pujade-Renaud a enseigné la danse et l'expression corporelle, et j'oserais dire, c'est un compliment, que cela se sent à lire ses nouvelles.

lundi 11 novembre 2013

La première pierre

La première pierre
Pierre Jourde
Gallimard, 2013



Dans Pays perdu, paru en 2003, Pierre Jourde décrivait le petit village du fin fond des montagnes du Cantal dont est originaire sa famille (depuis Louis XIV !), où il a passé des vacances étant gamin (bagarres, s'étaler dans le purin, cuites, travaux champêtres, vêlage, etc...) et est revenu chaque été avec sa famille.

Après parution du récit, certains villageois l'ont lu (ou du moins une partie), n'ont pas apprécié, il y a eu des courriers, surtout l'auteur s'est fendu d'une lettre explicative.

En 2005 le voilà donc revenant avec famille complète et bagages pour un nouveau séjour. Plusieurs villageois foncent dans sa cour. Injures (certaines racistes à l'égard de ses gamins), coups échangés, blessures, jets de pierre (dont l'une atteindra son petit de 15 mois), voiture caillassée, bref, c'est la fuite obligée.
Ensuite en 2007 un procès.

Depuis, fêlures, cassures, on ne se salue pas, ceux qui ont témoigné pour lui sont quelque peu ostracisés, même les nouveaux arrivés au village, des gens de l'extérieur, ont pris fait et cause.

"Tu as été amputé de toi-même. D'un lieu qui est toi-même. Tu ignorais que c'est un livre qui effectuerait cette douloureuse opération. Pas tout le lieu, mais une grande partie de lui, à présent, te rejette. La littérature sépare, comme le scalpel, c'est là son premier effet. Elle sépare, et puis elle recompose aussi."

Un récit écrit non avec je (Pays perdu utilisait le je et le nous), mais le tu . "Et tu comprends brusquement, pauvre naïf petit  bonhomme..."

Le procès a eu lieu, donc loin de moi l'idée ou la possibilité de prendre parti. D'ailleurs Jourde ne semble pas vouloir régler ses comptes avec ce livre, et j'ai senti qu'il craignait encore de l'incompréhension. A l'époque, les journalistes se sont déplacés, on en a même parlé à l'étranger. Pas dans mon coin, et finalement je me demande si la clameur n'était pas déjà bien retombée. Sauf les traces au village.

Jourde se défend de certaines accusations, son objectif était de montrer "la royauté dans l'alcool, la noblesse dans la solitude, la grandeur dans la merde." "Au début, ça n'avait pas été un livre, mais une simple nouvelle, qui se cantonnait à la narration des obsèques de la fille de François et Marie-Claude. Une fois la nouvelle publiée, tu lui avais donné les dimensions d'un livre, simplement en décrivant les vivants qui viennent voir la morte, à la veillée, et les morts qui ne pourront pas venir, mais qui sont là quand même. (...) Il n'y avait pas un "eux", ni un "je", mais le plus souvent un "nous" qui t'englobait, toi, ta famille et les autres familles dans une collectivité rassemblée autour du deuil. Qui vous associait dans tout ce que tu évoquais, puisque tu t'étais vautré tout petit dans la fosse à purin, vautré jeune homme dans la neige, perdu d'alcool, puisque ton père, tu le racontais, était issu d'une union adultérine et consanguine. Qui vous associait aussi dans les saisons et les travaux."

Il essaie de comprendre comment ses écrits ont choqué ou été mal compris.
"Aussi t'en veulent-ils, non pas de ce qu'ils croient que tu n'aimes pas, mais bien plutôt de ce qu'ils n'aiment pas en eux-mêmes."
"Dire le handicap, c'est désigner celui qui en est affecté. Le désigner, c'est le dénoncer. Il n'y a pas de neutralité de la parole envisagée ainsi. Elles est positive ou négative, elle choisit le bien ou le mal. Par conséquent, dire une chose qui n'est pas belle, ou pas tout à fait normale, vouloir que cela se fixe dans l'écrit, c'est la vouloir en tant qu'elle est mauvaise, c'est vouloir le mal; T. se voyait dénoncé."

Voilà aussi un point important : il reconnaît n'avoir pas réalisé qu'un secret peut être connu de tout un village, mais pas des principaux concernés. L'histoire de son père était connue, mais lui ne l'a apprise que tardivement. De même dans son livre il évoque un secret de ce genre -bien connu- mais la révélation a choqué."Ce dont tu ne t'es pas douté, disait-il, c'est que ces histoires que tu as rapportées, des histoires intimes, il y en a que ne les savaient pas dans la famille."

Il a brisé le "culte du silence qui se transmet de génération en génération dans ces hameaux. Parler de ce qui se passe dans une autre maison, c'est un peu comme y pénétrer. Cela ne peut se réaliser qu'au prix de grandes précautions. L'espace de la maison, avec tout ce qu'il peut contenir d'intimité, a quelque chose de sacré: il est celui de la maîtrise, de la propriété, du quant-à-soi. On reste un moment sur le seuil, on n'entre pas plus loin sans demandes réitérées, on ne s'assoit pas sans le même jeu d'invites et de refus. Une fois assis devant le verre, on ne parle pas de soi, bien sûr, et jamais de ses sentiments, de ses chagrins."

Un récit plutôt plein d'amertume, oui, de tristesse. Heureusement les derniers chapitres nous élèvent au dessus du village, avec le récit d'une des dernières estives, "au cul des vaches" comme on dit par chez moi. "Herbe, vaches, eau, ciel et vent sont les cinq ingrédients uniques qui composent ce monde. Un compromis entre l'Asie centrale et le Far West : le Far Centre."

Pour finir par clamer qu'une fois mort, il demeurera "toujours là, malgré eux, chez soi".

vendredi 8 novembre 2013

Aventures en Loire / La caresse de l'onde / La compagnie du fleuve


Un billet compte triple pour deux livres jumeaux, l'un prêté récemment par la blogueuse du Petit carré jaune (proche du fleuve royal!) et l'autre proposé sur le blog en juillet 2008, autant dire au tout début. Bernard Ollivier raconte d'ailleurs dans son ouvrage sa rencontre avec Thierry Guidet, dont il a lu et relu le livre.
Puis Mina a présenté, dans la collection Petite philosophie du voyage chez Transboréal, un petit livre dédié au canoë. J'en parlerai donc ici aussi. Et pour les amateurs de classiques anglais, existe toujours En canoë sur les rivières du nord, de Robert Louis Stevenson.

Aventures en Loire
1000 km à pied et en canoë
Bernard Ollivier
Phébus, 2009


Le titre résume le contenu. Bernard Ollivier, c'est celui de La longue marche, racontant son périple à pied sur la route de la soie. Pour Aventures en Loire, fini l'exotisme, mais la Loire est bien belle, non?

 Un passage vers la fin:
"L'aventure est au coin de la rue. Ce n'est pas une question de kilomètres mais de regard. En descendant la Loire, j'ai eu mon compte de rencontres, de solitude, de peurs et de joies, de difficultés aussi, en naviguant durant cet été pourri. J'ai surtout eu l'occasion d'aller un peu plus loin en moi-même. A 70 ans, le risque est grand de considérer que c'est le bout de la route, que le trajet de vie va prendre fin.C'est absurde.(...)
Mon autre objectif était de  me prouver que l'hospitalité n'est pas morte. Dans la société que ma génération a construite, l'individualisme a été érigé en dogme. (...) Dans ces conditions, mon aventure ligérienne ne me condamnait-elle pas à un chemin solitaire? On a vu qu'il n'en a rien été."

Des vins (mais avec modération!) en titres de chapitre ponctuent cette descente de la Loire, agréable à lire, même s'il est dommage que l'auteur était pressé par le temps, devant se retrouver à Paris pour l'association Seuil, qui a pour but d'aider des adolescents en difficulté en les emmenant sur de longues marches durant plusieurs mois.

Le bouquineur en parle.
La caresse de l'onde
Petites réflexions sur le voyage en canoë
Patrice de Ravel
Transboreal, 2009



C'est à une promenade toute en douceur et fluidité que nous convie Patrice de Ravel, rappelant les origines canadiennes indiennes du canoë, parfois méprisé et mal aimé justement à cause de ces origines, mais qui permet une exploration et une découverte impossibles autrement. Voyager de nos jours, dans nos contrées développées et industrialisées demande des efforts, amplement récompensés par le bonheur de suivre le fil de l'eau. Une passion que l'auteur a su partager.
Encore une bonne pioche dans cette collection!


 Thierry Guidet
La compagnie du fleuve

Mille kilomètres à pied le long de la Loire
Editions joca seria, 2004

En avril 2000, Thierry Guidet demande un aller simple pour Valence au guichet de la gare de Nantes, précisant : "Le retour, je le fais à pied !"
Et voilà, c'est parti pour mille kilomètres en essayant de suivre au plus près le fleuve dit "royal" dans une de ses parties. Tournant le dos à la direction de Compostelle, mais Bible en sac, "livre de marcheurs, excellent rapport qualité/poids", il voyage en solitaire, trouve parfois des compagnons de voyage, fait des rencontres, échange, fait part de ses réflexions, nous sert parfois de guide, médite, et  trouve un certain apaisement.

Voilà un livre modeste et tranquille ; faire ce chemin avec Thierry Guidet a été bien agréable ...
Commentaires récupérés

Cuné Il y a 4 ans
Tu m'as donné envie : je l'ai commandé en occasion sur Price Minister. Bon, c'est surtout pour mon mari, mais je le lirai aussi ;o)
 
keisha Il y a 4 ans
Je vous souhaite bonne lecture à tous les deux; cela me fait penser que j'ai lu quelques livres intéressants du même genre, il faudra que j'en parle un de ces jours ...

Dominique Il y a 2 ans
J'aurais du me douter que si quelqu'un l'avait lu ça ne pouvait être que toi
je n'ai pas chercher sur le web persuadée que ce livre était trop ancien pour avoir été chroniqué !
il fait partie de ma bilbiothèque très privée, je ne sais pas trop pourquoi car il n'est pas exceptionnel mais j'aime le ton, l'ambiance qui se dégage et les lieux parcourus



keisha Il y a 2 ans
@ Dominique
Pour une fois qu'un auteur visite un lieu bien proche!
J'ai aussi lu pas mal de récits du genre La route de la soie à pied, le Kamtchatka à pied, la Sibérie de diverses façons à diverses périodes (y compris début 19ème siècle), bref les récits de
voyage me passionnent depuis longtemps.
J'ai emprunté un livre sur La marche (auteur, Hue) et me demande si tu l'as repéré (non, pas celui de Rébecca Solnitz, celui là je dois le relire)

Dominique Il y a 2 ans
Oui oui je l'ai lu celui de Hue le lien tout de suite là pour toi
http://asautsetagambades.hautetfort.com/archive/2010/05/01/l-apprentissage-de-la-marche-jean-louis-hue.html
j'ai beaucoup aimé sa façon de nous entrainer vers d'autres lectures, intelligent, érudit et jamais ennuyeux

keisha Il y a 2 ans
@ Dominique
Il était dans les nouveautés, mais je vérifie, avril 2010, cela ne m'étonne pas que tu l'aies lu, tout à fait d'accord avec ton avis (je l'ai commencé hier soir)

mercredi 6 novembre 2013

L'assassinat du mort


L'assassinat du mort
Jean-Louis Marteil
La Louve Editions, 2013



Il aura fallu les rendez-vous de l'Histoire cuvée 2013 pour que je fasse connaissance avec Jean-Louis Marteil, son accent ensoleillé ainsi que son enthousiasme et bonne humeur communicatifs... Il ne m'étonne plus que ses romans n'engendrent absolument pas la mélancolie, et que je les lis avec un grand sourire intériorisé - parfois extériorisé! Brouillards et autres frimas pointant leur nez, c'est le moment de faire provision de peps!

Comme dans La chair de la Salamandre, nous sommes à Cahors, en l'an de grâce 1223. Cahors, ses rues sombres, le capitaine Mord-boeuf et le sergent Pasturat agents de la force publique, Guillaume de Cardaillac son évêque morfal toujours accompagné de molosses baveux... Ses tavernes plus ou moins bien fréquentées, telle celle de Tranche-tripe, au Mouton Embroché, où gosiers en pente se donnent rendez-vous, avec risque de bagarres homériques. Et pour terminer nos héros, Braïda et son époux Domenc, leurs serviteurs, y compris les gardes du corps Géraud et Pisse-dru. En gros les mêmes personnages que dans le précédent opus (enfin, les survivants, parce qu'il y avait eu du défunt, à l'époque).

Dans le cimetière des Augustins l'on retrouve le cadavre d'Enguerrand de Cessac, enterré depuis quinze jours, mais hors tombeau, avec un poignard dans le corps! Les rumeurs circulent, Braïda en particulier veut comprendre : elle aime comprendre et déteste ne pas comprendre. Nous allons suivre ses recherches, ainsi que les aventures des autres personnages, dans ce roman au rythme sans faille. Tout se bouscule jusqu'à une fin moins burlesque et plus émouvante.

Allez, je ne chipote pas mon plaisir et vous recommande chaudement la série, ainsi que la précédente, qui vit moines sur les routes...

Pour terminer, de jolis portraits de coupe-jarrets
"Celui-ci, qui était complètement idiot, n'était nullement responsable que l'on eût inventé l'écriture et le calcul. (...) Le troisième n'eut point été trop laid si une lame, passant par là, ne lui avait emporté une oreille. Il faut dire, à la décharge de la lame, que ses oreilles étaient assez écartés du crâne pour y donner prise(...). Depuis on l'appelait La Feuille."

J'adore aussi les notes de bas de page où interviennent auteur et éditeur...(mais c'est pas le même?Tsst!)

Le premier chapitre est offert!
Le site de l'éditeur, qui conduit vers des liens de blogs

Et en prime, offert!, le Dictionnaire indispensable et commenté des insultes, surnoms et autres expressions, à l'usage des lecteurs érudits de La chair de la Salamandre et de L'assassinat du mort. M'en servirai-je?

lundi 4 novembre 2013

La mécanique du bonheur

La mécanique du bonheur
The matter with Morris
David Bergen
Terres d'Amérique, Albin Michel, 2013, Terres d'Amérique
Traduit par Hélène Fournier




Peut-on parler de crise de la cinquantaine? Pour Morris Schutt, ça se pourrait bien.  Il est prié de laisser (pour un temps?) ses chroniques où il insère trop de sa vraie vie (au grand dam de ses proches), il se sent coupable de la mort de son fils en Afghanistan, sa femme lui demande de s'éloigner un peu (pour un temps?), sa fille lui fait la tête et refuse de lui laisser voir son petit fils, son adorable autre fille sort avec son professeur et ne veut pas entendre parler de rompre.

Histoire d'arranger ou compliquer les choses, il sort avec des escort girls, entretient une correspondance avec une américaine dont le fils est mort en Irak, participe à un groupe de parole et a vu un psy.
Sa lecture de Platon  et Cicéron va-t-elle l'aider?

Il m'a fallu un tout petit peu de temps pour rentrer dans ce roman tout en douceur et mélancolie, à l'humour discret, aux personnages attachants, aux petits détails qui font mouche, à la construction fine et efficace, mais une fois ferrée ce fut un grand plaisir de suivre l'évolution de Morris (appelons-le Morris, il le mérite), si fragile et si honnête, finalement. Une belle histoire, sans effets de manche mais qui laisse entendre une petite musique sympathique.

Un grand merci à Claire M. et l'éditeur

vendredi 1 novembre 2013

Chansons d'amour au Lolita's Club

Chansons d'amour au Lolita's Club
Juan Marsé
Chritian Bourgois éditeur, 2006
Traduit par Jean-Marie Saint-Lu



Après des missions dans la lutte contre l'ETA et le trafic de drogue, Raul, policier violent amateur d'alcool fort, se voit mis à pied par ses supérieurs et revient chez son père José (et sa belle-mère Olga, une de ses ex). Il est surtout heureux de retrouver Valentin, son frère jumeau, dont le développement mental est celui d'un enfant de dix ans. Quand il découvre que Valentin occupe un petit boulot de cuisinier/coursier dans le bordel minable du coin et qu'il s'est amouraché de Milena, il n'a plus qu'une idée, que ça cesse!

Milena fait partie de ces jeunes femmes à qui on a fait miroiter un métier en Espagne, leur payant le billet de Colombie en Europe, et qui se retrouvent obligées de se prostituer. Pourquoi cet attachement de Valentin? Cette relation est décrite avec délicatesse. Valentin est un être lumineux et touchant.
Raul, lui, est un être torturé, son attitude à l'égard de Milena est pleine d'ambivalence...

Ce roman (noir, plus que policier) se terminera bien sûr tragiquement... Il est écrit sans fioritures inutiles, au présent, de façon que je qualifierais de scénaristique (et cela ne m'étonne pas qu'il ait été adapté au cinéma, le découpage était quasiment évident...)

Un beau passage montrant bien l'écriture efficace, tendue :
"José finit de ramasser ses affaires et ne dit rien. La nuit est tombée. Soudain, les lanternes qui pendent sous le porche s'allument, éclairant la scène.

Dans le salon, Olga a encore la main sur l'interrupteur de la lumière qu'elle vient d'allumer. Elle regarde les deux hommes de l'autre côté de la baie vitrée. De l'autre main, elle tient contre sa poitrine une nappe rouge, non dépliée. Immobile, elle regarde le père et le fils sous le porche avec un certain trouble, dans l'expectative, tandis que, de l'autre côté de la vitre, la voix de Raul, quia perdu toute acrimonie, parvient à ses oreilles (...)

Olga ferme un instant les yeux, perdue dans ses pensées. Puis elle se tourne vers la table, sa nappe dans les mains et, , en la tenant par les deux bouts, d'un geste énergique et précis elle la déplie et la lance sur la table. Un nuage rouge couvre fugitivement la baie vitrée."
Ma découverte d'un nouvel auteur (auteur du mois chez lecture/écriture) s'est donc très bien passée! Ne pas hésiter à sortir des sentiers balisés.

Pour terminer, la chanson préférée de Valentin, Lune de miel de Gloria Lasso

Les avis de Wodka,