Le côté de Guermantes
Marcel Proust
La Pléiade, 1983 (j'ai choisi une couverture plus frivole)
Actuellement je me couche de bonne heure, et au lit je peux ouvrir mes vieux volumes de la Pléiade, leur achat lointain désormais amplement rentabilisé. Idéal pour sombrer dans un endormissement de bon aloi. D'autant plus que j'ai le projet de présenter toute La recherche sur ce blog (restons calmes, il ne s'agit pas d'étude exhaustive, juste de donner envie et de marquer dans ma mémoire ce qui m'a frappé dans cette nouvelle lecture)(oui il s'agit de relecture, mon âge permet cela). Avant blog j'étais à la fin de Sodome et Gomorrhe, donc je pense m'arrêter là dans le voyage.
Notre narrateur vit donc chez papa maman, avec la grand-mère, fan de Madame de Sévigné. Habite dans l'immeuble une amie de la grand mère, Madame de Villeparisis, recevant dans son salon un peu déclassé diverses personnes, dont son amant de toujours, le diplomate de Norpois, et tout de même, car ils sont de sa famille, des aristocrates plus cotés, tels le duc et la duchesse de Guermantes.
Notre narrateur un peu coeur d'artichaut, après Gilberte et Madame Swann, la belle Odette, se prend d'amour pour la duchesse de Guermantes, se plaçant sur son chemin lors de sa promenade matinale dans le quartier (en fait, leurs immeubles sont voisins). La belle forcément le prend plutôt en grippe.
Pour contourner les obstacles, car le salon des Guermantes est l'un des mieux fréquentés de Paris, il imagine passer par le neveu de la duchesse, Robert de Saint Loup, avec lequel une amitié est née à Balbec (A l'ombre des jeunes filles en fleur). Robert est en garnison à Doncières? Le voilà donc à Doncières, où sa conversation et ses idées charment Saint Loup et ses amis.
Retour à Paris, sa grand-mère est malade, son amour pour la duchesse s'éteint, elle s'intéresse donc à lui (chez Proust c'est souvent comme cela), et voilà qu'il pénètre dans ce salon fermé jusqu'ici et observe les habitudes de ces gens à particules, en particulier s'interroge sur l'attitude bizarre du baron de Charlus à son encontre (attitude dont on aura le fin mot dans le volume suivant, Sodome et Gomorrhe)(quel teaser de folie!)
Ceux qui reprochent à Proust de ne se plaire que dans les salons chics ne vont pas aimer ce côté de Guermantes, mais on s'y amuse bien, quelques perles surgissent, ainsi que des moments d'émotion.
"J'éprouvais à les percevoir un enthousiasme qui aurait pu être fécond si j'étais resté seul, et m'aurait évité ainsi le détour de bien des années inutiles par lesquelles j'allais encore passer avant que se déclarât
la vocation invisible dont cet ouvrage est l'histoire." (p 397). Bref, si le narrateur s'était adonné à l'écriture, il aurait moins perdu de temps, mais il aurait eu moins de matière. Dur dilemme.
Et cette découverte de sa
grand-mère:
"Entré au salon sans que ma grand-mère fût avertie de mon retour, je la trouvai en train de lire. J'étais là, ou plutôt je n'étais pas encore là puisqu’elle ne le savait pas, et, comme une femme qu'on surprend en train de faire un ouvrage le cachera si on entre, elle était livrée à des pensées qu'elle n'avait jamais montrées devant moi. De moi -par ce privilège qui ne dure pas et où nous avons, pendant le court instant du retour, la faculté d'assister brusquement à notre propre absence- il n'y avait là que le témoin, l'observateur, en chapeau et manteau de voyage, l'étranger qui n'est pas de la maison, le photographe qui vient prendre un cliché des lieux qu'on ne reverra plus. Ce qui, mécaniquement, se fit à ce moment dans mes yeux quand j'aperçus ma grand-mère, ce fut bien une photographie.Nous ne voyons jamais les êtres chéris que dans le système animé, le mouvement perpétuel de notre incessante tendresse, laquelle, avant de laisser les images que nous présente leur visage arriver jusqu'à nous, les prend dans son tourbillon, les rejette sur l'idée que nous nous faisons d'eux depuis toujours, les fait adhérer à elle, coïncider avec elle.(...) J'aperçus sur le canapé, (...), une vieille femme accablée que je ne connaissais pas.(p 140 et 141)
L'affaire Dreyfus est le sujet des conversations, et surtout le côté choisi par tel ou tel. L'on ne se parle plus, l'on s'évite. J'ai été assez frappée que Proust en parle vraiment beaucoup, et de la place des
juifs en général, mais cela agitait sûrement pas mal le monde de son temps.
Autre thème assez chaud, celui de
l'homosexualité masculine, et encore on n'arrive pas encore à Sodome et Gomorrhe! Le jeune et beau Saint Loup rosse même un homme lui faisant des avances du côté de l'avenue Gabriel.(p 183)
A propos de Saint Loup, très jaloux de sa maîtresse Rachel, il me paraît difficile de comprendre qu'il ne soit pas du tout inquiet de la laisser sympathiser avec le narrateur, car Rachel et lui semblent bien s'entendre.
Le succès du narrateur auprès de Saint Loup et ses amis, puis dans ces salons haut de gamme, n'est jamais vraiment expliqué, car on n'a pas d'exemples de conversations in extenso, juste l'on sait que certaines de ses idées sont reprises (comme étant d'eux!) par d'autres personnages, ce qui permet d'en avoir une idée. Un jeune homme brillant, de bonne famille bourgeoise, plutôt spectateur, mais sachant se laisser moquer de lui-même par le lecteur à l'occasion.
A la fin, les Guermantes filent vite à leur soirée à ne pas rater, alors qu'un proche est mourant, et que Swann vient de leur annoncer sa grave maladie.
Émouvant et grand Charles Swann!
La narrateur ne garde guère d'illusions sur ces Guermantes faussement simples et sympathiques. L'on a même ce qui ne s'appelait pas encore un running gag, avec ce pauvre valet de pied (méchamment) empêché de voir sa fiancée...
Prochainement sur cet écran : Sodome et Gomorrhe, et donc, oui, fin de La recherche! Mais Proust saura revenir avec quelques livres 'à côté de'.
Edit : mais oui, même lu avant, je peux insérer ce billet dans le nouveau challenge de Philippe,
Lire sous la contrainte.