mercredi 30 octobre 2013

Pays perdu

http://www.amazon.fr/Pays-perdu-Pierre-Jourde/dp/2846360464
Pays perdu
Pierre Jourde
L'esprit des péninsules, 2003






Arriver à L., petit village du nord Cantal, ça se mérite. Et encore quand il n'y a pas trop de neige. Préférer la belle saison, quoi.

Mais la neige, quand même...
"Je me souviens du bonheur de ces reliefs effacés, enveloppés dans une substance égale, éblouissante, engourdissant les sensations, avalant même les sons. Plus de prés, de bosquets, de haies, de murs ,de chemins, d'herbe, de taupinières, une continuité douce, des ondulations moelleuses laissant seulement la trace des choses qu'on s'étonnait presque d'avoir connues sous une forme moins parfaite. Moins encore que des traces, une allusion, une esquisse de courbe, rien. D'invraisemblables vagues soulevées par le vent, au bord de l'effondrement, et demeurant comme des rouleaux mécaniques figés dans un temps suspendu. Des éclats de paillettes que la  lumière allume, éteint, ranime ailleurs.Et parfois, sous la couche régulière, par une déchirure, comme un rappel , le souvenir d'un monde ancien aboli, un aperçu sur des profondeurs noires et pleines de formes enchevêtrées. Si la neige, à nouveau, pouvait tout envelopper, effacer les reliefs et les chagrins, taire les mots."

Pour régler une affaire de famille, le narrateur (Jourde) et son frère se rendent dans le petit village d'où est originaire leur père, apprenant à leur arrivée le décès d'une jeune fille du village. Les obsèques auront lieu le lendemain. Défilé des voisins et de la famille, des habitants des villages environnants dans la maison des parents, occasion de portraiturer ces figures hautes en couleur ou exemplaires. Jourde ne fait pas dans la dentelle, et quelques pages d'anthologie sont consacrées aux bouses de vache...(j'adore, car en plus c'est du vécu et je confirme la ténacité et l'ambivalence de la chose. En revanche j'ai eu du mal avec les descriptions de crasse chez certains...)

Je ne suis pas originaire de ce coin là, mais ma foi, le monde paysan à l'ancienne, que de souvenirs...
"Le vieux célibataire a l'hospitalité cordiale et généreuse. Il sait ce qu'il doit au monde. La simplicité de ses manières, simplicité dont il se réclame en vous forçant à boire un autre plein verre et à accepter un fromage ou une douzaine d'oeufs, n'est que l'apparence conventionnelle d'un attachement intégriste aux rituels complexes de la civilité paysanne. La conversation se tient assis sur des bancs, de part et d'autre de la table. Le verre rempli à ras bords doit durer. Son contenu marque le développement de la première phase, son remplissage permettra une relance. La conversation avec le vieux cousin n'implique pas nécessairement un langage verbal. Son fonds principal se constitue de grommellements dispersés, d'onomatopées entre lesquels on laisse s'installer un silence de bon aloi.
Là-dessus, quelques remarques à propos du temps, des récoltes, de la famille viennent se détacher en guise de fioritures décoratives. Un attrape-mouche doré pend dans le creux profond de la fenêtre, tortillé comme un ornement baroque dans une église. La lumière avaricieuse ne se dépense qu'à l'éclairer, le prenant pour un luxe, et nos laisse dans la pénombre. Sur la spirale glorieuse s'achèvent de minuscules agonies. D'autres mouches profitent du calme ambiant pour avancer avec soin leur exploration de la toile cirée."

Une unité d'espace (les villages proches) et de temps (deux jours) pour une plongée dans ce monde rural incroyable. L'auteur évoquera aussi son père et le secret de ses origines. Mais là n'est point le sujet, on ne s'attarde pas.

Ce récit/roman n'a pas eu l'heur de plaire aux villageois, qui ont agressé l'auteur lors d'un de ses passages en 2005, des noms d'oiseaux ont fusé, un procès s'en est ensuivi, et le dernier opus de Pierre Jourde, La première pierre, revient sur cette histoire. Il me tarde de le lire!

2007 le  procès

lundi 28 octobre 2013

Le Dernier Monde (abandon!)

Le Dernier Monde
Céline Minard
Denoël, 2007







Bon, ça démarre ainsi :
enfin, presque.
Jaume Roiq Stevens refuse de quitter sa station orbitale et se retrouve seul dans l'espace, observant la Terre.

Ensuite?
"Allo, Houston?"
Aucune réponse.

Il revient sur Terre, découvre qu'il n'y a plus un chat un être humain. C'est l'ambiance Demain les chiens

 Enfin, plus exactement, les cochons.

Durant les 100 premières pages, je jubile, je ronge mes ongles, je rigole, je flippe à mort.

"Désemparé, ça veut dire : plus emparé? Qu'on était emparé et qu'on ne l'est plus? Mais qu'est-ce qui s'est emparé de moi pour me laisser tout d'un coup brutalement si désemparé? Sans remparts. Déparé, sans bijoux. Dépris?"

J'aime bien l'écriture, en plus.

Comme l'on comprend très vite que Jaume est le dernier homme, pour dynamiser la narration, apparaissent des dialogues entre Jaume, Miss Echampson, Lincoln Lawson, sa peur, Waterfull, sa tristesse, sa mémoire. Il écrit son journal.

Page 200 (sur 514) au moment du voyage des cochons dans le Transmongolien, je lâche prise. Trop long. Pas envie de continuer le voyage sur une Terre sans hommes. L'impression que j'ai compris, pas la peine d'en ajouter. Un regard sur les dernières pages. Oui, bon. L'impression d'avoir lu le plus génial et de pouvoir en rester là?

De Céline Minard j'ai adoré So long, Luise  et  Faillir être flingué , je ne lâche pas, j'en ai un autre prévu!

noosfere n'a pas aimé du tout... Mes Imaginaires non plus...

samedi 26 octobre 2013

J'ai deux amours, mon sac et Paris

J'ai deux amours, mon sac et Paris
Fabienne Legrand
le cherche midi, 2013



Après Un été au Cap-Ferret (grâce auquel j'ai découvert où c'était...), voici du même auteur J'ai deux amours, mon sac et Paris, où Fabienne Legrand semble faire une fixation sur les sacs. Disons plutôt Prune, 44 ans, son héroïne parisienne jusqu'au bout des ongles. Pas tout à fait mon monde, bien sûr. (On me souffle dans l'oreillette que je possède, euh, dix sacs à main ou assimilés...incroyable!)

On retrouve les silhouettes longilignes et colorées au milieu de décors et de personnages croqués en noir et blanc, dans une ambiance hyper chic. Les fashionistas, c'est de mère en fille, sur plusieurs générations. Léger bien sûr, mais malin et drôle.

L'on pourra découvrir comment Mamita la grand mère s'est offert le sac en tapisserie le plus cher de l'histoire, comment agir contre une main baladeuse dans le métro (la saisir et l'agiter en criant "à qui ça?"), pourquoi Lola, 3 ans a lancé le sac de Mamine (âge censuré) dans la cage du python ("je l'ai rendu à sa maman!") et l'hilarante (et combien plausible) existence des sacmans....

Pour terminer, le monologue qui tue
"J'ai enfin trouvé le sac à main de mes rêves! J'ai acheter les chaussures qui vont avec... du coup, j'ai craqué pour un pantalon et une veste... Il fallait évidemment des sous-vêtements à coordonner à tout ça...
...Maintenant, je me pose forcément la question de la couleur de ma voiture..."

Les billets de L'irrégulière,   Stéphie  cathulu lystig
Merci Solène!

vendredi 25 octobre 2013

La prophétie d'Abouna

La prophétie d'Abouna
Fawaz Hussain
ginkgo éditeur, 2013


L’auteur : écrivain kurde de langue française, né dans le nord-est de la Syrie, vivant à Paris, également traducteur d'auteurs français.

Encouragé par Abouna, le prêtre catholique de l'école où il a appris le français, Mohamed débarque à Paris en 1978, décidé à devenir Balzac ou rien. Il s'inscrit à la Sorbonne, pour de longues années plus tard venir à bout de sa thèse intitulée "La prophétie mésopotamienne et les rives de la Seine".

Aidé par des connaissances de même origine kurde et quelques français, il va loger dans des chambres de bonne, exercer des petits boulots alimentaires et selon ses dires plaire à pas mal de femmes. Jusqu'à une suédoise qui le convaincra de la suivre dans son pays. Cela ne se passera pas tellement bien, le malheureux passant en prime des années en Laponie.

Ce quart de siècle sans doute bien autobiographique est conté avec vivacité et humour, dans une langue fort imagée. Les moments noirs existent, mais pas question de s'appesantir et se faire plaindre. J'ai aimé découvrir la France des années 80 par les yeux d'un étudiant amoureux de Balzac, un regard faussement naïf souvent, et en prime un voyage dans une Suède féministe et réfrigérante.

Le début,
Merci à Marine D. et l'éditeur.

mercredi 23 octobre 2013

Si vaste d'être seul

Si vaste d'être seul
Tristan Cabral
cherche midi, 2013



Ah c'est malin, "on*" m'envoie un recueil de poésie, je le lis entièrement, et j'ai envie d'en parler sur ce blog. Je n'aime pas trop la poésie d'ordinaire, c'est de notoriété publique et en désespère certaines, alors en parler intelligemment.... Tentons.

Landes
Dans le jour bleu des ronces
Le sable me surveille et m'attend;
Dans les fentes de la mer, Je vois des phares aux yeux fermés,
Les forêts bleues résonnent de rafales
et je sais l'âme des bruyères;
je serre sur mon cœur de vieilles armes rouillées;Derrière les barbelés d'enfance
M'attend
Un grand bateau aux voiles toutes blanches.
Au Cap-Ferret
Sur le Mur de l'Atlantique


Côte Atlantique, avec cette couleur bleue qui revient, puis rapidement des thèmes en des lieux "où le destin de notre siècle saigne" [Aragon], tels Cambodge, Treblinka, Syrie, Paris 1963, Liban, Rwanda, Palestine, et des balades rêveuses à Istanbul...

http://ilios.pagesperso-orange.fr/musique/fortino_samano.htm

Pour toi Fortino

Fortino Samano
en ce 12 février 1917
les mains dans les poches
un bout de cigare à la bouche
le chapeau un peu baissé sur les yeux
regarde son peloton d’exécution;
il jette sur ceux qui vont tirer
un dédain souverain;
on dirait qu'il n'y croit pas...
on dirait qu'il dit "alors vous tirez ou non?"
derrière lui
sur le mur
quelqu'un a écrit
"da me la muerte que me falta"
Fortino ! je t'envie!

Mexique, 12 février 1917; c'est la photo préférée de Cartier-Bresson

Des poèmes bruts, révoltés, hurlants, frappants, écrits avec les tripes.
Du même auteur : Juliette ou le chemin des immortelles.

*Merci Solène!

lundi 21 octobre 2013

Un roman argentin

Un roman argentin
Gilles Perez
naïve livres, 2013


Un roman argentin s'est révélé, comme espéré, inclassable.
Inclassable et à découvrir, oui, mais comme souvent dans ce cas, difficile à expliquer ce qui fait le charme dudit livre...

A quarante ans, le narrateur (auteur?) se décide à partir en vacances à Buenos Aires,  laissant à paris une vie calme de lecteurs de manuscrits et rewriter et son chat Crébillon, refusant la tentation de devenir écrivain médiocre, craint-il, passant les dimanches soirs chez ses parents (blanquette ou gigot), ne laissant pas les femmes s'attarder dans sa vie. En vol l'avion est pris dans un cyclone, tous les passagers craignent le pire.

Ses pensées volent, il imagine ses parents en deuil, pense à des lectures passées, croit qu'un passager a disparu : Meurtre ordinaire dans un avion, est-ce possible? Pas moyen de se lever pour vérifier. Revenant périodiquement dans l'avion, il imagine, il voyage en Argentine, rencontre un vieil indien. A Buenos Aires il fait connaissance du libraire qu'il est venu rencontrer, nommé Ignacio Sereno Parodi (comme chez Borges et Casares), qui lui raconte son histoire, l'on en apprend sur la vie des fantômes, des idées de romans surgissent...

Finalement, si on regarde froidement les choses, le narrateur passe quelques heures dans un avion en perdition,voilà tout. Mais le tour de force est d'entraîner le lecteur de façon fluide et naturelle dans ses élucubrations, dans des voyages et des histoires auxquels l'on croit, le ramener dans l'avion, le laisser repartir. L'on croise des auteurs, des poètes, l'on suit discussions, argumentations, hypothèses.

Un roman absolument captivant, jubilatoire, parfaitement maîtrisé. N'hésitez pas à grimper dans le vol A456 d'Aerolinas Argentinas et attachez vos ceintures, risques de turbulences...

En exergue une citation de Rodrigo Fresan tirée de La vitesse des choses (+1 pour la LAL)
"Les partisans du roman diront qu'une vie n'est rien d'autre qu'une longue narration dont le titre est le nom de son protagoniste. Des romans qui croisent d'autres romans, et dont les personnages, pour nous secondaires, sont les héros de sagas que nous ne lirons jamais. C'est possible... Mais" ...(je coupe ici)

Merci à Sybille Lecomte de LP conseils et l'éditeur qui propose de beaux et bons bouquins. J'adore leur format...

vendredi 18 octobre 2013

Faillir être flingué

Faillir être flingué
Céline Minard
Rivages, 2013


Repéré dans la liste des sorties de la rentrée, mais ce que je n'avais pas prévu, c'est le succès sur les blogs, car son précédent, So long Luise, était resté plus confidentiel.
Alors?

 Petite mise en bouche:
"Sally le regarda dans les yeux et lui déclara d'une voix grave et chaude qui pouvait augurer du pire comme du meilleur:
- Et pourquoi pas, tu commences à m'intéresser, cow boy."

"- Qui est venu ici avec le hongre pommelé qui est attaché dehors? (...)
- Et pourquoi, c'est le tien?
- Précisément, répondit Bird dont la main droite se crispa involontairement sur la crosse du fusil."

Quel régal! L'ouest est là, sous nos yeux, tel qu'il a dû exister peut-être, en tout cas tel qu'on l'imagine! Rien ne manque : les chariots bâchés dans la prairie, les trappeurs, les fourrures, les bandits (méchants), les aventuriers, les indiens, les loges médecine, les huttes de sudation, les chamans, et comme les passages précédents l'indiquent, le saloon avec les "petites pêches" tenu de main de maître par Sally. Sans oublier une violoncelliste, des éleveurs, un barbier et des blanchisseurs chinois.
Tout ce monde navigue dans les hautes herbes de la prairie, pour converger vers une ville nouvelle au milieu de pas grand chose.

Ouaip, les premiers courts chapitres peuvent déconcerter, avec tous ces personnages qui se croisent. Les chevaux (et les bottes) changent de propriétaires... (un jeu de chaises musicales?). Mais rapidement les fils se nouent et je n'ai pu qu'admirer comment tous les petits détails se sont casés quelque part, pour terminer par une histoire parfois dramatique, souvent amusante, jusqu'à frôler le loufoque. Superbe!!!

Les avis de Hélène, Le bouquineur, cathulu, cuneg, jérôme,yueyin, bluegrey,
Pour Yv, ça coince (mais sache que l'indienne a vite laissé la place à d'autres personnages...)

mercredi 16 octobre 2013

MetaMaus

Maus
Art Spiegelman
Flammarion, 2004
Traduction Judith Ertel


Qui n'a pas encore lu l'incontournable Maus, où Art Spiegelman raconte la vie des ses parents dans la Pologne d'avant la seconde guerre mondiale, puis leurs tentatives d'échapper aux nazis, pour se retrouver à Auschwitz en 1944, et enfin leur sortie des camps? Dans le même temps il évoque ses propres relations tendues avec son père, ses entretiens avec lui en vue du livre (démarrés en 1972, repris vers 1977), sans rien cacher du caractère assez difficile dudit père.

Une BD à lire absolument, et à seconde lecture j'ai noté que Art Spiegelman n'appuie pas sur les sentiments, il ne sort pas les violons, l'histoire en Europe parle d'elle-même. En revanche ses relations avec son père ne sont pas de tout repos. Je n'en dis pas plus, craignant avoir été influencée dans mes impressions par le livre suivant:
Ce billet sera plutôt consacré à Metamaus, tout aussi incontournable.

Paru en 2012,donc suffisamment longtemps pour que l'auteur puisse avoir réfléchi sur le succès du livre et ses conséquences dans sa vie d'auteur. "MetaMaus est bâti autour d'une série de conversations enregistrées avec Hilary Chute (professeur assistante au département d'anglais de l’université de Chicago)". Beaucoup d'illustrations, de photos, pour un texte (lisible) écrit assez fin, de près de 300 pages... Et comme si ce n'était pas assez copieux, un DVD accompagne le livre, proposant les heures d'enregistrement avec le père d'Art Spiegelman, des milliers de dessins préliminaires, et autres documents ...

Revenons au livre, de lecture aisée tout de même. Et réellement passionnante.

Par exemple, Spielgelman se base sur les souvenirs de son père, bien conscient qu'ils sont fragmentaires et sujets à erreur (involontaire) . Doit-il tout vérifier ou corriger sans l'accord de son père? Il choisit de tout présenter comme vu par son père, mais il y a cet exemple fascinant de l'orchestre à Auschwitz. Vladek, le père, n'en a jamais vu, or (des photos sont là) cet orchestre a existé. Spiegelman explique comment il a résolu habilement le problème (orchestre masqué par des gens marchant en rangs).

"Le sujet de Maus, c'est la récupération de la mémoire et, en fin de compte, la création de mémoire. L'histoire de Maus n'est pas seulement l'histoire d'un fils ayant des problèmes avec son père, et ce n'est pas seulement l'histoire de ce qu'un père a dû endurer. C'est l'histoire d'un dessinateur de BD qui essaye de visualiser ce que son père a vécu. C'est l'histoire de choix qui se font, il s'agit de trouver ce qu'on peut dire, ce qu'on peut révéler, et ce qu'on peut révéler au-delà de ce qu'on est conscient de révéler. "

Pour la traduction en d'autres langues et la parution à l'étranger, signalons que seuls les exemplaires japonais ont un format différent, les autres gardent le même format, et la même couverture (la croix gammée sur la couverture contrevenait à une loi allemande, mais finalement le gouvernement allemand l'a autorisé). Pour Israël, il a dû redessiner un chapeau, pour éviter une poursuite pour diffamation (!).

Une partie de la fin est consacrée à l'examen de plusieurs planches, montrant quel travail Spiegelman a effectué et à quel point la BD est un art! L'on apprend comment l'auteur a résolu certains problèmes, et a inséré dans ses dessins une multitude de détails peu visibles . Pas étonnant qu'il y ait passé des années.

On peut aussi lire des interviews de l'épouse et des deux enfants de Spiegelman.

Bref, une vraie mine dont je n'ai donné que quelques aperçus des richesses.

Le "book trailer"

Des avis chez babelio

lundi 14 octobre 2013

Rue des dames

Rue des Dames
Petits plaisirs solidaires
Roman premier volet (une suite un jour?)
Isabelle Marsay
Ginkgo éditeur, éditions Neige


Si j'avais eu mon mot à dire sur la couverture, j'aurais plutôt choisi la photo d'une superbe maison bourgeoise un peu fatiguée avec parc à l'abandon, comme celle où emménagent Prisca, Florence, et leurs enfants, rejoignant leur amie Juliette, propriétaire désireuse d'offrir gratuitement le gite et de créer une sorte de communauté fondée sur le respect de certaines règles biens sûr mais la liberté respectée de chacun. Sont prévus théâtre, rencontres, expositions, etc... et éventuellement la venue d'autres locataires.

Cette ambiance "fille" est un peu cassée par l'arrivée d'un auteur spécialiste de Richard de Fournival, trouvère du 13ème siècle et auteur d'un Bestiaire d'amours. Les discussions s'avèrent parfois de haute volée, les individualités s'affrontent, c'est souvent brillant et intellectuellement roboratif.

Vous vous attendiez à autre chose? Moi aussi. Même si bien sûr cela évoluera comme la plupart le pensent. Sauf que... surprise! L'affaire tourne de façon imprévue, et de façon délectable (à mon goût).

Ce roman vraiment original semble devoir connaître une suite, alors vite, je l'attends! Ceci explique, je crois, que le potentiel de l'immeuble communautaire n'ait pas été complètement exploité, il reste toujours quatre appartements vides!

L'avis de l'Irrégulière,
Merci à Marine D. et l'éditeur (maintenant je le connais en vrai!)

vendredi 11 octobre 2013

Au revoir là-haut

Au revoir là-haut
Pierre Lemaitre
Albin Michel, 2013



D'accord, ce roman réunit les louanges de blogs et est en lice pour de nombreux prix littéraires, ma bibliothèque à cette occasion a enfin découvert l'auteur (et acheté tous ses titres ou presque), mais bon, comme on dit, faut voir ça soi-même.

Eh bien, j'ai vu, et je suis bluffée! On est là dans l'excellent, l'incontournable et le passionnant.  L'auteur aime Dumas, donc si je parle de "populaire" il n'en sera pas vexé j'espère. Enfin un roman intelligent et pas ennuyeux!

Pour sûr, les tranchées en 1918, le patriotisme exacerbé les années suivantes, les démobilisés sans trop le sou, ça n'attire pas a priori. Mais les caméras tournent à hauteur de personnages, et quels personnages! Une crapule finement réussie, Henri D'Aulnay-Pradelle. Edouard Péricourt, né une cuillère d'argent dans la bouche, doué, fantasque et malheureux. Albert Maillard le petit employé besogneux, pas trop trop malin et terriblement sympathique dans ses hésitations (ahhh sa mère!). Début novembre 1918 tout va se nouer pour eux...

Si vous aimez les cimetières et la boue, vous allez être gâtés. Si vous aimez les arnaques un peu boiteuses, ce roman est aussi là. Si vous pensez que plus le méchant est réussi, meilleur est le livre, alors foncez!
Cerise sur le gâteau, et quand même étonnant au départ, on se surprend à rire même dans des situations extrêmement dramatiques, car c'est terriblement caustique; ajoutons que c'est servi par une écriture nerveuse, efficace, et des formules qui font mouche.

Volontairement je ne donne guère de détails, après tout, lisez ce roman!

Les avis de clara, Argali, Cuné, DominiqueStephie, Ys

mercredi 9 octobre 2013

Mon Amérique

Mon Amérique
Jim Fergus
Le cherche midi, 2013
Traduit par Nicolas de Toldi


Bon, j'ai toujours une prévention contre la chasse et préfère les balades où on admire les bestioles en les laissant tranquilles, mais Fergus, comme dans Espaces sauvages, a une façon de raconter pleine d'humour et d'autodérision. Il nous invite à sillonner l'Amérique rurale en déshérence mais recelant toujours des sites prodigieux de beauté. Rappelant que les chasseurs ne sont pas plus responsables de la disparition des oiseaux que les promoteurs immobiliers et les industries polluantes, il prend tranquillement son fusil et surtout surtout Sweetzer sa fidèle labrador. Il est toujours aussi mauvais tireur et prend autant plaisir à admirer la nature qu'à remplir sa gibecière (en vue de repas fins, à l'en croire). D'ailleurs les oiseaux sont futés et parfois logent dans des coins inaccessibles...

"Et ces gens-là étaient des marcheurs, ce qui nous allait bien à Doug et à moi. La prairie autour de Glendive avait une allure particulière. La plaine ondulait gentiment, coupée par des ravines, et formait un immense et merveilleux terrain de chasse sur lequel nous nous dispersâmes tandis que les chiens déployaient leur propre quête avec un sentiment de liberté inégalable. Hommes et chiens progressaient ensemble, concentrés sur le seul objectif de poursuivre ces oiseaux qui s'envolaient devant nous, partageant la joie pure de se sentir en vie, de parcourir la prairie en toute liberté sur des kilomètres avec des compagnons animés du même esprit, de ressentir une simplicité, une légitimité, qui n'ont que peu d'équivalents dans le monde moderne. Après, nous cuisinions les oiseaux sur des réchauds de campagne dans l'Airstream ou devant le motel bon marché de Glendive où nos amis avaient établi leur base. Nous cuisinions, nous partagions des éclats de rire, dînions et buvions du vin, puis nous discutions sans fin dans une chambre du motel, calés par les oreillers des lits sur lesquels nos chiens, fourbus, affalés, dormaient du juste sommeil des chasseurs. Après tout, c'est peut-être à cause de ces moments-là que la chasse semble réduire nos vies à une chose très élémentaire dénuée de toute complication."

Peut être pas un incontournable de récit nature, mais plaisant à découvrir, et puis je suis toujours partante pour une promenade dans les vastes étendues américaines, avec de bons compagnons!

Les avis (en mi-teinte) de Le bouquineur et Folfaerie (qui renvoie dans son billet aux grands incontournables du nature writing)

Merci à Solène P.

lundi 7 octobre 2013

Comme les amours

Comme les amours
Los enamoramientos
Javier Marias
Gallimard, 2013
Traduction Anne-Marie Geninet



Un roman repéré dans les listes de la rentrée littéraire, et hop, emprunté, et hop, lu. J'aime Javier Marias, son étudiant d'Oxford, son univers, bref, ce billet ne sera pas objectif.

Madrid, de nos jours. Maria est éditrice (de courts passages hilarants sur "ses" auteurs, j'en redemanderais, mais le propos du livre était ailleurs) et prend son petit déjeuner dans une cafeteria où elle observe un couple tellement  remarquable qu'elle le nomme le Couple Parfait. Jusqu'au jour où elle ne le voit plus et apprend que Miguel, le mari, a été assassiné par un déséquilibré. Plusieurs mois plus tard, elle se présente à Luisa, la veuve, encore sous le choc, qui lui parle sans contrainte de sa douleur. Chez elle, Luisa fait connaissance de Javier Diaz-Varela, et leur relation deviendra intime, même si l'intérêt de Javier pour Luisa ne lui laisse guère d'espoir.

Comme je n'avais pas lu la quatrième de couverture (en gros la même que le résumé précédent)(et qui en dit bien moins que l'article du dernier Lire, brillant, mais quel besoin de presque tout dévoiler?), je me suis laissée happer par cette prose si fluide, où se mêlent harmonieusement descriptions, pensées, dialogues réels ou imaginaires, pensées et réflexions des personnages. Sans savoir où Javier Marias allait mener son lecteur (quel bonheur!) j'ai découvert en prime une étude du Colonel Chabert et des Trois Mousquetaires  vus sous l'angle des morts qui feraient mieux de ne pas revenir...

Javier Maria, dont j'ai déjà lu deux romans, a bien sûr son talent personnel, mais pour expliquer le plaisir que j'ai eu à découvrir ces Enamoramientos, je pourrais évoquer Zweig pour l'histoire impossible à lâcher filant dans des directions inattendues, et pour les fines réflexions psychologiques. Ainsi que Proust quand il digresse sur le ressenti de Maria étendu à tout être, particulièrement les femmes, décortiquant le fonctionnement profond de chacun, au point que comme pour Proust je devais m'exclamer "oh que c'est bien vu, que c'est cependant original".

"Il est un autre inconvénient à pâtir d'un malheur : pour qui l'éprouve, ses effets durent beaucoup plus que ne dure la patience des êtres disposés à l'écouter et à l'accompagner, l'inconditionnalité qui se teinte de monotonie ne résiste guère.Et ainsi, tôt ou tard, la personne triste reste seule alors qu'elle n'a pas encore terminé son deuil ou qu'on ne la laisse plus parler de ce qui est encore son seul monde, parce que ce monde d'angoisse finit par être insupportable et qu'il fait fuir.Elle s'aperçoit que pour autrui n'importe quel malheur a sa date de péremption sociale, que personne n'est fait pour contempler la peine, que ce spectacle n'est tolérable que durant un bref laps de temps, tandis qu'il porte en lui déchirement et commotion et une certaine possibilité d'agir en protagonistes pour ceux qui regardent et assistent, et qui se sentent indispensables, sauveurs, utiles. Mais en constatant que rien ne change et que la personne affectée n'avance ni n'émerge, ils se sentent superflus et dévalorisés, en sont presque offensés et s'en éloignent."

"Quand on est amoureux, ou plus précisément quand une femme l'est, surtout dans ces débuts où l'état amoureux possède encore l'attrait de la révélation, nous sommes généralement disposées à prendre à coeur n'importe quel sujet qui intéresse ou dont nous parle celui que nous aimons. Pas seulement à feindre l'intérêt pour lui être agréable, le conquérir ou asseoir notre fragile position, cela va de soi, mais à lui prêter une véritable attention et à nous laisser contaminer réellement par tout ce qu'il ressentira et transmettra, enthousiasme, aversion, sympathie, crainte, préoccupation et même obsession. ... ..."

Alors Marias, ça passe ou ça casse, j'en conviens; mais franchement j'en redemande!

Des avis chez Mélopée,

jeudi 3 octobre 2013

Mudwoman

Mudwoman
Joyce Carol Oates
Philippe Rey, 2013
Traduction



Meredith Ruth Neukirchen revient de très très loin. Une mère folle qui la jette dans la boue, dont elle est sortie presque mourante par un type qui entend des voix. Une famille d'accueil où il faut lutter, puis l'adoption par un couple de quakers lui donnant le même nom que leur fillette décédée.

Volontaire, travailleuse acharnée et intelligente, elle fera de très brillantes études et deviendra la première femme présidente d'une université renommée. Seule -ou sachant mal déléguer-, perfectionniste, devant jouer un rôle. Elle doit en particulier gérer l'agression d'un de ses étudiants, mal vivre l'engagement des Etats Unis dans la guerre en Irak, et s'épuiser à suivre un emploi du temps démentiel.
Par hasard -ou pas- elle reviendra sur des lieux de son passé. Surmenage professionnel, vie personnelle sans éclat, elle va frôler la folie.

Voilà pour l'histoire. Sachant que mes dernières tentatives pour lire Oates (alors qu'avant ça se passait bien) se sont soldées par des abandons (pas envie de retrouver l'ennui connu avec les Mulvaney), y compris pour son récit de la mort de son mari et la période de veuvage, il va falloir marcher sur des oeufs pour ce billet.

D'abord, pas d'abandon. Ouf.

Un bon paquet de passages fonctionnent très très bien, particulièrement ce qui concerne les responsabilités d'une présidente d'université, la gestion d'un problème grave avec un étudiant, l'arrière plan politique de l'époque, la culpabilité face aux combattants de retour de la guerre, meurtris et infirmes. Le retour chez son père adoptif, leurs visites, ses souvenirs de collège. Et l'histoire du corbeau m'a scotchée...
La lente montée de l'épuisement, de la dépression sont a posteriori fascinantes et crédibles.

Avec un tel sujet Oates aurait pu appuyer sur le pathos et le misérabilisme, finalement tout est resté bien maîtrisé, et de plus je n'ai pas trop eu à souffrir des passages en italique soulignant les pensées de l'héroïne ou instillant le suspense.

Joyce Carol Oates a sans aucun doute volontairement laissé s'instaurer une distance entre elle et son personnage, et entre les lecteurs et son personnage. Je soupçonne même qu'elle a choisi de ne pas s'emballer dans les passages difficiles pour son personnage, accidents, rencontres inattendues, etc..., dégonflant rapidement le soufflé, au risque de procurer agacement et ennui (ce fut mon cas). Difficile de ressentir grande empathie à l'égard d'une héroïne nommée M.R. Pas mal de fois, ma lecture fut accompagné de yeux levés au ciel, de "et gnagnagna" quand ça tournait en rond, et autres remarques telles "OK on a compris, la solitude, pas bien, inutile d'en rajouter" ou "mais tu n'avais pas deviné quelle était cette tombe?". Quant à son amant (secret) , j'ignore combien de fois on en parle de cet amant (secret), mais qu'il soit (secret), entre parenthèses, pfou, énervant.
Terminons avec l'usage des points d'exclamation, tels des coups inutiles dans les oreilles : "Deux fois par jour ils promenaient Salomon! Trois fois par jour, quelquefois. Car Salomon n'était pas un chien d'appartement, il était fait pour chasser." (passionnant?)(je me mets aussi à l'italique, tiens)

"Oh mon Dieu! Pourvu que je n'ai rien de cassé...
Et elle était seule dans cette maison obscure : elle avait renvoyé son intendante de bonne heure.
Elle n'avait naturellement pas voulu que sa très sympathique intendante/cuisinière lui prépare un repas, alors qu'il lui était si facile de le faire si elle le souhaitait."
Le genre de détails longuets, car on sait déjà que M.R. habite seule, et qu'elle est fort correcte avec son personnel. Moi je voulais vite savoir si elle n'avait vraiment rien de cassé. (en fait, non, on se retrouve ensuite quinze jours plus tard)
Encore longuet:
"Naturellement, elle savait:  elle était en retard. Pour une raison inconnue, M.R. qui n'était jamais en retard, était en retard ce soir. Dans sa propre demeure, en retard! Pour une soirée dont elle était l'hôtesse, en retard."
M.R. la perfectionniste ne semble pas supporter d'être en retard. Finalement personne ne s'en apercevra, grâce à l'habileté d'un collaborateur.

Mon propos, en plus de parler de ma lecture, était égoïstement de toucher du doigt pourquoi JCO ne m'emballait pas plus que ça, avec l'impression de passer à côté d'un bon auteur, quoi.
Alors pour terminer redisons que j'accorde à l'auteur son choix de rendre le lecteur distancié de son héroïne et de détailler beaucoup pour bien rendre la montée de son "craquage", après cauchemars, insomnies,  souvenirs récurrents. On a l'impression que sa vie fut sous sous pression, à accomplir ce qu'on attend d'elle, à se retenir.
En tout cas, à la toute fin, elle se lâche, "haletante, sanglotante, euphorique", et bravo, enfin une éclaircie! Son amant (secret) qui veut la voir (une fois malade et viré par sa femme) sera-t-il à la hauteur?

De beaux passages
"L'Université était l'un de ces grands clippers d'antan, le Cutty Sark des universités - un création majestueuse d'une ère révolue, miraculeusement intacte, à qui des moteurs invisibles permettaient de traverser des tempêtes qui auraient fracassé des embarcations plus frêles."
"Car nous chérissons plus que tout ces lieux où nous avons été conduits pour mourir mais où nous ne sommes pas morts."
"L'important n'était pas ce qui s'était réellement passé mais ce que l'on pouvait faire croire  s'être passé à un nombre considérable de personnes."

Merci à l'éditeur. Bravo à la nouvelle charte graphique, très réussie.