mardi 29 novembre 2022

Tenir sa langue

 


Tenir sa langue

Polina Panassenko

Editions de l'Olivier, 2022


Si vous avez lu les billets de Aifelle,  Tête de lecture Alex Delphine-Olympe Doudoumatous       (liste copiée chez Aifelle) vous savez en gros de quoi il s'agit et avez découvert des passages frappants. La jeune Polina est arrivée en France toute petite et lorsqu'elle découvre qu'elle s'appelle Pauline et plus Polina, elle va au tribunal. Et découvre que c'est assez compliqué. Pour elle, c'est important, c'est le prénom de sa grand mère, qui avait déjà changé de nom aussi, d'ailleurs.

De Russie, la famille s'est installée à Saint Etienne, mais les liens ne sont pas rompus et chaque été ils reviennent dans la datcha familiale retrouver les grands parents. 

Entre deux pays, entre deux histoires, entre deux langues, la jeune Polina est bien recrée lors de ses premiers pas en école maternelle, j'ai ressenti le traumatisme que ça a dû être. 

J'ai aussi beaucoup aimé l'écriture pleine d'allant et parfois d'inventivité.

Je termine avec un passage qui m'a bien plu aussi:

"Au début, je pensais que parler français sans accent ça voulait dire parler sans qu'on sache que je suis russe. Sans qu'on puisse me demander d'où je viens et ce qui m'amène.

Mais à Saint-Etienne on peut parler français sans accent et avoir l'accent quand même. A Saint-Etienne, l'accent, ça veut dire l'accent stéphanois. On peut le cumuler. Stéphanois + russe + banlieue. Il y a aussi le parler gaga. Le parler gaga, pendant longtemps, je ne savais pas que ça se cumule. Je ne savais pas qu'en dehors du Forez, personne n'est berchu quand il lui manque une dent.

Français sans accent ça veut dire français accent TV personnage principal. Accent Laura Ingalls et Père Castor. Accent Jean-Pierre Pernaut et Claire Chazal. Prendre l'accent TV c'est renoncer à tous les autres. Pas de cumul possible avec l'accent TV."

Avis babelio

samedi 26 novembre 2022

La pitié dangereuse


 La pitié dangereuse

Stefan Zweig

Lu dans La pochothèque,1996

Traduction révisé par Brigitte Vergne-Cain et Gérard Rudent


Voulant participer au rendez-vous des Feuilles allemandes

ainsi qu'à une lecture commune avec Inganmic, Brize, cleanthe, Agnès
je suis revenue à Stefan Zweig (une valeur sûre)!

La pitié dangereuse, écrit juste avant la seconde guerre mondiale, est finalement un long roman (par rapport aux nouvelles de l'auteur). Après un prologue où classiquement un narrateur rencontre un personnage qui va raconter son histoire, le lecteur se retrouve juste avant la première guerre mondiale, dans une petite ville de garnison des environs de Vienne. 

A 25 ans, le lieutenant Hofmiller a passé 15 ans de sa vie dans un milieu militaire, le voilà officier d'un régiment de uhlans. Issu d'une famille modeste, ses moyens sont réduits. Il est d'autant plus étonné et flatté de se rendre chez les Kekesfalva, les hobereaux locaux, où d'emblée il se montre maladroit, par ignorance de l'état de santé d'Edith, la jeune fille de la famille. Au fil du temps, il s'y rend soirées après soirées, développant à l'égard d'Edith des sentiments ambigus, à base de pitié surtout.

"Il y a deux sortes de pitié. L'une, molle et sentimentale, qui n'est en réalité que l'impatience du cœur de se débarrasser au plus vite de la pénible émotion qui vous étreint devant la souffrance d'autrui, cette pitié qui n'est pas du tout la compassion, mais un mouvement instinctif  de défense de l'âme contre la souffrance étrangère. Et l'autre, la seule qui compte, la pitié sentimentale mais créatrice, qui sait ce qu'elle veut et est décidée à persévérer avec patience et tolérance jusqu'à l'extrême limite de ses forces, et même au-delà."

Fort heureusement, même s'il y a une unité dans le roman, la vie de la caserne est aussi excellemment rendue, un retour sur le passé du père d'Edith et la connaissance du présent du docteur Condor ouvrent un aperçu de la vie des gens en Autriche Hongrie, et sortent de l'ambiance assez étouffante du château de Kekesfalva. Oui, sinon il était possible de commencer à s'ennuyer, en dépit de l'écriture toujours épatante de Zweig.

Zweig est à son meilleur pour nous plonger dans les atermoiements de Hofmiller, jeune homme disons naïf et sans expérience réelle, pris de pitié pour les Kekesfalva père et fille. Des conversations avec les protagonistes permettent cependant de les connaître un peu.

J'ai apprécié aussi l'utilisation de certain événement historique vécu à chaud et non sans conséquences pour le dénouement de l'histoire.

Avis babelio, miriam

Lecture faite dans le cadre des lectures thématiques « Autour du handicap »  organisées par  etsionbouquinait et Ingannmic.

mardi 22 novembre 2022

Tourisme local

 Pas très loin de chez moi existent de nombreux châteaux dits 'de la Loire'; j'en profite d'ailleurs pour préciser que Chenonceau est sur le Cher, pas sur la Loire.

Mais aujourd'hui, direction Valençay, seul coin de France ayant une appellation vin ET fromage (de chèvre, miam). 

Un arrêt à la gare, construite au début du 20ème siècle, dans un style Renaissance, pour aller avec le château. Elle voir passer le fameux Blanc-Argent sur une voie métrique (et unique).

Vue de la façade sud du château
Sur la droite, quelques champignons tracent le chemin vers une statue
Avant de pénétrer sous le porche
Quelques rangs de vigne
La cour intérieure



Je résiste mal aux clavecins

Une table de jeu? Quel jeu?
Le château est surtout connu pour avoir appartenu à la famille de  Talleyrand et abriter la table du congrès de Vienne (ci-dessous). Son tombeau est visible en ville.
Un mobilier surtout Empire, je passe...
Comme on me parle de cuisines en commentaire, hop, voilà!


Visite du parc, avec des grottes à tuffeau (accès interdit)
Le tuffeau, bien utilisé dans le coin pour les constructions (y compris chez moi, je confirme que ça n'aime pas l'humidité)


Quelques animaux en clôture, mais sinon les forêts du coin abritent du beau gibier, biches, chevreuils, cerfs. Prudence sur la route.
Reste le petit théâtre, dans un autre bâtiment, non inclus dans la visite libre. 

Ouvert pour des groupes plus restreints ou lors de concerts. Très joli, bien restauré, et à l'acoustique redoutable. Une jauge d'une centaine de personnes.

Fin de la visite!

jeudi 17 novembre 2022

L'art de perdre


 L'art de perdre

Alice Zeniter

Flammarion, 2017


Quand j'ai présenté Je suis une fille sans histoire d'Alice Zeniter, plusieurs m'ont dit en commentaire de lire L'art de perdre. Obéissante, je l'ai emprunté et lu.

Alors? Autant dire que Zeniter avait intérêt à capter mon attention, car de moi-même je ne serais pas allée vers cette histoire; une histoire de famille sur trois générations, entre Algérie et France. Ali tombé dans la case harki, ainsi que sa famille, doivent quitter l'Algérie. Dans la génération suivante, élevée ou née dans des camps de transit qui s'éternisent puis des cités HLM, la langue se perd, l'histoire est tue. Puis viennent Naïma et ses sœurs, Naïma effectuant à la fin un voyage -professionnel- en Kabylie. Un narratrice en 'je' intervient parfois, ce serait l'auteure?, dont l'histoire ressemble à celle de Naïma?

Ce roman a reçu de nombreux prix, il est bien écrit, présenté en trois parties, bien clair et documenté. Jamais inutilement romancé. Mais je suis un poil restée à l'écart, même si certains passages m'ont frappée. Cependant je pense continuer à lire l'auteur!

Avis babelio

Le titre vient d'un poème d'Elisabeth Bishop (1911-1979) :


Dans l'art de perdre il n'est pas dur de passer maître,

tant de choses semblent si pleines d'envie

d'être perdues que leur perte n'est pas un désastre.


Perds chaque jour quelque chose. L'affolement de perdre

tes clés, accepte-le, et l'heure gâché qui suit.

Dans l'art de perdre il n'est pas dur de passer maître.


Puis entraîne-toi, va plus vite, il faut étendre

tes pertes : aux endroits, aux noms, au lieu où tu fis

le projet d'aller. Rien là qui soit un désastre.


J'ai perdu la montre de ma mère. La dernière

ou l'avant-dernière de trois maisons aimées : partie!

Dans l'art de perdre il n'est pas dur de passer maître.


J'ai perdu deux villes, de jolies villes. Et, plus vastes,

des royaumes que j'avais, deux rivières, tout un pays.

Ils me manquent, mais il n'y eut pas là de désastre.


Chouette découverte, profitez-en, les gens, je suis en général rétive à la poésie; voici la version originale  ici. Je ne la reproduis pas, il y a des droits.

lundi 14 novembre 2022

Etre un chêne / Et si on écoutait la nature?

 Allez hop un grand bol d'air!


Etre un chêne

sous l'écorce de Quercus

Laurent Tillon

Mondes sauvages pour une nouvelle alliance

Actes sud, 2021



Direction la forêt de Rambouillet, avec Laurent Tillon, biologiste et ingénieur forestier à l'Office national des forêts. Spécialisé dans l'écologie des chauves-souris sylvestres, sa deuxième passion après les arbres. (quatrième de couverture).

Dans cette forêt se dresse Quercus, beau chêne de 140 ans, lequel, si tout va bien, n'en est qu'au tiers de sa vie. Mais pour découvrir que sa vie n'a pas été un long fleuve tranquille, il faut lire absolument ce livre passionnant, sachant distiller les informations surprenantes et expliquer si nécessaire le pourquoi du comment.

Notre chêne n'est pas un élément de Sylva déconnecté de ses voisins les arbres, bien au contraire à l'insu des humains ça communique, surtout en cas de danger, car pas question de changer de place une fois le gland originel accroché en terre (et ayant échappé à Apodemus le mulot)

Mais d'autres bestioles vont profiter de lui, parfois avec de mauvaises intentions (mais chacun veut manger et se reproduire), parfois en échanges utiles.

Ne pas croire à une volonté consciente des protagonistes de cette fabuleuse histoire, Cerambys le petit capricorne, Dendrocos le pic épeiche, Myotis la murine et tous les autres. Oui, ils sont nommés, cela rend la narration plus proche et vivante. Les seuls conscients, on pourrait dire qu'il s'agit des forestiers, mais il a fallu du temps pour comprendre comment Sylva fonctionne! Une des côtés fascinants du livre c'est connaître l'évolution du métier de forestier, fini le temps où on dégageait systématiquement le bois mort! Ils doivent subir aussi les aléas climatiques, sécheresse, grande tempête de 1999.

Une pensée spéciale pour Canis le loup, dont le dernier a été abattu en 1869 (avec les réactions en chaîne sur le reste de Sylva), mais qu'on a aperçu récemment traverser le coin.

Pourquoi les balades en forêt nous font-elles du bien?

"Les phytoncides sont produits par les arbres parce qu'ils limitent le développement des bactéries et des champignons saprophages, qui altèrent les feuilles et les bois. Les arbres en fabriquent en permanence pour participer à la lutte naturelle face aux dangers qui les guettent. Par ailleurs, volatils, ils permettent à l'arbre de communiquer avec ses voisins ou entre ses branches éloignées. Ces phytoncides sont produits principalement en milieu de journée. Ils jouent un rôle inattendu en stimulant la production des lymphocytes NK, les cellules tueuses chez les mammifères, qui nous protègent, nous les hommes, contre les maladies."

"Leur contact, même aérien [on parle d'ions négatifs du printemps à l'automne, je ne cite pas tout]  réduit notre production de sérotonine, cette hormone qui traduit une augmentation du stress, de l'anxiété ou de la dépression. Pour l'homme, moins de sérotonine se traduit aussi par un diminution du rythme cardiaque et, par voie de conséquences, des risques cardiovasculaires."

Inutile de dire que j'en fait (oui, encore) un coup de coeur!

Avis babelio

Des vidéos faciles à trouver aussi, avec l'auteur.


Un petit poche m'a ensuite tentée (forcément)


Et si on écoutait la nature?

Laurent Tillon

Petite biblio Payot essais, 2022


L'on retrouve les arbres et les chauves-souris, passions de l'auteur, mais aussi plein d'autres bestioles (ah quand il explique que le moustique a son utilité...) et des exemples d'initiatives écologiques gagnant-gagnant . Même moi qui lis pas mal sur le sujet, j'ai appris des choses.

Billet court pour une lecture que je recommande. Et en poche.

Avis Babelio

jeudi 10 novembre 2022

Les aventures de Kvatchi Kvatchantiradzé


 Les aventures de Kvatchi Kvatchantiradzé

Mikheïl Djavakhichvili (1880-1937)

Ginkgo, 2022

Traduit par Maïa Varsimashvili-Raphael

Relecture de Vincent Matzloff, maître de conférences à l'Université de Partis-Sorbonne


Waouh grâce à Ginkgo, mon deuxième roman géorgien! Avec préface de la traductrice et notes détaillées si on veut aller plus loin. J'avoue que souvent le texte lui-même m'a entraînée et que j'ai ignoré les détails géographiques et historiques.

Alors, Kvatchi? Né à la fin du 19ème siècle, il va rapidement montrer de grands talents de débrouillardise, et avec un petit groupe d'amis géorgiens (et un turc) amasser des fortunes rapidement dilapidées, usant de méthodes à la limite de la légalité. Charmeur, trompeur, menteur, affairiste, il fait preuve d'une grande imagination pour se tirer de mauvais pas et monter des projets louches et profitables. Auprès des femmes, son attitude lui vaudrait de gros ennuis de nos jours.

Alors, peu sympathique? Sans doute. Mais sur ses basques c'est l'occasion de connaître l'Europe au tournant du 20ème siècle (y compris un bon passage se déroulant dans le Paris de la belle époque), et surtout la Russie. Celle du dernier tsar, d'abord. Kvatchi va devenir un proche de Raspoutine (si!), rencontrer le couple régnant. Participer à une bataille, à la Révolution (la russe). Connaître la prison, s'en sortir par la ruse. Fin de parcours assez amère.

Roman picaresque fort entraînant, à l'écriture tonique et souvent flamboyante, le lecteur a à peine le temps de respirer (Kvatchi et ses amis non plus). Une découverte, assurément.

lundi 7 novembre 2022

Le festin


 Le festin

The Feast, 1950

Margaret Kennedy

Quai Voltaire, 2022

Traduit par Denise Van Moppès

Avant-propos de Cathy Rentzenbrink


Un roman anglais des années 50, ça ne se refuse pas. Imaginons un hôtel dans les Cornouailles, au bord de la mer, au pied d'une falaise. Dans cet hôtel, la famille Siddal, qui le gère tant bien que mal, et les hôtes à la semaine. Une semaine va s'écouler, durant laquelle on fera connaissance de tout le monde, on s'attachera à certains, on en détestera d'autres, on aura un aperçu de futurs potentiels, et on se demandera qui va survivre et comment. Car dès le début on le sait : la falaise va s'écrouler, causant la mort de plusieurs personnages. J'avoue avoir eu mes préférences quant au choix des disparus par l'auteur... Cela se déroule en 1947, dans une Angleterre avec tickets de rationnement (des tickets pour les bonbons, vraiment?)

En tout cas j'ai beaucoup aimé cette fort plaisante lecture; je n'en dirai pas plus, contrairement à l'avant-propos, à lire APRES, où l'on est incité à associer personnages et péchés capitaux. Original et bien mené.

kathel, babelio, alex, électra, austist reading pour des passages en VO, 

jeudi 3 novembre 2022

Nos tendres cruautés


 Nos tendres cruautés

French Braid

Anne Tyler

Phébus, 2022

Traduit par Cyrielle Ayakatsikas


Cinquante années de famille Garett, voilà le programme! Bien évidemment on se dit que ce n'est pas original ... mais c'est Anne Tyler qui raconte. 

Après un début en 2010 on reprend une narration plus chronologique à partir de 1959, avec les premières (et seules?) vacances de la famille, les parents Robin et Mercy, les enfants Alice, Lily et David. De sauts en sauts, les décennies se suivent, les naissances, les décès aussi, chaque chapitre étant vu par l'œil d'un personnage. Anne Tyler ne détaille pas inutilement, le lecteur noue les fils sans encombres. Et puis, quel humour sous-jacent, quelle maîtrise! De rares moments d'émotion, d 'autant plus précieux, je note la disparition brutale d'un des personnages les plus fantasques, des noces d'or, un autre découvrant tard la délicatesse des autres membres de la famille, un couple recevant son petit-fils. Rien de brutal, juste la vie.

J'ai dévoré ce beau roman. Curieusement, je ne l'ai pas vu sur les blogs, alors qu' il a tout pour plaire   (amateurs de suspenses déments et d'horreurs en cascade, ce n'est pas franchement pour vous, mais on peut essayer, non?)

Un dialogue

"Evidemment, il a acheté un de tes tableaux, dit Mercy sur un ton qui suggérait qu'il ne l'avait évidemment pas fait.

- C'eût été trop beau, répliqua Magda. Et bien sûr, il a fallu qu'il critique les boissons servies au cocktail.

-Mais non!

-'Ma chère demoiselle, il a dit à la serveuse, par pitié ne me dites pas que vous ne proposez pas de vin rouge.'

-Oh j'adore quand les gens sont fidèles à eux-mêmes, dit Mercy.

-Moi aussi, surtout quand leur nature est mauvaise. Et tu sais ce que j'aime par dessus tout?

- Non, dis-moi.

- J'aime que, pour une fois, ce ne soit pas moi qui me sois mal comportée."


Avis babelio, bibliosurf