Camarade Papa
Gauz
Le Nouvel Attila, 2018
Après Debout Payé du même auteur, pas question de ne pas découvrir son nouveau roman!
Un petit passage à Amsterdam dans les années 80, avec un gamin à l'esprit vif et complètement endoctriné par ses parents communistes, version Albanie d'Enver Hodja et Corée du nord. Son père l'envoie en Côte d'Ivoire, où résident des amis et de la famille. Le gosse découvre le village, l'école.
Fin 19ème siècle, Dabilly s'en va chercher l'aventure dans l'Afrique coloniale à ses débuts; c'est l'époque des comptoirs sur la côte (Grand-Bassam, Assinie), des explorations vers le nord, et plus généralement de la lutte avec l'Angleterre visant à l'empêcher d'étendre ses colonies. Entre les deux, diverses tribus de la future Côte d'Ivoire, cherchant à tirer leur épingle du jeu.
Les deux récits alternent, avec de courtes 'légendes' d'une ou deux pages, dont les éléments s’intègrent parfaitement ensuite dans le cours de celui de Dabilly.
Voilà pour l'aspect général du roman.
Ce qui frappe ensuite, c'est l'écriture, qui à mon avis devrait convaincre le lecteur le moins attiré par une histoire des premiers temps de la colonisation en côte d'Ivoire et l'ambiance dans un petit village dans les années 1980.
"Dans la chaîne des discours de Camarade Papa, après les Philips, il y a les tulipes.Ce sont des fleurs turques qui ont attrapé la coqueluche chez les bourgeois hollandais il y a longtemps. Bien avant la vapeur anglaise, les bourgeois protesteurs hollandais utilisent la fleur turque pour fabriquer une bourse. la fleur n'est pas très belle, même les moutons refusent de la brouter. Mais à cause de la pluie value, ils s'achètent et se vendent la mauvaise herbe, ils inventent le capitalisme des bourses. Il ne vient pas d'Angleterre, tout le monde s'est trompé, Marx et son ange aussi."
Voilà un petit bonhomme qui a ingéré les discours du Papa, et le ressort à sa façon inimitable, l'histoire des tulipes est vraie. Savoureuse façon de raconter, non?
Avec Dabilly, on est dans un langage plus soutenu, ou la causticité affleure au 12ème degré. Ah ce temps des colonies, où la barre empêchait d'aborder en bateau sur le rivage, où l'on ne devait pas sortir sans casque avant 6 heures du soir, où l'on mourait vite fait de la fièvre jaune...
"On a tous deux balances: celle des achats et celle des ventes. celle des achats allège, celle des ventes alourdit. Ils sont malins, mais ça, ils n'ont pas compris.
A la colonie, les gens profitent.
- N'allez pas crois qu'il sont naïfs. Ils ne ratent pas une occasion de nous gruger, ces singes-là. On ne compte plus les ballots de caoutchouc, de coton ou de graines de palme alourdis par des cailloux.
La colonie rend les gens justes."
On l'aura compris, j'ai bien jubilé au cours de ma lecture, Gauz sachant égratigner au passage les diverses catégories de personnages. On y croise -d'assez loin- des personnages ayant existé, tels Treich ou Binger (oui, ceux de Treichville et Bingerville...)
Merci à Anne et Arnaud et à l'éditeur.
vendredi 31 août 2018
mercredi 29 août 2018
La Triomphante
La Triomphante
Teresa Cremisi
Eqauteurs, 2015
D'abord, jouer les râleuses. Décider de mettre un T majuscule à Triomphante car pour moi il s'agit du nom d'un navire, dont parle Teresa Cremisi, pour qui l'une des passions dès l'enfance était celle des navires et batailles navales. Puis m'interroger sur la nationalité exacte de Teresa Cremisi, née à Alexandrie autour des années 40, arrivée avec sa famille en Italie avant l'âge de 20 ans, ayant occupé des fonctions chez des éditeurs en France, mais dont la demande de naturalisation française s'est heurtée à un refus, et ça elle le raconte fort clairement! A moins que la France n'ait eu honte? Car elle est donnée comme naturalisée française sur Internet (dont ça ne serait pas la première erreur). Quoique certains décalages dans les années peuvent donner à penser que certaines parties ne correspondent pas à la réalité, d'où le 'Roman' en couverture. Va savoir. Mais peu importe.
De toute façon j'ai adoré ce livre. Mais quel bonheur de lecture. Quelle écriture pleine de grâce et légèreté, quelle classe. Ne pas espérer des détails croustillants sur des célébrités, de toute façon le name dropping n'est pas le genre de la maison, ne pas craindre des longueurs dans ce récit de sa vie. Non, elle sait évoquer, sans lourdeur, elle sait peindre un paysage, donner à sentir une ambiance. Rien que ce petit village italien où elle passe dorénavant la moitié de l'année, mais on le connaît en juste quelques paragraphes!
Délibérément je n'ai pas cherché à en savoir plus sur sa vie professionnelle et privée, préférant rester sur son livre. Elle a autour de 80 ans actuellement, semblant vivre cela sereinement.
"Une amie journaliste italienne, ancienne star des hebdos féminins, m'avait dit un jour avec aplomb: ' La cinquantaine est la vieillesse de la jeunesse alors que la soixantaine est la jeunesse de la vieillesse.' J'avais aimé et retenu la formule; elle adoucissait les transitions et traçait un double lien avec l'avancée de l'âge. Il y a le mot jeunesse dans les deux cas; la frontière restait floue."
Une drôle de personne tout des même, ayant fait siens dans sa jeunesse les conseils du comte Mosca (dans Stendhal). Et ses parents;.. "Mes parents ayant oublié de m'interdire quoi que ce soit, je n'avais jamais de ma vie entendu dire que je ne pouvais pas entreprendre quelque chose parce que j'étais une fille."
Et puis, me donner envie de lire Constantin Cavafis, c'est fort!
"Je venais moi aussi d'un carrefour décentré, j'étais 'en biais par rapport à l'univers' selon le mot de Forster à propos de Cavafis."
Parmi les dernières lignes:
"Je reste assise, j'attends le sommeil. Je respire, je ne lis pas, je regarde , je regarde.
Pas une virgule de l'histoire n'aura été écrite par moi, mon existence n'aura rien ajouté ou changé au destin du monde. Mes traces sont dérisoires. Les 'idées inexprimables et vaporeuses' qui ont traversé ma jeunesse n'ont rien produit. Tout sera vite oublié.
Mais ce monde je l'aurai beaucoup regardé."
Les avis de lili,
Teresa Cremisi
Eqauteurs, 2015
Coup de coeur
D'abord, jouer les râleuses. Décider de mettre un T majuscule à Triomphante car pour moi il s'agit du nom d'un navire, dont parle Teresa Cremisi, pour qui l'une des passions dès l'enfance était celle des navires et batailles navales. Puis m'interroger sur la nationalité exacte de Teresa Cremisi, née à Alexandrie autour des années 40, arrivée avec sa famille en Italie avant l'âge de 20 ans, ayant occupé des fonctions chez des éditeurs en France, mais dont la demande de naturalisation française s'est heurtée à un refus, et ça elle le raconte fort clairement! A moins que la France n'ait eu honte? Car elle est donnée comme naturalisée française sur Internet (dont ça ne serait pas la première erreur). Quoique certains décalages dans les années peuvent donner à penser que certaines parties ne correspondent pas à la réalité, d'où le 'Roman' en couverture. Va savoir. Mais peu importe.
De toute façon j'ai adoré ce livre. Mais quel bonheur de lecture. Quelle écriture pleine de grâce et légèreté, quelle classe. Ne pas espérer des détails croustillants sur des célébrités, de toute façon le name dropping n'est pas le genre de la maison, ne pas craindre des longueurs dans ce récit de sa vie. Non, elle sait évoquer, sans lourdeur, elle sait peindre un paysage, donner à sentir une ambiance. Rien que ce petit village italien où elle passe dorénavant la moitié de l'année, mais on le connaît en juste quelques paragraphes!
Délibérément je n'ai pas cherché à en savoir plus sur sa vie professionnelle et privée, préférant rester sur son livre. Elle a autour de 80 ans actuellement, semblant vivre cela sereinement.
"Une amie journaliste italienne, ancienne star des hebdos féminins, m'avait dit un jour avec aplomb: ' La cinquantaine est la vieillesse de la jeunesse alors que la soixantaine est la jeunesse de la vieillesse.' J'avais aimé et retenu la formule; elle adoucissait les transitions et traçait un double lien avec l'avancée de l'âge. Il y a le mot jeunesse dans les deux cas; la frontière restait floue."
Une drôle de personne tout des même, ayant fait siens dans sa jeunesse les conseils du comte Mosca (dans Stendhal). Et ses parents;.. "Mes parents ayant oublié de m'interdire quoi que ce soit, je n'avais jamais de ma vie entendu dire que je ne pouvais pas entreprendre quelque chose parce que j'étais une fille."
Et puis, me donner envie de lire Constantin Cavafis, c'est fort!
"Je venais moi aussi d'un carrefour décentré, j'étais 'en biais par rapport à l'univers' selon le mot de Forster à propos de Cavafis."
Parmi les dernières lignes:
"Je reste assise, j'attends le sommeil. Je respire, je ne lis pas, je regarde , je regarde.
Pas une virgule de l'histoire n'aura été écrite par moi, mon existence n'aura rien ajouté ou changé au destin du monde. Mes traces sont dérisoires. Les 'idées inexprimables et vaporeuses' qui ont traversé ma jeunesse n'ont rien produit. Tout sera vite oublié.
Mais ce monde je l'aurai beaucoup regardé."
Les avis de lili,
lundi 27 août 2018
Les futurs mystères de Paris
Les futurs mystères de Paris
Roland C. Wagner
L'Atalante, 2015
Un passage rayon SF de ma bibli (celle qui classe polars et SF à part) et me voilà attirée par un gros volume de plus de 1200 pages (les intégrales, c'est souvent copieux).
L'auteur est français (oui, madame!) et ses histoires se déroulent dans un Paris des années 2060, où l'on retrouve les noms habituels, mais un Paris pas tout à fait comme le notre (sinon on ne serait pas complètement dans la SF). Le lecteur ignore ce qu'est cette 'Grande Terreur Primitive' de 2013, mais peu importe, il va bien s'amuser à découvrir ce monde futuriste parfois fantastique. Le tout avec Tem, le héros, nommé Temple Sacré le l'Aube Radieuse par des parents millénaristes, et doté comme les enfants de millénaristes d'un Talent. Le sien est celui de Transparence, lui permettant de passer inaperçu, sauf de rares personnes, ce qui a ses avantages quand on est détective privé. Lorsqu'il veut qu'on le remarque (car dans la vie courante on en a besoin parfois) il s'habille de façon extrêmement voyante (non, vous n'imaginez même pas, ça fait mal aux yeux) et porte le chapeau vert fluo de la couverture. (Pour avoir une idée de la Transparence, facile: croisez un groupe d'ados, si vous avez plus de 40 ans et êtes habillés sans rien d’extraordinaire, vous êtes transparents)(testé!). Fonctionne aussi à Paris si vous arrivez seul dans un restaurant... (testé aussi)
La référence aux mystères de Paris est flagrante et on n'échappe pas à une action pleine de rebondissements, à des trouvailles, le tout en suivant le fil d'enquêtes où notre privé sera parfois déclaré coupable, mais quelle idée d'arriver juste après un crime! Pourtant les millénaristes sont réputés non violents et carburent à la tisane.
On n'en dirait pas autant du meilleur pote de Tem, Ramirez, flottant toujours dans un nuage d'herbe (bio et tout ça mais quand même). Ajoutons son amoureuse Eileen, Gloria, une aya aux transformations multiples, un cochon transgénique qui parle, et plusieurs personnages revenant d'aventure en aventure. Il me restait la dernière à lire, mais à près de 900 pages j'ai jugé c'était bon pour un autre pavé de l'été et ai dû sortir de cet univers pour revenir à d'autres lectures.
J'ai donc lu La balle du néant, Les ravisseurs quantiques, L'odyssée de l'espèce, L'aube incertaine et Honoré à disparu, ce qui représente quatre livres.
Pour avoir une idée, quelques passages
"Trop d'événements s'étaient produits que je ne comprenais pas. Parti chercher une jeune fille tombée aux mains d'une secte, je me retrouvais- peut-être, car il existait une autre explication, guère plus rassurante, d'ailleurs- dans une univers alternatif dominé par l'URSS, après avoir affronté psychiquement un terrifiant shampouineur de neurones qui n'avait point besoin de tout un appareillage compliqué pour nettoyer le cerveau de ses victimes. Je suppose que c'est ce que certains appelleraient une journée bien remplie." [les ravisseurs quantiques]
"Nous sommes partis pour jouer les prolongations de l'Armaguédon -avec vous dans le rôle du ballon."
Vraiment le pavé de l'été, (chez Brize)
Roland C. Wagner
L'Atalante, 2015
Un passage rayon SF de ma bibli (celle qui classe polars et SF à part) et me voilà attirée par un gros volume de plus de 1200 pages (les intégrales, c'est souvent copieux).
L'auteur est français (oui, madame!) et ses histoires se déroulent dans un Paris des années 2060, où l'on retrouve les noms habituels, mais un Paris pas tout à fait comme le notre (sinon on ne serait pas complètement dans la SF). Le lecteur ignore ce qu'est cette 'Grande Terreur Primitive' de 2013, mais peu importe, il va bien s'amuser à découvrir ce monde futuriste parfois fantastique. Le tout avec Tem, le héros, nommé Temple Sacré le l'Aube Radieuse par des parents millénaristes, et doté comme les enfants de millénaristes d'un Talent. Le sien est celui de Transparence, lui permettant de passer inaperçu, sauf de rares personnes, ce qui a ses avantages quand on est détective privé. Lorsqu'il veut qu'on le remarque (car dans la vie courante on en a besoin parfois) il s'habille de façon extrêmement voyante (non, vous n'imaginez même pas, ça fait mal aux yeux) et porte le chapeau vert fluo de la couverture. (Pour avoir une idée de la Transparence, facile: croisez un groupe d'ados, si vous avez plus de 40 ans et êtes habillés sans rien d’extraordinaire, vous êtes transparents)(testé!). Fonctionne aussi à Paris si vous arrivez seul dans un restaurant... (testé aussi)
La référence aux mystères de Paris est flagrante et on n'échappe pas à une action pleine de rebondissements, à des trouvailles, le tout en suivant le fil d'enquêtes où notre privé sera parfois déclaré coupable, mais quelle idée d'arriver juste après un crime! Pourtant les millénaristes sont réputés non violents et carburent à la tisane.
On n'en dirait pas autant du meilleur pote de Tem, Ramirez, flottant toujours dans un nuage d'herbe (bio et tout ça mais quand même). Ajoutons son amoureuse Eileen, Gloria, une aya aux transformations multiples, un cochon transgénique qui parle, et plusieurs personnages revenant d'aventure en aventure. Il me restait la dernière à lire, mais à près de 900 pages j'ai jugé c'était bon pour un autre pavé de l'été et ai dû sortir de cet univers pour revenir à d'autres lectures.
J'ai donc lu La balle du néant, Les ravisseurs quantiques, L'odyssée de l'espèce, L'aube incertaine et Honoré à disparu, ce qui représente quatre livres.
Pour avoir une idée, quelques passages
"Trop d'événements s'étaient produits que je ne comprenais pas. Parti chercher une jeune fille tombée aux mains d'une secte, je me retrouvais- peut-être, car il existait une autre explication, guère plus rassurante, d'ailleurs- dans une univers alternatif dominé par l'URSS, après avoir affronté psychiquement un terrifiant shampouineur de neurones qui n'avait point besoin de tout un appareillage compliqué pour nettoyer le cerveau de ses victimes. Je suppose que c'est ce que certains appelleraient une journée bien remplie." [les ravisseurs quantiques]
"Nous sommes partis pour jouer les prolongations de l'Armaguédon -avec vous dans le rôle du ballon."
Vraiment le pavé de l'été, (chez Brize)
et puis aussi, je l'ai réalisé ensuite :
jeudi 23 août 2018
Qui a tué Roger Ackroyd?
Ma mission, tout au long de ce billet, sera de ne pas répondre à cette question. Même si je suis sûre que la quasi totalité des lecteurs connait déjà la réponse. Mais il faut penser à ceux qui n'ont pas encore découvert l'un des meilleurs romans d'Agatha Christie. D'autre part je doute que l'ayant lu on ait oublié qui est coupable!
Tout d'abord, une relecture du roman, et en VO, histoire de tonifier les petites cellules grises.
The Murder of Roger Ackroyd
Agatha Christie
Paru en 1926
Harper et Collins, 1993
(pas envie de prendre photo de mon exemplaire)
Dès la première ligne, l'on apprend que Mrs Ferrars est morte -un jeudi- et un lecteur même inattentif devine que Roger Ackroyd va aussi disparaître à un moment donné. Quel rapport entre ces deux personnages, riches et importants dans le petit village de King's Abbot? Et les morts sont-elles liées?
Heureusement dans le village habitent Caroline et tout un réseau de dames secondées par des domestiques, friandes de nouvelles, et qui en remontreraient aux services secrets quant à leur flair. Mais surtout vient d'arriver dans la maison voisine de celle de Caroline un étranger qui se révélera n'être autre que Hercule Poirot, fraîchement retraité, et regrettant fort le départ du capitaine Hastings pour l'Amérique du sud.
Cependant le docteur Sheppard, frère de Caroline, reprendra le rôle de narrateur des enquêtes d'Hercule Poirot.
Sans doute l'un des plus célèbres romans de l'auteur, et à juste titre! Je l'avais déjà lu deux fois au moins. Comme l'écrit Pierre Bayard (voir ci-dessous, p 55), "contrairement à l'image traditionnelle du roman policier, qui a la réputation d'être écrit en vue d'une lecture unique, Le meurtre de Roger Ackroyd est un livre au moins double, explicitement composé en vue de sa relecture." Je confirme le plaisir particulier pris par le lecteur à découvrir les sous-entendus et ellipses. Poirot, parfois horripilant, ne l'est pas trop, il ne donne pas le contenu de ses pensées, mais ne cache pas ses trouvailles.
L'écriture en VO est plutôt de bonne tenue, et, cerise sur le gâteau, pleine d'humour.
" I can't help feeling a little hurt, she murmured, producing a handkerchief of the kind obviously not meant to be cried into."
" It is a pity that a doctor is precluded by his profession from being able sometimes to say what he really thinks."
Les passages avec Caroline sont eux aussi fort amusants, selon Pierre Bayard elle pourrait avoir donné à Agatha Christie l'idée de Miss Marple.
Et ensuite, place à Pierre Bayard.
Qui a tué Roger Ackroyd?
Pierre Bayard
Les éditions de Minuit, 1998
Avertissement : l'essai de Pierre Bayard raconte intégralement le roman policier, et donne la solution de l'énigme proposée par Agatha Christie, ainsi que celles de nombreux autres de ses romans. Il sera dommage qu'un lecteur novice s'y fourvoie.
Mais pour tout lecteur vorace d'Agatha Christie, pas de problème, bien au contraire, il ne risque qu'une envie dévorante de relire quelques titres...
En effet Pierre Bayard ne se propose pas seulement d'écrire "un roman policier sur un roman policier", proposant à son lecteur une autre solution, après avoir dévoilé les invraisemblances chez Agatha Christie. Comme il se doit, ce nouveau nom ne sera révélé qu'après déduction à la Poirot, à la toute fin du livre. Il se propose aussi d'écrire sur le 'délire d'interprétation' puisque considérant comme 'délirante' la solution d'Hercule Poirot. Là ça s'est compliqué, et dans la troisième partie, consacrée au délire, j'ai un peu levé le pied, perdue entre réalité et falsifié et dois-je le dire un peu de psychanalyse; je retiens cependant que 'les trois oeuvres littéraires les plus marquantes de la théorie psychanalytique -Oedipe-roi, Hamlet et La lettre volée- soient toutes trois des œuvres policières."
Déguisement, détournement, puis exhibition sont les moyens utilisés dans ce genre de policier pour détourner le lecteur de la solution. Je ne peux trop en dire car les exemples reviennent à spoiler. Mais Bayard est redoutable et conduit à remettre en question les solutions d'autres romans policiers et même à s'interroger sur des faits littéraires non éclaircis (que devient Madame de Merteuil? qui est vraiment le colonel Chabert? qui a déclenché la catastrophe de Germinal?)
Tout d'abord, une relecture du roman, et en VO, histoire de tonifier les petites cellules grises.
The Murder of Roger Ackroyd
Agatha Christie
Paru en 1926
Harper et Collins, 1993
(pas envie de prendre photo de mon exemplaire)
Dès la première ligne, l'on apprend que Mrs Ferrars est morte -un jeudi- et un lecteur même inattentif devine que Roger Ackroyd va aussi disparaître à un moment donné. Quel rapport entre ces deux personnages, riches et importants dans le petit village de King's Abbot? Et les morts sont-elles liées?
Heureusement dans le village habitent Caroline et tout un réseau de dames secondées par des domestiques, friandes de nouvelles, et qui en remontreraient aux services secrets quant à leur flair. Mais surtout vient d'arriver dans la maison voisine de celle de Caroline un étranger qui se révélera n'être autre que Hercule Poirot, fraîchement retraité, et regrettant fort le départ du capitaine Hastings pour l'Amérique du sud.
Cependant le docteur Sheppard, frère de Caroline, reprendra le rôle de narrateur des enquêtes d'Hercule Poirot.
Sans doute l'un des plus célèbres romans de l'auteur, et à juste titre! Je l'avais déjà lu deux fois au moins. Comme l'écrit Pierre Bayard (voir ci-dessous, p 55), "contrairement à l'image traditionnelle du roman policier, qui a la réputation d'être écrit en vue d'une lecture unique, Le meurtre de Roger Ackroyd est un livre au moins double, explicitement composé en vue de sa relecture." Je confirme le plaisir particulier pris par le lecteur à découvrir les sous-entendus et ellipses. Poirot, parfois horripilant, ne l'est pas trop, il ne donne pas le contenu de ses pensées, mais ne cache pas ses trouvailles.
L'écriture en VO est plutôt de bonne tenue, et, cerise sur le gâteau, pleine d'humour.
" I can't help feeling a little hurt, she murmured, producing a handkerchief of the kind obviously not meant to be cried into."
" It is a pity that a doctor is precluded by his profession from being able sometimes to say what he really thinks."
Les passages avec Caroline sont eux aussi fort amusants, selon Pierre Bayard elle pourrait avoir donné à Agatha Christie l'idée de Miss Marple.
Et ensuite, place à Pierre Bayard.
Qui a tué Roger Ackroyd?
Pierre Bayard
Les éditions de Minuit, 1998
Avertissement : l'essai de Pierre Bayard raconte intégralement le roman policier, et donne la solution de l'énigme proposée par Agatha Christie, ainsi que celles de nombreux autres de ses romans. Il sera dommage qu'un lecteur novice s'y fourvoie.
Mais pour tout lecteur vorace d'Agatha Christie, pas de problème, bien au contraire, il ne risque qu'une envie dévorante de relire quelques titres...
En effet Pierre Bayard ne se propose pas seulement d'écrire "un roman policier sur un roman policier", proposant à son lecteur une autre solution, après avoir dévoilé les invraisemblances chez Agatha Christie. Comme il se doit, ce nouveau nom ne sera révélé qu'après déduction à la Poirot, à la toute fin du livre. Il se propose aussi d'écrire sur le 'délire d'interprétation' puisque considérant comme 'délirante' la solution d'Hercule Poirot. Là ça s'est compliqué, et dans la troisième partie, consacrée au délire, j'ai un peu levé le pied, perdue entre réalité et falsifié et dois-je le dire un peu de psychanalyse; je retiens cependant que 'les trois oeuvres littéraires les plus marquantes de la théorie psychanalytique -Oedipe-roi, Hamlet et La lettre volée- soient toutes trois des œuvres policières."
Déguisement, détournement, puis exhibition sont les moyens utilisés dans ce genre de policier pour détourner le lecteur de la solution. Je ne peux trop en dire car les exemples reviennent à spoiler. Mais Bayard est redoutable et conduit à remettre en question les solutions d'autres romans policiers et même à s'interroger sur des faits littéraires non éclaircis (que devient Madame de Merteuil? qui est vraiment le colonel Chabert? qui a déclenché la catastrophe de Germinal?)
lundi 20 août 2018
Un homme presque parfait
Un homme presque parfait
Nobody's Fool, 1993
Richard Russo
Quai Voltaire, 1995
Traduit par Jean-Luc Piningre, Josette Chicheportiche
et Françoise Arnaud-Demire
Pourquoi cette lecture, là, maintenant? Parce que l'auteur sera au prochain festival America et que d'autres de ses romans sont dans ma PAL depuis fort longtemps, alors autant s'y atteler. Et puis Les sortilèges du Cap Cod Ailleurs m'avaient tellement plu.
Qui serait cet homme presque parfait? Sully, le héros, disons l'anti-héros, a tout du loser. La soixantaine, vivotant de petits boulots, souffrant d'un genou démantibulé suite à une chute d'une échelle alors qu'il croyait avoir vu son père (décédé). Un père violent à qui il ne peut pardonner, laissant volontairement la maison familiale se délabrer. Une ex-femme, un fils avec lequel il va finalement renouer, la découverte de l'art d'être grand-père, une liaison de vingt ans au moins, et la fascination pour "la plus belle fille de Bath"
Car cela se déroule à Bath, rien à voir avec Austen, petite ville en pleine décrépitude dans l'état de New York. Autour de Sully gravitent donc les membres ou ex membres de sa famille, (et ses souvenirs), sa logeuse, Miss Beryl, ancienne professeur qui a vu passer tous les habitants ou presque dans sa classe de quatrième, un entrepreneur qui lui fournit le petit boulot payé -ou pas- au noir, et surtout son pote Rub, sympathique mais pas franchement doté de la lumière à tous les étages. Plus une déneigeuse volée par Sully alors que pas un poil de neige ne tombera, et pourtant l'histoire se déroule en novembre et décembre (1984), pas de chance, on le dit, pour Sully! J'en oublie, et tout se petit monde se retrouve souvent -trop souvent- dans les petits restaurants ou bars du coin.
J'ai pris un immense plaisir à lire tranquillement ce gros roman, où l'auteur sait donner les détails quand il l'a décidé, il faut lui faire confiance. Ce pourrait être désespérant, mais non, on a toujours un petit sourire -tendre- posé sur le visage. Les dialogues claquent, quelques comparaisons font mouche.
"Essayer d'obliger Sully à voir les choses comme elle revenait à mettre un chat à l'intérieur d'un sac -il y avait toujours une patte qui ressortait."
"On ne saurait trop recommander la compagnie d'un homme qui ne vous en voulait pas d'avoir fait un tas de cendres de sa maison."
"Son expression était aussi avenante que celle de quelqu'un qui vient de reconnaître le meurtrier de ses propres parents au milieu d'une longue file de suspects."
Maintenant je vais râler sur la traduction, suis-je la seule à ne pas aimer ces:
-les premières vingt années de sa vie (p 166)
-ces derniers vingt printemps (p 296)
-les premières trente-cinq années de la vie (p 333)
Nobody's Fool, 1993
Richard Russo
Quai Voltaire, 1995
Traduit par Jean-Luc Piningre, Josette Chicheportiche
et Françoise Arnaud-Demire
Pourquoi cette lecture, là, maintenant? Parce que l'auteur sera au prochain festival America et que d'autres de ses romans sont dans ma PAL depuis fort longtemps, alors autant s'y atteler. Et puis Les sortilèges du Cap Cod Ailleurs m'avaient tellement plu.
Qui serait cet homme presque parfait? Sully, le héros, disons l'anti-héros, a tout du loser. La soixantaine, vivotant de petits boulots, souffrant d'un genou démantibulé suite à une chute d'une échelle alors qu'il croyait avoir vu son père (décédé). Un père violent à qui il ne peut pardonner, laissant volontairement la maison familiale se délabrer. Une ex-femme, un fils avec lequel il va finalement renouer, la découverte de l'art d'être grand-père, une liaison de vingt ans au moins, et la fascination pour "la plus belle fille de Bath"
Car cela se déroule à Bath, rien à voir avec Austen, petite ville en pleine décrépitude dans l'état de New York. Autour de Sully gravitent donc les membres ou ex membres de sa famille, (et ses souvenirs), sa logeuse, Miss Beryl, ancienne professeur qui a vu passer tous les habitants ou presque dans sa classe de quatrième, un entrepreneur qui lui fournit le petit boulot payé -ou pas- au noir, et surtout son pote Rub, sympathique mais pas franchement doté de la lumière à tous les étages. Plus une déneigeuse volée par Sully alors que pas un poil de neige ne tombera, et pourtant l'histoire se déroule en novembre et décembre (1984), pas de chance, on le dit, pour Sully! J'en oublie, et tout se petit monde se retrouve souvent -trop souvent- dans les petits restaurants ou bars du coin.
J'ai pris un immense plaisir à lire tranquillement ce gros roman, où l'auteur sait donner les détails quand il l'a décidé, il faut lui faire confiance. Ce pourrait être désespérant, mais non, on a toujours un petit sourire -tendre- posé sur le visage. Les dialogues claquent, quelques comparaisons font mouche.
"Essayer d'obliger Sully à voir les choses comme elle revenait à mettre un chat à l'intérieur d'un sac -il y avait toujours une patte qui ressortait."
"On ne saurait trop recommander la compagnie d'un homme qui ne vous en voulait pas d'avoir fait un tas de cendres de sa maison."
"Son expression était aussi avenante que celle de quelqu'un qui vient de reconnaître le meurtrier de ses propres parents au milieu d'une longue file de suspects."
Maintenant je vais râler sur la traduction, suis-je la seule à ne pas aimer ces:
-les premières vingt années de sa vie (p 166)
-ces derniers vingt printemps (p 296)
-les premières trente-cinq années de la vie (p 333)
jeudi 16 août 2018
Swing time
Swing time
Zadie Smith
Gallimard, 2018
Traduit par Emmanuelle et Philippe Aronson
Quand Babelio m'a proposé le dernier roman de Zadie Smith, je n'ai pas hésité, vaguement aperçu le mot 'danse' dans la présentation, et accepté. Une lecture sans rien savoir, j'aime aussi.
La narratrice, jamais nommée, fait connaissance de Tracey dans un cours de danse à Londres. Les deux fillettes sont métisses, père blanc et famille maternelle originaire de la Jamaïque pour la narratrice, comme l'auteur d'ailleurs. La famille de Tracey est la plus dysfonctionnelle, un drôle de rapport s'établit entre les deux fillettes, l'une, Tracey, très douée pour la danse, l'autre moins, mais son talent pour le chant ne sera pas utilisé vraiment dans le roman.
Zadie Smith casse la chronologie, le prologue indique juste qu'il y a eu événement catastrophique obligeant la narratrice à se cacher, et le lecteur découvre l'amitié chaotique entre les deux jeunes femmes, se perdant de vue parfois durant des années. Tracey va danser mais reproduira dans sa vie privée celle de sa mère, tandis que la narratrice va devenir l'assistante d'Aimee, une pop star évoquant Britney Spears à certains lecteurs, et pour moi Madonna, question de génération.
Aimee aime vraiment tout régenter et voilà qu’elle décide de faire construire une école pour filles dans un village africain (pays non nommé, mais vraisemblablement la Gambie).
J'avoue ne pas trop savoir que penser de ce roman, en tout cas je ne me suis pas vraiment sentie intéressée par la narratrice ( demeurée volontairement pâlichonne en tant que personne, se laissant balader par les événements), ainsi que par Tracey, Aimee et une bonne partie des personnages. D'accord, ce n'était sans doute pas l'objectif de l'auteur. Plusieurs fois j'ai été agacée par la façon d'être sur le point de découvrir un fait marquant, et puis non, tout reste dans le flou. Très frustrant, et puis j'ai fini par n'en moquer, sans doute cela a-t-il participé à mon manque d'implication dans ce qui se déroulait.
On me dira, tu attendais un truc romanesque, des violons, tout ça, non, non. Zadie Smith sait parfaitement écrire et accrocher le lecteur, ainsi qu'aborder plein de thèmes intéressants. J'avoue que les passages dans le village africain sont ceux qui m'ont le plus scotchée, et là je me suis vraiment sentie interpellée, et eu quelque empathie à l'égard d'Hawa, Lamin et Fernando. De beaux passages sur la danse, celle moderne ou de Fred Astaire (oui, Swing time) et puis Jeni LeGon.
Mon billet sur Changer d'avis, un recueil d'essais qui m'avait enthousiasmée!
Merci à Babelio
Les avis de Le bouquineur
Zadie Smith
Gallimard, 2018
Traduit par Emmanuelle et Philippe Aronson
Quand Babelio m'a proposé le dernier roman de Zadie Smith, je n'ai pas hésité, vaguement aperçu le mot 'danse' dans la présentation, et accepté. Une lecture sans rien savoir, j'aime aussi.
La narratrice, jamais nommée, fait connaissance de Tracey dans un cours de danse à Londres. Les deux fillettes sont métisses, père blanc et famille maternelle originaire de la Jamaïque pour la narratrice, comme l'auteur d'ailleurs. La famille de Tracey est la plus dysfonctionnelle, un drôle de rapport s'établit entre les deux fillettes, l'une, Tracey, très douée pour la danse, l'autre moins, mais son talent pour le chant ne sera pas utilisé vraiment dans le roman.
Zadie Smith casse la chronologie, le prologue indique juste qu'il y a eu événement catastrophique obligeant la narratrice à se cacher, et le lecteur découvre l'amitié chaotique entre les deux jeunes femmes, se perdant de vue parfois durant des années. Tracey va danser mais reproduira dans sa vie privée celle de sa mère, tandis que la narratrice va devenir l'assistante d'Aimee, une pop star évoquant Britney Spears à certains lecteurs, et pour moi Madonna, question de génération.
Aimee aime vraiment tout régenter et voilà qu’elle décide de faire construire une école pour filles dans un village africain (pays non nommé, mais vraisemblablement la Gambie).
J'avoue ne pas trop savoir que penser de ce roman, en tout cas je ne me suis pas vraiment sentie intéressée par la narratrice ( demeurée volontairement pâlichonne en tant que personne, se laissant balader par les événements), ainsi que par Tracey, Aimee et une bonne partie des personnages. D'accord, ce n'était sans doute pas l'objectif de l'auteur. Plusieurs fois j'ai été agacée par la façon d'être sur le point de découvrir un fait marquant, et puis non, tout reste dans le flou. Très frustrant, et puis j'ai fini par n'en moquer, sans doute cela a-t-il participé à mon manque d'implication dans ce qui se déroulait.
On me dira, tu attendais un truc romanesque, des violons, tout ça, non, non. Zadie Smith sait parfaitement écrire et accrocher le lecteur, ainsi qu'aborder plein de thèmes intéressants. J'avoue que les passages dans le village africain sont ceux qui m'ont le plus scotchée, et là je me suis vraiment sentie interpellée, et eu quelque empathie à l'égard d'Hawa, Lamin et Fernando. De beaux passages sur la danse, celle moderne ou de Fred Astaire (oui, Swing time) et puis Jeni LeGon.
Mon billet sur Changer d'avis, un recueil d'essais qui m'avait enthousiasmée!
Merci à Babelio
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lundi 13 août 2018
Malpasset
Malpasset
(causes et effets d'une catastrophe)
Corbeyran et Horne
Delcourt/Mirages, 2014
Il avait vraiment beaucoup plu les jours précédents, alors quand le barrage de Malpasset a cédé, le 2 décembre 1959 à 21 h 13, ce sont 50 millions de mètres cubes qui ont été libérés, ainsi que des rochers, de la terre, du béton, mettant 25 minutes pour parcourir les 10 km jusqu'à la ville de Fréjus. Une vague de 60 m de haut. Bilan : des centaines de morts, des milliers de sinistrés.
Voilà pour les chiffres. Les auteurs se sont concentrés sur l'humain, ont retrouvé des survivants et les ont laissés raconter leur histoire. Sans effets, avec sobriété, pas besoin. J'avoue avoir frissonné à plusieurs reprises, avoir été émue.
Les causes vraisemblables de la 'plus importante catastrophe civile au XX siècle en France' sont évoquées, la pluie, le déplacement de la construction sans étude géologique supplémentaire, la construction d'un pont dans le coin? Bref, ce barrage avait 5 ans et a craqué.
La solidarité a beaucoup joué, les gens n'avaient plus rien du tout. Et il y a eu quelques polémiques, le livre en parle.
Mais il faut absolument lire tous ces témoignages, différents et semblables à la fois (le bruit, quand c'est arrivé, l'électricité coupée)
Les avis de Electra,
(causes et effets d'une catastrophe)
Corbeyran et Horne
Delcourt/Mirages, 2014
Il avait vraiment beaucoup plu les jours précédents, alors quand le barrage de Malpasset a cédé, le 2 décembre 1959 à 21 h 13, ce sont 50 millions de mètres cubes qui ont été libérés, ainsi que des rochers, de la terre, du béton, mettant 25 minutes pour parcourir les 10 km jusqu'à la ville de Fréjus. Une vague de 60 m de haut. Bilan : des centaines de morts, des milliers de sinistrés.
Voilà pour les chiffres. Les auteurs se sont concentrés sur l'humain, ont retrouvé des survivants et les ont laissés raconter leur histoire. Sans effets, avec sobriété, pas besoin. J'avoue avoir frissonné à plusieurs reprises, avoir été émue.
Les causes vraisemblables de la 'plus importante catastrophe civile au XX siècle en France' sont évoquées, la pluie, le déplacement de la construction sans étude géologique supplémentaire, la construction d'un pont dans le coin? Bref, ce barrage avait 5 ans et a craqué.
La solidarité a beaucoup joué, les gens n'avaient plus rien du tout. Et il y a eu quelques polémiques, le livre en parle.
Mais il faut absolument lire tous ces témoignages, différents et semblables à la fois (le bruit, quand c'est arrivé, l'électricité coupée)
Photo Jean-Paul Vieu (son histoire est dans le livre) |
mercredi 8 août 2018
De rêves et de papiers
De rêves et de papiers
547 jours avec les mineurs isolés étrangers
Rozenn Le Berre
La Découverte, 2017
Durant ces 547 jours Rozen Le Berre a travaillé à Paris dans un bureau d'accueil pour 'mineurs isolés étrangers' et parle de toutes ces personnes rencontrées, des mineurs- ou pas- et c'est l'une des difficultés, puisque le parcours sera alors différent. Même si un mineur reconnu tel pourra encore galérer à la rue s'il n'y a pas encore de place d’accueil libre. Puisque trop jeune pour bénéficier du 115. On n'est pas dans un monde parfait et logique.
Un peu d'humour dans ce monde de détresse permet au lecteur de souffler un peu. L'on ne sait pas toujours ce que deviennent ces jeunes dont elle parle.
Parallèlement est conté le parcours de Souley, depuis le Mali, de longs mois avant d'arriver dans son bureau. Le parcours de bien des migrants (enfin, ceux qui arrivent).
Puis à la fin un rendez-vous de bilan avec sa chef, où elle réfléchit sur le positif et le négatif de ce travail.
Un livre récent, clair, à lire absolument.
"Toc toc. De la manière de toquer à la porte du bureau, on sait déjà. On ne se trompe jamais à ce jeu là. Méthode n° 1 : coups répétés et forts, avec l'ensemble du poing : la police nous amène un jeune. Méthode n° 2 : coups secs et fermes, mais moins nombreux et moins forts que les précédents : un interprète ou un collègue. Méthode n° 3 : petits coups très discrets, avec un seul doigt, parfosi à peine perceptibles : un jeune. Qui s'excuse déjà d'être là, dirait-on."
547 jours avec les mineurs isolés étrangers
Rozenn Le Berre
La Découverte, 2017
Durant ces 547 jours Rozen Le Berre a travaillé à Paris dans un bureau d'accueil pour 'mineurs isolés étrangers' et parle de toutes ces personnes rencontrées, des mineurs- ou pas- et c'est l'une des difficultés, puisque le parcours sera alors différent. Même si un mineur reconnu tel pourra encore galérer à la rue s'il n'y a pas encore de place d’accueil libre. Puisque trop jeune pour bénéficier du 115. On n'est pas dans un monde parfait et logique.
Un peu d'humour dans ce monde de détresse permet au lecteur de souffler un peu. L'on ne sait pas toujours ce que deviennent ces jeunes dont elle parle.
Parallèlement est conté le parcours de Souley, depuis le Mali, de longs mois avant d'arriver dans son bureau. Le parcours de bien des migrants (enfin, ceux qui arrivent).
Puis à la fin un rendez-vous de bilan avec sa chef, où elle réfléchit sur le positif et le négatif de ce travail.
Un livre récent, clair, à lire absolument.
"Toc toc. De la manière de toquer à la porte du bureau, on sait déjà. On ne se trompe jamais à ce jeu là. Méthode n° 1 : coups répétés et forts, avec l'ensemble du poing : la police nous amène un jeune. Méthode n° 2 : coups secs et fermes, mais moins nombreux et moins forts que les précédents : un interprète ou un collègue. Méthode n° 3 : petits coups très discrets, avec un seul doigt, parfosi à peine perceptibles : un jeune. Qui s'excuse déjà d'être là, dirait-on."
lundi 6 août 2018
Sherlock Holmes à Chamonix
Sherlock Holmes à Chamonix
Enquêtes sur la mort de Whymper
et sur la première ascension du mont Blanc
Pierre Charmoz et Jean-Louis Lejonc
Ginkgo noir, 2018
Allons bon! J'ignorais totalement qu'il y avait polémique sur le nom du premier à atteindre le sommet du mont Blanc en 1786! Paccard ou Balmat? Il existerait un document dévoilant enfin la vérité, ainsi que le plan d'une mystérieuse mine, en tout cas en 1811 l'alpiniste anglais Whymper (personnage ayant existé) décède dans d'obscures conditions, et voilà Sherlock Holmes lui-même menant l'enquête, aidé d'un guide marseillais, suivi de près par une belle viennoise adepte de psychanalyse, et un dangereux prussien.
Au début j'ai un peu pataugé dans les époques et les personnages, mais d'utiles annexes ont tout éclairci, et je me suis bien amusée à suivre ce Sherlock Holmes qui est le premier à se moquer de ses méthodes d'investigation et de sa popularité, et à en apprendre sans douleur sur les soins aux tuberculeux (espérant que les 'aléas thérapeutiques' n'étaient pas fréquents), l'utilisation du graphite et la conquête du mont Blanc. Un hommage à Conan Doyle (et aussi à Poe) plein de verve et d'humour. Je ne classerais pas l'histoire en 'policier', plutôt en 'aventures'.
Voilà comment la belle Gertrud raconte
"...quand je fus brutalement réveillée par une individu très laid, sorte de clone de l'Empereur Guillaume - sans doute un fils illégitime, ou, pour le moins, un cas très intéressant de mimétisme par désir du père... Bref, cet individu me maîtrisa, malgré ma solide constitution et les cours de lutte que feu mon mari, le comte Wilhelm von Hofmannstahl, me fit donner à Vienne. Ensuite, sous la menace d'un pistolet -substitut classique à une virilité défaillante -l'individu me contraignit à prendre le volant de mon automobile et nous nous lançâmes à votre poursuite."
Merci à l'éditeur qui me fait découvrir ses collections.
Enquêtes sur la mort de Whymper
et sur la première ascension du mont Blanc
Pierre Charmoz et Jean-Louis Lejonc
Ginkgo noir, 2018
Allons bon! J'ignorais totalement qu'il y avait polémique sur le nom du premier à atteindre le sommet du mont Blanc en 1786! Paccard ou Balmat? Il existerait un document dévoilant enfin la vérité, ainsi que le plan d'une mystérieuse mine, en tout cas en 1811 l'alpiniste anglais Whymper (personnage ayant existé) décède dans d'obscures conditions, et voilà Sherlock Holmes lui-même menant l'enquête, aidé d'un guide marseillais, suivi de près par une belle viennoise adepte de psychanalyse, et un dangereux prussien.
Au début j'ai un peu pataugé dans les époques et les personnages, mais d'utiles annexes ont tout éclairci, et je me suis bien amusée à suivre ce Sherlock Holmes qui est le premier à se moquer de ses méthodes d'investigation et de sa popularité, et à en apprendre sans douleur sur les soins aux tuberculeux (espérant que les 'aléas thérapeutiques' n'étaient pas fréquents), l'utilisation du graphite et la conquête du mont Blanc. Un hommage à Conan Doyle (et aussi à Poe) plein de verve et d'humour. Je ne classerais pas l'histoire en 'policier', plutôt en 'aventures'.
Voilà comment la belle Gertrud raconte
"...quand je fus brutalement réveillée par une individu très laid, sorte de clone de l'Empereur Guillaume - sans doute un fils illégitime, ou, pour le moins, un cas très intéressant de mimétisme par désir du père... Bref, cet individu me maîtrisa, malgré ma solide constitution et les cours de lutte que feu mon mari, le comte Wilhelm von Hofmannstahl, me fit donner à Vienne. Ensuite, sous la menace d'un pistolet -substitut classique à une virilité défaillante -l'individu me contraignit à prendre le volant de mon automobile et nous nous lançâmes à votre poursuite."
Merci à l'éditeur qui me fait découvrir ses collections.
vendredi 3 août 2018
Mille petits riens
Mille petits riens
Small great things
Jodi Picoult
Actes sud, 2018
Traduit par Marie Chabin
Il y a quelque temps j'avais commencé Le rideau déchiré, du même auteur, sur la foi d'une prometteuse quatrième de couverture; seulement ça m'a paru traîner un peu avant d'arriver au fait et j'ai abandonné.
Pour ce Mille petits riens, je me suis bien gardée de lire la quatrième de couverture avant d'aborder la page 100 (sur presque 600 , donc pas de pavé de l'été, tant pis) et à ce moment là j'étais plutôt ferrée, en tout cas ce n'était pas pénible à lire. Traduire : pas de faux suspense, où l'on tourne vainement les pages en attendant l'événement qui tarde. Mais des informations vraiment intéressantes.
On en vient au fait? Oui, je ne sais pas trop comment donner un avis sur ce roman. Sur Goodreads j'ai vaguement vu ce qu'en pensent les américains, mais justement ce sont des américains... Alors aborder la question chaud bouillant du racisme aux Etats-Unis...
Trois personnages prennent la parole tour à tour (un roman choral, quoi), quelques retours dans le passé, bref, du classique;
D'abord Ruth, infirmière depuis vingt ans, celle que toute femme aimerait rencontrer lors de son accouchement. Car je pense qu’elle occupe plutôt un poste de sage-femme. Veuve d'un soldat mort en mission, elle élève seule Edison, brillant lycéen de 17 ans.
Arrive à l'hôpital Brittany Bauer, épouse de Turk, pour la naissance de Davis. Les deux sont des suprémacistes blancs, hyper choqués de découvrir que Ruth s'est occupée de leur bébé, ils demandent donc à ce qu'aucun membre africain-américain de l'établissement ne s'occupe du bébé, et voilà, accepté et noté dans le dossier.
Quelques jours après, Ruth est seule pour veiller sur le bébé (manque de personnel, les autres sont pris ailleurs en urgence), qui fait un malaise grave. En dépit de l'intervention de tous, le bébé décède. Le parents accusent Ruth.
Celle-ci aura pour sa défense Kennedy, une avocate commis d'office.
Au cours de ma lecture, j'ai oscillé entre le 'franchement on n'échappe à aucune caricature' et le 'j'en apprends pas mal sur le pays'. C'est plein de détails très intéressants sur le système judiciaire, un peu comme chez Connelly (sauf que je n'ai pas trop compris comment le procès se terminait ainsi), et sur le fonctionnement d'un service de néonatalogie et les divers examens auxquels sont soumis les bébés (pour leur bien!). Avec Turk et Brittany, j'ai dû plonger dans l'univers de types ouvertement violents et racistes, et parfois c'était difficile...
Quelques détails de l'arrestation de Ruth m'ont paru outrés, OK je sais que là-bas on ne prend pas toujours de gants, quoique je viens de trouver une vidéo d’une femme blanche arrêtée violemment sur une plage (https://www.msn.com/fr-be/video/viral/etats-unis-larrestation-ultra-violente-dune-jeune-femme-sur-une-plage-cr%C3%A9e-la-pol%C3%A9mique-vid%C3%A9o/vi-AAy156Y) et là maintenant je ne sais que penser.
Le dernier rebondissement sur le bébé est un poil too much quand même. Ainsi que la dernière tragédie. Et on aurait aimé plus de détails dans l'épilogue 'six ans après'.
En lisant la postface j'ai appris que cette histoire d'interdiction de toucher à un bébé était arrivée, sauf que là un groupe de soignants a porté plainte pour discrimination.
Bref, je vais donner crédit à l'auteur qui est américaine et s'est bien documentée (y compris auprès de skinheads repentis). Retenant l'évolution de Kennedy, qui commence à saisir ce qu'est être noir aux Etats Unis. Vraiment de bonnes réflexions sur le racisme, qui peut parler à tout lecteur, ça ne fait pas de mal. Un sujet hyper délicat.
Des avis sur Babelio,
Small great things
Jodi Picoult
Actes sud, 2018
Traduit par Marie Chabin
Il y a quelque temps j'avais commencé Le rideau déchiré, du même auteur, sur la foi d'une prometteuse quatrième de couverture; seulement ça m'a paru traîner un peu avant d'arriver au fait et j'ai abandonné.
Pour ce Mille petits riens, je me suis bien gardée de lire la quatrième de couverture avant d'aborder la page 100 (sur presque 600 , donc pas de pavé de l'été, tant pis) et à ce moment là j'étais plutôt ferrée, en tout cas ce n'était pas pénible à lire. Traduire : pas de faux suspense, où l'on tourne vainement les pages en attendant l'événement qui tarde. Mais des informations vraiment intéressantes.
On en vient au fait? Oui, je ne sais pas trop comment donner un avis sur ce roman. Sur Goodreads j'ai vaguement vu ce qu'en pensent les américains, mais justement ce sont des américains... Alors aborder la question chaud bouillant du racisme aux Etats-Unis...
Trois personnages prennent la parole tour à tour (un roman choral, quoi), quelques retours dans le passé, bref, du classique;
D'abord Ruth, infirmière depuis vingt ans, celle que toute femme aimerait rencontrer lors de son accouchement. Car je pense qu’elle occupe plutôt un poste de sage-femme. Veuve d'un soldat mort en mission, elle élève seule Edison, brillant lycéen de 17 ans.
Arrive à l'hôpital Brittany Bauer, épouse de Turk, pour la naissance de Davis. Les deux sont des suprémacistes blancs, hyper choqués de découvrir que Ruth s'est occupée de leur bébé, ils demandent donc à ce qu'aucun membre africain-américain de l'établissement ne s'occupe du bébé, et voilà, accepté et noté dans le dossier.
Quelques jours après, Ruth est seule pour veiller sur le bébé (manque de personnel, les autres sont pris ailleurs en urgence), qui fait un malaise grave. En dépit de l'intervention de tous, le bébé décède. Le parents accusent Ruth.
Celle-ci aura pour sa défense Kennedy, une avocate commis d'office.
Au cours de ma lecture, j'ai oscillé entre le 'franchement on n'échappe à aucune caricature' et le 'j'en apprends pas mal sur le pays'. C'est plein de détails très intéressants sur le système judiciaire, un peu comme chez Connelly (sauf que je n'ai pas trop compris comment le procès se terminait ainsi), et sur le fonctionnement d'un service de néonatalogie et les divers examens auxquels sont soumis les bébés (pour leur bien!). Avec Turk et Brittany, j'ai dû plonger dans l'univers de types ouvertement violents et racistes, et parfois c'était difficile...
Quelques détails de l'arrestation de Ruth m'ont paru outrés, OK je sais que là-bas on ne prend pas toujours de gants, quoique je viens de trouver une vidéo d’une femme blanche arrêtée violemment sur une plage (https://www.msn.com/fr-be/video/viral/etats-unis-larrestation-ultra-violente-dune-jeune-femme-sur-une-plage-cr%C3%A9e-la-pol%C3%A9mique-vid%C3%A9o/vi-AAy156Y) et là maintenant je ne sais que penser.
Le dernier rebondissement sur le bébé est un poil too much quand même. Ainsi que la dernière tragédie. Et on aurait aimé plus de détails dans l'épilogue 'six ans après'.
En lisant la postface j'ai appris que cette histoire d'interdiction de toucher à un bébé était arrivée, sauf que là un groupe de soignants a porté plainte pour discrimination.
Bref, je vais donner crédit à l'auteur qui est américaine et s'est bien documentée (y compris auprès de skinheads repentis). Retenant l'évolution de Kennedy, qui commence à saisir ce qu'est être noir aux Etats Unis. Vraiment de bonnes réflexions sur le racisme, qui peut parler à tout lecteur, ça ne fait pas de mal. Un sujet hyper délicat.
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