jeudi 30 mai 2019

Qui a tué l'homme-homard?

Qui a tué l'homme-homard?
J.M. Erre
Buchet-Chastel, 2019



Aaaaah m'exclamai-je en découvrant sur les blogs le nouvel opus de J.M. Erre! Il me le faut! Une occasion de détente intelligente ne se refuse pas.

Pourquoi homme-homard? En 1945 débarqua dans le petit village isolé de Margoujols le cirque de Balthazar Britescu, cirque tendance exhibition de monstres. Après le passage violent dudit Britescu de vie à trépas, les membres du freak show restèrent dans le village, avec parmi eux cet homme-homard, haï de tous ou presque. Et retrouvé assassiné selon le même scénario que Britescu, mais des décennies plus tard...

Débarque la maréchaussée, à savoir l'adjudant Pascalini et son adjoint Babiloune. La narratrice, Julie, la fille du maire, se charge de les aider, mettant son cerveau et ses oreilles à leur service, car Julie est tétraplégique (et dotée d'un sens certain de  l'humour noir, tendance un poil désespérée quand même). Les bouseux se révèlent pas si taiseux que ça, les cadavres se suivent, bref, le suspense grandit.

Mais qui connaît J.M. Erre sait qu'il y aura du pastiche de roman policier, version serial killer (et même serial killeuse (on a son blog), des références littéraires et cinématographiques, bref, il décortique ce qui fait d'ordinaire le sel de ce genre d'histoires; habilement, il dévoile les ficelles, pour mieux s'en moquer gentiment.

Pas de citations, il y en aurait tant... Quel sens de la formule, de la répartie pas toujours politiquement correcte...

Les avis de Sans connivence, clara, cathulu , dasola, Alex,

lundi 27 mai 2019

Le goût de la viande

Le goût de la viande
Gildas Guyot
Editions in8



Donner trop de détails sur le contenu de ce premier roman, ou bien se contenter d'un résumé assez bateau peut avoir comme conséquence d'en écarter injustement quelques lecteurs potentiels. J'ai choisi la seconde option, qui est d'ailleurs plutôt celle de la quatrième de couverture;

Comme bien des jeunes gens de sa génération, Hyacinthe Kergourlé se retrouve dans les tranchées de Verdun, dont il revient manchot (ça c'est pour la conséquence physique). Il retrouve sa famille bretonne, se marie, les années passent. Mais il est toujours hanté par ce qu'il a vécu.

Mais quelle claque ce roman! Que j'ai bien failli abandonner après quelques dizaines de pages... Ce qui m'a accrochée sans discussion, c'est l'écriture, soignée, précise, souvent caustique, maniant à l'occasion la formule efficace. Humour (si!), catégorie : noir. Dérangeant aussi.

Dans les remerciements
"Merci surtout pour ne t'être jamais fait surprendre en train de me regarder du coin de l'oeil d'un air inquiet lorsque ton tour fut venu de me relire."

"Merci à (des 2ditions In8) pour votre ouverture d'esprit et pour votre estomac, à toute épreuve."

Amie lectrice, ami lecteur, je te souhaite de même et bonne lecture. Mais je vous aurai prévenus! Si vous passez les 40 premières pages, même si vous êtes bien secoués, alors vous ferez une découverte.

Les avis de Yv, enthousiaste et qui en dit plus mais pas trop,

jeudi 23 mai 2019

Génération CV

Génération CV
Jonathan Curiel
fayard, 2012

Génération CV raconte les tribulations d'un trentenaire parisien bac + 5 à la recherche d'un emploi. Envoi de CV, bien sûr, suivant petites annonces ou pas, réseau, ex de son école, amis d'amis, il a tout essayé et les chapitres voient se succéder ses entretiens avec 'La RH illuminée, Le fonctionnaire rigide, Le consultant endoctriné", et j'en passe. Avec le risque au bout de quelques mois de devoir jouer les Tanguy chez ses parents.

On peut considérer ce roman comme un catalogue de toutes les rencontres, tous les interlocuteurs et toutes les méthodes possibles et à première vue vous vous dites que ce sera désespéré et plombant. Mais l'auteur a choisi l'humour parfois décalé et vachard, et ce voyage absolument éloigné de ma zone habituelle m'a fort plu. C'est criant de vérité et ça sent le vécu. Clément Vialla, le héros, est lucide sur son CV, justement, et ses chances de trouver le job de rêve (ses rêves sont loin de devoir bosser comme un malade H24, avouons-le, humour assumé).

Le CV 'destroy' proposé page 123 vaut son pesant de cacahuètes.
'une scolarité en école de commerce qui m'a donné les clés nécessaires pour enrayer le bon fonctionnement d'une entreprise'
'vivement intéressé par votre boîte mal gérée'
'convaincu de pouvoir répondre à vos besoins, tout en posant un maximum de RTT et en multipliant les arrêts maladie sans motif'
ceci noyé dans un vrai CV bien ronronnant, et on peut se demander si ça ne passerait pas, car ces CV formatés sont-ils vraiment lus attentivement?

Des avis sur babelio,

lundi 20 mai 2019

Au Yémen avec Théodore Monod

Au Yémen avec Théodore Monod
Carnets d'expédition (1995)
José-Marie Bel
Ginkgo éditeur, 2019
(photo de couverture prise sur le site de l'espace reine de Saba)(une mine!)


Voici encore un envoi surprise de Ginkgo éditeur, qui connaît ma prédilection pour les récits de voyage et expéditions lointaines. De plus connaissant le nom de Théodore Monod sans l’avoir vraiment lu, c'était l'occasion de le suivre sur le terrain, avec son ami José-Marie Bel, spécialiste du Yémen. Ils ont profité d’une petite fenêtre à peu près tranquille pour se rendre là-bas, même si en mai c'est chaud et sec. Théodore Monod est un vieux monsieur (il est né en 1902), l'énergie et la curiosité intellectuelles sont bien là, mais crapahuter sous le soleil avec lui a donné des sueurs froides à son accompagnateur.

La mission était accompagnée de yéménites (sécurité?) et d'une équipe tournant un film documentaire (ce fut Le vieil homme et la fleur). Mais nos deux scientifiques étaient à la recherche d'encensiers et de myrrhiers, entre autres éléments de la flore locale.

Boswellia arbre à encens (ici à Oman)
Par Francesco Bandarin — Ce site est inscrit au Patrimoine Mondial de l'UNESCO sous l'intitulé :Land of Frankincense., CC BY-SA 3.0-igo, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=45805949
Oui, l'encens et la myrrhe, les rois mages, tout cela est millénaire mais risque de disparaître.

Une grande partie du livre reproduit les notes de terrain, avec leur spontanéité, agrémentées de croquis de l'auteur. Ajoutons une interview, des courriers, bref, c'est peut-être disparate, mais forme un ensemble cohérent s'expliquant d'une page à l'autre. J'ai appris à mieux connaître Théodore Monod et à rêver de ce magnifique pays (hélas fermé pour l'instant)

jeudi 16 mai 2019

Les livres de Jakob

Les livres de Jakob
Olga Tokarczuk
Editions noir sur blanc, 2018
Traduit (et bravo!) par Maryla Laurent


Des interlignes confortables permettent de venir à bout sans encombre des 1 000 pages écrites en petits caractères, agrémentées de reproductions de cartes, gravures, pages de livres, portraits.

Et c'est parti pour les décennies de la vie de Jakob Frank, personnage ayant existé, mais comme j'en ignorais tout j'ai lu ce gros bouquin comme une épopée, un roman d'aventures incroyable, se déroulant à une époque où l'empire ottoman couvrait une partie du sud est de l'Europe. De la Pologne à la Turquie, on commerce, on parle diverses langues, on est catholique, ruthène (orthodoxe?), musulman ou juif. Dans les villages glacés et brumeux, tels Rohatyn, en 1752, tout en bas de l'échelle se trouvent les paysans (des serfs) et les juifs. Le prêtre Benedykt Chmielowski consacre sa vie à écrire une encyclopédie, cherchant ses sources chez les nobles et chez Elisha Schorr, commerçant/rabbin.

"Comment ça, le premier Messie? Et le second? Il y en a un second? interroge Stanislaw Kossakowski perplexe.
- Certains disent qu'il devrait y avoir trois Messies. Il y en a déjà eu un, c'était Sabbataï Tsevi? Ensuite il y a eu Kohn."

Bref, apparaît ce Jakob Frank, suivi de moult disciples, persécuté y compris par les autres juifs; aidé parfois par Moliwda (noble polonais) et dont les paroles sont pieusement notées par un certain Nahman. Je passe sur la multitude de noms, variant au cours du livre, après le baptême de certains, mais Olga Tokarczuk rappelle brièvement l'essentiel. La vie de Frank aura des bas, y compris la prison, et des hauts.

J'ai aimé me plonger dans cette ambiance fort bien rendue de la vie des gens de toutes classes à cette époque, et apprécié l'écriture de l'auteur et des perles au détour d'un paragraphe.
"Que se passe-t-il si chacun voit différemment? La couleur verte est-elle perçue différemment par tous? Peut-être que 'vert' n'est qu'un nom dont nous couvrons comme d'une peinture de sensations absolument différentes pour pouvoir communiquer, alors qu'en réalité chacun de nous voit autre chose? Existe-t-il un moyen de vérifier cela? Que se passerait-il si nous ouvrions vraiment les yeux? Si nous apercevions par quelque miracle l'aspect véritable de ce qui nous entoure? Que découvririons-nous?"

Et puis il y a Ienta, elle vit, elle voit tout. Son souvenir persista, ce qui sauva la vie de quelques dizaines de personnes en 1942, à Korolowka...

En fait, comme le rappelle Nathalie, le mieux est de se laisser porter par la narration, sans chercher à tout retenir et (parfois) à tout comprendre. Le plaisir n'en sera que préservé.

Les avis de Mark et Marcel,

Lire le monde chez Sandrine

lundi 13 mai 2019

Slow train

Slow train
30 échappées ferroviaires pour citadins en mal de nature
Juliette Labaronne
Arthaud, 2019




D'accord, je ne suis pas une citadine en mal de nature, en tournant la tête à gauche j'ai une échappée sur le jardin, et à 100 mètres je sais que coule une rivière, en tournant la tête à droite c'est le canal, son chemin de halage, ses hérons, ragondins et canards.

Mais voyager en train, j'adore, et ce livre propose trente circuits ferroviaires à découvrir non pas au bout du monde, mais en France!, classés selon cinémascope -tout est dit- classe éco ou SOS bol d'air. Oubliés le TGV, la voiture, et vivent le train, le vélo et la marche. De courts chapitres présentent le trajet, sa durée, la distance, les correspondances (hé oui le TGV peut être utile pour accéder dans le coin), des conseils pratiques, des sites internet, des infos sur le vélo dans le train, les coins à découvrir, un poil d'histoire de la ligne, sans oublier les découvertes culinaires de la région. Quelques photos font baver d'envie.

L'on constate que souvent la survie de certaines lignes ne tient qu'à des passionnés et acharnés du coin désireux de sauver 'leur' ligne. J'en profite pour râler contre la suppression de certains trains de nuit (qui éviteraient le recours à l'avion) et signale grâce à ce livre un Bordeaux-Marseille moins cher et plus rapide qu'en TGV, puisque bien sûr l'on s'obstine à vouloir nous faire passer par Paris!

J'ai rêvé sur un Paris-Strasbourg permettant de poursuivre vers la Russie par le Moscou Express via Berlin. Et j'ajouterai (pourquoi se gêner?) de continuer plein est par le transsibérien... (train emprunté en 2007, voyage sans appareil photo, hé oui)

Un livre qui donne une envie furieuse d'acheter son billet (quoi, le TER Occitanie à 1 euro?), boucler son sac et filer.

Encore une bonne pioche Babelio.
tous les livres sur Babelio.com

jeudi 9 mai 2019

Orange amère

Orange amère
Commonwealth
Ann Patchett
Actes sud, 2019
Traduit par Hélène Frappat



Pour fuir un dimanche sa maison bruyante, laissant à son épouse Teresa, enceinte, le soin de gérer leurs trois jeunes enfants, Bert Cousins s'incruste dans la fête de baptême de Franny chez les Keating. Il tombe amoureux de Beverly Keating. Deux divorces plus tard, les quatre enfants Cousins et les deux Keating vont de Californie en Virginie au gré des congés scolaires ou d'événements plus tragiques.

Voilà, je n'en dis pas plus, voulant vous réserver le bonheur des surprises, y compris la signification du titre en français. Cette lecture fut un plaisir constant, avec de bons dialogues, des remarques bien frappées au détour d'un paragraphe, des personnages bien campés, et surtout un découpage faisant fi de la chronologie et contribuant au suspense. J'aurais bien aimé  qu’elle dure plus longtemps.

"Vous avez bonne mine, Monsieur Keating", dit-elle.
Les trois étapes de la vie : jeunesse, cinquantaine, et 'Vous avez bonne mine, Monsieur Keating'."

Alertée par quelques billets de blogueuses, j'ai tout de suite su qu'il me le fallait!

Les avis d'AntigoneClara (repéré le même passage!), Cuné, Christelle,

lundi 6 mai 2019

L'explosion de la tortue

L'explosion de la tortue
Eric Chevillard
Minuit, 2019


Le narrateur et Aloïse prennent un mois de vacances au bord de la mer, laissant dans leur salle de bains la petite Phoebe. Las, à leur retour celle-ci décède. Assez d'eau et de nourriture avaient été laissés à disposition de la petite tortue de 5 cm de diamètre, mais personne n'est à l'abri de l'imprévu.

Connaissez-vous l’écrivain Louis-Constantin Novat? Le narrateur se propose de changer cela, en endossant la paternité de ses oeuvres. Sauf qu'à cause d'un certain Malatesta son projet est compromis. Quoique, est-ce bien sûr? Le lecteur n'en tient-il pas la preuve en mains?

Disons-le carrément, ce roman un poil barré mais maîtrisé et brillant est typique de Chevillard.: il ravira les amateurs et déconcertera les autres.

Les avis de Lire au lit, nathalie,

Challenge de Philippe

jeudi 2 mai 2019

Pepita, la femme du traître

Pepita, la femme du traître
Rosario Acosta Nieva et Eric Taladoire
Ginkgo éditeur, 2018



Quand j'ai vu arriver ce livre (merci Ginkgo !!!) je me suis exclamée (pardon Guy Stavridès qui conseilla ce titre) : 'wahou, quel titre, c'est quoi ça?' Cela fleurait bon le roman populaire du 19ème siècle, à l'exotisme débridé et sans complexes.

Un oeil sur la présentation me fit comprendre mon erreur : on est dans le document historique pur et dur, bien documenté et sérieux. Les auteurs sont, respectivement, archéologue et écrivaine, et professeur d'université. Ils se sont penchés sur la vie du maréchal Bazaine et de son épouse mexicaine baptisée à Mexico en 1847 "sous le nom extravagant de Maria Josefa de las Augustias Bonifacia Brigida Federica Pascuala Feliciana de la Santisima Trinidad Pena y Azcarate". Donc, Pepita.

Mon goût pour la non fiction, l'histoire pas trop connue et les récits bien menés s'est trouvé parfaitement en phase avec ce livre. Voyons un peu qui sont ces héros, dont on découvre en prélude un épisode de leur vie absolument rocambolesque et romanesque.

Mais auparavant, voici Bazaine, issu d'un milieu simple et ayant gravi tous les échelons dans l'armée, après une belle carrière en Algérie, Crimée, Italie. Pas hyper sexy, veuf (d'un premier mariage avec déjà une jeune brune de type espagnol), il arrive au Mexique comme commandant en chef des forces françaises dans les années 1860, et tombe amoureux comme un collégien de Pépita, issue d'une bonne famille, bien plus jeune que lui, mais dédaignant des prétendants moins intéressants, même si ses sentiments à l'égard de Bazaine ne font aucun doute.

Oui, mais pourquoi 'traître'? Il faut là en venir à la guerre de 1870 et aux défaites françaises en Lorraine. Accusé, Bazaine demande un procès, à la suite duquel il se retrouve emprisonné, d'où une évasion incroyable ... Et finalement le titre est fort bien trouvé, puisqu'il reprend une expression d'un journal de l'époque. (Quelle époque!)

Encore une fois, la réalité fournit une histoire palpitante (rendue aussi telle par les auteurs) et Pepita, même si on ne sait pas tout d'elle, est une héroïne à découvrir.