lundi 31 mars 2014

Romain Rolland / Stefan Zweig : Correspondance 1910-1919

Romain Rolland
Stefan Zweig
Correspondance 1910-1919
Albin Michel, 2014



Mais je n'en savais rien! Le français Romain Rolland (1866-1944) et l'autrichien Stefan Zweig (1881-1942) devinrent amis avant la première guerre mondiale, unis par les mêmes idées de fraternité et d'humanisme, et leur correspondance s'est étalée en fait sur trois décennies. Y compris pendant la guerre 14-18.

Tout d'abord, d'où proviennent ces lettres? Romain Rolland sut préserver à la Bibliothèque Nationale de France ses écrits et ceux reçus, quant à Zweig, quand il quitta l'Autriche en 1934, il confia ses archives les plus précieuses à la Bibliothèque hébraïque de Jérusalem.

Sauf erreur, Romain Rolland, prix Nobel de littérature en 1915, n'est guère lu aujourd'hui, alors que sa notoriété et son influence étaient grandes à l'époque de cette correspondance. Zweig était rempli d'admiration pour l'oeuvre et la personnalité de son aîné. D'ailleurs ce volume évoque la mise en oeuvre de la biographie de Rolland par Zweig, par ailleurs traducteur, ou intermédiaire avec des traducteurs ou éditeurs des écrits de Rolland. Durant cette époque troublée (je me focalise sur les années de guerre), de fort nombreuses lettres furent échangées, entre la Suisse où Rolland travaillait comme bénévole à l'Agence internationale des prisonniers de guerre et l'Autriche (là Zweig dut écrire en allemand à cause de la censure) puis la Suisse où séjourna longuement Zweig (qui écrivit dès lors en français). Durant le conflit Zweig travaillait en Autriche au service des Archives. Tant que Zweig demeure en Autriche, les deux correspondants sentent l'impossibilité de s'exprimer clairement sur tous les sujets.

L'amitié entre les deux hommes est admirable, fort rarement ternie au début de la guerre par des nouvelles colportées ("J'écrirai, dans le journal de Genève, ce que je pense du rôle néfaste de la presse des deux pays. Faites de même. Unissons nous pour que la guerre soit du moins sans haine.").
Une fois les faits éclaircis, la douleur de Zweig est terrible."Mon monde, le monde que j'aimais est de toute façon détruit, tout ce que nous avons semé est foulé aux pieds."

Leurs opinions, surtout celles de  Rolland, ne leur valurent pas que des amis. Rolland fut fort attaqué, mais reçut le soutien épistolaire fidèle de Zweig.

Au long de ces lettres apparaissent bien des figures intellectuelles de l'époque, là plupart plus trop connues, mis à part Herman Hesse (lettre 144 par exemple), Rilke (Rolland et Gide se sont occupés de récupérer ses écrits importants demeurés en France, à la demande de Zweig) et Pierre Jean Jouve.

Dès le début du conflit Zweig voit plus loin "Je crains que le calme ne revienne pas avant longtemps car la haine survivra à la guerre, elle ne s'estompera point mais se montrera encore plus odieuse qu'à sa fin. Notre combat à nous sera de lutter contre cette haine (...)" Lettre 66, 21 novembre 1914
Tout comme Rolland "J'espère de combattre la haine. J'espère de sauver d'elle tout ce qu'on peut sauver : clarté de la raison, pitié humaine, piété chrétienne (...) Lettre 92, 15 mars 1915

Ce remarquable volume sera suivi par deux autres. Une lecture forte et indispensable.
Romain Rolland en 1914
"Personne ne sait comment finira cette guerre, mais je sais qu'après il y aura la paix, et que le devoir de ceux qui ne se battent pas est de préparer cette paix, et dès maintenant." Lettre 52, Zweig, 19 octobre 1914

"La tragédie juive ne fera que commencer avec la paix. Je ne puis vous en dire davantage mais je vous demande de me faire confiance, croyez-moi quand je vous dis que cette tragédie ne fait que commencer, qu'elle est loin d'être terminée." Lettre 106, Zweig, 13 avril 1915
Stefan Zweig vers 1912

vendredi 28 mars 2014

Isabel Dalhousie

Deux volumes des aventures d'Isabel Dalhousie me sont tombés dans les mains à quelques jours d'intervalle.

Les charmants travers de nos semblables
The charming quirks of others
Alexander McCall Smith
Les deux terres, 2011
Traduction Martine Skopan

Philosophe et directrice de la Revue d'éthique appliquée, Isabel Dalhousie mène à Edimbourg une vie somme toute tranquille, en compagnie de son fiancé Jamie et leur fils Charlie. Isabel a du mal à refuser l'aide qu'on lui demande, et la voilà partie à mener une petite enquête sur le passé de candidats à une poste de directeur.

Ce que j'ai rapidement découvert, c'est que tout cela n'est pas trépidant - mais que c'est terriblement plaisant à lire. Plein d'histoires se mêlent. Isabel ne cesse de cogiter sur tout ce qui se passe, on est ou pas d'accord avec elle, mais cela demeure fort intéressant puisqu'il s'agit de problèmes se posant à tous dans la vie quotidienne.
Isabel peut se révéler péremptoire et trop se fier à ses intuitions et pressentiments. Grace, sa gouvernante, et Jamie -ou les événements- se chargent de la contredire. Mais sa lucidité et son honnêteté emportent la sympathie.

"Les antibiotiques, c'est la fin de l'opéra." (je ne pouvais pas rater cette réflexion!)
"La météo est un ciment social: quand on parle de la pluie, du froid, des espoirs de beau temps déjoués par la pression atmosphérique, on se souvient que l'étranger nous ressemble, et se désole, plus rarement se réjouit, du même climat."

Les lointains tourments de la jeunesse est le volet suivant de la série, et confirme une chose importante pour  ceux qui seraient tentés de la lire, c'est qu'il n'est pas du tout indispensable de lire dans l'ordre. Personnellement, je suis entrée très facilement dans ces deux romans, et mis à part le mariage futur d'Isabel et Jamie, et les histoires amoureuses de la nièce d'Isabel, rien ne revient vraiment sur le tapis.
Cette fois, Isabel s'est engagée à rechercher la famille de Jane, une australienne née en Ecosse et enfant adoptée. Une très jolie histoire, qui m'a beaucoup plu, avec en plus les événements habituels de la vie d'Isabel.

"Isabel était assez modeste, et assez lucide, pour savoir qu'elle n'avait pas toujours raison. En fait, elle était consciente qu'elle se trompait souvent. C'est quand on ne s'en rend pas compte que la vie devient difficile."

L'avis de Cachou, qui explique ici ce qui lui plait dans cette série qu'elle qualifie de "confort books"
OK, Isabel peut se révéler agaçante parfois, mais je crois, Cachou, que je suis tombée dans la marmite et que je me croquerais bien de temps un temps un petit bonbon écossais...

Oh mais c'est que ces romans tombent dans le challenge de Philippe, Lire sous la contrainte (on est le 5 avril, faut se réveiller!)


mercredi 26 mars 2014

J'y étais!

Après moult tergiversations, j'ai décidé d'y aller. Un merci spécial à Manu grâce à qui une entrée m'a été offerte.
40 minutes de voiture, 1 h 40 de train, Paris me voici! Quelque chose me dit que je suis bien arrivée!


Au programme, visite du Petit Palais. Je craque devant les vases de Gallé et autres...
Je m'éclate à prendre l'escalier en photo

Un petit moment au jardin
Un coup d'oeil au salon art moderne
Un dernier regard tenté
Un autre (inquiet) sur le Grand Palais (ça j'adore)

Direction le salon du livre! Rendez-vous à 12h 30 zone pique nique avec Manu (et Monsieur), Anne, Lounima, Cécile (Restling, son ex-blog est bien connu des anciens), une jeune personne dont j'ai oublié le nom, oups, Maryline et, inattendu, Sabine!(chouette surprise) Les belges sont en forte proportion, constatons-le.
Après quelques papotages, le groupe se disloque pour explorer les allées. Pour moi, pas de programme, juste faire coucou à certains éditeurs.

Ginkgo par exemple (A Girl, tu me connais) où je retrouve le charmant éditeur croisé à Blois, je lui confirme que j'ai aimé le roman qu'il m'a conseillé et que je l'ai confié à des mains sûres.

Nous passons devant POL, et là, le choc!
"Tu as vu, keisha, il y aura Charles Juliet en dédicace à 15 h"
Mon coeur rate un battement, j'hyperventile, les filles sont inquiètes (en fait, elles se moquent carrément de moi)

En attendant, visite (de tous les dangers) à Transboréal, où je remercie Marc Aloux, le gentil éditeur qui m'a adressé son livre sur Saint-Exupéry. Papotage, chacun sait ici que j'ai lu un bon paquet de leurs parutions, et je repars avec

et
J'ai été forte, car une bonne dizaine d'autres titres étaient tentants. Hé oui, ces "petits" éditeurs connaissent bien leur catalogue, Marc Aloux m'a confié avoir lu 4 ou 5 fois chaque titre.

15 heures, chez POL  je me joins à deux trois personnes qui attendent, papote avec ces fans de l'auteur, on plaisante, et, enfin arrivée de Charles Juliet.
Quelques mots, une dédicace de Lumières d'automne, Journal VI
Je touche à peine terre.
Un dernier regard, l'homme est là, calme, disponible, attentif. Son épouse, la fameuse M.L. est là aussi, en retrait, discrète.

Ensuite, l'essentiel était là, que dire de plus?

Un coucou à Ian Manook (la suite va paraître cette année), je résiste à Stéphane Fière, pourtant son humour aurait dû me faire craquer (et j'ai aimé son premier roman), mais non, plus d'achat, un coucou à Solène P, un coucou à Monsieur Toussaint Louverture. Petite navigation d'un débat à un autre. Je pose mes paquets avant de partir dans un coin tranquille au Seuil, et là "mais je connais cette tête!". Oui, c'est bien Edouard Louis, il est 18 h, le stand est calme, jeune homme gracile semblant extrêmement gentil, mais je ne l'aborde pas.

Une journée bien fatigante, surtout quand il faut se frayer un chemin dans les foules attendant Pancol, Lemaître et autres Kennedy, mais je m'attendais à pire. Je sais que j'ai raté des blogueuses (Philisine?) mais il y aura une séance de rattrapage un jour.
Déjà je projette d'autres salons. Châteauroux (qui y vient?), Limoges (mais pas sûr), La forêt des livres (Géraldine? A Girl? Sabine? L'irrégulière?), Festival America. Blogueurs, à vos postes!

Retour très très tardif à la maison, où Niouga attendait mon retour entre deux siestes

Pas de photos du salon, mais vous en trouverez abondamment sur les blogs!

lundi 24 mars 2014

Ecrire (A l'heure du tout-message)

Ecrire
A l'heure du tout-message
Jean-Claude Monod
Flammarion, 2013


L'auteur est chargé de recherche au CNRS et enseigne la philosophie à L'Ecole normale supérieure de Paris. Mais baste, je me suis lancée sans peur dans cet essai plutôt fort lisible.

En quatre parties intitulées simplement Envoi, Réception, Objet et Répondre, sont abordées des thématiques évoquant des activités concrètes à tous. Mails, textos, tweets, bien sûr, mais aussi lettres et cartes postales, et en remontant plus avant, annonces angéliques (Un ange est au départ un messager, du latin angelus, emprunté au grec ἄγγελος, ángelos, « messager » en hébreu מלאך, malakh, « messager »). Jean-Claude Monod n'hésite pas à faire participer des personnages de l'antiquité, dont l'apôtre Paul, à scruter intelligemment Les liaisons dangereuses et Une femme fuyant l'orage, citant aussi Derrida, Levinas, Nietsche (et là j'ai parfois décroché je l'avoue)

Un poil d'humour (Dieu écrit-il en SMS ?), beaucoup de remue neurones, qui mérite le petit  effort demandé. 

Juste un passage à propos des codes CAPTCHA (si voue ignorez ce que c'est, vous avez bien de la chance; je suis à deux doigts de boycotter certains blogs à cause d'eux)(et encore ça s'arrange un peu, on nous demande de recopier des chiffres plutôt que des lettres floutées...)(oui, j'en profite pour râler)
Gehlen voyait le point d'aboutissement de la logique technique de dématérialisation dans une situation de "domination de l'organique par l'inorganique". En sommes-nous là? Des corps physiques tout entiers "arraisonnés" à des machines communicantes qu'ils fournissent en "messages", mais qui finissent par nous demander si nous sommes bien, nous, des humains en chair et en os.

vendredi 21 mars 2014

Comment va la douleur? L'A26 Cartons (et hop, trois Pascal Garnier!)

Comment va la douleur?
Pascal Garnier
Zulma, 2006




"Et vous au fait, c'est quoi votre job?
Dératisation, extinction des nuisibles, rats, souris, pigeons, puces, cafards..."
En fait Simon est tueur à gages, mais il songe à prendre sa retraite, après une dernière mission. Il engage Bernard comme chauffeur. Bernard dont sa mère dit "On dirait qu'il vient au monde chaque jour."
Ce duo improbable part sur la route... Son chemin croisera celui de Fiona et Violette.

Atmosphère incomparable, écriture au couteau, personnages un peu "en biais", mais on en redemande.

"Un ballon rouge vint rebondir auprès de lui. Un petit garçon et son père lui couraient après. Ils avaient l'air heureux, le ballon surtout. Le soleil déployait des trésors d'imagination pour faire de ce ciel désespérément pur un spectacle attractif en frangeant de rayons d'or un malheureux petit nuage qu'aucun orage n'avait voulu adopter."

L'A26
Pascal Garnier
Zulma, 2009


"Le troisième réverbère au bout de la rue vient de s'éteindre brusquement. Yolande ferme son oeil collé au volet. L'écho de la lumière blanche palpite encore quelques secondes dans sa rétine. En le rouvrant il n'y a plus qu'un trou noir dans le ciel au dessus du réverbère aveugle.
- Je l'ai fixé trop longtemps, l'ampoule a sauté."

Voilà, ça démarre, Yolande la recluse attend son frère Bernard, qui lui a consacré sa vie. Bernard, le cinquantaine, employé SNCF*, va prendre un long congé cause grave maladie. Il inspire confiance aux dames, et certaines n'en reviendront pas vivantes, le chantier de l'A26 permet de faire disparaître les corps...

Encore une fois plongée dans l'humour noir, avec ces personnages un peu borderline qui ne se posent pas de questions et dont on ne saura guère plus. Evidemment il y aura des morts.

* Je ne peux m'empêcher de me demander : Maryse, née en 1975, dix-huit ans, ça fait donc en gros 1993. Mais Bernard a deux ans de moins que Yolande, jeune femme dans les années 40. Il aurait plus que la cinquantaine, et en tout cas ne travaillerait plus à la SNCF... Ou l'auteur m'a embrouillée?

Cartons
Pascal Garnier
Zulma, 2012

Hé oui, il va manquer, Pascal Garnier (1949-2010)... Encore une fois cette histoire fait mouche.

Brice est illustrateur de livres pour la jeunesse ("Sabine perd son chien, Sabine contre Dracula, Sabine lève l'ancre, Sabine..."). Son épouse Emma a disparu (et on va vite sentir que c'est du définitif), il déménage dans la maison de village achetée par le couple, et finit par vivre dans le garage, parmi les cartons, accompagné d'un chat de hasard.
Petit à petit sa relation avec Blanche, une jeune femme bizarre du voisinage, prend de l'ampleur.

Toujours bien taillé, efficace, humour redoutable, on n'est pas caressé dans le sens du poil.

Conclusion (provisoire) : Je le savais, j'avais tort de ne pas avoir plus lu Pascal Garnier; évidemment j'ai un peu chargé la mule, pour mon plaisir. Trois courts romans qui m'ont occupée trois soirées de suite. Pause quand même. Mais il en reste plein à la bibli...

mercredi 19 mars 2014

Martha Jane Cannary (La vie aventureuse de celle qu'on nommait Calamity Jane)

Martha Jane Cannary
La vie aventureuse de celle qu'on nommait Calamity Jane
Matthieu Blanchin et Christian Perrissin

Trois volumes, Les années 1852-1869, Les années 1870-1876 et Les dernières années 1877-1903




"Pour imaginer ce qu'a pu être la vie de Martha Jane Cannery-en essayant d'inventer le moins possible- nous nous sommes essentiellement basés sur trois livres:
- Calamity Jane, Lettres à sa fille (Rivages)
- Calamity Jane, de Doris Faber, chez HMC, non traduit
- Ces dames de l'ouest de Dee Brown (Stock)"

En dépit de (à cause de ?) un premier abord peu classique (couleur sépia, parfois beaucoup de texte, une impression fouillis, des dessins parfois juste esquissés), je suis tombée sous le charme dès la première page. Evidemment, suivre une famille d'émigrants du Missouri à l'Utah, c'est complètement ce que j'aime, surtout qu'il s'agit d'une histoire vraie, en tout cas basée sur des documents existants, même si Calamity Jane a parfois elle-même un peu brodé.

Fuyant le destin de deuxième (ou troisième?) épouse mormone, elle revêt des habits masculins, les ôte pour devenir lavandière, les reprend pour suivre un convoi militaire (avec indiens plus ou moins pacifiques dans le coin), et à la fin du tome 1, repart en cow girl solitaire, désormais affublée du nom de Mademoiselle Calamité.

Plein d'humour, d'émotion, pas de temps morts, bourré de détails historiques, on en redemande!

Trois semaines se passent, enfin les deux tomes suivants de retour à la bibliothèque!

Quelques années plus tard, l'on retrouve Jane dans les Badlands, en charge d'un bébé, sa petite Janey (celle de Lettres à ma fille). Retour en arrière, elle raconte sa rencontre avec Wid Bill Hickok, l'homme de sa vie, qu'elle n'oubliera jamais. Sa vie aventureuse n'est guère compatible avec celle de mère et elle se résout à confier la petite à un couple, qui lui enverra nouvelles et photos. Passages poignants.
Wild Bill Hickok

Son histoire croise la grande, avec le général Custer...


Elle s'installe à Deadwood...



Deadwood en 1876
Dernier volume.
Plus triste, plus poignant. Jane a vraiment des problèmes d'alcool. Parfois elle se fixe, mène à bien deux grossesses. Elle voyage encore, et meurt à Deadwood en 1903, à l'âge de 51 ans.







Les trois volumes existent en un seul, maintenant. Un demi siècle d'histoire de l'ouest, à découvrir, en suivant une femme exceptionnelle, éprise de liberté. Quant aux dessins, j'ai vraiment aimé le dynamisme qui en ressort.

lundi 17 mars 2014

Aux quatre vents de la Patagonie

Aux quatre vents de la Patagonie
David Lefèvre
Transboréal, 2012
En route pour la terre de feu

Coup de coeur

"J'appartiens à la famille des coureurs d'aventure qui vont au pas de la tortue, indifférents aux époques. J'ai juste besoin d'un bon alibi pour me mettre en route." La Cité des Césars, voilà qui sera le fil conducteur de David Lefevre, durant dix-huit mois  de séjour en Patagonie. Recherches en bibliothèques, conversations avec des spécialistes ou des curieux, d'hypothèses en mystères, il déroule aussi une passionnante histoire, celle de la Patagonie, illuminée de figures extraordinaires, telle celle de Sarmiento, dont la vie incroyable est un roman à elle seule.

Sur les chemins, il marche, teste divers véhicules, s'arrête parfois longuement chez l'habitant ou dans une pension, emmenant à sa suite le lecteur de la Ruta 40 à la Carretera Austral, selon qu'on se trouve en Argentine ou au Chili. Comment de fois franchira-t-il cette frontière courant le long de la Cordillère? Frontière fixée en 1994 pour certaine partie. Définitivement?

Les familiers de ce blog savent que les récits de voyage en général et les éditions Transboréal en particulier s'y taillent une bonne place, mais là, franchement, c'est du haut de gamme.
David Lefevre n'impose pas de journal de bord trop détaillé, parfois il prend son temps, parfois des dizaines de kilomètres sont passés sous silence. On ne connaîtra pas le poids et le contenu de son sac, la marque de ses chaussures, les détails des préparatifs. On le suit, c'est tout. Et avec un vif plaisir. Ses découvertes, ses étonnements, ses fascinations, ses prises de position deviennent celles du lecteur. Parfois j'oubliais que je lisais un récit de voyage, je me sentais vraiment dans un roman d'aventures drôlement bien présenté, où tout se lie harmonieusement.

De plus, c'est fort bien écrit, au point que je relisais certains passages pour le plaisir (la bibliothécaire page 39, le tatou page 157, et plein d'autres passages..). Car je l'avoue, les récits de voyage, oui, mais écrits avec les pieds, non. Là, réussite totale!

Je n'en ai pas terminé avec l'auteur, qu'on laisse à la fin du livre en pleine interrogation. Mais je sais qu'il s'est installé sur l'île de Chiloé; cependant je n'ai pas voulu découvrir la suite avant d'écrire ce billet. Quoique j'exagère un peu : j'ai rencontré l'auteur au salon de Châteauroux en 2013 et il a eu la gentillesse de me raconter un peu de sa vie là-bas. Patience donc!

Je ne renonce pas au plaisir de citer les remerciements
"Si ceux qui ne nous doivent rien ne nous donnaient rien, pauvre de nous. Ce livre est la somme de nombreuses rencontres qui furent les jalons de cette longue itinérance : (liste de noms). Et tous les autres anonymes.
Les taxis des grands espaces et des petits bouts de chemin.
Les propriétaires inconnus des cabanes et abris ouverts au repos du passant."

Note : il y a un encart photos!

Les avis de Chinouk,
Interview de l'auteur, pour en savoir plus sur son périple (et rêver devant les photos...)

vendredi 14 mars 2014

Une collection de trésors minuscules

Une collection de trésors minuscules
Caroline Vermalle
Belfond, 2014


Heureusement que je connais l'univers des romans de Caroline Vermalle! Le début fait un peu peur : un riche avocat, un appartement dans un hôtel particulier de l'île Saint-Louis, une ex copine mannequin, des fréquentations people... De plus "il est canon", dixit Dorothée, soeur de Pétronille, l'assistante personnelle de Frédéric. Manquerait plus que Pétronille soit amoureuse de Frédéric? Justement si!

N'ayez crainte, Caroline Vermalle est futée, elle va vous prendre dans ses filets habituels et vous ne lâcherez plus le roman...

Or donc, Frédéric apprend qu'il vient d'hériter d'un inconnu, héritage comprenant une sorte de carte au trésor et des billets de train l'entraînant sur les pas de Claude Monet. Il n'a rien à perdre, se laisse prendre au jeu, rencontre - par hasard?- des inconnus bien renseignés.

Livre qui fait du bien? Sans doute. J'adore l'imagination de l'auteur, ses histoires où se mêlent mystères (celle-ci devient particulièrement palpitante!), amitiés intergénérationnelles, personnages brisés (et sympathiques) qui reprennent espoir, amour (il en faut, non?). Cerise sur le gâteau, celle-ci se déroule sous le haut patronage des impressionnistes, et m'a donné une furieuse envie de retourner à Orsay et découvrir Giverny... (Aifelle!)
La Débâcle près de Vétheuil
Claude-Oscar MONET
Le Louvre
Maurice explique à Pétronille:
"Dans l'atelier Chasse au trésor, chacun dans son coin réfléchit à ce qui le rend heureux. On visualise...la vie idéale, si vous voulez. On colle des images de magazine, des trucs qu'on trouve. C'est marrant, on reconnaît tout de suite les nouveaux : ils collent des images de plages des Seychelles. Je vosu raconte pas le nombre de brochures de voyages qui se sont retrouvées en morceaux. Mais finalement, tout le monde finit par creuser un peu plus profond. On arrive à des choses plus personnelles. A la fin, y'en a pas deux pareils, des collages.
(...)
ça se réalise à deux conditions. Un, si on met sur sa carte au trésor seulement la vie qu'on veut vraiment vivre, pas celle qu'on pense qu'on devrait vivre. Et deux... si on y croit."
Pétronille va ensuite réaliser sa propre carte aux trésors... Et ma foi, j'ai aussi envisagé de créer la mienne!

Bref, le charme de Caroline V. a encore frappé!

Un grand merci à Anny P et à Caroline V. (la petite carte est parfaite!)

mercredi 12 mars 2014

Après l'orage

Après l'orage
El viento que arrasa
Selva Almada
Métailié, 2014
Traduit par Laura Alcoba


Roman court ( dans les 130 pages) , ambitieux et prometteur, que ce premier de Selva Almada. Quelque part au bord d'une route, dans la chaleur, la poussière, avec l'orage qui survient subitement. Le Révérend Pearson et sa fille Leni font réparer leur voiture au garage d'ElGringo Bauer, aidé par le jeune Tapioca (son fils?). Au fil de l'histoire le passé de chaque personnage et leurs ressentis se dévoilent. Une petite tension permanente, jusqu'à la fin inattendue mais logique. Une écriture au cordeau, sans chichis, efficace.

Selva Almada a habilement évité l'écueil de présenter le Révérend comme un prédicateur filou et hypocrite, dans un monde semblant osciller entre croyances traditionnelles (on peut contrer les orages?) et christianisme.C'est un excellent orateur, ses arguments portent. Un personnage à plusieurs facettes. Tout comme les trois autres. A découvrir.

Les avis de Jérôme, Valérie,
Un grand merci à Marie-Charlotte et à l'éditeur.

lundi 10 mars 2014

Deux secondes de trop

Deux secondes de trop
Perfect
Rachel Joyce
XO éditions, 2014
Traduit par Edith Walter



"En 1972, deux secondes furent ajoutées au temps". "Cet ajout de temps terrifia Byron Hemmings". Byron a onze ans, il s'inquiète, guette le moment, interpelle alors sa mère, alors au volant, et c'est l'accident...

Byron et son ami James Howe (fasciné par Diana, la mère de Byron, qu'il juge "Parfaite", voir le titre original) décident de prendre l'affaire en mains, mais tout dégénère, surtout avec l'intrusion de Beverly.

Diana a épousé un homme riche, dont le travail à la banque ne lui laisse que le week end pour visiter sa famille. L'ambiance de dépendance de cette épouse "modèle" est parfaitement bien rendue, ainsi que le groupe d'amies de Diana, dont l'épouvantable mère de James.
"Les femmes la regardèrent comme un vase brisé qui doit être ramassé par une bonne, mais pas par elle."
Diana se révèle un être fragile, "diaphane, une fleur de pissenlit dont on aurait soufflé les graines pour les regarder s'égailler."

Quarante ans plus tard, Jim travaille dans une cafétéria, habite dans un mobil home, après avoir passé des années à intervalles réguliers dans un asile psychiatrique. En proie à des rituels exténuants, il est solitaire. Mais un brin d'espoir apparaît.

Deux histoires menées parallèlement, où l'on embarque volontiers, le cœur serré souvent et pourtant l'on sourit aussi. Bien évidemment il faut accepter le point de départ, le manque de discernement de Diana au fil du temps, mais qu'elle est touchante! Tout comme Jim d'ailleurs.

J'ai donc passé un joli moment de lecture, entourée d'une lande aux couleurs variables, sous le défilement des nuages. Je me demande juste si l'auteur avait vraiment besoin de "tromper" le lecteur? Le roman aurait été tout aussi intéressant (mais ce n'est que mon avis)

Les avis d'Alex,
Merci à l'éditeur.

vendredi 7 mars 2014

Mailman

Mailman
J. Robert Lennon
Monsieur Toussaint Louverture, 2014
Paru en 2001 sous le même titre
Traduit par Marie Chabin


Quoi! Il existerait un autre John Lennon? Celui ci est américain, né en 1970 (je soupçonne ses parents d'être un peu blagueurs). En tout cas, mis à part la musique -aussi- , il écrit. Et ça décape!

Mailman - Albert Lippincott- est facteur dans une petite ville américaine, quasi obsessionnel dans sa recherche de l'efficacité. Après un mariage raté, il vit seul, enfin, avec des chats. Signe particulier (parmi une multitude de signes particuliers, disons) : il lit certains courriers et les distribue donc parfois en retard : est-il alors responsable du suicide d'un jeune homme?

Mais après tout, ce roman est du genre qui ne se raconte pas. Plongez dans la tête un brin cabossée de Mailman, histoire de prendre un bain de causticité cinglée, qui n'épargne pas le mode de vie américain. Mailman et ses amours, Mailman et les chats (j'adore ces passages!), Mailman à la bibliothèque, Mailman et sa famille (et quelle famille!), bref,  j'en passe (et Mailman au Kazakhstan, tiens, si, si!), il y a de quoi ouvrir grand les yeux et s'amuser aussi, un brin inquiet tout de même. Quant à la dernière partie dans le royaume doré des américains âgés (en Floride), c'est quelque chose!

Lennon sait parfaitement rendre Mailman à la fois pathétique, ridicule, sympathique, antipathique, fin observateur de la société. L'humour un brin désespéré affleure partout.

Copieux et jubilatoire.

[Mailman lit un article de journal, intitulé "La bibliothèque cambriolée]
En pleine journée, hier, quelqu'un a arraché le coffre où est stocké l'argent des pénalités de retard. Bien fait pour eux. Jamais il n'a fréquenté de bibliothèque avec une politique de retour aussi tatillonne, ils vous interdisent  d'emprunter le moindre livre jusqu'à ce que vous ayez réglé toutes vos pénalités, même si vous n'avez jamais eu de problème auparavant, même si vous ne devez que cinquante cents. Et le jour où vous vous pointez au bureau d'accueil pour régler enfin votre dû, il n'y a personne pour s'occuper de vous et vous êtes obligé de poireauter, ou bien la personne derrière le comptoir vous balance: 'Je ne peux pas m'en occuper maintenant, l'ordinateur est en panne' ou bien 'Je vais vous demander de revenir demain, nous avons déjà comptabilisé les amendes de la journée et il nous est impossible d'en encaisser d'autres.' Sans doute est-ce ce qui s'est passé, quelqu'un a dû venir régler son amende, il n'y avait personne au comptoir et quand il en a eu marre d'attendre, il s'est dirigé vers le coffre pour y glisser l'argent et a pensé soudain: Non, je vais l'embarquer, ce coffre, je le mérite autant qu'un autre. Eh bien, chapeau bas, mec!
J'aime bien la couverture VO

Lecture commune avec Jérôme.
Merci à l'éditeur et Elisabeth K. qui a parfaitement deviné que j'allais aimer!

mercredi 5 mars 2014

Qui a tué Jacques Prévert?

Qui a tué Jacques Prévert?
Sandra Reinflet
Editions La Martinière, 2014



Vingt ans après.
Sandra Reinflet passe devant son école primaire, à l'abandon, carreaux cassés, dégradée.
Elle photographie, égrène ses souvenirs.
Chouette livre, sous couverture plastique "comme à l'école".

Un livre personnel, mais qui parle à tous ceux qui sont allés à l'école (oui, moi, vous!). On a tous nos souvenirs et nos images dans la tête. J'ai de la chance, la mienne est encore bien vivante, ça joue, ça crie dans la cour.
Quand même, c'est triste une école abandonnée...

J'ai pris les photos sur ce site, pour présenter plus clairement :










Photos et textes en accord, sensibilité et humour. Tristesse, un peu, émotion, oui, avec la dernière habitante du quartier, Madame Ettel, 89 ans, et ce que sont devenus certains enfants cités.

"Madame Desbordes avait dit que la curiosité était un vilain défaut. (Puis, l'année suivante, sur mon carnet de notes, elle s'était déguisée en qualité)."
Pas de souci, Sandra Reinflet n'a absolument pas perdu cette belle qualité!

Pour en savoir plus sur l'auteur 
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Merci à Babelio, Masse critique

lundi 3 mars 2014

Antoine de Saint-Exupéry

Antoine de Saint-Exupéry
L'oasis à conquérir
ses plus grands voyages racontés par Thomas Fraisse
Transboréal, 2014
Collection Compagnons de route



Avoir enseigné dans un des nombreux collèges Saint-Exupéry n'est absolument pas une garantie pour avoir lu les œuvres de ce célèbre auteur. Le petit prince, oui, évidemment (même si une prof de latin de quatrième m'avait durablement enlevé l'envie de le lire, car elle nous l'a fait étudier déjà traduit en latin)(si), y compris sa version BD par Joan Sfar.

Thomas Fraisse a fondé en 2013 l'association L'Oasis d'à côté, motivée par deux penseurs, dont Saint-Exupéry. Association ayant comme "but d'inviter chacun à se constituer en centre de responsabilité, d'inviter chaque homme et chaque femme à prendre conscience de sa noblesse et de sa dignité, partant, de celle de l'autre."
Il semblait donc parfait pour écrire cette biographie de Saint-Exupéry, retraçant bien sûr sa vie et ses voyages, mais surtout sa philosophie au travers de ses œuvres et ses actions. Pour moi, c'est une excellente introduction à la lecture desdites œuvres, justement.Volume complété par quelques Miscellanées sur l'univers de Saint-Exupéry.
J'avoue avoir aussi découvert avec intérêt cet homme finalement engagé et à la pensée originale.

Un passage (A New York, début années 40) Lorsqu'il déambule dans les rues, au milieu des néons, des passants affairés, il a maintenant l'impression de rencontrer le désert véritable. 'Car le désert n'est pas là où l'on croit, écrit-il. Le Sahara est plus vivant qu'une capitale et la ville la plus grouillante se vide si les pôles essentiels de la vie sont désaimantés.'
"Il sait, maintenant, que la civilisation pour laquelle il se bat est prise entre deux périls, deux formes d'avilissement de l'homme, l'une commandée par les tyran, l'autre par l'usurier."

Ce petit volume (moins de 200 pages) est arrivé chez moi sans prévenir, accompagné d'une carte manuscrite, histoire de me présenter la nouvelle collection chez Transboréal, Compagnons de route, avec déjà parus Ernest Hemingway et Blaise Cendrars, et en préparation Ella Maillart, Joseph Kessel et Arthur Rimbaud. La qualité de présentation et d'écriture est bien là et je souhaite à cette collection autant de succès que Petite philosophie du voyage (voir colonne de droite si on ignore encore ce que c'est)(je précise que personne ne m'a demandé de faire de la publicité, c'est moi qui l'ai décidé!)
Donc, merci!

L'avis de choco,