mercredi 29 avril 2020

Les grands cerfs

Les grands cerfs
Claudie Hunzinger
Grasset, 2019


Après ma lecture de La survivance, j'ai poursuivi avec La langue des oiseaux (pas de billet) et maintenant ces grands cerfs...

Cette fois Nils et la narratrice Pamina sont installés dans une métairie des Vosges, datant de 1770 et appelée les Hautes Huttes. Plus de livres que de confort, et un petit chemin pour y accéder.
"Mais c'est toujours la même maison. Ou alors le même rêve de maison. (...) On invente seulement à partir de ce lieu-là, très profond. Toutes nos fictions viennent de là. Tous nos romans. Et ce que je raconte ici est un roman. Ou alors un rêve, comme on voudra.Mais en aucun cas la réalité. Sauf si la réalité n'est qu'un rêve. Ce qu’elle est évidemment et qui simplifie tout.Du coup, je n'ai plus à me creuser la tête pour savoir si c'est un roman, un récit ou un conte, ce que j'écris."

Pamina la narratrice fait la connaissance de Leo, dont les cerfs sont la passion, et qui l'initie aux affûts. Le terrain de Nils et Pamina est apprécié des grands cerfs, pour des raisons compréhensibles car ils y sont tranquilles et tolérés quand ils boulottent l'écorce et les jeunes pousses des arbres.

Mais ce n'est pas le cas des gens de l'ONF, quant aux chasseurs, ils adorent les trophées... Pamina va découvrir une triste réalité et le ton du livre va devenir plus amer, l'amenant à s'interroger aussi sur elle-même.

Mais le lecteur se réjouira quand même de découvrir plein de choses sur ces animaux magnifiques mais hélas en danger, dans ce coin en tout cas.

Histoire perso : l'un de mes souvenirs les plus magnifiques de toute ma vie, c'est quand, en plein midi, revenant du boulot, sortant de la forêt autour du château de V.,  j'ai vu un magnifique cerf, tranquille, en plein champ, prenant le soleil, pas affolé du tout.
Genre, comme ça:
http://www.animaux-online.com/article,lecture,1039_-la-decouverte-du-brame-du-cerf.html
Des avis : sans connivence, dominique, Aifelle ? ça viendra!, manou, le bouquineur,

vendredi 24 avril 2020

Contes carnivores

Contes carnivores
Nouvelles
Bernard Quiriny
Seuil, 2008


De mémoire, ce recueil a bien failli être donné avant lecture, car la première nouvelle fait partie du genre fantastique qui me fait fuir, celle générant malaise et images glauques.
Heureusement, suite à la pénurie de lectures belges (confinement!), je l'ai repris car j'aime bien Quiriny, et bien m'en a pris. Les autres nouvelles, plus de dix de 15 à 20 pages, ressortent évidemment du fantastique, mais plus soft. Quiriny écrit fort bien, manie l'imparfait et le passé simple comme il faut, ne méprise pas l'imparfait du subjonctif, bref, du bonheur. Son imagination est quasi sans limites, l'humour n'est pas absent, la construction est maîtrisée, le suspense est total dès les premières lignes de chaque nouvelle.

Quelques morceaux pour appâter:
Un évêque présent en deux endroits?
Un employé entendant les conversations à son sujet? (à des kilomètres de distance)
Les mystères de la langue Yapou,
Des miroirs reflétant d'autres personnes,
Souvenirs d'un tueur à gages,
Qu'est-ce que le zveck?
Et ce Pierre Gould, qui vient et revient.

On peut aussi voir le recueil Une collection très particulière.

Des avis chez babelio,

Participation au mois belge (blog Anne)

lundi 20 avril 2020

Quatre saisons à Mohawk

Quatre saisons à Mohawk
The risk pool, 1986
Richard Russo
10/18, 2007
Traduit par Jean-Luc Piningre




'J'adore les ratés sympathiques de Richard Russo' disait Karine dans un commentaire sur Le pont des soupirs. Et c'est tellement vrai!!! Ajoutons à cela la vie dans les petites bourgades du nord est des Etats-Unis, avec quelques riches, mais surtout des gens survivant au jour le jour et des entreprises fermées. Des hommes pas bien fiables, que l'on retrouve plus dans les bars qu'ailleurs, et des femmes formidables, quand elles ne craquent pas.

Cette fois la ville fictive de Mohawk sert de cadre à l'histoire de Ned, d'abord gamin élevé par sa mère qui finit par sombrer dans la dépression, et puis récupéré par son père, Sam Hall. Il recevra quelques calottes, et une drôle d'éducation, non dénuée d'affection. Le dur du roman, ce sont les relations compliquées entre Ned et son père. De nombreux personnages attachants gravitent autour d'eux. Ce qui est bien rendu, c'est la façon dont le gamin ne comprend pas ce qui se passe autour de lui, le lecteur n'aura les informations que petit à petit.

Le roman se termine quand Ned a plus de trente ans, et sa vie prend une tournure plus classique. Mais on l'aura compris, la tonalité générale du roman est plutôt triste, éclairée heureusement par les fabuleux dialogues dans les bars, bien connus des amateurs de Russo.

Lecture commune Russo avec Inganmic (le pont des soupirs), dont le billet mènera aux billets des autres nombreux participants!!! Aifelle avec Un homme presque parfait, krol Le pont des soupirs, Goran Ailleurs, Autist Reading Le pont des soupirs,

mercredi 15 avril 2020

Une machine comme moi

Une machine comme moi
Machines like me and people like you
Ian McEwan
Gallimard, 2019
Traduit par France Camus-Pichon



Au lieu de placer son roman dans un futur plus ou moins proche, McEwan a choisi d'ancrer le récit dans l'Angleterre des années 80 (1980!), mais un passé où existent de légères différences avec le notre. Uchronie, mais pas basée sur un événement particulier, ou alors le non suicide d'Alan Turing? Encore bien vivant, donc, et ayant participé à des recherches conduisant à l'élaboration d'androïdes quasi parfaits.

Dans ce monde, les anglais ont perdu la guerre des Malouines, Kennedy n'est pas mort à Dallas, les Beatles jouent ensemble (à quatre!), Marchais est président en France (!), et Thatcher est premier ministre (oui, pareil, mais moins longtemps). On pense (déjà! ) à quitter l'union européenne. Amusant de retrouver ces détails, mais parfois, n'étant pas férue de politique anglaise, j'ai un peu perdu le fil.

A Londres, Charlie est amoureux de Miranda et se demande si la réciproque est vraie. Par ailleurs il a jeté tout son argent dans l'acquisition d'Adam, le nouveau modèle d'androïde, doté de capacités innombrables. Faire la vaisselle, discuter, argumenter, philosopher même, composer de la poésie, et tomber amoureux de Miranda. Machine ou être humain? La frontière est tellement ténue... Mais l’homme, dans ses imperfections, peut-il être compris d’une machine, aussi bien fichue soit-elle?

Dès le début, Adam a prévenu Adam de ne pas trop faire confiance à Miranda, mais pourquoi? Se greffent alors plusieurs histoires, y compris une adoption potentielle, et le lecteur ne sait pas trop où cela va mener.

"Nous avons découvert en changeant d'angle quelle chose merveilleuse est le cerveau humain. Un ordinateur à trois dimensions, d’une contenance d'un litre et climatisé. Une incroyable capacité à traiter les données et à les compresser, une incroyable efficacité énergétique, aucune surchauffe. Le tout pour vingt-cinq watts -comem une ampoule de faible luminosité.
Il me regarda attentivement en s'arrêtant sur cette dernière phrase.Elle s'adressait à moi: en gros, je n'étais pas une lumière."

Des avis, dasola, kathel, nicole, aleslire, le bouquineur, cuneipage,

vendredi 10 avril 2020

Les enfants du duc

Les enfants du duc
The Duke's Children, 1880
Anthony Trollope
Points, 2015
Traduit, préfacé et annoté par Alain Jumeau



Avec Anthony Trollope on est en plein le roman victorien pur et dur. Cette fois il s'agit du dernier volume de la série Palliser, acheté en 2015 et, avec ses près de 800 pages en poche, conforme à la réputation de 'pavé victorien'.

Plantagenêt Palliser, duc d'Omnium, n'est pas un inconnu pour qui a lu les volumes précédents ( Phinéas Finn Les antichambres de Westminster     Peut-on lui pardonner?      Les diamants Eustace), mais cette fois il est un des personnages principaux. Il a été premier ministre (volume pas lu) et demeure unanimement respecté. Libéral, il est assez ouvert quant à ses collègues à la Chambre, mais pas question de se lier intimement avec un non gentleman. Son épouse Glencora vient de décéder, et ses trois enfants qu'en fait il connaît peu n'en font qu'à leur tête. Silverbridge et Gerald, les aînés, se font renvoyer d'Oxford et Cambridge, ont des dettes, parient sur les chevaux (et perdent gros), mais l'immense fortune du duc éponge tout cela.

Mais Mary, la petite dernière, s'amourache de Frank Tregear, et tient bon en dépit du veto de son père. L'on rappelle au lecteur, à plusieurs reprises, que le duc a eu une heureuse vie familiale avec Glencora, qui au départ était amoureuse d'un type pas recommandable, et donc un mariage a été 'arrangé'. Ne peut-on convaincre Mary, pareillement?

Silverbridge louvoie entre Mabel (qui plairait fort au duc) et Isabelle... Mabel est un magnifique personnage, et à travers elle l'on comprend un peu le sort des jeunes filles de bonne famille, dont le destin ne peut être que le mariage (ou rien), alors que les hommes avaient plus de choix. Bien sûr l'on reste dans un milieu aisé et éduqué, on n'est pas dans les bas fonds comme chez Dickens et la survie au jour le jour de certains.

Ce roman a paru premièrement en feuilleton d'où certains brefs rappels en débuts de parties, et se lit sans effort tellement Trollope a un sens aigu de la narration. Lui-même reconnaît (chapitre 9) qu'il préfère se plonger in media res, mettant ainsi la charrue avant les boeufs. On n'a donc pas de longues descriptions, de longs retours en arrière, etc. Les dialogues sont vifs, l'humour n'est pas absent. Les passages moins palpitants sur la chasse à courre et la vie politique, non dénués d'ironie, passent bien. Et je dois dire que le suspense est bien présent et que la fin demeure incertaine presque jusqu'au bout.

Un auteur à découvrir, si ce n'est déjà fait, peut-être avec un des premiers volumes.

Challenge Pavévasion chez Brize, officiellement jusqu'à la fin du confinement... Le récapitulatif ici.

mardi 7 avril 2020

Habiter en oiseau

Habiter en oiseau
Vinciane Despret
Mondes sauvages
Actes sud, 2019


Intro qu'on peut sauter:
Or donc le 13 mars, subodorant la fermeture des médiathèques pour un temps long, je me précipite dans celle où j'avais des réservations arrivées, et sur le présentoir des nouveautés, que vois-je? Deux livres d'une collection inconnue, Mondes sauvages pour une nouvelle alliance, chez Actes sud. Bêtement je n'en ai emprunté qu'un... Mais mon enthousiasme à cette découverte m'a conduite à noter les autres écrits de l'auteur, et aussi de la collection, dans mes bibliothèques. Lors de leur réouverture, ce sera festival!!!
Donc : coup de coeur

Cerise sur le gâteau, l'auteur est belge, ce qui me permet de participer au mois belge (blog Anne), à l'insu de mon plein gré, au départ.
Bon, le livre, maintenant.
J'espère pour vous qu'il vous arrive d'entendre -et d'écouter- les oiseaux. Cela fait longtemps qu'ornithologues amateurs ou professionnels se posent la question : 'mais pourquoi chantent-ils?' et cherchent à y répondre.
Vinciane Despret, s'intéresse donc à l'histoire des fonctions possibles des territoires, pas en suivant une chronologie, dit-elle, mais 'comme une histoire d'idées, d'intuitions, d'ouvertures, car les territoires et les oiseaux font penser, et c'est cela qui m'intéresse.' Controverses, idées abandonnées qui reviennent, peu importe, elle ne va pas forcément trancher. Les ornithologues font beaucoup paraître de leur société et de leurs personnalités.
Alors, compétitions? Bagarres? Recherche d'une femelle? Besoin de nourriture? Ou besoin de voisinage? Que penser des recherches en laboratoire? A une époque on pouvait tuer les oiseaux pour 'évaluer ce qui se passerait si l'oiseau n'était pas là'.
Tout cela se termine par une magnifique description des chants d'oiseaux parfois différents et leurs choeurs interspécifiques (étudiés bien sûr par des bio-acousticiens).
Ensuite, à chacun d'écouter, après tout.

L'auteur, philosophe et psychologue, enseigne à l'université de Liège. On se dit 'houla ça va être imbuvable, illisible et plein de mots compliqués'. Hé bien non. Même  si elle convoque Serres et Deleuze en passant, le tout demeure d'une extrême fluidité et d'une vivacité réjouissantes. Elle n'hésite pas à laisser transparaître ses opinions, discute, s'interroge, et donne une furieuse envie d'aller écouter les oiseaux...

vendredi 3 avril 2020

Trois concerts

Trois concerts
Lola Gruber
Phébus, 2019


Introduction qu'on peut sauter:
D'abord c'est la belle couverture qui m'a attirée, avec des oiseaux sur un fil tels des notes de musique sur une portée. Voir la vidéo de Hanon de Yoshinori Mizutani.
Ensuite la quatrième de couverture dévoile que le roman parles de musique et de musiciens. Très attirée. Mais, passant en vitesse à la bibli, j'oublie d'emprunter, le livre n'est plus là, et j'ignore totalement titre et auteur...
Quelques semaines plus tard, le roman est revenu, je le vois, et là, je l'emprunte!!!

Parlant de ses suites, le compositeur Paul Crespen a déclaré "Chacune contient ce qui manque à l'autre". Ces suites auraient dû être créées par le violoncelliste Viktor Sobolevitz, puis après un événement tragique, elles le furent (mal) par un autre, et finalement jamais jouées depuis des décennies, même si Sobolevitz restait libre d'en décider. Mais, reclus, ayant mis un terme à sa carrière, fuyant tout contact ou presque, lui seul sait où sont ses partitions et l'enregistrement de l'Arpeggione avec sa défunte épouse.
Remy Nevel est critique musical, doué, ambitieux, sa fascination pour Sobolevitz pose question (on aura la réponse bien plus loin) et il fait connaissance (intéressée?) de Clarisse Villain, violoncelliste atypique qui fut élève de Sobolevitz pendant des années.

Au fil des pages, on passe d'un personnage à l'autre, voyant comment les fils se tissent, apprenant à les connaître, gare aux détails révélateurs, et pour ma part m'attachant beaucoup à Clarisse, perdue dans ses interprétations et travailleuse acharnée, cherchant la quasi perfection. Lola Gruber décortique finement l'approche des oeuvres, mélangeant souvent pensées de l'instrumentiste et jeu de l'instrument, c'est fascinant même si on ne connaît pas grand chose au violoncelle et la musique. Bien d'autres personnages gravitent autour de ce trio, et l'ensemble donne un roman foisonnant qui m'a emballée! Et que finalement j'ai préféré à Opus 88 (oups, 77, merci Luocine), auquel on peut penser.

Les avis de Brize