vendredi 29 août 2014

Hérétiques

Hérétiques
Herejes
Leonardo Padura
Métailié, 2014
Traduit par Elena Zayas



Face à un roman aussi copieux (et pas uniquement à cause de ses 600 pages), par où commencer?

Par Cuba, peut être, et au plaisir de retrouver Mario Conde, traînant toujours sa carcasse désabusée dans les rues déglinguées et poisseuses de La Havane? Le pays part à vau lau (et ça ne date pas d'aujourd'hui), la corruption règne, les jeunes sont déboussolés (j'ai appris ce qu'est un émo, oui je débarque un peu)(et l'autre sens de bifteck). A la suite de la disparition d'une toute jeune fille, Conde plonge dans ce monde.
Oups, je réalise que je commence par la troisième partie. Poignante.

Bon, alors, le vrai début? Disons, l'histoire des juifs de la Havane... En 1939, le jeune Daniel Kamisky attend impatiemment le S.S. Saint Louis, en provenance de Hambourg, avec à son bord près de mille juifs ayant réussi à fuir l'Allemagne, dont ses parents et sa sœur, et possédant dans leurs bagages un tableau signé Rembrandt, appartenant à leur famille depuis le milieu du 17ème siècle.
Mais les passagers ne purent débarquer (Padura examine finement les raisons) , fut refusé par les Etats Unis et le Canada, et repartit jusqu'à Anvers (lire l'histoire  ici)
Dans le port de la Havane
Padura mêle habilement son histoire à la grande Histoire (il m'a fait découvrir cet épisode épouvantable) : le tableau, lui, rentre à Cuba, et réapparaît de nos jours à Londres. Elias, le fils de Daniel, veut connaître la vérité (et d'autres vérités familiales aussi) et fait appel à Conde.

Toujours attentifs? Une deuxième partie se base sur la réalité historique : Rembrand avait réellement pris comme modèle du Christ pour ses tableaux de jeunes juifs de la communauté d'Amsterdam, où la liberté dont ils y jouissaient (après l'Espagne et l'Inquisition, c'était forcément meilleur) leur faisait nommer Amsterdam La nouvelle Jérusalem. Padura imagine qu'un jeune de la communauté brave les interdits religieux pour devenir peintre.
Un article fort intéressant sur l'exposition Rembrandt et la figure du christ (2011 au Louvre)

Voilà le genre de roman que j'aime! Padura propose des personnages attachants dans des situations où il doivent prendre des décisions et faire appel à leur libre arbitre. J'ai vraiment marché dans les rues (glacées et malodorantes) d'Amsterdam, suivi l'apprentissage de la peinture auprès du maître Rembrandt, hésité à suivre mon destin avec le jeune Elias Montalbo. J'ai découvert le Cuba actuel, et celui des années 30-50, et la débrouille des habitants.

Si vous ne connaissez pas encore Conde, il faut vraiment s'intéresser à un type qui se réjouit finalement d'avoir "de bons livres à lire; un chien fou et voyou à soigner; des amis à emmerder, à embrasser, avec lesquels il pouvait se saouler et se lâcher en évoquant les souvenirs d'autres temps qui, sous l'effet bénéfique de la distance, semblaient meilleurs; et une femme à aimer qui, s'il ne se trompait pas trop, l'aimait également."

Merci à l'éditeur pour ce livre qui faisait partie de mes "je le veux absolument" de la rentrée littéraire.

J'oubliais : Pavé de l'été chez Brize

mercredi 27 août 2014

Du côté de chez Swann

Du côté de chez Swann
Marcel Proust
Lu dans mon vieil exemplaire de la Pleiade





Pas question de tenter un billet exhaustif, original et intellectuel, sur ce roman. Pour cette relecture - puisqu'il s'agit de cela- je vais livrer mes impressions, essayer d'avoir un regard neuf et comparer mes souvenirs avec la réalité.

Dans mon dernier souvenir (2003) je croyais que la phrase inaugurale (Longtemps je me suis couché de bonne heure) amenait directement les souvenirs de Combray, où le jeune narrateur attend le baiser de sa mère. Il faut quelques pages, et je concède que certains lecteurs peuvent être désarçonnés et se demander où il veut en venir.

Ensuite, Combray, et tout de suite l'équipe est au complet, les parents, grands parents, tantes, Françoise, et le voisin Swann. Depuis 2003, le blog est arrivé et maintenant je réalise mieux comment Proust laisse affluer ses souvenirs en les mêlant. Nous sommes à Combray, mais Un amour de Swann est déjà en filigrane.  "Comme je l'ai appris plus tard, une angoisse semblable fut le tourment de longues années de sa vie." Le giletier et sa fille apparaissent aussi au détour d'une phrase... Paris, Balbec, Doncières, même Venise...Tous ces petits détails font le sel de la relecture et permettent de saisir à quel point A la recherche du temps perdu est une somme construite avec précision.

Je retrouve des passages très vivants, drôles, et j'aime toujours cette grand mère "Je ne pourrais me décider à donner à cet enfant quelque chose de mal écrit."
Plongé dans sa lecture donc, pages 83 à 88, le narrateur  n'entend plus sonner les heures:
"Quelque chose qui avait eu lieu n'avait pas eu lieu pour moi; l'intérêt de la lecture, magique comme un profond sommeil, avait donné le change à mes oreilles hallucinées et effacé la cloche d'or sur la surface azurée du silence. " (pfou, des passages magnifiques comme celui-là, il y en a plein)

Assez rapidement (page 44) arrivent "ces gâteaux courts et dodus appelés Petites madeleines qui semblent avoir été moulés dans la valve rainurée d'une coquille de Saint-Jacques." Et c'est parti! Trois pages (!) pour qu'enfin "toutes les fleurs de notre jardin et celles du parc de M. Swann, et les nymphéas de la Vivonne, et les bonnes gens du village et leurs petit logis et l'église et tout Combray et ses environs, tout cela qui prend forme et solidité, est sorti, ville et jardins, de ma tasse de thé."

Comme tout se mêle, l'on croise déjà le nom de Bergotte, et à Combray même, Vinteuil, la fille de Swann et Charlus, Legrandin... et même Bloch et son style si particulier
"Défie-toi de ta dilection assez basse pour le sieur de Musset. C'est un coco des plus malfaisants et une assez sinistre brute. Je dois confesser, d'ailleurs, que lui et même le nommé Racine, ont fait chacun dans leur vie un vers assez bien rythmé, et qui a pour lui, ce qui est selon moi le mérite suprême, de ne signifier absolument rien." (page 90) (vous n'auriez jamais imaginé Proust écrire comme ça, non?)

Proust est tellement fort qu'il est capable de donner deux versions un poil différentes du même passage, à savoir les clochers au retour de promenade (pages 180 182). Associé à son désir de devenir un écrivain (page 178)

Sans crier gare, arrive une partie conséquente, des années avant la naissance du narrateur, Un amour de Swann

Pour en savoir plus sur Faire catleya

ou sur Odette de Crécy, que Swann voit ainsi
La jeunesse de Moïse (détail : Les filles de Jéthro)
fresque de la chapelle Sixtine,
réalisée par Sandro Boticelli (1481-82)
J'ai donc réussi à résumer Un amour de Swann en deux photos (oui, j'exagère, il y aurait la sonate de Vinteuil, je suis jalouse de la façon dont en parle Proust, on y rencontre les Verdurin, les Cambremer, et la future duchesse de Guermantes et son esprit "vache"). Prière de ne pas se plaindre, vous auriez pu avoir un billet avec juste une photo de madeleine.

Dans la dernière partie, le jeune narrateur se lie d'amitié à Paris avec Gilberte Swann. De ma dernière lecture revenait la description de la femme de Swann en promenade (-Vous savez qui c'est? Mme Swann! Cela ne vous dit rien? Odette de Crécy? - Odette de Crécy? Mais je me disais aussi, ces yeux tristes... Mais savez-vous qu'elle ne doit plus être de la première jeunesse? Je me rappelle que j'ai couché avec elle le jour de la démission de Mac-Mahon."

Cette fois, surprise en découvrant les dernières pages du livre, le narrateur se place dans le présent, son présent, traversant le Bois de Boulogne en novembre et déplorant les changements, vestimentaires en particulier. Hélas hélas, tout a changé, il comprend "la contradiction que c'est de chercher dans la réalité les tableaux de la mémoire, auxquels manquerait toujours le charme qui leur vient de la mémoire même et de n'être pas perçus par les sens. La réalité que j'avais connue n'existait plus. Il suffisait que Mme Swann n'arrivât pas toute pareille au même moment, pour que l'Avenue fût autre. Les lieux que nous avons connus n'appartiennent pas qu'au monde le l'espace où nous les situons pour plus de facilité. Ils n'étaient qu'une mince tranche au milieu d'impressions contiguës qui formaient notre vie d'alors; le souvenir d'une certaine image n'est que le regret d'un certain instant; et les maisons, les routes, les avenue sont fugitives, hélas! comme les années."

Fin! J'ai encore vérifié que toute lecture de Proust est nouvelle, d'autres passages m'ont frappée, et cette fois particulièrement, la construction du roman. A suivre... (ou pas). Actuellement je lis le Dictionnaire amoureux de Marcel Proust, pas question de sortir de la marmite.

Le somptueux billet d'Irène et la littérature (et moult illustrations)

Lecture commune, au départ, mais je pense rester seule sur ce coup, les autres en parleront en leur temps, le temps, mot proustien par excellence...

lundi 25 août 2014

La fractale des raviolis

La fractale des raviolis
Pierre Raufast
Alma, 2014



"J'aurais du prendre cette décision beaucoup plus tôt.
Mais tuer son premier amour - fût-il le plus abject des êtres- mérite toujours un temps de réflexion, d'acceptation et de préparation. Ne pas le rater. Ne pas être soupçonnée. Ne pas perdre l'assurance-vie."

La vengeance est un plat qui se mange froid, mais pas lorsqu'il s'agit de raviolis. Cependant l'ingrédient ajouté à la recette ne doit pas être ingéré par l'innocent bambin de la voisine; alors que faire?

Encore un exemple de roman lu uniquement (ou presque) à cause du titre. Lu? Englouti en une toute petite soirée (jeudi, c'est raviolis) avec délectation. Il m'a fallu des nerfs d'acier pour résister à l'habile construction en récits enchâssés façon matriochka qui voyaient à chaque fois le dénouement d'un suspense quasi insoutenable renvoyé à plus loin. Ayant côtoyé les pestiférés, les rats taupes, les stratèges de l'armée, suivi les traces d'un fabuleux rubis, découvert le syndrome de Sheridan, fait connaissance de l'Arnaqueur des cimetières, enfin j'ai su si le petit Théo échappa à la mort raviolesque!

Premier roman d'un chouette conteur qui a de l'imagination sous la pédale. Une question demeure : qu'est devenu le rubis?

Les avis de L'irrégulière,

Merci à l'éditeur.

vendredi 22 août 2014

Les indomptées

Les indomptées
Nathalie Bauer
Philippe Rey, 2014


Si je dis saga familiale, cela devrait suffire aux amateurs car découvrir soi-même les péripéties d'une histoire fait partie des plaisirs du genre. Tout du long, on passe sans heurts de l'année 1987 qui voit les sœurs Noélie et Julienne, et leur cousine Gabrielle accueillir dans leur domaine la jeune Zoé, aux premières décennies du 20ème siècle coupées en deux par la première guerre mondiale.

L'auteur s'est inspirée en partie de l'histoire de sa famille, insérant des photos anciennes dans le texte (ça j'aime beaucoup) et se focalise quasi entièrement sur les femmes, pas toutes indomptées d'ailleurs, la plupart se coulant "dans les sempiternels moules - le bon vouloir d'un homme, le mariage, l'enfantement, le soin d'une maison, les travaux d'aiguille, ou encore la dévotion, le patronage."

J'ai beaucoup aimé l'évocation de cette grande propriété pas loin de Rodez, presque hors du temps (au début), au point de commencer à décrocher à la fin quand l'une des héroïnes part à Paris... La grande Guerre a vraiment constitué un tournant pour les gens, et pas du tout le changement de siècle...

Fort heureusement l'auteur a évité l'écueil de bien des sagas, à savoir trop détailler les événements historiques: là, non, le lecteur est censé se débrouiller, et c'est bien ainsi. Et il n'y a pas de "secrets de famille lourds à porter", ouf!

Pour terminer, un petit passage, pour essayer de montrer pourquoi j'ai vraiment aimé l'écriture souple et belle de Nathalie Bauer, qui sert merveilleusement cette histoire.

"Au cours des quatre années qui suivirent les noces d'or de leurs grands-parents, les jeunes filles de la famille continuèrent de grimper sur les arbres du verger et de s'y déployer, comme des fleurs tardives précédant l'arrivée des fruits. Dès qu’elles se mariaient, en effet, la passion pour l'air, la hauteur et la nature qui avait favorisé leurs rêves prenait fin à leur insu, ou presque : tout simplement, il ne leur venait plus à l'esprit de gâcher leurs jupes contre l'écorce ni de contraindre leur corps à adopter des positions inconfortables, ni même de contempler le ciel à travers le feuillage ou les pans de cotonnade qu'elles y avaient suspendus. Elles descendaient un jour de l'arbre dont elles connaissaient le moindre creux, la moindre branche, et n'y remontaient plus; parfois, au cours des promenades qu'elles effectuaient au début de leur union en compagnie de leur époux, elles s'y adossaient le temps d'un baiser ou d'une étreinte, mais c'était comme par mégarde, en vertu d'une habitude qu'on ne s'explique plus, et pas un instant elles ne songeaient à gratifier d'un regard ou d'une caresse le rugueux compagnon de leur ancienne vie."

Merci à Anaïs H et à l'éditeur.

mercredi 20 août 2014

Comment élever votre Volkswagen

Comment élever votre Volkswagen
How to keep your Volkswagen alive
Christopher Boucher
Le nouvel Attila, 2014
Traduit par Théophile Sersiron
Dessins de Matthias Lehman



Un instinct très sûr pousse les OLNI (objet littéraire non identifié) à se jeter sur mon passage, il faut dire qu'ils sentent l'amour que je leur porte, et fatalement me voilà bien embêtée pour proposer une idée cohérente dudit bouquin.

Le narrateur anonyme (il a vendu son nom chez Visages) vient de perdre son père, attaqué par un Arbre à Infarctus, qui s'est enfui en utilisant la Ferme d'Atkins ("il a mis la ferme en première, appuyé sur l'accélérateur et s'est enfui") et se lance à la recherche de l'assassin avec son fils, une Coccinelle Volkswagen de 1971. Oui, SVP, ne pas me poser de questions. Cette VW carbure aux histoires (imprimées, racontées).

Je vous avais prévenu, c'est inracontable. De plus c'est plein de néologismes (bravo au traducteur par ailleurs découvreur de cette pépite à Oslo), de poésie, de trouvailles... L'on peut y assister à l'enterrement d'un préservatif, les clefs à douille discutent, ont peur, se rendent chez le psy, les montagnes peuvent se transformer en fjords ou pistes de roller, etc...

Une fois passées les premières pages (mais c'est quoi ce binx?) tout se passe bien, faut juste accepter d'être déstabilisé, que tout bouge, comme quand on descend un escalier et, oh surprise, il y a une marche de moins que prévu (vous connaissez bien cette expérience, non?)

Cela pourrait évoquer Vian? Sais pas. En tout cas en dépit de la bizarrerie de l'ensemble l'on s'attache à ce père refusant le deuil de son propre père (alors qu'apparaît le 'Souvenir de son père', chouette idée du roman) et veillant avec amour sur son fils dont on connaît la mort dès le début. Rendre poignante une telle histoire, non dénuée de drôlerie absurde, est un tour de force.

J'apprends en quatrième de couverture qu'il s'inspire d'un vrai manuel d'utilisation de Volkswagen, commandé en 1969 à John Muir (ah bon, un descendant de John Muir, l'autre) d'où les titres de chapitres "Outils et pièces détachées", Voyant rouge allumé!" "Révision du moteur"...

Les avis de Fric Frac club, claro ,

lundi 18 août 2014

Trilogie de Corfou

Le premier volume de cette trilogie a été réédité par Gallmeister en 2007 sous le titre Ma famille et autres animaux( mon billet), le deuxième volume, Oiseaux, bêtes et grandes personnes, paru chez Stock en 1970 et traduit par Léo Lack, était introuvable (sauf dans le magasin de ma bibliothèque) et le troisième, Le jardin des dieux, demeurait inédit jusqu'à ce que La table ronde décide de proposer carrément les trois (traduits par Cécile Arnaud). (Sauts de bonheur).

Coup de coeur!

Au cours des années 30 la famille Durell (je crois que tous ses membres sont nés en Inde) quitte l'Angleterre pour s'installer à Corfou : la mère adore cuisiner, essaie de maintenir un semblant de règles dans la maison; Larry (Lawrence Durrell) a la manie d'inviter ses amis, tous bien originaux; Leslie ne pense qu'à la chasse; Margo suit un régime et ses affaires de cœur semblent compliquées; le narrateur, Gerald, n'a qu'une dizaine d'années, mais déjà son amour pour la connaissance de la nature est là (il s'occupera de la fondation Durrell pour la protection de la vie sauvage)

Gamin curieux de tout, Gerald parcourt l'île avec ses trois chiens (mais pas les onze chiots qu'il a sauvés de la mort), et/ou Sally son ânesse, ramenant à la maison, au grand dam de ses frères et soeur, tout un tas de bestioles "intéressantes", dont il décrit l'aspect et les mœurs avec une précision et un sens de l'image absolument remarquables. Sa mère finit par accepter (presque) tout et Gerald fournit le gite et le couvert (offrant par exemple les côtelettes du repas à un grand duc blessé) à des serpents, araignées, lérot (une femelle gravide, tant qu'à faire)(Esméralda), petit duc (Ulysse), crapauds (je vous passe leurs noms), chouette, bébés hérissons, dont parfois il devient la nourrice ou le soigneur, avant de souvent les relâcher.
Les êtres humains ne sont pas oubliés, Gerald sait les décrire avec humour et vivacité, les dialogues m'ont souvent fait éclater de rire!

Quelques passages
Joli, non?
"Un ciel parsemé de petits nuages, comme les empreintes digitales d'un enfant sur une vitre bleue et givrée."

Des nuits bien occupées:
lérot
"Tous les soirs, lorsque Ulysse se réveillait sur son perchoir au-dessus de la fenêtre, j'ouvrais les persiennes pour le laisser s'envoler vers les oliveraies éclairées par la lune, où il allait chasser et ne rentrait que pour prendre son assiette de hachis à deux heures du matin. Dès qu'il était parti et que le terrain était sûr, je pouvais sortir Esméralda de sa cage pour deux heures d'exercice. Elle se révéla être une charmante créature dotée de beaucoup de grâce en dépit de sa rondeur, qui effectuait des bonds gigantesques et impressionnants de la commode au lit (où elle rebondissait comme sur un trampoline), et du lit à la bibliothèque ou à la table, utilisant comme balancier sa longue queue à extrémité en brosse."
Plus tard, Esméralda et ses huit bébés, chacun accroché à la queue du précédent, vont ressembler à "une absurde convention de bandits."

Lors d'une visite qui va vraiment, mais vraiment se passer autrement que prévu:
"Eh bien je veux que vous soyez tous polis, dit Mère fermement, avant d'ajouter : et je te demanderai de ne pas mentionner les hiboux, Larry. Elle risquerait de croire que nous sommes bizarres.
- Nous le sommes, conclut Larry avec humeur."

Les amis Corfiotes ne sont pas oubliés
"Spiro, brun, renfrogné, ressemblant à une gargouille en vacances loin de notre-Dame."

Les avis de cathulu 

vendredi 15 août 2014

Manuel d'écriture et de survie

Manuel d'écriture et de survie
Martin Page
Seuil, 2014



Un auteur que je ne connais pas vraiment, une couverture sobre, mais une quatrième de couverture avec les mots magiques, écriture, littérature...

Dans ces lettres à une jeune écrivaine, dont on suit le parcours en creux, de l'écriture à la parution d'un livre, c'est Martin Page qui se dévoile beaucoup. Ses conseils bienveillants à Daria sont destinés à lui éviter quelques faux pas et galères (même s'ils ne sont pas tous évitables, si j'ai bien compris). Ne pas se décourager des refus d'éditeurs ("Cinq lettres de refus coup sur coup, voilà qui est dur comme entrée en matière. Mais c'est classique. Il faut que ton roman rencontre le vrai lecteur et ce n'est pas plus simple qu'une rencontre amoureuse"), ensuite bien le choisir. Ecrire, remettre son travail sur le métier sans relâche; se protéger aussi. Ne pas hésiter à quitter Paris, à l'heure d'internet autant profiter des conditions de vie provinciales. Et si les maisons d'éditions parisiennes déménageaient aussi? (il paraît que cela leur ferait de substantielles économies)

"J'écris parce que c'est un plaisir infini, parce que j'aime voir mes idées se transformer en un livre, parce que c'est ainsi que j'affronte la mort, parce que ça me permet des rencontres, parce que c'est une façon de continuer à m'inventer, parce que je peux jeter mes angoisses et mes obsessions sur le papier comme dans une arène, parce qu'ainsi ma conscience et mon inconscient entrent en conversation, parce que c'est une manière de m'en sortir.( ...) J'écris par plaisir, pour en recevoir et pour en donner. J'écris parce que j'aime la fiction et que je crois en son pouvoir."
"Si on veut défendre le livre, il faut défendre une certaine conception de la vie en société. Les lecteurs doivent avoir les moyens d'acheter des livres et avoir du temps à consacrer à la lecture."
"Les opinions sur un roman en disent plus long sur les lecteurs que sur le livre lui-même. "(oups)

J'ai conscience que ce billet est fouillis, mais faites-moi confiance, lisez ce livre, après tout je me sens solidaire d'un type qui boit du thé (et du café) et dont le chat vient ronronner près du visage à 6 heures du matin... Et puis, "je crois qu'on pourrait enlever les murs de ma maison, les livres la feraient tenir debout."

Les avis de blablablamia, cathulu, Le tiers livre (avec extraits), l'Irrégulière,

mercredi 13 août 2014

Literary life

Literary Life
Scènes de la vie littéraire
Posy Simmonds
Denoël Graphic, 2014
Traduit par Lili Sztajn et Corinne Julve



Quatrième de couverture : "Ces chroniques ont paru chaque samedi entre 2002 et 2005 dans The Guardian Review, supplément littéraire du célèbre quotidien britannique. Ma seule consigne était que tout devait tourner autour de la vie des lettres."

A partir de cette feuille de route assez vague, Posy Simmonds s'est bien lâchée, et son oeil acéré n'a épargné personne, auteurs, libraires, lecteurs, à la maison, en salons du livre, dédicaces en librairie, cocktails chics, réunions d'éditeurs...
Mention spéciale à la série des Rick Braker, agent spécial, pastiche des privés à l'américaine. "La dame a déboulé dans mon bureau un lundi : lunette, chandail gris, pompes de confort. Pas de quoi s'exciter... Mais elle était bardée de médailles littéraires et plus fumasse qu'un serpent sur la braise." ou "C'était une saddleback gironde d'environ 300 kilos. Un châssis".
Sans oublier le Docteur Derek et ses dossiers, spécialiste des maux d'écriture (et il y a du boulot!). Traité façon BD américaine des années 50.
Posy Simmonds pose sur cet univers un regard jamais vraiment méchant, fort drôle et fin. Beaucoup beaucoup aimé.
"Je te parie qu'ils l'ont pas"
Les avis de L'Irrégulière, cathulu, vio, lewerentz

lundi 11 août 2014

Le génie des coincidences

Le génie des coincidences
The coincidence authority
J.W. Ironmonger
Stock la cosmopolite, 2014
Traduit par Christine Barbasse


Ne souriez pas, je suis absolument sûre que votre vie est pleine de coïncidences (enfin, que vous pourriez en citer un peu). Chez moi, par exemple: je me suis retrouvée en vacances en Roumanie nez à nez avec une collègue, mon petit neveu est né le même jour (et la même année) qu'un de ses cousins, etc, etc... Connaître un poil de calculs de probabilités et avoir les pieds sur terre aide à ne pas grimper aux murs à l'énoncé de tels événements.

Mais pour Azalea Lewis, quand même, les coïncidences sont vraiment énormes, à tel point qu'elle va "consulter" Thomas Post, un universitaire dont c'est le sujet de recherches. Bien sûr qu'ils vont tomber amoureux, mais le roman sera l'occasion de découvrir la vie étonnante d'Azalea, ses trois pères, et surtout ses années en Ouganda (et là, sa rencontre -imaginaire- avec Joseph Kony, septième dans la liste des criminels les plus recherchés du monde -hélas, on n'est plus dans la fiction- vous donnera des frissons d'épouvante dans le dos).
J'ai absolument dévoré cet habile roman, écrit (et traduit) avec grande fluidité, construit de façon à ne pas ménager nos nerfs (et je découvre en relisant le billet de cathulu qu'elle évoque aussi les nerfs du lecteur)(comme quoi, on est raccord)(coïncidence?) Si vous voulez aussi vous poser des questions sur le hasard, le libre arbitre et ces sortes de choses, lisez ce roman!

J'ai particulièrement apprécié les anecdotes et exemples tirés de faits réels, en particulier celui du verbicruciste du Daily Telegraph dévoilant les mots codes du débarquement en Normandie (eh bien il y avait une explication!)

Les avis de clara, cathulu, bouquinbourg, blablablamia,

En fouinant pour connaître la nationalité de l'auteur, je découvre le site officiel de Thomas Post ... sommes-nous encore dans le roman?

vendredi 8 août 2014

Roman américain

Roman américain
Antoine Bello
Gallimard, 2014



Heureusement qu'Attila a lancé une discussion Facebook sur ce roman (et sur l'avis d'ODL au Masque, avis qui d'ailleurs ne m'avait pas dissuadée de l'emprunter en bibli, Bello faisant partie des auteurs dont je veux découvrir systématiquement les romans). Heureusement en effet car le premier chapitre est bien aride; un conseil, faites confiance à l'auteur pour vous offrir un roman original, intelligent ... et drôle.

Le life settlement doit être dans le top 10 des sujets de romans les moins glamours : imaginez, c'est "la pratique consistant à racheter une police d'assurance-vie à son souscripteur en pariant sur le décès de celui-ci." Une sorte de viager plus plus plus, ai-je imaginé. Avec tous les travers et les dérives imaginables. Le journaliste Vlad Eisinger n'hésite pas à enquêter à Destin Terrace, résidence de Floride où vit d'ailleurs un de ses amis, écrivain sans succès, Dan Siver. Le roman propose donc des articles du Wall Street Tribune écrits par Vlad, ainsi que des mails échangés entre Vlad et Dan, et des extraits du journal de Dan, alternance permettant au lecteur d'avaler sans encombres les détails sérieux.

Sérieux? Quoique. Vlad fait montre d'un humour pince sans rire, par exemple cette déclaration du président d'un fonds ayant racheté des polices d'assurance-vie : "Nous enregistrons chaque semaine 4 ou 5 maturités [décès], parfois plus pendant l'hiver. Même les mois un peu creux, je me console en me disant que mes assurés ont vieilli et sont un peu plus proches de la mort."
Les articles finissent par créer des répercussions dans le microcosme de Destin Terrace, sous l’œil attentif de Dan. Les assureurs y sévissant se livrent à une concurrence acharnée. "Sans se démonter, Patterson nous a servi un couplet abracadabrant, d'où il ressortait qu'actuaire arrivait, dans la liste des professions les plus dangereuses du monde, juste après dresseur d'alligators et réparateur de téléphériques."

Mais il n'y a pas que cela dans ce chouette roman. Dan et Vlad se livrent à un jeu des anagrammes sur les noms d'auteurs américains et français (je suis nulle à ce jeu-là, tant pis), Dan s'amuse à réécrire certains passages journalistiques, offre trois versions de sa nécrologie (censément écrites par le logiciel NecroLogos), bidouille un article de Wikipedia (conséquences hilarantes), et , plus sérieusement, ces deux-là donnent au lecteur leurs opinions sur l'art du romancier, "est romancier, celui qui possède à la fois une sensibilité originale - un prisme unique à travers lequel il regarde le monde - et la capacité à faire partager cette expérience à travers les mots" versus "un observateur qui, à travers la description d'un milieu ou d’une époque, revisite les questions universelles : la condition humaine, l'amour, la mort, etc."

Il semblerait qu'un deuxième volet suivra (oh oui, j'aimerais!) et sans vouloir dévoiler quoique ce soit, je suis d'accord avec Attila et les participantes à la discussion Facebook,  Bello a encore une fois joué avec son lecteur (attentif)

Amateurs d'humour noir et de critique sociétale, ce roman est pour vous!

Les avis de Dasola,

mercredi 6 août 2014

Le Comte de Monte-Cristo

Le Comte de Monte-Cristo
Alexandre Dumas (avec la collaboration d'Auguste Maquet)
Paru en feuilleton dans les années 1840
Livre de poche, 1973



Dans une version bibliothèque verte parfois abrégée (que je possède toujours), ce roman a enchanté mon enfance, mais pour cette lecture commune avec A Girl, pas question de chipoter, je me suis donc tournée vers une version complète en livre de poche, trois tomes d'un peu moins de 600 pages. D'un commun accord, nous avons décidé de nous limiter au tome un, repoussant les deux et trois à un peu plus tard. Folles mais organisées.

Qui ignore l'histoire? En 1815, tout sourit à Edmond Dantès, il va devenir capitaine du navire le Pharaon et le mari de la belle Mercedes dont il est épris. Accusé d'être un bonapartiste (nous sommes juste avant les Cent-jours) par Danglars l'ambitieux second du navire et Fernand l'amoureux jaloux, cousin de Mercedes, il aurait pu échapper à la prison s'il n'était pas tombé sur Villefort, substitut du procureur du roi, mais fils de bonapartiste enragé. Le voilà donc enterré sans procès dans un cachot du château d'If, où il fera connaissance de l'abbé Faria qui lui révélera l'existence d'un fabuleux trésor. Après son évasion, ayant tiré d'affaire les fidèles Morrel, le voici ivre de vengeance, riche et puissant, devenu le comte de Monte-Cristo (entre autres identités)... Je l'abandonne au début du chapitre 39, après 600 pages (histoire de bénéficier du label Pavé de l'été chez Brize), au moment où il part à Paris retrouver les protagonistes du roman qui ont fort bien réussi (y'a de la veine que pour la canaille, ma bonne dame). Pour s'introduire dans cette bonne société, il va utiliser Albert de Morcerf, tiré d'une périlleuse affaire à Rome, et par ailleurs fils de Fernand et Mercedes... Comme j'ai un souvenir du roman, je me réjouis de relire comment tous les fils vont se relier, comment les sales manigances des "méchants" au cours des années d'emprisonnement de Dantès vont leur péter à la figure.
Le château d'If

Bien sûr il s'agit de littérature feuilletonesque et populaire, qui manque parfois de nuances, mais quel plaisir de lecture! Après les tourments et luttes intérieures de Dantès auxquels on s'identifie bien, surgit un héros plus lointain, trop omnipotent, omniscient? Va-t-il être accessible au doute, à la pitié? Va-t-il réussir sa vengeance sans y laisser son âme? Et les dommages collatéraux? (parce qu'existent on s'en doute des personnages absolument innocents du complot, ne serait-ce qu'Albert). Le passage sur l’île de Monte Cristo et en Italie (200 pages quand même), avec bandits romains et orientalisme, a été coupé de mon exemplaire jeunesse et flatte sans doute le goût de l'époque pour l'ambiance de mille et une nuits?

Je suis cependant prête pour la suite, car ça se lit à grandes enjambées, on accroche, Dumas est habile!

Edit du 5 août : j'ai terminé le roman entier hier soir, billet à venir un jour. Pas déçue du tout!

lundi 4 août 2014

Amazones

Amazones
Raphaëlle Riol
La brune au Rouergue, 2013


"L'auteur tient à préciser au lecteur qu'aucun animal n'a subi de mauvais traitements lors de l'écriture de ce livre. Elle ajoute qu'aucun pamplemoussier n'a été déterré."

Peu de jours après le décès de son compagnon, Alice se voit contrainte par ses parents à les accompagner au Repos-Fleuri où réside sa grand-mère; elle y fait connaissance d'Alphonsine, 89 ans, qui lui chuchote "Sortez-moi de là". Ces deux Amazones ont pas mal de points communs ...

Comme on peut se faire de fausses idées... Je m'attendais à un roman guimauve et gentillet sur une amitié entre générations, bons sentiments, tout ça, quoi... Que nenni! Raphaëlle Riol vitriole sec, au long de l'histoire passée et présente d'Alice et Alphonsine. Un peu too much parfois, mais on ne s'ennuie pas une seconde et on rit souvent (noir). Mention spéciale aux lettres échangées entre Alice et ses sœurs.

"Avant de le rencontrer, j'avais posé des balises bien précises dans le champ des rencontres que j'allais potentiellement faire. D'abord éliminer les lâches, puis parmi ceux ceux qui restaient, les machos, les infidèles, les incultes, les radins, les mecs de droite, les possessifs, les autoritaires, les trop-gentils, les bavards et enfin les fils à maman. J'ai rencontré Robin après de multiples éliminations d'office. Beaucoup trop vite, je me suis félicitée d'avoir décroché le gros lot... Sportif et cultivé, raffiné et attentionné... Mais voilà, j'avais tout simplement omis les menteurs dans ma liste. C'était une erreur de débutante."

Les avis de Melusine,

vendredi 1 août 2014

Solitudes australes

Solitudes australes
Chroniques de la cabane retrouvée
David Lefèvre
Transboréal, 2012


Coup de cœur...

Après un grand tour Aux quatre vents de la Patagonie David Lefèvre a voulu goûter de la vie en cabane sur l'île de Chiloe. Seul, près d'un lac qui a ses humeurs, à la merci de tempêtes ou de pluies, bref, il n'est pas embêté par les touristes. Quelques voisins éloignés (mention spéciale à Don Gustavo et Carmen) hauts en couleurs. Des bestioles de toutes sortes. Dont Léon, le chat recueilli.
Vous l'aurez compris, de la nature, de la réflexion, pas d'action (quoique remettre en état une cabane vétuste et défricher un arpent de terre, si ce n'est pas de l'action qui vous fait les muscles...)

C'est sûr, voilà une lecture incontournable pour les amateurs du genre, et l'occasion pour les réticents de se frotter à un texte somptueux... L'auteur ne triche pas, difficile de résister.

"Je lis des livres complices de ma retraite, des livres où je rencontre parfois une clairvoyance qui mériterait d'influer sur l'organisation du monde. Je croise aussi le destin de quelques quêteurs d'absolu qui, pour sauvegarder leur dignité ou se garder de la folie, ont trouvé la riposte dans la distance, contraints de se retirer plus loin, sur l'autre versant de la liberté, sans autre choix que d'avancer à rebours, condamnés à fuir pour chercher dans les lointains ce que la proximité ne leur donnait pas. (et il cite Giono, Thoreau, Martinson, Lopez, Haiens, Dillard...)

Paradis? Non.
"Chasse aux minerais, abattage des arbres, pollution des lacs due à un alevinage outrancier, raréfaction du poisson dans les mers, palourdes et oursins prélevés sauvagement, littoral vandalisé. "

J'ai apprécié sa lucidité
"Je suis au seuil d'une aventure qui ne tient qu'à un fil. A tout moment mon nouveau sanctuaire pourrait se révéler être une impasse. Ou je parviendrai au but, ou je rebrousserai chemin."

"S'isoler, c'est s'éloigner, et pour savoir si l'on a de fortes attaches, il faut d'abord avoir quitté le port.(...) Pour juger le lieu d'où l'on vient, rien de tel qu'un pas de côté pour l'embrasser du dehors.(...) Je reconnais aussi le danger de ces longues disparitions."p144 145)


Les avis de Dominique, Chinouk , Maryline, Hélène, coccinelle,