lundi 31 octobre 2016

Le making of de "Toro"

Le making of de "Toro"
The making of Toro
Mark Sundeen
Gallmeister, collection Americana, 2010
Traduit par Laura Derajinski


C'est, si j'ai bien compris, l'histoire d'un type qui a écrit "La fauconnerie en s'amusant', "un texte triomphal, baigné d’une sauce au lyrisme enfantin et frit à la poêle du cynisme" d'après lui et "Quand les faucons de  LaFrance battent maladroitement des ailes vers un coucher de soleil mal rendu, le lecteur aimerait que les oiseaux ne retrouvent jamais le chemin de leur nid", selon une critique. Bref, un  artiste incompris, mais à un stade de déni difficile à saisir.

"Avec chagrin, j'ai dû admettre que je n'étais pas à la hauteur en tant que personnage principal de mes propres livres. Si je voulais que l'auteur de mon histoire passe à la postérité aux côtés d'Hemingway et de Jack London, il fallait que le l'invente. Il me ressemblerait un peu, bien sûr mais en moins intello et en moins surprotégé. Un homme du peuple, pour le peuple. L'Homme des Masses. Il serait coriace mais cosmopolite, à la fois américain et européen, un moule vide à remplir de mes expériences courageuses.
Il s'appellerait Travis LaFrance."

C'est donc sous ce pseudonyme qu'il enchaîne les rencontres ratées, les râteaux amoureux, les bêtises et les boulots peu glamour. Il réussit tout de même à obtenir une avance pour écrire un roman sur les corridas. Il n'y connaît évidemment rien, mais à la fin le lecteur en saura beaucoup sur les corridas au Mexique et les corridas portugaises en Californie. Mais rien en Espagne, pas les moyens.

Toro, le livre est donc sorti (sans succès, bien sûr) et maintenant Travis LaFrance en raconte le making of, et le moins que l'on puisse dire est qu'il y a un bel écart entre la réalité et le livre. Ce qui fait tout le sel du roman de Mark Sundeen, le lecteur suivant d'un œil amusé ce type qui se la raconte de bout en bout.
"En arrachant les draps au doux parfum citronné tandis qu'un filet de fumée s'élève dune cigarette solitaire dans le cendrier, Travis possédera soudain les clés de cette élégante féminité européenne tandis que la beauté slovaque cédera à la force indéniable d'une superpuissance mondiale." La réalité, évidemment, c'est que Hannah va rentrer retrouver son fiancé.

C'est drôle, un peu poignant tout de même, et emprunt d'une jolie nostalgie quand Travis se remémore un passage de son enfance. Pas mal du tout.

Je ne résiste pas au plaisir de partager la couverture originale (y' a du lourd!)
http://livre.fnac.com/a9826365/Inconnus-The-Making-of-Toro
Les avis de Fashion sur lecture écriture,

vendredi 28 octobre 2016

De profundis

De profundis
Emmanuelle Pirotte
le cherche midi, 2016


Dans un avenir non déterminé mais sans doute proche, le virus Ebola (qui en est à Ebola III) a remonté vers le nord et sévit en Europe, fauchant les populations sans distinction d'âge et de richesse. Bruxelles est aux mains de bandes adverses, les Cavaliers (tendance Apocalypse) et les Frères de l'islam. Roxane se débrouille au jour le jour en trafiquant drogues et faux médicaments. Jusqu'au jour où elle apprend la mort de son ex-mari, et prend la charge de Stella, leur fillette de huit ans.
Elles échappent de peu à la mort, et Roxane décide de se réfugier dans une maison de famille, située dans un village éloigné épargné par le virus, survivant en autarcie, mais n'échappant pas aux bandes de rôdeurs et aux fugitifs.
Mais sont-elles seules dans cette maison?

Moi, les dystopies, j'aime plutôt, surtout quand elles sont bien imaginées. Sans se sentir bien dans ce monde là, le lecteur ne peut que réaliser qu'il est crédible et possible. La survie en ville, d'abord, avec sa violence, à laquelle n'échappe guère la campagne, offrant pourtant par ailleurs des moyens de subsistance.
Sans insister dessus, l'auteur évoque aussi le climat perturbé, les orages et vents violents et soudains, les périodes de canicule,  la pollution (en ville). Un monde qui risque de devenir un jour le notre.

Après Today we live, pour lequel j'avais eu quelques petits bémols mais que j'avais dévoré, j'avais reconnu le talent de l'auteur pour se lancer dans des histoires de rencontres improbables, des sujets casse-cou quoi, et là, pareil, elle m'a entraînée dans le fantastique (léger quand même) à l'insu de mon plein gré. Alors là c'est fort! A découvrir.

Les avis de Au pouvoir des mots, unwalkers, léo,

mercredi 26 octobre 2016

Chanson douce

Chanson douce
Leïla Slimani
Gallimard, 2016


Pourquoi ai-je longuement hésité à parler de ce livre?
Parce que je n'ai pas aimé? Euh non, même si je ne saute pas au plafond, ça va.
Parce qu'il est sans qualités? Que nenni.
Parce que c'était long et pénible? Non plus, je l'ai dévoré sur 24 heures.
Parce qu'il est sans intérêt? Que nenni.
Parce que ce sera le n-ième billet sur ce roman et que je n'ai rien de bien malin à dire? Oh oui, oh oui, voilà mon problème. Je crois atteindre là la saturation et si ce roman m'avait réellement enthousiasmée j'aurais ajouté ma petite pierre à l'édifice sans états d'âme.

Soyons clairs : la quatrième de couverture et les différents billets lus (et même le Masque et la Plume, c'est dire!) n'en révèlent pas trop. De toute façon l'on sait dès le départ que la nounou a tué les deux jeunes enfants dont elle avait la charge. Sans trop de détails, ouf.
Myriam et Paul, les parents, ont deux enfants assez rapprochés, Mila et Adam, Myriam renonce à travailler, ne supporte plus de tourner en rond, bref, l'occasion se présente, elle accepte de reprendre une activité en cabinet d'avocats. Chronovore, l'activité, d'ailleurs.
Il fallait une nounou, le choix se porte sur Louise, blonde, fragile, blanche (la seule nounou blanche du quartier...) qui se révèle vite être une perle (en plus d'être nounou, elle cuisine -bien- et fait le ménage -maniaque).

La nounou était presque parfaite, quoi.

Le lecteur va découvrir comment la machine va se gripper, il suit Louise dans sa vie étriquée, phagocytée par son métier, il suit Myriam et Paul, semblant eux aussi ne vivre que pour leur travail (ils prennent quand même des vacances -quitte à emmener la si disponible nounou). Un détail terrible, quand Myriam regarde les photos de ses enfants, et réalise qu'elle ne les voit plus assez 'en vrai'. Non, je ne l'accuse pas, après tout Paul non plus n'est guère présent.

L'écriture est assez distanciée, presque froide, sans parti pris. Puisque l'on sait dès le départ qu'un drame surviendra, on guette, on s'interroge. L'atmosphère est plutôt étouffante, avec l'impression que tous courent toujours, ne se reposent jamais...

Un roman intéressant qui pourrait servir de base à des débats, c'est sûr. L'auteur ouvre pas mal de chemins possibles, exposant les faits sans tirer vers le pathos.

Des billets plus intéressants, par exemple delphine, Pr Platypus, hélène, pour citer les récents ...

lundi 24 octobre 2016

Le bal mécanique

Le bal mécanique
Yannick Grannec
Anne Carrière, 2016



A Chicago, Josh dirige une émission de télé réalité mêlant relooking total de maison et mise à plat des tensions familiales. Entre la famille Carter et ses mensonges, sa propre famille dont sa femme Vikkie, enceinte, sa mère, et son père, Carl, peintre installé à Saint Paul de Vence, Josh a des sources de tension.
Carl, fils du marchand de tableaux berlinois Theodor Grenzberg, adopté durant les années 30 par un couple devenu américain, apprend l'existence de tableaux volés par les nazis, et qui lui reviendraient, dont un portrait de Theodor par Otto Dix. Une enquête démarre, longue et difficile; que s'est-il exactement passé au cours de ces années 30 en Europe? Qu'est devenue Magda, fille de Theodor?

Cette première moitié du roman est une réussite totale, j'ai adoré, c'est vif et plaisant à lire, les personnages sont attachants, on en redemandait pour la suite.

Mais, dommage, la seconde partie m'a plutôt ennuyée. L'histoire de Theodor, sa femme Luise et leur fille Magda semble prétexte à évoquer les années 20 et 30 en Allemagne, particulièrement les milieux artistiques ayant produit ce que les nazis ont traité d'art dégénéré. Paul Klee, ami de Theodor, est aussi parrain de la petite Magda. J'ai eu un renouveau d'intérêt lorsque Magda est devenue étudiante au Bauhaus, hélas vite éteint lorsque ladite Magda s'est transformée en porte parole soviétique. Même si je reconnais sa sincérité, son désir de liberté, son refus du Kinder Kirche Küche et sa déception à réaliser la misogynie du Bauhaus, hé oui.

Mais où était passé l'humour et l'empathie pour les personnages de la première partie? Ma déception est à la hauteur de mon enthousiasme originel. Allons, retenons l'approche de l'architecture et de la peinture, bien mises en valeur.

J'ai aussi beaucoup aimé le dernier chapitre, l'intervention de l'auteur (qui habite à Saint Paul de Vence), et imaginer ces nuages sous les pieds, quelle magnifique idée!

Que mon avis ne vous dissuade pas de lire ce riche roman, voir les avis en dessous!

Les avis de Nicole G., qui a tout aimé, clara, qui a préféré la seconde partie,
Bâtiment du Bauhaus de Dessau
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bauhaus

vendredi 21 octobre 2016

Amour monstre

Amour monstre
Geek Love, 1989
Katherine Dunn
Gallmeister, 2016
Traduit par Jacques Mailhos

Encore un roman américain incroyable dégoté de derrière les fagots par Gallmeister. Accrochez-vous dans le grand huit, ça dépote! Justement il y a un grand huit dans le bouquin (pour une scène) puisque l'histoire se déroule dans un cirque ambulant.

"Mon père et ma mère m'ont fabriquée comme ça. Ils ont obtenu des résultats plus originaux que moi avec quelques-uns de leurs autres projets."

Là c'est Olympia (Oly) Binewski la narratrice, 90 cm, naine, bossue, albinos et chauve. Après des années à travailler au cirque familial à l'arrière plan des numéros de ses frères et soeurs, on la retrouve au début du roman comme chroniqueuse à la radio, où une voix agréable et une bonne diction ont plus d'importance que le physique. Elle veille de loin sur sa fille Miranda et pour cela s'intéresse à Mlle Lick, richissime héritière dont le but "est de libérer les femmes du risque de se faire exploiter par la voracité masculine", employant pour cela des moyens qui m'ont fait rater une respiration, mais à ce moment du livre, j'en avais vu d'autres...

Bon, il va falloir parler enfin des frères et soeurs d'Oly. Issus de parents physiquement 'normos', mais comme "quel plus beau cadeau peut-on faire à ses enfants que la capacité intrinsèque à gagner leur vie en étant simplement eux-mêmes?, l'ingénieux couple commença alors à faire des expériences avec des drogues illicites ou prescrites sur ordonnance, des insecticides et, finalement deux ou trois isotopes radioactifs."

Résultat, parmi les survivants, Arturo, alias Aqua boy, Electra et Iphigenia les siamoises, jouant au piano des pièces pour quatre mains, Oly ensuite ("Ma mère avait été généreusement chargée en cocaïne, amphétamines et arsenic pendant son ovulation et tout au long de sa grossesse. Ce fut une déception lorsque je sortis avec des difformités vraiment banales."). Le petit dernier, Fortunato, était un bébé parfaitement formé, et "cette morne banalité déprima tant mes entreprenants parents qu'ils prirent immédiatement leurs dispositions pour le laisser sur les marches d’une station-service fermée", mais le bébé fit preuve juste là de dons particuliers et ils le gardèrent.

(Bien, bien, toujours là?)

Bon an mal an, le cirque continue sa vie, avec barbe à papa, stands de tir, etc. et bien sûr les numéros des fabuleux Binewski. Jalousie féroce d'Arturo, manipulateur et parano, dérive vers une sorte de culte, l'Arturisme  (je passe le docteur P. , là aussi j'ai plusieurs fois manqué un battement de coeur au détour d'une ligne).

Un roman fascinant en dépit de certain malaise, un roman que vous n'oublierez pas, un roman à découvrir, mais attention, lecteurs trop douillets, peut-être s'abstenir (mais quel dommage!). Ces 'monstres' physiquement ne l'étaient plus du tout à mes yeux de lectrice, tellement j'étais sidérée par leurs aventures. Pour moi le seul vrai monstre est Arturo, pas physiquement, mais moralement.

Les avis de charybde,

Video du rouquin bouquine, qui s'est "pris une grande claque" (entre 6 et 7 minutes il en dit plus que moi sur Mlle Lick, et il parle aussi de la page 210 que j'avais notée, donc pas besoin de la reproduire.

mercredi 19 octobre 2016

Sans parler du chien

Merci à la Fnac
http://static.fnac-static.com/multimedia/
Images/FR/NR/9d/c5/14/1361309/1540-1.jpg
 qui, contrairement à A**, permet de copier les images
Sans parler du chien
ou Comment nous retrouvâmes enfin la potiche de l'évêque
To say nothing of the dog
Connie Willis
J'ai lu Millénaires, 2000
Traduit par Jean-Pierre Pugi









Incroyable! J'aurais juré que Connie Willis était anglaise! Humour finement british, connaissance de l'époque victorienne et des bons auteurs anglais, tout y est, pourtant. J’ajouterai que Connie Willis connaît parfaitement les chats, ce n'est pas possible autrement!

Vous avez lu Trois hommes dans un bateau? (si non, allez vite découvrir ça!), alors vous allez vous régaler, enfilez pantalon de flanelle, posez un canotier sur votre tête, et c'est parti. Votre mission, vous reposer d'un trop grand nombre de sauts temporels dans la cathédrale de Coventry sous les bombardements de 1940, à rechercher une (affreuse) potiche dite de l'évêque, et en profiter pour effacer les conséquences de l'erreur d'une collègue ayant ramené une chatte du passé -1888 exactement- en pleine époque victorienne!

Cela paraît un poil foutraque et obscur? Tant pis, il faut plonger dans ce bouquin, tel quel, tout s'éclaircira-espérons-le.
Amusement maximum, réflexions sur l'histoire, si on veut du plus sérieux, ainsi que découverte du monde victorien un poil guindé.

Ruines de l'ancienne cathédrale de Coventry
Par Andrew Walker (walker44), CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=21283982
Les avis de A girl,

Un bonheur n'arrive jamais seul, j'ai pu emprunter Black Out et All Clear à la bibli, les amateurs et connaisseurs apprécieront.

lundi 17 octobre 2016

Meurtre au Savoy

Meurtre au Savoy
Polis, Polis, Potatismos, 1972
M. Sjöwall et P. Wahlöö
Rivages noir, 2009
Traduit (de l'anglais!) par Michel Deutsch
revu à partir de l'original suédois


Alors qu'il s'adressait à ses convives dans la salle à manger du Savoy de Malmö, le riche et puissant industriel Viktor Palmgren est abattu d'un coup de revolver par un inconnu prenant la fuite par une fenêtre ouverte. L'enquête démarre cahin-caha, conduisant jusqu'à Stockhom et le proche Danemark. Jusqu'à un épilogue qui me laissera en bouche un goût fort amer.

Ce roman paru il y a quelques décennies fait partie d'un ensemble de dix, ayant comme idée fondamentale, selon les auteurs, de "montrer la coupe d’une société structurée d'une certaine manière, et d'analyser la criminalité en tant que fonction sociale." Il ne s'agit pourtant pas d'un pamphlet indigeste, mais d'un excellent polar bien mené, l'on découvre un pays où l'on peut en quasi totale impunité s'enrichir par des moyens mêmes illégaux tout en piétinant les plus faibles. La part belle est donnée aux différents policiers sur le coup (l'on retrouve certains dans la série), l'enquête tient compte de délais réalistes (tout n'est pas bouclé instantanément), d'un peu de chance aussi, et même de ratés dus à deux policiers peu futés. Les services secrets, présents aussi, sont l'objet de blagues récurrentes. Humour donc, un peu d'action, l'art de l'ellipse et un bon découpage. Bref, un polar suédois modèle d'autres à venir (Wallander?).

Sur le mur du bureau d'un homme d'affaires
"Un chalutier voguant sur une mer démontée (...). Des pêcheurs en caban et en suroît remontaient le chalut. Cette image d'hommes luttant pour arracher leur maigre pitance à la mer offrait un contraste saisissant avec ce bureau paisible et luxueux où l'on amassait des fortunes en exploitant le labeur humain. Saisissant mais sans doute involontaire. Il y a quand même des limites au cynisme."

Lecture dans le cadre de Lire sous la contrainte

vendredi 14 octobre 2016

Rien où poser sa tête

Rien où poser sa tête
Françoise Frenkel
l'arbalète Gallimard, 2015
Préface de Modiano



Si j'ai bien compris, ce livre paru en Suisse dans les années 40 a réapparu chez un bouquiniste, récemment. D'où réédition conforme à l'original.

Françoise Frenkel, polonaise d'origine, a fondé en 1921 la première librairie française de Berlin, librairie connaissant un franc succès; mais elle pourra fuir de justesse à Paris en 1939.

Après un témoignage sur la montée du nazisme et de l'antisémitisme en Allemagne, suit une incroyable histoire de fuite et de cache cache en France : Françoise Frankel est étrangère, et juive. Longues journées inoccupées à attendre des papiers, de l'argent (interdiction de travailler), trouver des victuailles, puis lorsque sa situation devient brûlante, obligation de se cacher, de fuir, pour finalement tenter de passer la frontière suisse.

L'on croise des réfugiés étrangers, face à des français héroïques ou pas. Certains, comme le couple des Marius, seront fidèles en dépit du danger, d'autres prendront peur.

Françoise Frenkel ne juge pas, ne se plaint pas, elle témoigne sur cette époque où il suffisait de si peu pour basculer vers une mort certaine. Elle s'en est tirée, on le sait, au travers de péripéties que je vous invite à découvrir sans tarder. Même si elle reste muette sur certains faits ( son mari, par exemple)

Le billets de galea (car Modiano plus Nice), Aifelle, luocine, Mior, plaisirs à cultiver,

mercredi 12 octobre 2016

Sacrifice

Sacrifice
The Sacrifice, 2015
Joyce Carol Oates
Philippe Rey, 2016
Traduit par Claude Seban



Ignorant délibérément la présentation de l'éditeur et la quatrième de couverture (et j'ai bien fait!), j'ai découvert le dernier opus de Joyce Carol Oates, arrivé inopinément dans ma boîte aux lettres. Une question : ça passe ou ça casse? (la dame a parfois des tics d'écriture qui me hérissent le poil).
Quelques heures de lecture frénétique plus tard, le verdict : Madame Oates possède un vrai talent.

Pascayne, New Jersey, 1987. Ednetta Frye parcourt les rues de son quartier, cherchant désespérément sa fille Sybilla, 14 ans, disparue depuis déjà deux ou trois jours. Banal?  Plutôt l'occasion pour l'auteur de plonger dès le premier chapitre son lecteur dans ce quartier noir déglingué magistralement évoqué.
La voisine d'une usine en ruine (prénommée Ada, hé oui, ces coïncidences font mon bonheur de lectrice), alertée par des gémissements, va la retrouver dans la cave, ligotée, souillée par des excréments de chien, battue et ensanglantée, choquée et violentée par plusieurs blancs dont un flic, à ce que la police réussira à apprendre d'elle.
L'enquête sur ce crime révoltant aura bien du mal à démarrer, la fille demeurant mutique, et la mère craignant (à juste titre) la police, refusant qu'on l'interroge, finissant par l'envoyer à l'abri, loin des services sociaux et autres.
Jusqu'à l'arrivée des frères Mudrick, et là le roman prend une autre dimension, explorant la montée en puissance de l'affaire dans les medias.

Je préfère ne pas trop en dire, seulement que le lecteur est bousculé, mais à lui de saisir les petits moments où l'auteur instille le doute, pour finir emporté par une vague dépassant largement l'histoire de Sybilla. Manipulation des foules, profiteurs, mais aussi réalité de la vie des noirs américains, et en 1987 comme aujourd'hui hélas, si la police t'arrête au volant, tu as intérêt à penser à tes gestes...

"En août 1967 (.) une explosion de violence avait secoué les bas quartiers de Pascayne durant plusieurs jours et plusieurs nuits: coups de feu sporadiques, incendies et pillages, loi martiale, envoi de la garde nationale du New Jersey pour maîtriser la violence. Sur les vingt-sept personnes mortes dans ce qui avait été qualifié d' 'émeute raciale', vingt- quatre étaient noires.
Parmi les vingt-sept victimes, vingt au moins n'avaient participé à aucun acte de violence et n'étaient pas armées: des passants qui s'étaien trouvés au mauvais endroit au mauvais moment, ou qui s'étaient mis imprudemment à une fenêtre dans une zone où les policiers suspectaient la présence de 'snipers'. Trois autres victimes étaient des enfants de moins de douze ans, et deux, des femmes âgées, abattues à l'intérieur de leur domicile par des balles de gardes nationaux qui tiraient en direction des fenêtres.
Les deux dernières victimes, enfin ,étaient des policiers, abattus par des 'tirs amis', 'dans l'exercice de leurs fonctions'."

Après recherche sur internet, ce passage doit être inspiré des émeutes de Newark (NJ) en 1967
De même, le livre de JCO s'inspire de faits réels (mais je n'ai mené de recherches qu'après lecture)

Une remarque cependant : ne pas croire à un livre avec 'bons' d'un côté et 'méchants' de l'autre, c'est bien plus subtil que cela. JCO s'attaque sans peur à un sujet grave (et hélas toujours actuel).

L'avis de Jackie Brown.

lundi 10 octobre 2016

Le Grand Jeu

Le Grand Jeu
Céline Minard
Rivages, 2016


"L'auteur a bénéficié d'une résidence d'écriture au domaine national de Chambord", où avec Scomparo elle a lu en public Bastard Battle et Ka ta, que j'ai furieusement envie de lire.
Bref, j'aime Céline Minard, franchement c'est un des auteurs actuels les plus intéressants.
Même si j'ai abandonné Le dernier monde, et pas fait de billet sur le très brillant R, So long, Luise et Faillir être flingué m'ont conquise.

Et ce grand jeu? Des visions de Céline Minard escaladant à mains nues la lanterne du château de Chambord ou descendant en rappel la façade nord ont pu me venir à l'esprit, je l'avoue.

Une femme se fait installer un refuge bourré de technologie sur la paroi d'une montagne, espérant sans doute y couler des jours tranquilles. Jardinage, plantation de bambous, exploration, randonnée, escalade.
Beaucoup d'escalade, c'est technique. (Je fatigue)

On ne sait rien de cette femme, elle s'interroge à plusieurs reprises sur promesse et menace, se plait à grimper."L'obstacle fait toujours partie du chemin car s'il le détourne, il le façonne et s'il ne le détourne pas, il s'y incorpore."
C'est pour ces phrases que j'aime beaucoup Céline Minard. (Et que j'ai continué.)
Jusqu'à l'arrivée d'un autre personnage mystérieux (non, pas la marmotte), au début 'tas de laine', puis absolument fascinant (pour le personnage et moi lecteur).

"Les habitudes aussi, il faut les construire. Effectuer les gestes de l'autarcie, les gestes simples, quotidiens, voilà ce que je m'étais proposé de construire pour habitude. J'ai investi cet environnement et ces conditions qui me permettent de n'être pas dans l'obligation de croiser tous les matins un ingrat, un envieux, un imbécile.""Il n'était absolument pas prévu que je partage quoi que ce soit avec quelqu'un et encore moins tout un espace -mon espace!"

Mais voilà, l'intrusion la bouscule dans son train-train
"Si se retrancher c'était s'enfermer avec un ingrat, un oublieux, un imbécile? Si s'éloigner des humains c'était céder à l'affolement? Refuser de prendre le risque de la promesse, de la menace. Refuser de le calculer, de la mesurer, de s'en garder. Si la retraite (le retirement), c'était jeter le risque du côté du danger, définitivement? Si c'était choisir la peur, la panique, se choisir un maître? Se laisser dévorer par la promesse et la menace, sans même qu'elles s’annoncent? Vaut-il mieux s'éloigner du danger ou tenter de le réduire? A quelle distance une relation humaine n'est-elle qu'un risque? A quelle distance est-elle inoffensive?"

Puis Céline Minard entraîne narratrice et lecteur dans une direction inattendue.

Mon avis? L'arrivée du tas de laine, qui a réveillé mon intérêt, survient à près de la moitié du roman (quelques dizaines de pages, puisque le roman est court) et il faut tenir le coup jusque là, accepter ces pages de jardinage et d'escalade (mais c'est fichtrement bien raconté, parfois un poil technique ).
Ensuite? Eh bien Le Grand Jeu se met en place!

Un drôle de bouquin (mais on s'en doute, c'est habituel chez l'auteur) qui peut agacer, pousser à l'abandon, mais mérite d'être lu jusqu'à la fin.

Pour accompagner cette lecture, Pression de Lachenmann, joué au violoncelle par la narratrice, "dix minutes de vomi, de grincements, de pincements, de râles, de souffle, de coups, de glisse, de percées, de dégringolades, de soudure et de pression."

Les avis de Nicole G., Sibylline Lecture/Ecriture, sur bibliosurf aussi,

vendredi 7 octobre 2016

Ada

Ada
Antoine Bello
Gallimard, 2016



Comme Papillon(son billet) (mais en 'moins pire', en tout cas je ne suis pas capable d'en disséquer les raisons), je suis fan d'Antoine Bello et l'annonce d'un nouvel opus m'a plongée dans une frénésie  intérieure (on sait se tenir). Sans vraiment savoir de quoi ça parlait, je me suis lancée.

Bello est sans doute le plus américain des auteurs français (d'ailleurs il est né à Boston, vit à New York et possède la double nationalité), et sans que cela choque son roman se déroule en Californie.

Dans la Silicon Valley, l'entreprise Turing Corp. a bien des soucis : Ada a disparu! Elle prévient la police, et arrive Frank Logan, policier atypique qui préférerait continuer à rechercher des ados avant leur mise sur le trottoir et boucler les responsables de trafics humains, parce que tout de même Ada n'est pas un être vivant, c'est une intelligence artificielle (AI), un programme. Mais il va rapidement faire connaissance avec Ada, et la question se pose : a-t-elle ou non une conscience?

Avec Franck dont l'état des connaissances sur la question est proche de zéro, le lecteur va se mettre au courant : pourquoi Ada, pourquoi Turing, etc. Ainsi que l'utilité des AI. Ada, elle, est programmée pour écrire des romances type Harlequin, même si elle a des ratés dans l'emploi du niveau de langage (et j'avoue qu'on s'amuse bien), mais pourquoi pas aider à tenir un blog? "Nous leur écrivons cinq billets par semaine avec une thématique saisonnière." (je précise que ce billet est écrit par une vraie personne, pas une AI, et que j'ai lu entièrement le roman, et avec avidité et plaisir, en plus)

Alors? J'ai dévoré ce roman, je viens de le dire, je me suis bien amusée, le thème des potentialités et des dangers et dérives de l'AI est parfaitement évoqué et mon intellect a bien mouliné. Parfois quand même je me posais des questions, mais c'était tellement entraînant!

Jusqu'à...la fin, et là, pfff, chapeau, encore une fois Bello a roulé son lecteur dans la farine, et je m'interroge...
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ada_Lovelace
De nombreux avis (y compris sur bibliosurf, dont un brillant mais qui raconte tout, je l'ai lu ensuite, j'étais prévenue),

mercredi 5 octobre 2016

Nos âmes la nuit

Nos âmes la nuit
Our souls at night
Kent Haruf
Robert Laffont, 2016
Traduit par Anouk Neuhoff


Revenons faire un tour dans la petite ville de Holt imaginée par Kent Haruf (voir aussi Le chant des plaines), mais pour une histoire encore plus intimiste. Addie et Louis habitent la même rue, sont tous deux veufs et septuagénaires. Leur vie s'écoule calmement, on le devine, une vie tranquille dans une petite ville tranquille, les amis, les rencontres, les papotages et de temps en temps la famille, enfants et petits enfants.

"Et puis il y eut le jour où Addie Moore rendit visite à Louis Waters. C'était un soir de mai juste avant qu'il fasse complètement nuit.". Addie propose carrément à Louis de venir passer la nuit chez elle, juste pour discuter tranquillement. Louis accepte. Foin du qu'en-dira-t-on, d'ailleurs Louis ne passe même pas par derrière les maisons, mais par la rue principale.
Forcément tout se sait dans les petites villes, ça cancane bien, les réactions sont diverses (et racontées de façon amusante), mais Addie et Louis n'en ont que faire. Cependant leurs propres enfants, eux, ne vont pas approuver...

Une jolie histoire bien racontée et crédible, pleine de sensibilité et de pudeur, aux personnages comme tout le monde, aux vies banales, avec leur lot de bonheurs et de chagrins, de deuils et de maladies. Un pied de nez à ceux qui jugent et cataloguent trop vite.

Un passage où justement l'auteur s'amuse, ses personnages critiquant ses autres romans... (Electra a relevé le même, coïncidence compréhensible)
"Tu as vu qu'ils vont adapter ce dernier roman sur le comté de Holt? Celui avec les vieil homme en train de mourir et le pasteur.
Ils ont monté les deux autres, alors autant faire celui-ci aussi, dit louis.
Tu as vu les précédents?
Oui. Mais j'ai du mal à imaginer deux vieux ranchers accueillir chez eux une jeune fille enceinte.
Ça n'est pas impossible, dit-elle. Les gens font parfois des choses inattendues.
Je ne sais pas, dit louis. En tout cas c'est l'imagination de l'auteur. Il a emprunté des détails concrets à Holt, les noms des rues, la physionomie de la campagne, l'emplacement des choses, mais ce n'est pas cette ville pour autant. Et ce n'est personne de cette ville. Tout ça est inventé. Tu as connu deux frères comme ces deux vieux? Cette histoire-là n'a pas eu lieu, si?
Pas à ma connaissance.
Tout est imaginaire, dit-il.
Il pourrait écrire un livre sur nous. Qu'est-ce que tu dirais?
Je ne veux pas figurer dans un livre, dit Louis.
N'empêche, on n'est pas plus invraisemblables que ces deux vieux ranchers.
Mais nous c'est différent.
En quoi est-ce différent? demanda Addie.
Eh bien, c'est nous. Notre histoire ne me paraît pas invraisemblable.
Tu trouvais, au début.
Je ne savais pas quoi penser. Tu m'as pris au dépourvu."

Au risque de ma vie, j'avouerai quand même que les marshmallows grillés, c'est un poil cliché.

Les avis d'Electra,

Merci à Babelio

tous les livres sur Babelio.com

lundi 3 octobre 2016

Yaak Valley, Montana

Yaak Valley, Montana
Fourth of July Creek
Smith Henderson
Belfond, 2016
Traduit par Nathalie Peronny



Lors du festival America, l'auteur était là, souriant, disponible, ainsi qu'Electra (voir son billet), qui m'a chaudement recommandé cette lecture. Pouvais-je résister?
J'ai donc vite acquis un exemplaire, mais en VO (histoire de justifier un achat non prévu)
merci à la fnac de permettre de copier les images
http://livre.fnac.com/a8107145/Smith-Henderson-Fourth-of-July-Creek

et obtenu une dédicace! J'avais déclaré auparavant que la traduction se ferait dans ma tête au fur et à mesure; en fait quand je lis, j'ai plutôt du global comme en français, sauf quand un mot est inconnu. Mais là, je devais parfois relire, c'est souvent ramassé, comme si on réfléchit ou parle vite, pas toujours de ponctuation dans une phrase, ou pas de verbe, ça doit se voir en version française. Brut de décoffrage parfois. Mais c'est le style de l'auteur, adapté à l'histoire, et cela ne gêne pas. Pour en terminer avec la VO, quand il s'agissait de gamins maltraités ou abusés, j'étais fort aise de ne pas comprendre TOUS les mots.

Bon, de quoi ça parle?
Montana, dans les années 80, Pete Snow est travailleur social, son job, garder un oeil sur les enfants de familles à problèmes (alcool, drogue, prostitution, maltraitance, abandon, pas d'école, pas de repas, j'en passe des plus terribles). Parmi eux, Cecil, un adolescent pétant vite les plombs et sa soeur Katie l'adorable bout'chou, et puis Benjamin le fils de Jeremiah Pearl, une sorte de parano vivant dans les bois avec sa famille en attendant l'apocalypse.

Pete lui aussi a des problèmes avec l'alcool, son père qu'il ne voit plus, son frère qui fuit l'officier de probation qu'il a cogné, sa femme qui veut divorcer et file au Texas avec sa fille Rachel. Pete reconnaît ne pas être un bon père, mais sa femme n'offre pas vraiment à sa fille un environnement stable, et Rachel finit par fuguer, son père la cherchant dans plusieurs états. Des dialogues entre Rachel et un interlocuteur non identifié permettent dès le début de connaître l'histoire vue par Rachel.

Quoi d'autre? Oui, Pete fréquente pour un temps une collègue prénommée Mary, avec pas mal de casseroles de son enfance.

Alors oui, c'est dur. Les rayons de soleil sont rares, quelques incursions dans la nature, l'apprivoisement de Benjamin, les Cloninger, à part ça rien de choupi à se mettre sous la dent.
Mais franchement quel roman! Qui vous bouscule et ne laisse pas indemne.
L'auteur au festival America, jamais on ne le soupçonnerait d'écrire des noirceurs pareilles...
Les avis de leatouchbook, nyctalopes, lectrice en campagne, la cause littéraire, clara, hop sous la couette, et dernièrement Tasha